Après ses retrouvailles quelque peu mouvementées avec Maelen, le jeune homme avait eu besoin de quelques jours pour s'apaiser complètement. Le soir même, il avait laissé Arrad lui changer les idées en parcourant les cieux avec lui pendant des heures.
Son dragon avait bien senti que son ami avait besoin de décompresser et il l'avait aidé dans ce sens.
Ils n'étaient pas rentrés très tôt à l'Académie, bien heureusement le professeur avait sa matinée de libre le lendemain ...quoi qu'elle avait été perturbée par la mauvaise humeur de son dragon qui était parvenu à se mettre l'un des siens à dos pour un oiseau.

Il n'avait été qu'une fois à la cantine de l'établissement, pour manger avec certains de ses collègues le midi histoire d'apprendre à les connaître. Mais pas le soir, la présence de Maelen dans la même pièce le déconcentrait et le tendait. Il avait envie d'aller le voir, mais il craignait alors soit de s'énerver à nouveau, soit de s'excuser ce qu'il aurait regretté par la suite puisqu'il considérait qu'il n'avait peu à se reprocher. Tout du moins parmi ce qu'il avait dit lors de leur reproche.
Concernant ses agissements passés, c'était une autre histoire et il s'était excusé pour ça.

Puis il y avait eu le deuxième cours de monte dragonique des premières années.
Et Shaem avait traité le jeune homme plutôt froidement ... comme s'il avait été un élève comme les autres. Occultant, l'espace d'un cours, le fait qu'il avait eu un passé en commun, il resta concentré sur le fait qu'il était en froid avec le garçon.
Lorsqu'il posait ses yeux sur lui, il entendait encore ses paroles qui venaient à le torturer.

"Tu m'as arraché le cœur quand tu es parti"

Il était quand même passé le voir, comme tous les autres, il l'avait conseillé à distance et lorsqu'il avait essayé de se rapprocher, d'autres paroles lui revenaient à l'esprit.

"Ce n'est pas moi le plus lâche"

Il avait eu le réflexe de tendre la main vers lui pour l'aider à se positionner correctement, mais lorsque ces paroles l'avaient frappé, il avait retint sa main la posant plutôt sur le dos du dragon. Et il avait un peu bâclé ses explications pour passer à l'élève suivant, son esprit ne lui laissant aucun repos.

"Toi, tu n'as jamais cherché à me revoir"

Il avait inspiré profondément et avait continué son cours.
Ça avait été compliqué mais il avait pris sur lui.

Le 3e cours, qui correspondait à la deuxième semaine de cours du professeur et de ses élèves, aurait pu se dérouler de la même façon si Arrad n'avait pas aidé Shaem à mieux appréhender la situation.
Parce qu'il n'aurait clairement pas pu continuer de la sorte.
Le dragon avait repris les paroles de Norn pour leur redonner un peu de poids en ajoutant ses propres pensées.

*Tu tiens à ce garçon Shaem ... et lui aussi malgré ce qu'il a pu te dire la dernière fois. Il est jeune, laisse-lui une chance de se rattraper et de murir à tes côtés* Il se tut un bref instant avant de rajouter d'un ton un peu moqueur *De toute manière, tu en meures d'envie*

Ainsi, s'il avait été complètement fermé lors du second cours, Shaem débuta ce troisième cours des premières années de meilleure humeur.
Mais ce n'est pas pour autant qu'il avait changé d'état d'esprit du tout au tout vis-à-vis de Maelen.
Il avait besoin de voir que le garçon faisait également des efforts de son côté.

Il devait lui montrer qu'il avait changé.

C’était le ventre noué que Maelen se rendait au cours de vol. Il n’en pouvait plus de cette ambiance tendue entre eux deux. Il s’en mordait les doigts et Norn se faisait un plaisir de lui rappeler chaque mot qu’il avait craché à la face de Shaem.
Il aurait voulu s’excuser, comme un homme. Mais il n’y arrivait pas, il aurait voulut se jeter dans ses bras et pleurer, mais sa fierté l’en empêchait. Foutu caractère de noble que son père lui avait inculqué.
Ses ongles étaient rongés, chose qu’il ne faisait qu’en grande période de stress. Une tâche rouge était apparue sous ses lèvres tellement il se les mordait à chaque fois qu’il repensait à Shaem. Il en avait même fait des cauchemars. Il courrait vers Shaem qui lui reculait, le dos tourné, répétant inlassablement. « Tu n’es qu’un petit garçon, tu resteras toujours un petit garçon. »
Mais Maelen voulait être plus que ça, il voulait que Shaem le respecte pour ce qu’il était, qu’il admire combien il avait grandit, qu’il le trouve changé, attirant peut être…

