Ce fut difficile de se concentrer pour le reste des cours. Toutes ses pensées étaient tournées vers Shaem et dès qu’il voyait un coin de ciel bleu, il se sentait l’envie de laisser ses pensées vagabonder aux grès des nuages. Après tout, il n'était pas un Ventus pour rien...
Le cours d’athlétisme le secoua un peu, il se rendit compte qu’il n’était vraiment pas endurant, qu’il n’avait aucune force et que le chemin à parcourir était encore long. Norn était resté perché dans un arbre non loin pour l’encourager et se moquer gentiment de lui. A peine le premier tour de stade terminé il n’en pouvait déjà plus. Sa gorge le brûlait, il transpirait comme jamais et il avait l’impression que son corps pesait cinq tonnes.
Il se traîna comme il pu pour les trois derniers tours et s’écroula éreinté. Encore une fois ses yeux glissèrent vers le ciel, sa tête pivota vers les dragons qui prenaient leurs envols un peu plus loin et il se releva en souriant.
Il fut incapable de respecter les séries de pompes, abdominaux et squat qui furent imposés ensuite et la douche salvatrice d’après l’entraînement lui fit un bien fou.
Pour la pause du midi il mangea avec deux filles de sa classe et Norn retourna au refuge, lui disant qu’il ferait sûrement un détour par le ciel pour profiter du léger vent qui soufflait sur Lindorm.

Le reste de l’après-midi passa rapidement. Il n’eut que des cours théoriques et dans ces matières là il savait qu’il n’aurait aucune difficulté, il y eu d’abord Géopolitique, puis Techniques Vétérinaires et la journée se termina par Tactiques et Stratégies Militaires. Cours assuré en la personne de Jan Wennerström, la professeur qu’il avait aperçu lors du discours d’ouverture.

Après les cours il fila à la bibliothèque pour emprunter deux-trois bouquins conseillés par les professeurs avant de regagner sa chambre. Il salua Asa qui se trouvait là et qui révisait paisiblement. Maelen lui raconta rapidement sa journée et fila sous la douche. Il se lava les cheveux et les laissa sécher à l’air libre.
Avant il y avait Shaem qui les séchait et les lui brossait, mais depuis son départ il avait apprit à se débrouiller tout seul. Il changea son bandage sur la tempe et enfila un jean noir, un pull à rayure un peu trop grand pour lui ainsi que sa paire de botte favorite. Repassant par la chambre, il rangea sa trousse de toilette, promit à Asa de revenir pour le couvre-feu et se rua vers la cantine pour manger rapidement.

Il était quasiment vingt-heures quand il arriva au refuge des dragons d’air et de foudre. Il ne trouva pas Norn, mais vit Arrad qui était allongé sous un immense arbre.
Maelen s’approcha doucement en souriant et le salua de la main.

« Bonsoir Arrad ! »

Levant les yeux au ciel, il vit Norn lui foncer droit dessus. Maelen paniqua et tendit les bras en avant :

« Noon Norn…Noon je sors de la douche je ne veux pas me…. »

Et il n’eut pas le temps de finir sa phrase que déjà son dragon se jetait sur lui pour le plaquer au sol. Maelen batailla durement mais il avait déjà des douleurs dans les bras et les jambes à cause de l’athlétisme et il finit décoiffer de façon assez sauvage.

« Noooorn, c’est pas sympa ! Tu sais que j’ai des courbatures partout en plus… »
Soupirant, il se laissa un peu marcher dessus et léchouiller par le dragon avant que celui-ci ne se roule en boule et se love contre lui.

« Tu as volé toute la journée, tu m’étonnes que tu fatigué, idiot de dragon !! Ne t’épuises pas comme ça, demain nous avons beaucoup de cours ensemble ! »

Norn bailla à s’en décrocher la mâchoire et marmonna en fermant les paupières.

« Pas pu m’en empêcher, y avait une brise fraîche, je l’ai suivis et j’ai pas vu le temps passé… »

Caressant sa tête, glissant ses doigts dans les plumes et sur les cornes de Norn, Maelen s’appuya contre lui et fixa le ciel qui commençait à s’étoiler.
Le vent souleva un peu ses cheveux et la respiration de Norn le berça. Mais il ne devait pas s’endormir. Shaem n’allait pas tarder, alors pour patienter il chantonna doucement :

«Let the wind carry us
To the clouds, hurry up, alright
We can travel so far
As our eyes can see

We go where no one goes
We slow for no one
Get out of our way»

La journée passa plus rapidement qu’il ne l’aurait pensé.
Les cours s’étaient enchaînés et il avait été bien occupé à faire ses preuves en tant que nouveau professeur de monte dragonique face aux anciens élèves. Il était parvenu à rester concentré pour donner des cours de qualité … mais un trouble certain avait continué à le titiller toute la journée. Comme si ce trouble était doté d'une vie propre et qu’il avait été muni d’une petite perche au bout pointu afin de lui piquer l’esprit à intervalle régulier.

Bien entendu, il était impatient de retrouver le jeune homme, lui aussi avait de nombreuses questions à lui poser. Mais il avait été clairement troublé de le retrouver … grandi.
Bien sûr que Maelen avait grandi, c’était normal. Il était fait comme tout le monde et il avait pris dix années de plus durant leur séparation. Il avait quitté l’enfance, survolé l’adolescence et se retrouvait à présent en tant que jeune adulte en intégrant l’Académie.
Pour devenir un soldat !!!

