Une lettre lui était parvenue il y a quelques jours de la part d'un de ses nouveaux professeurs, Riheb. Liam connaissait Riheb pour avoir été en cours avec elle, à quelques années près. Ils n'avaient jamais parlé, ni sympathisé, et il ne l'avait rencontré depuis qu'une seule fois pour la recruter. Originaire de Narthan, Riheb était une roroa d'une tribu rivale à celle d'une ancienne élève qu'il connaissait bien, Hattusha Bepetdvapara, l'actuelle reine de ce peuple. Cependant, Riheb avait quitté sa tribu pour Aoun où elle avait reçu l'enseignement des Blancs, puis elle était arrivée à Lindorm avec son dragon de terre très ancien. Elle intriguait beaucoup Liam, celle Riheb, Riheb simplement. Pas de nom de famille, parce que les roroas n'en ont pas, portant seulement le nom de leur tribu. Mais quand ils n'ont plus de tribu, il ne reste qu'un prénom. Elle était différente des roroas que Liam avait rencontré, différente de ce qu'on en disait dans les livres et les cours. Elle s'intéressait aux autres peuples que le sien, au monde, aux évènements qui s'y déroulaient. Et elle sollicitait son aide et sa compassion.

En y repensant, il est vrai que Liam ne se souvenait pas avoir vu Riheb durant le discours de début d'année mais sur le coup il n'avait pas fait attention. L'ambiance avait été étrange, tendue, lourde et il avait eu d'autres chats à fouetter. D'après ce qu'il avait compris, Riheb avait une excellente raison pour expliquer son absence. Liam lui laisserait une chance avant de prendre des sanctions. Il était rare qu'il sanctionne des professeurs d'ailleurs, les laissant utiliser les méthodes qu'ils souhaitaient pour faire passer le message aux étudiants et leur apprendre leur futur rôle. Il préférait la discussion quand il y avait un problème ou un désaccord.

Il avait donc répondu à la missive de Riheb et ils avaient convenu d'un rendez-vous. A la lecture des mots couchés sur le papier, Liam avait deviné l'identité de la "haute dignitaire roroa". Il n'y en avait pas des tonnes qui lui fassent suffisamment confiance et puis il y avait son dragon... il y avait Shamaash. Même s'il n'était pas à la tête de l'académie depuis des décennies, Liam se souvenait de chaque étudiant et de chaque dragon qui était passé ici, même les plus discrets. C'était sa force, lui répétait-on, il était attentif aux autres, même s'il refusait lui-même de le reconnaître. Mais oui. En effet, il s'inquiétait du sort des autres et il était fier du poste qu'on lui avait confié, même s'il lui était arrivé de ne plus en vouloir. L'année passée avait été particulièrement éprouvante et la perte d'anciens amis, d'anciens étudiants y avait été pour beaucoup.

La journée avait été longue, dans l'attente du soir, du rendez-vous convenu. Liam était dans son bureau et rangeait quelques papiers quand on frappa à sa porte. Il indiqua d'entrer et se leva de son fauteuil, retroussant les manches de sa chemise claire jusqu'aux coudes. Il adressa un sourire à ses visiteuses et les invita à s'asseoir.

La nuit avait été plus douce qu'elle ne l'aurait pensé, plus clémente avec elle. Hattusha avait dormi d'un sommeil lourd, sans rêve ni agitation et était parvenue a réparer les fatigues de son esprit tourmenté par la déshydratation à la faveur de cette nuit calme et douce auprès de Riheb et dans la sécurité de la Tour Perlée. Et même si le vrai guerrier se doit d'être toujours en alerte, la jeune reine avait lâché prise ce soir-là; elle était bien trop épuisée pour rester sur ses gardes dans un endroit ami, avec une présence ami. Aussi s'était-elle épanouie comme une fleur dans le noir, dans la douceur de la nuit Waterfieldienne et à l'ombre des soucis futurs. Nulle pensée, nul souvenir ne vont troubler le repos de la Roroa qui parvint pour un instant à s'éloigner de la sensation de perte et de tristesse dans laquelle l'avait laissé l'incessant déchirement de son peuple et les morts d'Aldo et de Candel. Il n'y avait plus que le sommeil, comme une pensée horizontale, apaisant et réparateur.