Maelen s’était toujours demandé comment il considérait son ami, un frère ? Non il ne voulait pas se contenter d’être ça, il voulait être l’unique soleil du Saabi. Un ami ? Non, jamais. Un meilleur ami ? Encore pire.
Depuis ses onze ans, son cœur battait quand Shaem le fixait. Quand ses dorés courait sur sa peau et que son sourire lui était destiné, son cœur s’emballait, le rouge lui montait aux joues ainsi qu’une douce chaleur au niveau des reins. Bien sûr il savait à quoi était due cette chaleur, avoir espionné le vestiaire des filles au lycée lui avait aussi procuré cette sensation. Mais jamais il ne s’était réveillé en sueur, le corps tendu comme un arc en rêvant de filles, alors qu’en rêvant de Shaem…

C’était le troisième cours qu’il avait avec Shaem, le deuxième s’était déroulé de façon assez médiocre, il ne valait même pas la peine qu’on en parle.
Mais cette fois-ci Maelen était résolu.

Serrant les poings il suivit le cours avec assiduité, ne quittant pas un instant du regard le Saabi. Il allait lui prouver qu’il était un homme, qu’il avait grandit et qu’il n’avait plus à le traiter comme un gamin.
Les heures de cours défilèrent, chaque minute ressembla à une éternité, et quand Shaem était à ses côtés il ne pouvait s’empêcher de rougir et de baisser la tête penaud.

La cloche sonna la fin des cours et Maelen resta bien droit à côté de Norn, il attendit que les autres élèves partent avant d’avancer vers Shaem. Il inspira, se triturant les doigts tellement il était stressé. Finalement, il se pencha en avant pour se courber devant le Saabi et lâcha le plus rapidement.

« Jesuisdésoléjen’auraispasdudirecequej’ai dit. Jesuisvraimentdésolé ! »

Essoufflé, il resta courbé, n’osant pas relever les yeux de peur de croiser le regard de Shaem. Est-ce qu’il allait lui pardonner ? Est-ce qu’il allait lui mettre son poing dans la figure ? Peut être qu’il allait lui pardonner, mais qu’au final il ne resterait distant avec lui. Non, ça il ne le voulait pas. Il voulait retrouver son Shaem qu’il connaissait, celui qui le faisait rire, qu’il lui apprenait des tas de choses. Et il avait aussi ces trois petits mots à lui avouer, ces trois petits mots qui lui brûlaient la gorge depuis trop d’années….

 
Shaem les avait vu ses signes qui trahissaient le stress du jeune garçon.
Il avait beau être encore un peu en colère contre lui, il ne pouvait s'empêcher de l'observer et son instinct protecteur lui faisait détecter ce qu'il n'allait pas chez son petit protégé.
Et ça le rassura un peu de voir que le garçon souffrait également de cette désagréable situation.

Patiemment il déroula donc son cours attendant de voir si Maelen était bien décidé à faire le premier pas ... ce que lui attendait pour pouvoir pardonner au garçon par la suite.
Et lorsque le cours toucha à sa fin, le jeune homme était toujours là bien droit aux côtés de son dragon alors que ses petits camarades se dirigeaient vers leur prochain cours. Le coeur du Saabi battit un peu plus vite alors qu'il se rapprochait du garçon le visage impassible.
Il attendit.

Et il ne fut pas déçu.
Certes les excuses furent courtes et débitées à toute vitesse, mais Maelen s'était incliné et était déjà essoufflé après ces quelques mots, preuve qu'il était nerveux et que ses excuses étaient réfléchies.
Alors Shaem s'apaisa finalement, sa froide attitude fondit en même temps qu'Arrad poussait un léger grondement approbatteur avant de se coucher dans l'herbe sentant bien le soulagement de son compagnon.

«Ça t'aura pris un peu de temps quand même »

Les paroles n'étaient pas franchement joyeuses mais le ton du Saabi était doux et il n'attendit pas plus longtemps pour se rapprocher du garçon. Il s'arrêta juste devant lui et délicatement, il entoura son visage de ses grandes mains et il le fit se redresser. Il le regarda, son visage à demi masqué par les mèches blondes également emprisonnées entre ses mains, et un fin sourire et étira ses lèvres.