*Tu n’as pas bientôt fini oui !! Et tu crois que nous sommes rentrés dans cette Académie pour faire quoi il y a huit ans ?!*

Il aurait du s’en douter, à force de se torturer l’esprit de la sorte toute la journée, il avait fini par rendre Arrad bougon puisque le dragon ressentait ses humeurs.
Shaem avait terminé son dernier cours et il s’apprêtait à se diriger vers les locaux de l’Académie pour se préparer. Il grogna un peu et se tourna vers son dragon dont l’humeur faisait crépiter un peu l’électricité qui l’entourait.

« Ça n’a rien à voir ! Maelen n’est pas fait pour une telle vie ! »

Arrad gronda et un petit éclair passa non loin du Saabi.

*C’est à toi de grandir Shaem. Ce garçon n’est plus un enfant. Il faut que tu t’y fasses !*

Et sans plus attendre, l’imposant dragon prit son envol ayant visiblement besoin de prendre le large après cette longue journée passée à soutenir Shaem dans ses cours, mais surtout à subir son esprit perturbé.
L’envie de liberté s'était visiblement faite ressentir fortement.
Il laissa donc derrière lui un Shaem contrarié qui bougonna légèrement tout seul en regagnant l’Académie. Et son humeur ne s’améliora pas forcément tout le temps qu’il passa à regagner ses quartiers, à prendre une douche puis à se diriger vers le nichoir lorsqu’il fut l’heure.
Il n’avait pas avalé grand-chose, la remarque d’Arrad lui était restée en travers de la gorge.

Il fallait qu’il s’y fasse.
Il en avait des bonnes lui.
S’il n’avait pas envie d’accepter le fait que le petit Maelen ait grandi, c’était son problème !

Il n’était donc pas forcément d’excellente humeur lorsqu’il arriva dans l’espace réservé à la détente des dragons. Il fut un peu surpris d’y trouver Arrad qui lâcha un soupir teinté d’un léger grondement lorsqu’il le vit et Shaem lui fit une légère grimace.
Visiblement son dragon n’était pas parti bien longtemps.
Certainement curieux d’entendre ce qui allait se dire à ces retrouvailles.

Le Saabi n’alla pas voir son dragon, suivant plutôt la douce voix qui chantait cette chanson dont il avait tant abreuvé les oreilles du petit Maelen durant son enfance.
Silencieusement il se rapprocha du garçon appuyé confortablement contre son dragon qui semblait piquer un petit somme et il s’arrêta à quelques pas du couple.

« Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas entendue celle-ci »

Il s’est changé et avait profité de la douceur de ce début d’année pour porter un simple pantalon en lin beige avec un tee-shirt noir relativement près du corps. Toujours perturbé, il n’avait pas pensé à prendre autre chose pour se couvrir malgré le fait qu’il reste un brin frileux … ce qui était courant chez les natifs de la nation du feu.
Tranquillement il s’adossa à l’arbre le plus proche ne quittant pas des yeux le jeune garçon.

« Comment s’est passée cette première journée de cours ? »

Un millier de questions fourmillaient dans son esprit, mais il avait commencé par une banalité.
Maintenant la réponse à cette question banale l’intéressait pratiquement autant que le passé du garçon. Parce qu’au fond de lui, dans un coin un peu obscur de son esprit, il espérait un peu que ce soit mal passé.
Il n’était pas du tout confortable avec l’idée que Maelen veuille devenir un soldat.
Puisque s’il réussissait avec succès ces cinq années de cours … il partirait au front.
Ce qui était totalement impensable pour Shaem.

Plongé dans ses pensées qui l’énervèrent progressivement.
Il n’écouta au final que d’une oreille ce que lui disait le garçon comprenant juste que ça allait.
Ce dernier n’avait d’ailleurs pas fini sa réponse que Shaem céda un peu à l’énervement qui le gagnait.

« Qu’est-ce qui t’a pris de venir d’inscrire dans cette académie Maelen »

Il n’avait pas crié, mais son ton avait été un peu ferme.
Il s’était redressé de contre l’arbre et fit légèrement craqué sa nuque.
Arrad gronda comme pour réprimer cet excès d’humeur, mais Shaem ne s’excusa pas pour autant.

C’était le chaos le plus total dans sa tête.

Chantonnant à voix basse, il se laissa bercer par les paroles de la chanson et pleins de souvenirs refluèrent dans son esprit. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres avant qu’il n’entende Shaem arriver.
Il suivit sa silhouette du regard et le fixa alors qu’il le surplombait.

Non il n’avait pas vraiment changé, peut être semblait-il un peu plus nonchalant qu’avant. Lui souriant, il le laissa s’asseoir avant de lui répondre en riant :

« Je n’ai jamais oublié les paroles, je la chante pour me motiver…Après tout c’est toi qui me l’a apprise. »

Penchant la tête sur le côté, ses cheveux blonds cascadèrent le long de son visage et il s’enfonça un peu plus contre son dragon.
Si Arrad était connecté à l’esprit du Saabi, lui ne se doutait pas de l’humeur massacrante dans laquelle Shaem semblait s’enfoncer depuis leurs retrouvailles. Lui était aux anges, il avait retrouvé celui qu’il cherchait, il était à l’Académie, loin de son père, loin du protocole, loin de la vision triste des esclaves qui vivaient dans le palais.