Au lendemain, son corps fut toujours lourd mais l'âme allait mieux. Les premiers rayons du sommeil glissant sur ses paupières closes l'avaient éveillée, découvrant qu'elle n'avait pas rêvé son providentiel sauvetage et que celle qui l'avait tiré des sables de Firthan existait bel et bien. A vrai dire et maintenant qu'elle l'observait d'un regard plus clair, Riheb lui semblait singulière pour une Roroa: sa peau très sombre semblait comme couvert de cendre et ses cheveux flamboyants lui donnaient réellement l'aspect d'une Fille du Feu aux yeux rouges, les sourcils fins comme des serpents et les yeux légèrement en amandes. Hattusha avait souvenance que les Te-Kaipara étaient physiquement très différents de sa tribu; un Pakeha n'aurait pas fait la différence mais pour un Roroa, c'était évident. Mais des Enfants de Tammuz qu'elle avait rencontré, la reine n'en avait jamais vu d'aussi singulier que sa nouvelle amie et soutien.

Encore ankylosée, Hattusha se montra aussi raisonnable que docile, trainant un peu derrière Riheb malgré le fait qu'elle avait recouvré un peu de force, l'attitude plus composée, le maintien plus droit. La promesse d'un visa obtenue, la Roroa avait eut le temps de se baigner et de se vêtir de frais d'un sarouel blanc et d'un bandeau pour sa poitrine; elle n'avait besoin de rien d'autres. Enfilant une cape blanche, elle portait son immense épée Zabubu dans le dos et à sa ceinture, ce qu'elle avait montré à Riheb durant leurs discussions: Samaka, une épée offerte couverte de dents de requin offerte par le chef de la tribu Aodvapara-Te-Umaga en gage de leur amitié. Elle se recomposa une attitude, ayant retrouvé de sa morgue; même si elle était une jeune reine encore inexpérimentée et imprévoyante, Hattusha avait un maintien royal aidant à sa grande stature pour une femme, selon l'avis des Pakeha. Riheb et elle purent quitter la Tour vers midi, retrouvant l'anonymat des sables. La plus jeune se demandait finalement pourquoi tant de précaution mais elle n'avait pas envie de discuter avec la Tammi, suivant son plan à la lettre. L'autre Roroa était prudente et savait ce qu'elle faisait, et Hattusha la voyait comme quelqu'un de bien plus sage qu'elle-même. Alors elle lui faisait confiance. Comment ne pourrait-on pas faire confiance à quelqu'un qui sauve votre vie et pleure devant vous?

Hattusha n'avait pas pu s'entrainer: son corps était encore trop raide et elle marchait lentement, l'allure un peu coincée; elle se remettrait. Au lieu de ça, elle s'était contenter d'observer les gestes et la technique de sa nouvelle amie. Chaque Roroa est un guerrier et bien fol est celui qui douterait de ce fait. Mais quelque chose lui disait que la subtilité était la meilleure arme de Riheb; ça, et d'autres choses qu'elle-même ne maitrisait pas et ne maitriserait surement jamais. Chacun ses armes et ses spécifications. Zabubu lui semblait lourd sur son dos, symbole de la royauté Roroa comme d'autres gouverneurs Pakehas porteraient des couronnes. Lorsque Riheb lui parla de Shamaash, Hattusha hocha négativement de la tête, l'air aussi décidée qu'imperturbable.

"Shamaash-Shum-Unk ne veut pas que sa sœur le voit aussi faible", dit la Roroa en utilisant le nom entier de sond ragon "Shamaash fils des Sables". Elle regarda longuement Riheb puis reprit, "il ne voudrait pas que je le vois aux soins des autres, cela le met déjà très mal à l'aise comme ça. Aussi par respect, je le verrai quand je repartirai pour Narthan. Il ne me le pardonnerait pas sinon."