«Deviendrais-tu un peu moins têtu, Maelen ? »

Il laissa doucement retomber ses mains quittant la chaleur de son visage et de ses joues.
Un sourire un peu taquin flottait sur ses lèvres et il fit jouer légèrement ses doigts dans l'air, parce que ça le démangeait de reprendre le garçon entre ses bras, tout contre lui.
Mais il ne pouvait pas se permettre autant de familiarités ici.
Et puis Maelen n'avait plus onze ans, il était passé le temps des câlins.
Il fallait pas non plus que les autres se fassent de mauvaises idées en les voyant. Shaem se fichait bien des commérages, mais il était professeur et il ne voulait pas non plus ruiner toutes les chances de Maelen avec la tente féminine de l'académie.

Cette pensée le dérangea un peu mais il la chassa bien rapidement de son esprit se concentrant de nouveau sur Maelen.

«Je m'excuse également pour la dernière fois, mes paroles ont peut être été un peu plus loin que ce que je pensais. Mais j'avais besoin que tu essayes un peu de comprendre la position dans laquelle j'étais»

Il soupira un peu, le bout de ses doigts continua à le piloter et il finit par lever la main pour dégager le visage du garçon d'une mèche blonde un peu envahissante.

Il était temps de grandir un peu. De prouver qu’il n’était plus un gamin, alors il lâcha sa fournée d’excuses et se sentit tout de suite mieux après. Même si s’excuser lui fit mal, les larmes lui montèrent aux yeux alors qu’il était toujours penché, il les ravala par fierté.
Cela devait bien être la première fois qu’il s’excusait sincèrement, il se rendit compte d’ailleurs que cela faisait mal au cœur, mais que son corps était plus léger, sa conscience apaisée.
Norn qui était resté à côté de lui fit un clin d’œil et s’allongea dans l’herbe pour profiter un peu du soleil de fin de journée.

Il angoissa quand à la réaction de Shaem, mais ce furent ses douces mains qui lui prirent le visage pour le redresser qui le rassurèrent. La chaleur des paumes du Saabi le fit rougir et il baissa les yeux penauds devant sa réplique.
Oui il avait mit du temps, mais valait mieux tard que jamais.

Se mordillant la lèvre, il rajouta d’une voix basse :

« J’ai décidé de faire des efforts, d’essayer de changer…Je..je veux devenir fort. Pour être fort, il faut aussi reconnaître ses erreurs…Alors voilà… »

Penchant son visage pour savourer la douceur des mains du Saabi, Maelen lui sourit timidement appréciant les gestes qu’il avait avec ses cheveux.
Shaem était doux et chaud. C’était quelque chose que Maelen appréciait beaucoup chez lui. Il se sentait bien, réconforté, protégé, presque en paix. Pourtant il savait que le professeur pouvait tout aussi bien démarrer au quart de tour.

Maelen acquiesça quand Shaem s’excusa à son tour et lui sourit. Son corps se détendit d’un coup et il se sentit moins fatigué.

« Comment vont ta mère et Camilia ? » Demanda t-il.

Il voulait montrer qu’il faisait des efforts et qu’il se sentait concerné par la vie de Shaem. Il voulait prouver qu’il pouvait se mettre à sa place.
Puis en même temps, il avait toujours aimé les deux femmes. Elles étaient douces comme Shaem et Camilia faisait les meilleurs gâteaux du monde. Du moins, dans les souvenirs de Maelen.

Baissant un peu les yeux, Maelen avoua :

« Tu sais, mon père est mourant…Il n’en a plus pour très longtemps encore. » Faisant une moue un peu attristée, il inspira et redressa son visage : « Quand il ne sera plus là, j’hériterais de tout, y compris de toi Shaem. Tu m’appartiendras… »

Jouant avec ses doigts, il inspira profondément et rajouta d’une voix un peu moins sûre.

« Je t’affranchirais, toi et ta famille, ainsi que tout les esclaves du Palais…Comme ça, tu pourras retourner voir ta mère et Camillia. Tu n’auras plus besoin de l’immunité diplomatique de Lindorm… »

Norn se redressa et fourra sa gueule sous le bras de Maelen, il se frotta contre lui, fier de ce qu’il venait de dire.

« Je suis désolé pour tout le mal que mon père vous a fait..Je..J’aurais voulut être plus fort pour qu’ils ne vous arrivent rien. Mais je ne l’étais pas…Je.. »

Sentant les larmes lui monter aux yeux. Il hoqueta et essuya ses yeux avec rage.