Se redressant un peu, il plongea ses yeux dans ceux de Shaem et lui raconta sa journée en long en large et en travers. Tout s’était bien déroulé, ils se faisaient des amis et il en était heureux.
Mais il fut coupé dans le long déroulement de sa journée par une phrase qui claqua dans l’air d’un ton sec et intransigeant.
Cela le prit de court et il se tut quelques instants ne sachant pas trop quoi répondre. La raison de sa venue à l’Académie lui semblait pourtant évidente.
Les traits tirés et figés de Shaem lui firent baisser les yeux et Maelen se tritura un peu les mains. Il ne connaissait pas vraiment le Shaem fâché, en colère, grognon. Dans ses souvenirs il n’y avait que des rires, des moments paisibles et tranquilles. Le rare souvenir d’avoir vu Shaem en colère était celui du soir où il avait défendu sa sœur contre le courroux de son père.

Se mordant la lèvre, il haussa finalement les épaules et lâcha le plus simplement du monde.

« Pour toi…»

Après tout c’était la vérité. Il n’avait pas forcément besoin de venir à l’Académie pour devenir quelqu’un. Il était un Ortega et il lui aurait suffit de se rapprocher de sa cousine pour avoir un poste haut placé dans la politique d’Aéria. Mais il ne voulait pas profiter de son nom, il ne voulait pas devenir comme tous ces requins qui profitaient d’un système féodal qui les arrangeait quand ils le voulaient.

Relevant les yeux il le fixa sans ciller de la détermination au fond des pupilles. Il savait tout ce que sous-entendait la question du Saabi. Il le savait pertinemment, alors Maelen avoua tout ce qu’il avait sur le cœur.

« Je suis venu pour toi Shaem. Qu’est ce que tu croyais ? Il ne s’est pas passer un jour sans que je ne pense à toi, sans que j’entende ton nom murmurer par le vent le long des couloirs du palais… »

Sa voix avait été plus dure qu’il le voulait, peut être un peu trop portée sur les reproches et la colère qu’il sentait bouillir au fond de son cœur depuis ces dix années. Cette rancune qu’il avait, de lui avoir tourné le dos et d’avoir laissé là, au milieu des esclaves, au milieu de son enfance qui fut faite de solitude et de remords.

« Tout ce que je regardais me faisait penser à toi. La balancelle sur la terrasse, chaque cerise que j’ai avalé, chaque esclave aux longs cheveux noirs, chaque pas légers sur le marbre…Ca m’a rendu fou Shaem… »

Inspirant il serra les poings et rajouta avec violence.

« Je n’avais que onze ans Shaem ! Onze ans quand tu m’as abandonné, tu m’as laissé là-bas alors que j’avais besoin de toi. Tu étais tout ce qui m’était le plus cher et tu t’es enfuis sans même un au revoir, sans même une promesse…Tu m’as abandonné ! » Souffla t-il alors que la colère envahissait de plus en plus son esprit.
Son corps s’était raidit, il était penché en avant les mains enfoncé dans la terre pour se raccrocher à quelques chose.
Son cœur battait, tout ce qu’il sortait de sa bouche il ne l’avait que trop longtemps retenu. Il l’aimait, mais il lui en voulait tellement.

« Tu ne m’a même pas emmené avec toi…Tu m’as laissé là, comme le pauvre petit gosse de riche que j’étais… »

Ravalant ses larmes il se leva et lui jeta à la figure la terre qu’il avait dans la main.

« Oui c’est ça, je n’étais qu’un gamin insupportable, tu «étais « obligé » de t’occuper de moi. Pourquoi m’aurais-tu emmené avec toi ? Après tout j’étais le fils de ton bourreau… »

Ses yeux bleus brillaient de colère, de frustration alors que le ciel s’assombrissait pour accueillir la nuit.

« Alors oui Shaem je suis ici pour toi. Pour que je sache enfin ce que je suis à tes yeux… »

Restant debout devant lui, il ne décrocha pas un instant ses pupilles des siennes, ses lèvres tremblaient légèrement mais se fut imperceptible.
L’air frais balaya ses cheveux et le fit légèrement frissonner.

Non, il ne bougerait pas tant qu’il n’aurait pas la réponse qu’il était venu chercher….

Il aurait aimé l'écouter tranquillement alors qu'il lui racontait sa journée.
Maelen le faisait avec joie et ça aurait été comme retourner bien des années en arrière. Il le revoyait encore enfant lui retranscrire ce que son professeur lui avait appris au cours de la journée. Petit pacte que Shaem avait passé avec le petit pour que ce dernier suive sans trop de difficultés les cours qu'on lui dispensait et pour lui permettre de réviser de manière ludique.

Mais, là, à l'instant, il n'avait une seule et unique idée en tête : Maelen était ici pour devenir soldat.
Avec cette pensée en tête, il fut bien incapable de l'écouter tranquillement. Qu'est-ce qui avait bien pu passer dans la tête du garçon pour qu'il s'inscrive dans cette école?
N'y tenant plus, il le coupa donc pour lui poser la question un peu sèchement.

Et la réponse du jeune homme, lâchée un peu timidement, lui fit l'effet d'un coup de massue supplémentaire.