Shamaash était une fière créature, pétrie d’orgueil et sa dragonnière les avait. Elle avait toujours respecté son impétuosité guerrière et son envie de se montrer fort et conquérant. Il était une âme fière qui supportait mal de devoir dépendre des autres, même au plus fort de la tourmente. Hattusha n'avait rien ajouté de plus, sachant que Riheb comprendrait très biens a décision et celle du jeune dragon impétueux. Concernant les achats pour son futur voyage, la reine ne prit que le strict nécessaire de survie sans s'appesantir. Lrragon était une ville connue et remplie de souvenirs, bons comme mauvais; les couloirs de Lindorm sentaient la nostalgie et elle les arpenta avec prudence et silence, l'humeur soudain un peu maussade, taciturne, suivant les pas de Riheb; elle se rendit alors compte que la Tammi ne faisait aucun bruit et sourit: elle était tout aussi file du Feu que de la Grande Dame de la Nuit.

Cela faisait trois ans qu'Hattusha avait quitté Lindorm et de nombreux élèves pourrait la reconnaitre; elle avait cependant demandé posément à Riheb de la découvrir du sable, frustrée de ne pouvoir assumer son retour en ces lieux connus, amis. Ici, elle ne voulait rien cacher: Lindorm était plus qu'une escale, c'était un havre d'amis. Ses amis Pakehas étaient nombreux durant la période où elle chantait encore la joie de vivre et dansait le Kukri-Yuga pour le simple plaisir de danser et de s'amuser. Ceux qui l’appelaient "Beppe" car il avait de la difficulté à comprendre la formation des patronyme de son peuple étaient encore en ces murs, et elle voulait les croiser. Leur dire qu'elle était en vie, pleine de vie et de reconnaissance. La reine aimait les Pakeha, c'était là sa moindre faiblesse. Elle aimait la différence qu'elle avait découvert avec Aldo et Candel et chantait les deux cultures, la sienne et celle de ses amis.

Le sourire du directeur Fletcher lui en tira un de son côté, presque timide dans sa froideur inexpressive. Elle avait bien changée: non pas que vingt kilos changent une femme, masse de muscles pure façonnée par la guérilla intempestive dans laquelle elle avait été propulsée durant trois ans mais aussi par le maniement d'une seule main de l'immense Zabubu. Elle qui chantait et riait avec innocence à Lindorm avait perdu de sa joie de vivre et ne portait plus que la dureté sur son visage aux yeux éteints. Elle serra la main du directeur avec force et sincérité.

"Il est bon de vous revoir."

Rien de plus, rien que des paroles simples et sincères, bien que brèves. Elle s'enivra du souvenir du bureau de Liam, regardant un peu distraitement la décoration, cette chose dont son peuple se passait en général.

"Cela ne fait que trois ans et j'ai l'impression que c'est une éternité que je ne vous aie pas vu", dit Hattusha en incluant sa tête vers le directeur, yeux fermés, en un salut sec mais respectueux.

Elle qui jadis aurait sourit à pleines dents et aurait dansé sur place était un bloc de marbre et d'ébène aux côtés de Riheb, grande Roroa au maintien dur et spartiate; la guerre change les gens, même les plus guerriers d'entre eux. Aujourd'hui et pour l'instant, il n'y avait bien que le professeur de survie qui parvenait à la faire légèrement sourire. La reine tourna justement la tête vers la Tammi et reprit la parole:

"Ne la disputez pas trop pour son absence, sans elle je serai retournée au Feu, parmi mes ancêtres", elle sourit à l'autre jeune femme, toujours un peu timide, un peu à cran de ces retrouvailles.