« Il ne mérite que la mort de toute façon. Il…il à fait tellement de mal autour de lui, au nom de lois stupides et ancestrales..Je..je le déteste si tu savais, comme je le déteste… »

Maelen pleurait, mais dans son cœur ce n’était pas de la rage qui bouillonnait mais de la peur, la peur de perdre son père, la peur de se retrouver seul, la peur de devoir se retrouver à la tête de la fortune de Borus.
Il avait peur en cet instant, et il se sentait si misérable.

Les excuses étaient venues naturellement malgré le caractère parfois un peu sanguin du Saabi. Mais si Maelen avait été capable de prendre sur lui pour s'excuser pour la première fois face à lui, alors Shaem aussi devait être capable de reconnaître ses torts.
Il y avait été un peu fort la semaine précédente, sous l'effet de la douleur occasionnée par les paroles du jeune Ortega, alors il s'était excusé sachant que ça aiderait le jeune homme.

Il laissa retomber lentement sa main après que la joue du garçon y ait reposé quelques instants, lorsqu'il lui demanda des nouvelles de sa mère et de sa sœur.

« Elles vont bien toutes les deux, elles sont installées à Libertad. Ma mère travaille dans une boutique de la ville et Camilia est devenue infirmière »

Quelques nouvelles simples. Il ne s'étendit pas plus ayant bien compris la jalousie de Maelen à l'égard de sa famille que Shaem avait fait passé en premier. Plus tard, ils pourraient en parler plus librement.
Par compte, il ne s'attendit pas vraiment à ce qui suivit.

Maelen lui donna spontanément des nouvelles de son père, cet homme qui avait été la raison principale de leur fuite de Narthan. Et Shaem comprit rapidement pourquoi le garçon lui en parlait si soudainement.
Il avait peur, même s'il clamait qu'il le détestait du fait qu'il avait des esclaves et qu'il entretenait le système dans lequel la famille de Shaem avait été aspiré. C'était bien normal, il allait hérité d'une fortune certainement non négligeable, il allait avoir des personnes qui allaient dépendre de lui ... alors qu'il n'avait que vingt et un ans. Mais surtout il allait perdre son père.

Bien entendu, il tiqua un peu lorsque Maelen déclara un peu innocemment qu'à la mort de son père, il lui appartiendrait.
Légalement peut-être ça pouvait être vrai, mais depuis l'instant où Shaem avait franchi les murs du palais en s'enfuyant avec sa mère et sa sœur, il avait considéré qu'il n'appartenait plus à personne.
Il n'était plus un esclave.
Il avait gagné sa liberté à sa façon et il n'avait pas besoin que quiconque ne vienne l'affranchir.
C'était son égo et sa soif de liberté qui se réveillaient avec vivacité sous les paroles de Maelen.

Mais Shaem se calma bien vite en voyant et en ressentant le désarroi ainsi que la peine du garçon. Son cœur se serra lorsqu'il le vit hoqueter et essuyer en vain les larmes qui se déversaient sur ses joues. Ses doigts le picotèrent un peu plus fortement et il ne put se retenir plus longtemps.
Il combla la distance qui les séparait et referma ses bras autour des épaules du garçon sans l'écraser contre son torse.

Ce contact le troubla un peu, parce qu'en temps normal, c'est à dire au moment où il avait quitté Narthan, il pouvait encore porter le garçon dans ses bras lorsque son chagrin devenait trop important. Il pouvait le prendre dans ses bras, comme pour porter en même temps que lui sa peine et l'aider à l'en soulager. Pourtant à cet instant, leur étreinte était plus "adulte", même si Maelen ne devait pas peser bien lourd, ça aurait été un peu plus difficile pour le Saabi de le porter dans ses bras maintenant.
Pour la première fois, il se trouva troublé en étreignant Maelen.
Mais il oublia bien rapidement son malaise pour se concentrer sur le garçon.

« Tu n'étais qu'un enfant Maelen, tu ne pouvais rien y faire. Tu fais déjà beaucoup aujourd'hui en te formant pour être dragonnier et ce, pour pouvoir libérer les esclaves »

Il savait que les paroles de Maelen dépassaient sa pensée lorsqu'il déclarait qu'il détestait son père. Il avait bien vu les gestes tendres que Borus avait pu avoir parfois pour son fils. C'était bien pour ça qu'il avait pu laisser Maelen derrière lui en s'enfuyant. Même s'il arrivait à l'homme de frapper son fils, ce qui faisait sortir Shaem de ses gongs à chaque fois, il savait Borus capable de tendresse et d'amour envers lui. Il savait que l'homme aimait son enfant.
Bien entendu, cela n'effaçait en rien la haine que Shaem lui portait, mais ses relations avec l'homme mourant avaient été toutes autres.