Ça avait du sens. Ça expliquait pourquoi ce garçon de bonne famille prenait la décision de se former pour l'armée alors qu'une vie bien plus facile, et beaucoup moins dangereuse, l'attendait en restant chez son père. Mais Shaem ne voulait pas y croire, son agacement monta d'un cran et une petite étincelle crépita au bout de ses doigts alors que le garçon relevait la tête, le regard déterminé.
Et il remua un peu plus le couteau dans la plaie en lui apprenant qu'il avait pensé à lui tous les jours le voyant partout dans le palais.

Bien entendu, il aurait du s'en douter.
Jusqu'à ses onze ans, Shaem avait été la personne la plus proche de l'enfant, alors forcément il avait du laisser un vide derrière lui en partant. Mais il avait pensé que Maelen aurait tourné la page, son père aurait très bien pu lui attribuer un nouvel esclave et puis rapidement il aurait pu intégrer l'une des écoles de la ville afin de rencontrer des enfants de son âge, ça aurait quand même été mieux pour lui de jouer avec des enfants de son âge.
Rapidement Shaem aurait été trop vieux pour lui.
Trop sage. Trop docile.

Et finalement il lui souffla qu'il l'avait abandonné, lui reprochant de l'avoir laissé en arrière, de ne pas l'avoir emmener avec lui. On sentait que ce reproche ne venait pas de naître, qu'il avait été ressassé par Maelen depuis un bon moment.
Il retrouva le petit garçon capricieux avec qui il avait passé tant de temps qui lui faisait des reproches sans forcément essayer de se mettre de l'autre côté, du côté de Shaem, de l'esclave. Ou alors pas de la bonne façon, avec la mauvaise interprétation.
Il lui lança une poignée de terre dans un geste rageur et le Saabi se protégea mollement en relevant une main devant son visage. Et ce fut à cet instant que le fond du problème fut réellement abordé. Il lui parla d'obligations, de contraintes ... de bourreau.
Et il ne cessa que pour rester debout devant lui frissonnant légèrement de froid et certainement sous le trop plein d'émotions causé par cette vive déclaration.

Ça faisait beaucoup d'un coup, mais il avait fallu que ça sorte de toute manière.
Shaem était toujours contrarié, même énervé ... mais lorsqu'il pensa à Maelen qui avait eu ce doute, s'imaginant qu'il n'avait été qu'une "obligation" pour lui depuis le début, alors il parvint à se maîtriser. Parce que cette pensée avait du être particulièrement douloureuse et que Maelen avait, de toute manière, fait preuve de courage en passant l'épreuve de l'Alliance ... pour le retrouver lui.
Juste lui.
Pour avoir une réponse à cette question qui le hantait depuis si longtemps.

« Est-ce que je donnais l'impression de m'occuper de toi sous l'effet de la contrainte, Maelen ? Vraiment, c'est ce que tu penses? »

La colère demeurait en arrière-plan et d'un geste un peu rageur, il balaya la terre qui restait sur son bras. Il prit un bref instant pour prendre deux profondes respirations, pour garder le contrôle.

« J'avais huit ans quand ton père t'a mis dans mes bras pour la première fois, le jour même où il a tué mon père pour en faire un exemple. J'aurais pu en profiter pour faire du mal à ton père en m'en prenant à toi, pour me venger. Mais déjà à cet âge-là, j'étais bien incapable de m'en prendre à toi Maelen »Il fit quelques pas nerveux puis tourna son visage dans la direction du garçon captant brièvement son regard « Dès ce premier jour, dès que ton regard a croisé le mien Maelen, je me suis attaché à toi »

Shaem soupira, presque un peu rageusement afin d'expulser la colère qu'il sentait battre dans ses veines.
Arrad, quand à lui, était resté calme, mais attentif. Il était sur le qui-vive dès qu'il sentait le jeune homme perturbé, il connaissait son apparence calme qui cachait une impulsivité qu'on ne voyait parfois pas venir.

« Alors pour répondre à ta question Maelen, non tu n'étais pas une "obligation" pour moi, bien au contraire les mouvements que je passais à tes côtés me faisait presque oublier ma condition d'esclave. Souvent j'avais l'impression d'être ... comme un grand frère »

Un grand frère.
Est-ce bien ce type de lien qui définissait le mieux l'intense lien qu'il y avait entre Shaem et Maelen?
Très certainement, en tout cas c'était bien de cette façon que Shaem se représentait la relation qu'il avait avec son ancien petit Maître.
Mais il n'avait pas répondu à l'intégralité de la question du garçon et il prit une inspiration presque douloureuse en cessant de marcher pour lui faire face.

« Et si je suis parti, c'est parce que nous ne pouvions plus continuer ainsi. Je suis né esclave, mais je n'étais pas fait pour le rester. Lorsque mon père est parti, je suis devenu l'homme de la famille. J'étais et je suis toujours responsable de ma mère et de Camilia, Maelen. Ça ne pouvait tout bonnement pas continuer comme ça, je n'étais pas capable de les protéger convenablement de ton père et des autres en restant à tes côtés »

Douloureux aveu de faiblesse qui titillait encore l'égo de Shaem.
Il était un homme de Narthan, un homme dont le caractère de feu s'était retrouvé étouffer sous une couche de docilité jusqu'à ses dix neuf ans. Jusqu'à ce que cette couche vole en éclats.

« Pour les mettre en sécurité, je t'ai laissé derrière, mais je n'avais pas le choix. Ton père a essayé de nous retrouver, mais il a fini par lâcher l'affaire lorsqu'il a appris qu'on avait quitté la nation. Mais si je t'avais emmené avec moi, il n'aurait pas lâché l'affaire aussi facilement »

Shaem y avait pensé. Il y avait réfléchi à cette option lorsqu'il s'était retourné contre Borrus.
Il avait hésité à faire un crochet par la chambre du petit garçon afin de l'emmener avec lui.
Mais il n'avait pas pu s'y résoudre.

« C'est ton père, ta famille. Je ne pouvais pas te séparer de lui, il n'y avait bien qu'avec toi qu'il retenait ses coups. Ton père tient à toi et je ne pouvais pas te priver de ça » Il s'adoucissait enfin, ses épaules se baissèrent un peu comme si un poids s'y faisait plus lourd, le poids du regret et du doute qui avait toujours pesé dans son cœur depuis sa fuite « Et puis, la vie que j'ai vécu n'était pas faite pour toi. Tu as été élevé dans un palais Maelen, tu n'étais pas fait pour nous suivre »

Un excuse supplémentaire dont il avait usé pour apaiser sa conscience.
Et enfin il ancra franchement son regard dans celui de son cadet.

« Alors encore une fois : non tu n'étais pas une obligation Maelen. Mais j'ai du faire un choix ... et j'ai fait le choix de protéger ma famille » Il se retint et conserva la distance respectable entre eux deux « Mais j'aurais aimé pouvoir faire autrement»

Ses mains tremblaient un peu, il frissonnait, de froid ou de colère. Il ne savait pas vraiment. Tout ce qu’il voulait c’était que cette colère explose, qu’il lâche les mots qui étaient restés coincé dans sa gorge pendant plus de dix ans.
Quand ils sortirent, il ne se sentit pas mieux pour autant. Son esprit tournait, son corps était lourd, sa langue semblait en plomb. Et son cœur, son cœur qui saignait petit à petit. C’était dur, dur de se dire qu’il avait fait autant d’efforts pour le retrouver et pour se faire jeter au visage que Shaem n’avait eu d’autres choix que de l’abandonner, que sa famille comptait plus à ses yeux que lui, pauvre petit noble.
Dans l’ordre des choses Maelen comprenait, il comprenait que la mère et la sœur de Shaem passait avant lui, mais cette idée lui hérissait le poil. Pendant toute son enfance il avait été persuadé d’être le centre de l’univers de Shaem. Il ne parvenait pas à se dire que quelque chose pouvait être plus important que lui pour le Saaabi. Car pour Maelen rien n’était aussi important que Shaem.

Alors non, il ne voulait pas, il ne voulait pas être relayé au second plan. Il ne voulait passer après personne aux yeux et dans le cœur de Shaem. Alors comme le gamin qu’il était, il balaya tout ça d’un geste et cracha son caprice. Ses yeux se firent durs, son corps se tendit, sa voix se vrilla et chaque mot lui écorcha la gorge :

« Pour toi j’aurais tout abandonné Shaem, j’aurais laissé mon père, j’aurais abandonné ma famille, ce palais qui était plus une prison qu’autre chose…Pour toi j’aurais été prêt à tout. »

Tournant la tête, vexé, il quitta le regard doré du professeur et croisa ses bras sur sa poitrine. Maelen n’était pas quelqu’un qui se mettait facilement à la place des autres. Quand quelqu’un était important pour lui, il fallait que se soit exclusif, il fallait qu’il n’y est que lui, que le monde entier tourne autour de sa personne. Et pour Shaem cela aurait dû être le cas.

« Tu ne sais pas combien ça été dur Shaem, tu ne peux pas te l’imaginer. Alors oui tu avais ta famille, ta mère et ta sœur, mais moi, qui j’avais Shaem ? Qui ? Tu es parti et tu as tout emmené avec toi.
Le lendemain de ton départ, je t’ai cherché partout, pendant des jours et des jours je t’ai attendu, j’ai pensé que tu reviendrais, que je comptais un peu plus que ça pour toi… »

Shaem avait beau lui dire qu’il n’avait jamais été une obligation, qu’il aurait pu le tuer pour faire du mal à son père, Maelen n’y croyait pas. La vérité était que cet abandon était la preuve la plus flagrante qu’il n’était pas le premier dans le cœur du Saabi.
« Mais tu n’es pas venu…Pendant un an ma valise est restée prête à côté de mon lit. Je suis tombé malade, je ne pouvais plus sortir et tous ces esclaves qui se pressaient autour de moi et ton visage qui flottait devant mes yeux, Shaem..tu…tu m’as arraché le cœur quand tu es partis…. »

Tremblant, il tomba se replia sur lui-même et des larmes coulèrent le long de ces joues alors que les années de son enfance revenaient à son esprit. Il se voyait alité, fiévreux, avec tous ces visages flous, avec la grosse voix de son père qui disait qu’il fallait soit fort. Des cauchemars de cette époque il en faisait encore, il se réveillait en sueur, ses cheveux collé à ses tempes, le nom de l’ancien esclave coincé dans sa gorge.
Ses mains glissèrent le long de son visage et il essuya rageusement les larmes qui coulaient.

« Pas assez fort ? Alors selon toi je ne suis pas assez fort Shaem ! » Cria t-il alors que le Saabi marchait en long et en large, sa voix avait beau s’être calmée et être désolé chaque mot qu’il prononçait était une pique qui lui arrachait la chair.