« Et pourtant il reste ton père Maelen, et même s'il ne l'a pas toujours montré, il t'aime. Tu ne partages pas ses opinions, tu n'as pas suivi ses pas, et c'est bien pour ça que je t'apprécie tant Maelen. Mais tu risques de le regretter si tu ne retournes pas le voir »

Ses mots, ce n'était peut-être pas ceux que Maelen voulait entendre.
Et pourtant Shaem sentait que ce n'était vraiment pas le moment de renchérir. Même s'il haïssait Borus, il s'agit que son histoire avec celle du père de Maelen, Shaem considérait que le garçon n'avait pas besoin de connaître les véritables pensées qu'il avait à son égard.
Tout du moins pas maintenant.
Pas alors que l'homme était mourant.
Maelen n'avait pas besoin qu'il lui donne des arguments supplémentaires pour haïr son père. Il préférait que le jeune homme soit en paix avec son père au moment où il lui ferait ses adieux.

« Tu feras comme tu le sens Maelen, mais fais en sorte de ne pas avoir de regrets par la suite »

Doucement il avait glissé l'une de ses mains dans ses cheveux laissant les douces mèches blondes s'emmêler entre ses doigts. Il l'avait ensuite laissé descendre jusqu'à ce que ses doigts reposent doucement sur sa nuque. Il y dessinait à présent d'étranges arabesques, le bout de ses doigts glissant sur la peau pour apaiser progressivement le garçon sous ses dessins.

« Même si tu ne le détestes pas, je continuerais à t'aimer Maelen »

Seul ses bras pouvaient l’apaiser. Seule cette douce chaleur à l’odeur de sable pouvait le calmer. Et il se rendait compte à cet instant qu’il n’y avait que lui pour le mettre dans des états pareils. Shaem le rendait heureux, triste, en colère, il était un électron libre quand il était à ses côtés. Il pouvait passer par toute une palette de sentiment en l’espace de quelques secondes.
Il pleurait contre lui, il se sentait compris, soutenu, alors il continua de pleurer comme un gamin.

Il avait peur de perdre son père et même si il clamait haut et fort qu’il ne le détestait, il savait que le jour où il le perdrait pour toujours il n’en sortirait pas indemne. C’était son père, il l’aimait, son comportement n’avait jamais été un exemple et même si la dureté de son éducation avait laissé des traces sur Maelen, il se souvenait des attentions qu’il avait eut.
Il se souvenait de cette nuit ou il avait attendu qu’il soit dans un sommeil profond pour prendre le dragon-nacelle. Il se souvenait de bras fort et réconfort autour de lui, de son pas un peu lourd et bourru, de sa voix tonitruante quand il criait, de son rire un peu sauvage quand Maelen lui racontait des bêtises.
C’était son père, il lui en voulait terriblement, mais il ne pouvait que pleurer à l’idée de le voir disparaître.

Alors il se laissa bercer, il laissa les mains chaudes du Saabi courir dans ses cheveux, son corps se presser contre le sien et Maelen posa sa tête contre son épaule. Cela lui rappelait tellement de souvenir.
Poussant un soupir de bonheur au milieu de ces pleurs, il se passa de longues minutes avant qu’il ne soit apaisé. Ses mains s’accrochèrent à la tunique de Shaem et il frotta son nez contre le tissus pour essuyer ses larmes.
Puis, il y eu trois petits mots qui résonnèrent dans son oreille. Son cœur se mit à battre plus vite, il rougit et se cacha contre le Shaabi pour ne pas dévoiler son trouble.

Shaem l’aimait.
Shaem l’aimait.
Shaem l’aimait.

Son cœur tambourina dans sa poitrine, ses pensées devinrent incohérentes, il se ficha d’être au milieu du terrain d’entraînement caché dans l’ombre d’Arrad. Il se ficha de tout ce qui pouvait arriver à ce moment. Il était dans les bras de celui qu’il chérissait.