« Et grâce à qui à ton avis j’ai pu me relever Shaem ? Grâce à qui j’ai pu aller de l’avant pour t’oublier ? Grâce à moi Shaem et uniquement grâce à moi. Je me suis battu contre moi-même, j’ai fais des efforts surhumain pour ré-intégrer la société, pour sortir, fréquenter du monde, pour t’oublier…J’ai eu assez de courage pour survivre au poignard que tu avais enfoncé dans mon cœur en m’abandonnant…Alors ne me parles pas de force, car de nous, ce n’est pas moi le plus lâche… »

Se mettant debout, il délaissa Norn qui s’était réveillé et qui le fixait de ces yeux bleus.

« Je ne t’ai jamais oublié Shaem et j’ai tout fait pour te retrouver. Alors que toi, tu n’as jamais cherché à me revoir… »

Se mordant la lèvre, Maelen passa ses doigts dans ses cheveux, essuyant sa bouche avec le dos de sa main. Il n’aurait jamais pensé que la soirée prendrait cette tournure. Il pensait qu’ils étaient adultes tout les deux maintenant, mais Shaem renvoyait une image de Maelen bien trop juvénile et cela le rendait fou. Il voulait le blesser, qu’il souffre autant que lui avait souffert de son absence. Lui avait eu sa mère et sa sœur. Et lui qui avait-il eu, son père ? Il le détestait, pour le mal qu’il faisait autour de lui. Ses amis au lycée ? Tous de petits prétentieux qui ne pensaient qu’aux filles et à l’argent.

Non, il avait eu Norn, quand dans son esprit tout allait un peu mieux, quand la blessure commençait à cicatriser il avait rencontré celui qui l’avait complètement effacé, celui qui lui avait donné du courage et de croire en ses rêves. Il savait que son dragon, lui, ne l’abandonnerait jamais, ils étaient lié jusqu’à la mort.

Sa main se tendit vers Norn et le dragon redressa la tête pour la fourrer contre la paume brûlante du Ventus. Ce léger contact l’apaisa et Norn lui envoya de douces pensées aériennes, comme du vent dans son esprit pour l’apaiser. Se retournant pour fixer Shaem, les yeux un peu plus doux.

« Je vais devenir fort Shaem, suffisamment fort pour que la perte de ceux que j’aime ne m’atteigne plus. Je vais devenir un soldat, un dragonnier qui sera reconnu, alors je retournerais en Aéria et je les libérerais tous…Pour que plus aucun petit garçon ou petit fille n’ai plus jamais à pleurer en perdant son esclave adoré… »

Baissant les yeux, il inspira, il se sentait comme vidé, épuisé. Mais il se sentit aussi léger…
Si Shaem lui pardonnait ses mots, si il lui pardonnait, comme il l’avait toujours fait, alors peut être que oui, dans son cœur, il pourrait bien se dire qu’il comptait un peu.

Ce n’était pas facile à entendre, il pouvait le comprendre.
Mais il avait présenté clairement ce qu’il s’était passé, essayant de lui faire comprendre les choses depuis son point de vue, depuis la position dans laquelle il avait été. Et encore, il ne lui avait pas parlé de ses passages dans le bureau de son père.

Mais c’était peine perdue.
Si Maelen avait grandi physiquement, s'il semblait avoir gagné un peu en maturité, il restait cet enfant unique né dans une bonne famille qui avait eu l’habitude d’avoir ce qu’il souhaitait.
Shaem n’était pas irréprochable non plus, après tout c’était bien lui qui avait répondu présent à tous les appels de l’enfant et qui avait plié devant pratiquement tout ses caprices.
Il ne l’avait pas assez préparé à la vie en dehors du palais, n’imaginant pas un tel destin pour l’enfant.

Alors oui, Maelen réussit son coup, il parvint à blesser le Saabi qui n’avait jamais voulu faire de mal à cet enfant innocent. Il savait bien pourtant que son départ aurait des conséquences, mais il n’aurait pas pensé qu’elles prendraient une telle ampleur. Il ne pensait pas que l’enfant aurait pu tomber malade et qu’il ait eu tant de mal à se redresser.
Mais au moins il l’avait fait de lui-même et ce fut quelque chose qu’il tint à mettre en avant.
Même si la culpabilité et l’idée d’avoir rendu malheureux Maelen lui broyaient le cœur.

« Il faut savoir se relever tout seul Maelen, tu ne peux pas toujours dépendre de quelqu’un d’autre »

Ça aurait été certainement quelque chose qu’il aurait essayé d’apprendre au garçon s’il était resté un peu plus longtemps à ses côtés.
Il accusa encore le coup, lorsque les reproches continuèrent à pleuvoir : il l’avait abandonné, il était lâche … il n’avait pas cherché à le revoir.
Une avalanche de reproches qu’il aurait pu balayer simplement d’un geste de la main, mais son attachement pour le garçon faisait qu’il prenait les accusations de plein fouet. Cela lui fit mal et derrière il vit Arrad se redresser visiblement mécontent que son ami soit la cible de tant de reproches. Le dragon le connaissait et aurait très certainement voulu s’en mêler s’il n’avait pas été arrêté par un mouvement discret de la tête de Shaem.
C’était à lui de s’occuper de la situation.