Reculant son visage, il se frotta un peu les yeux, les joues rougies par les pleurs et par le plaisir de ce que venait de lui dire Shaem.
Il avala sa salive avec difficulté, ses yeux bleus s’accrochèrent à ceux dorés du Saabi et il chuchota doucement :

« Je t’aime aussi Shaem… »

Puis, mû par un instinct qu’il avait trop longtemps refréné, il se haussa sur la pointe des pieds et captura les lèvres de Shaem avec les siennes. Il l’embrassa, simplement, comme il l‘avait rêvé il y avait dix ans. Ses mains remontèrent le long des épaules du professeur, puis glissèrent sur sa nuque pour appuyer un peu dessus. Une chaleur envahit ses reins et il retint un gémissement de plaisir.
Sa bouche s’entrouvrit légèrement, aspirant avec douceur la chair de Shaem. Il se pressa plus fortement contre lui, ses doigts s’entremêlèrent à ses cheveux et la pointe de sa langue humide frôla les lèvres chaudes du Saabi. Cela n’avait rien à voir avec le baiser innocent d’il y a dix ans. C’était un baiser passionné, trop longtemps retenu, avide de chair.

Remuant les lèvres, il garda les yeux fermés et savoura ce moment trop longtemps attendu.

Progressivement, il sentit le garçon se détendre entre ses bras.
Cette étreinte lui fit également du bien, Maelen lui avait manqué et même si le jeune homme avait grandi, il le retrouvait toujours capricieux mais surtout toujours avec cette fragilité qui l'attirait inexorablement.
Ça animait à nouveau son instinct protecteur qu'il avait développé tout au long des onze années passées à ses côtés.

Il reprit les bonnes vieilles habitudes et fit en sorte d'apaiser le garçon en le rassurant.
Maelen savait bien que l'ancien esclave ne portait son père dans son cœur, alors il précisa bien au garçon que les sentiments qu'il avait à son égard ne changerait pas, qu'il déteste son père ou non.
Et visiblement ses paroles furent mal interprétées.

Le cœur du Saabi manqua un, peut être deux battements lorsque les lèvres de Maelen se posèrent sur les siennes. Il fut comme pétrifié sur place, sous l'effet de la surprise, sous l'effet de ce choc tellement puissant qu'il ne réagit pas directement. Il laissa le garçon prolonger le baiser, se coller tout contre lui.
Il sentit son corps s'enflammer et lorsque la langue du jeune homme vint taquiner ses lèvres, les siennes s'entrouvrirent instinctivement.
Ses nerfs semblèrent s'embraser, ses doigts se firent plus fermes sur la nuque du garçon, ses hanches se plaquèrent contre les siennes et son souffle se mêla au sein.
Il perdit pied.

Mais ce laisser-aller cessa brutalement lorsque le bâillement sonore d'Arrad parvint aux oreilles du Saabi qui fit littéralement un bond en arrière. Ce fut comme s'il avait électrocuté. Ses mains se refermèrent sur les poignets du jeune homme et il brisa son étreinte pour pouvoir s'éloigner d'un bond mètre.
Le dragon, voyant que son compagnon prenait des risques considérables au vue de l'endroit où ils se trouvaient, s'était redressé et s'était mis à bailler bruyamment en étendant ses immenses ailes pour pouvoir masquer le couplé enlacé des regards un peu trop curieux.

Un millier de pensées se bousculèrent dans sa tête.
Maelen venait de l'embrasser. Il avait les lèvres douces. Ils étaient en plein milieu du terrain d'entraînement. Son jeune corps avait parfaitement épousé le sien, il était curieux de savoir si ...
Il s'agissait de Maelen, bon sang!
Ce petit garçon qui, hier encore, pleurait pour qu'il le prenne dans ses bras à la suite d'une chute. Et c'était ce même petit garçon qui venait d'essayer de lui fourrer sa langue dans la bouche après lui avoir déclaré qu'il l'aimait!

«Bordel, qu'est ce que tu fous Maelen?!»

La colère prenait le pas sur la surprise alors qu'il prenait peu à peu conscience de ce qui venait de se passer. Et de ce que cela impliquait.
Maelen l'aimait.
Il se rappela le baiser du garçon de onze ans, juste avant qu'il aille s'interposer entre Borus et sa soeur. Et il secoua légèrement la tête, il ne pouvait pas y croire.

«Non! Maelen, bon dieu!»

Il jura et recula encore se passant la main dans les cheveux défaisant un peu sa longue tresse dans le mouvement et laissant s'échapper quelques mèches autour de son visage.
Ses pensées continuaient à se bousculer dans sa tête, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et il paniquait.

«Pourquoi? ... Comment as tu pu croire que ... »

Les mots se percutaient, essayant de traduire ses pensées, mais ils finissaient pas former des bribes de phrases qui ne voulaient pas dire grand chose.

«Putain Maelen, j'ai huit ans de plus que toi! Tu es encore un gamin! »

La colère enflait alors qu'il se rendait compte que son instinct premier avait été de vouloir répondre au baiser du garçon.
Simple instinct primitif se rassura-t-il, il était en manque depuis trop longtemps voilà tout.

Cela faisait tellement longtemps qu’il l’attendait. Il le voulait ce baiser, depuis presque dix ans, depuis qu’il avait osé une fois faire ce qu’il avait espionné entre une jeune servante et un homme de la garde du palais. À l’époque il ne savait pas trop ce que cela voulait dire, mais la jeune servante avait eu l’air d’apprécier.
Mais là, ici et maintenant, il savait pertinemment ce que cela voulait dire. Il pensait que son geste était légitimé par le simple fait que Shaem l’aimait aussi.

Il sentit le corps du professeur se coller au sien, sa chaleur l’envoûta, ses lèvres s’entrouvrirent, ses mains dans ses cheveux se firent plus pressantes. Il s’était gardé pour Shaem, il voulait que se soit lui, comme toutes les premières choses qu’il avait faites dans sa vie. Il le voulait lui.

Puis alors qu’il enfonçait ses ongles dans la nuque du Saabi, il fut poussé, brutalement. Interloqué, il trébucha et se rattrapa de justesse pour ne pas tomber. Il cligna des paupières ne comprenant pas ce qu’il se passait. Il fixa l’horizon s’attendant à voir quelqu’un être proche. Mais il ne vit personne.
Le rouge aux joues, le souffle un peu court à cause du baiser, il fixa Shaem sans comprendre.

Et c’est son cœur qui explosa en mille morceaux. Il fut broyé, piétiner, lacérer. Ses pupilles étaient révulsées par la violence des mots de Shaem, il ne comprenait pas. Il lui avait dit qu’il l’aimait. Comment pouvait-il le rejeter comme ça ?

Il voulait parler, mais ses pensées se firent incohérentes, le choc le laissa perplexe. Perdu là, au beau milieu de ce terrain. Il n’avait plus rien à quoi se raccrocher. Il y avait juste cette sourde douleur dans son cœur, comme si quelque chose s’était enfoncé dedans pour le faire saigner abondamment.
Il fixa Shaem sans le voir, ses lèvres tremblaient fortement, ses yeux s’embuèrent de larmes. Il recula, lentement, trébucha de nouveau, tomba, se releva, des larmes de douleurs coulaient le long de son visage. Il regardait partout autour de lui, il ne savait pas quoi faire. Il..Il venait de se faire rejeter de la pire des façons. Par l’homme qu’il aimait plus que de raison. Par l’homme pour qui il avait tout fait, par celui qu’il avait cherché pendant tant d’année.

Sans savoir quoi faire, il resta planté là, puis tourna le dos à Shaem et s’enfuit en courant à travers le terrain. Il laissa les larmes couler le long de son visage, il laissa son cœur en miette saigné au fond de sa poitrine.
Il ne voulait plus le voir, il ne voulait plus lui parler.

Il le détestait, il le détestait tellement.

Norn avait gémit sous la douleur et la peine qui enfla dans le cœur de Maelen. Il gronda quand Shaem fit mine de rattraper Maelen. Ses ailes s’ouvrirent en grand et il envoya une salve d’air violente contre le Saabi et cria à son encontre :

« Ne vous approchez plus de lui Nazarian !! Est-ce que c’est bien compris ? Si vous osez essayer de l’approcher, je vous réduis en mille morceaux. Et je me contrefiche des lois. Est-ce que c’est bien clair ? »

Puis prenant son envol, il fondit vers Maelen, essayant de rattraper ses pensées qui s’enfonçaient dans un tourment déchaîné.

* Maelen, s’il te plaît, calme toi ! Laisse moi t’aider… *

Mais Maelen se referma complètement. Il fonça à toute allure vers l’académie, il pénétra dans un couloir et trouva une salle vide. Là, il glissa contre le mur et hurla de douleur. Il pleura, pleura pendant tellement de temps qu’il ne s’en souvenait plus vraiment. Il pleura tellement face à cette souffrance qui lui vrillait le cœur qu’il eu mal aux coins des yeux. Il frappa le sol avec tellement de rage qu’il se blessa les mains, il s’ouvrit par endroit, mais la douleur ne l’aida pas à se sentir mieux. Il resta prostré dans cette pièce alors que le soleil déclinait un peu…

Il voyait ses rêves se briser devant ses yeux, il voyait tout ce qu’il avait accomplit s’étioler lentement.
Il avait mal, juste mal…

Clairement, il était choqué.
Autant par le comportement de Maelen et surtout par les sentiments qu'il semblait ressentir à son égard, que par son propre comportement. Lorsque le jeune homme s'était collé tout contre lui et qu'il avait commencé à l'embrasser, son instinct premier n'avait pas été de le repousser.
Il avait failli répondre à son baiser, bordel!