« Ça ne te plait peut-être pas Maelen, mais je ne peux pas penser qu’à toi. Ma famille est importante à mes yeux, je ne pouvais pas laisser les choses telles quel alors que ton père déchirait le dos de ma sœur à coups de fouet. La cause que tu défends est noble, mais Camilia ne pouvait pas attendre qu’un bienfaiteur vienne de l’extérieur pour tous nous libérer. Je suis l’homme de ma famille, j’ai des responsabilités. » Il inspira un peu fortement comme pour essayer de se contrôler « Bon dieu, Maelen essaye un peu de te mettre à ma place au lieu de ne voir qu’à travers tes propres yeux ! »

Ça y était, la fragile maîtrise de soi, que Shaem avait encore sur lui, volait en éclats.
Bien sûr, il était heureux que Maelen ait tant fait pour le retrouver. Mais toutes ses reproches lui avaient fait mal, très mal, parce qu’il se rendait bien compte qu’il avait clairement laissé l’enfant derrière lui.

« Je ne pouvais tout simplement pas revenir en arrière. Ton père est un homme puissant Maelen, votre famille est importante. Penses-tu vraiment qu’il se serait contenté de quelques coups de fouet pour me punir si j’avais été pris à essayer de t’approcher de nouveau ? »

Tac Tac Tac
Les étincelles crépitaient au bout des doigts de Shaem, comme un objet qui aurait reposé sur une clôture électrique.

« Même une fois que je suis parvenu à les mettre en sécurité, je n’allais débarquer à Narthan avec Arrad sans que l’on sache se battre. Et tout cela pour quoi ? Pour t’enlever alors que j’étais bien incapable de t’offrir une vie aussi luxueuse que celle que tu menais au palais ? Alors oui j’ai peut-être été égoïste, mais au moins ça aura eu le mérite que tu apprennes à te relever par toi-même Maelen, tu commences à t’en rendre compte, la vie n’est pas toute rose. Tu ne peux pas avoir tout ce que tu souhaites »

Bien sûr qu’il avait pensé à retrouver le garçon.
Il avait hésité lorsqu’il s’était associé à la puissance de son dragon.
Après il avait repoussé l’idée en se disant qu’ils avaient besoin de se former, soit cinq années d’étude puis au moins une année de service par la suite.
Et après ? Après il avait 27 ans, ça aurait fait déjà huit ans qu’il avait quitté Maelen … c’était bien trop tard pour essayer de rattraper le coup.

« La cause que tu défends est noble, mais ce n’est pas pour les enfants qui ont perdu un esclave que tu devrais te battre. C’est pour les enfants qui perdent leurs parents parce qu’ils ne sont pas assez obéissants, pour ceux qui n’ont pas eu d’enfance, pour ceux qui n’ont aucune liberté de mouvements … pour ceux dont la chair est marquée à vie par la fureur de ceux qui se croient tout puissant »

L’excès de colère était passé.
Les étincelles se faisaient un peu moins nombreuses.
Shaem se calmait, douché par tant de franchises.

« Tu veux devenir un soldat Maelen ? Très bien, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec l’histoire que l’on a en commun et avec ce que tu me reproches. Tu m’as retrouvé, tu m’as clairement dit ce que tu avais à me reprocher »

Une sourde colère brûlait au fond de ses yeux dorés qui s’était assombri.
Maelen ne le connaissait pas ainsi.
Mais il ne pouvait pas espérer que Shaem allait se mettre à genoux devant lui après les reproches qu’il lui avait fait. Ses larmes l’avaient touché, il aurait pouvoir le reprendre dans ses bras.
Mais pas après de tels mots.

« Maintenant petit Ortega, il va falloir que tu grandisses encore si tu veux retrouver la relation que l’on avait. Parce qu’à l’instant, tu me reproches bien trop de choses pour que l’on puisse se fréquenter à nouveau »

La sentence était tombée.
Maelen devait grandir et apprendre un peu à se mettre dans la peau de l’ancien esclave.
En tout cas, à l’instant, les reproches dont il jugeait certains comme injustifiés étaient trop lourds à porter pour qu’il puisse agir naturellement avec le garçon.

Alors après un dernier regard, il s’éloigna.
Il contourna le garçon et reprit la direction de l’Académie.
Ses poings et la gorge serrés afin de pouvoir contrôler ce surplus d’émotions qui l’envahissait.
Pour lutter contre l'envie de faire demi-tour.

Son cœur palpitait au bout de ses doigts, il le sentait, comme si le dos tourné de Shaem l’attirait inexorablement. Il voulait le rattraper, il voulait lui courir après et lui dire qu’il n’était qu’un petit imbécile, mais son corps resta ancré dans la terre et il ne pu que pleurer de plus belle.
Les larmes dévalèrent ses joues et il hoqueta, essayant de reprendre son souffle. Sa bouche lui fit mal, comme si chaque mot qu’il avait dit lui avait coupé les lèvres. Ses oreilles bourdonnaient des atroces vérités qu’il avait reçu de plein fouet.
Mais sa fierté de petit noble l’empêchait d’approuver et de s’excuser. C’était plus fort que lui, Shaem aurait beau lui dire tout ce qu’il voulait, il voulait son exclusivité.
Maelen se rendait compte à quel point il avait blessé son ami, il savait que si il ne faisait pas d’effort, il le perdrait cette fois pour toujours.