C'était Arrad qui lui avait fait reprendre pied avec la réalité.
Et c'était bien mieux comme ça.
Il ne pouvait pas. Ils ne pouvaient pas.
Il avait élevé Maelen jusqu'à ses onze ans, il avait développé pour lui un sentiment très puissant, de l'amour ... comme pour un jeune frère.
Ils ne pouvaient pas s'engager dans cette voie, ils avaient huit ans d'écart, il était professeur lui élève, il n'arrivait toujours pas à se faire à l'idée que l'enfant qu'il avait élevé avait grandi. Alors de là, à imaginer l'embrasser, le toucher, le serrer tout contre lui et ...
Non!

Non, ce n'était pas possible.
C'était uniquement un amour fraternel qu'il ressentait pour le jeune homme.
Il avait donc eu raison de le repousser, il ne pouvait lui donner de faux espoirs.
Mais il y avait peut-être été un peu trop fort sous l'effet de la surprise et lorsqu'il vit que les lèvres du garçon se mirent à trembler, que ses yeux se remplirent de larmes. Il sut qu'il l'avait blessé.
Il le sentit.

Alors malgré sa panique, malgré tout ce qu'il venait de lui dire, il voulut l'aider à se relever lorsqu'il tomba, il voulut le retenir lorsqu'il le vit le fuir comme la peste. Mais il resta un instant tétanisé, tiraillé entre sa conscience et ses sentiments qu'il voulait fraternel.
Ce n'était pas parce qu'il n'aimait pas le garçon d'amour, qu'il ne l'aimait pas.
Et il ne supportait pas l'idée de lui avoir fait mal à ce point.

Il voulut donc s'élancer à sa suite pour pouvoir le prendre dans ses bras, pour parler avec lui. Ils avaient tant à se dire. Il était sûr que s'il parlait avec Maelen, le jeune homme se rendrait compte qu'il s'était trompé. Il était dans la fleur de l'âge et ses sentiments s'étaient trouver perturbés avec la joie qu'il avait eu de le retrouver. Il expérimentait de nouveaux sentiments et il avait très certainement du mal interpréter. Ils devaient juste en parler calmement ensemble.
Mais le dragon du jeune homme l'empêcha de lui courir après.

Le Saabi fut frappé par une violente salve d'air qui le stoppa net dans son élan et l'envoya trois mètres plus loin, sa course en arrière se trouvant stoppée lorsque son dos heurta l'arbre le plus proche. Il grimaça sur le coup, mais rouvrit bien vite les yeux sous le grognement furieux d'Arrad qui s'était redressé sur ses pattes, les ailes également déployées prêt à intervenir si le dragon cherchait à s'en prendre à nouveau à son compagnon.
Mais le dragon d'air n'était pas resté demander son reste et il filait déjà en direction de la silhouette qui n'était plus très loin de l'Académie.

«Bordel de merde! Mais qu'est-ce qu'il lui a pris?! »

D'une manière un peu immature, il pestait contre Maelen, assis au pied de l'arbre le dos un peu douloureux. En voyant l'autre dragon s'éloigner à tire d'aile, Arrad avait cessé sa position d'intimidation, il replia ses ailes, puis se tourna vers son compagnon. Il l'observa un bref instant puis pencha sa grosse tête en direction de Shaem.

*Laisse-lui juste un peu de temps Shaem. Tu as été un peu brusque, mais une fois le choc passé, tu pourras t'expliquer avec lui *

Shaem acquiesça silencieusement, la poitrine serrée et il laissa partir sa tête en avant, son front allant reposer sur la peau dure de la tête de son dragon.
Il venait de blesser Maelen et ça, il avait bien du mal à se le pardonner.
Même s'il jugeait que le jeune homme avait du se méprendre sur ses sentiments, il avait parfaitement ressenti la peine du garçon. Il l'avait trop longtemps côtoyé pour ne pas être capable d'interpréter le moindre de ses gestes ou de ses expressions.

Mais ils allaient s'expliquer.
Et tout allait rentrer dans l'ordre.

Tout du moins, il l'espérait.