Se relever tout seul était une des premières leçons que lui avait enseignées le Saabi. Mais des fois, c’était vraiment trop dur et pour se relever de son départ, il avait mit beaucoup trop d’année. Le blond avait peur de devoir remettre autant de temps s’il le perdait à nouveau.
Il se vantait d’avoir suffisamment de courage, mais à présent sa conscience vacillait.

Epuisé, il s’assit dans l’herbe sans même chercher à rattraper Shaem, il était dévasté.
Norn le fixa et souplement il s’envola dans le ciel. Il chercha Shaem des yeux et cria de sa voix aérienne.

« Professeur Nazarian…Attendez.. »

Descendant avec la grâce des dragons d’air, il atterrit devant lui et le fixa sans ciller. Il le fixa comme si il sondait son âme et poussa un soupir avant de baisser la tête.

« Vous les humains, je ne vous comprendrais jamais... »

Secouant sa crinière de plume, il s’assit sur ses pattes arrière et souffla :

« Ne lui en tenez pas rigueur Shaem, ses propos ont largement dépassé sa pensée. Il veut avoir l’air fort mais à l’intérieur ce n’est encore qu’un petit garçon… »

Levant le nez pour inspirer l’air frais de la nuit qui soufflait, Norn mâchonna dans le vide avant de continuer.

« Je ne connaissais pas Mael quand vous étiez encore au palais, ni même après votre départ, mais le jour où je l’ai rencontré, il avait le cœur dévasté. Il souriait, mais à l’intérieur c’était la tempête. Il y avait tellement de rancune et d’amour qu’il ne m’a pas laissé indifférent. Comment croyez-vous qu’un gamin tel que lui ait pu dompter un dragon d’air…Il avait besoin de moi, tout son être appelait à l’aide et tout au fond, il y avait cette parcelle de courage, cette envie si profonde de liberté…Et cette envie, c’est vous qui lui avez soufflé. »

Détournant la tête, Norn fixa les étoiles dans le ciel.

« Vous êtes la personne la plus importante à ses yeux, ne le laissez pas tomber comme ça. Il faut l’aider, le soutenir, il faut continuer à lui tenir tête pour lui faire apprendre de ces erreurs, mais ne pas le laisser blessé. Alors pardonnez-lui Shaem, après tout, il a fait tout ces efforts pour vous… »

Riant, le dragon se redressa et étira ses ailes, prêt à reprendre son envol.

« Vous avez encore beaucoup de chose à lui apprendre et il pourrait bien vous étonner. »

D’un bond souple il s’envola et murmura en souriant.

« Je compte sur vous Professeur ! »

Riant, le dragon survola le nichoir et se posa à côté de Maelen. Il l’enveloppa de ses immenses ailes, les plumes s’agitèrent sous le vent et le Ventus se fourra contre le giron remplit de poil de Norn.

« Je ne suis qu’un pauvre idiot… » Marmonna t-il alors que ses larmes se tarissaient.

« Oui, ça tu peux le dire ! Ahalala Maelen, qu’est ce qu’on va faire de toi ? Dire que tu avais préparé ce que tu voulais lui dire à ce moment depuis plus de dix ans…Tu n’as même pas réussis à lui souffler… »

Enfonçant son visage contre le poitrail de son ami, il l’enlaça et se laissa bercer par le bruissement des plumes et des feuilles dans les arbres.

« Tu voulais lui dire quoi déjà ? »

« Comme si tu ne le savais pas.. » Répondit Maelen d’une voix morne.

« J’ai oublié… »

Se redressant, Maelen inspira, et chuchota d’une voix claire :

« Je voulais lui dire, Je t’aime…. »

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Bien sûr qu'il était énervé.
Il avait mal et en même temps, il en voulait à Maelen d'avoir cherché à tant le blesser et d'avoir réussi à l'atteindre. La décision qu'il venait de prendre était douloureuse, parce qu'il blessait à nouveau ce jeune garçon alors que son instinct le poussait à faire tout ce qu'il pouvait pour qu'il se sente bien.
Mais il avait sa fierté et il avait bien de s'isoler pour lécher ses blessures.

C'était bien sans compter sur le dragon de Maelen qui vint se planter droit devant lui pour lui parler. Cela l'énerva un peu parce que ce n'était pas le garçon qui prenait la peine de lui courir après mais son compagnon.
Pourtant Shaem s'apaisa un peu. Le dragon avait bien cerné Maelen et lorsqu'il lui décrit le garçon meurtri qu'il avait rencontré, le cœur du Saabi se serra encore un peu.
Mais il le rassura un peu après ses retrouvailles un peu désastreuses essayant visiblement de le convaincre de ne pas baisser les bras.

Visiblement Maelen avait besoin de lui.
Il avait encore beaucoup à apprendre de lui.
Et le garçon pourrait l'étonner.

Maelen avait trouvé un nouveau compagnon, une autre personne/créature pour veiller sur lui et qui jugeait visiblement que le garçon avait besoin du jeune professeur à ses côtés.
Mais Shaem était buté.
Comme son dragon

« Il va falloir qu'il fasse des efforts également. Je suis moins patient qu'auparavant ... mais merci d'avoir veillé sur lui »

Norn s'envola et Shaem continua sa route rapidement rattrapé par son dragon auquel il s'accrocha.
Il avait besoin de décompresser et Arrad allait l'aider.
Il partait néanmoins plus léger grâce aux paroles du dragon.
Il y avait un espoir.