Trahissant sa nervosité, sa main posée sur l'extrémité de son épée courte, reposant sur l'extrémité; habitude de combattante aguerrie qu'elle n'avait pas encore à l'époque bénie des couloirs de l'académie.

Hattusha semblait à Liam plus grande et plus forte, bien qu'une lueur sombre étrangement familière se lisait dans son regard. Il y avait peu de traces physiques des épreuves qu'elle avait récemment traversées, mais le directeur n'était pas dupe et il écouta les deux femmes en silence. Il adressa un signe de tête à Riheb, puis pris la main d'Hattusha dans la sienne et la serra en l'invitant à s'asseoir.

-Je suis heureux de vous revoir également Hattusha. C'est toujours un plaisir de revoir d'anciens élèves, surtout quand ils étaient aussi doués que vous l'étiez.

Son regard se posa sur l'épée aux côtés sur laquelle la reine avait posé une main, en guerrière qu'elle était, toujours prête à sortir son arme au besoin, sur le qui-vive. La guerre laissait malheureusement toujours sa marque, même imperceptible. Liam avait vu revenir beaucoup d'âmes du front, certaines plus marquées que d'autres, mais avec l'habitude, il savait reconnaître les signes. Il contourna son bureau pour aller s'asseoir dans son fauteuil et pouvoir écouter attentivement ce qu'avaient à lui dire Riheb et Hattusha. Les explications ne tardèrent pas à venir, et qui expliquaient l'absence de Riheb, et l'arrivée soudaine de Shamaash qui avait réclamé des soins de pointe.

-Je suis désolé d'apprendre que la situation ne s'est pas encore améliorée avec les roroas. J'espère qu'un jour nous parviendrons à un compromis qui contentera toutes les parties.

Il tira sur une cordelette près du bureau et reporta son attention sur les deux femmes.

-Voulez-vous quelque chose à boire ? Une boisson rafraîchissante ou chaude ?

Son regard croisa celui d'Hattusha et il plissa les yeux imperceptiblement, alors qu'il se remémorait une époque moins troublée quand la jeune femme arpentait les couloirs de cette académie, faisant résonner sa voix tonitruante et son rire sincère.

-Je suis désolé pour ceux que vous avez perdu. Une cérémonie a été donné en mémoire des disparus au fur et à mesure. Nous ne devons pas oublier ceux qui ont donné leur vie pour cette guerre, aussi difficile que cela puisse être.

Liam pensait bien sûr à Aldo et Candel entre autres, qu'Hattusha avait bien connu, puisqu'ils formaient à eux trois un petit groupe soudé et populaire à leur époque. Comme à chaque fois qu'il apprenait la mort d'une de ses connaissances, élèves, professeurs ou amis, Liam était tombé un peu plus bas dans sa déprime et la pente avait été rude à remonter. Aujourd'hui les choses étaient différentes et il s'était trouvé une nouvelle force mais la douleur n'en était pas moins présente.

Ses pensées furent interrompues par l'arrivée du concierge qui venait voir ce que le directeur lui voulait.

-Euh.. oui, demander à Miss Bacon de nous apporter des boissons s'il vous plait. Merci.

Une fois le concierge reparti, Liam porta son attention sur le nouveau professeur de survie.

-J'aimerai en savoir plus sur ce qui s'est passé et cette rumeur à propos de la mort d'Hattusha. Quant à Shamaash, il se remet petit à petit. Ça n'a pas été évident de le faire accepter ma présence pour que je puisse le soigner, mais il a fini par capituler et se laisser faire... en partie. Il accepte d'ingérer les remèdes, et il m'a laissé panser ses blessures. Pour le reste il préfère rester seul et je respecte sa volonté. J'ai demandé à à ce que les dragons des étudiants reste à bonne distance pour leur sécurité. Pour le moment, tout se passe bien.

On toqua à la porte et une femme aux allures glaciales pénétra dans le bureau, portant entre ses mains un plateau chargé de plusieurs boissons, certaines glacées, d'autres chaudes et posa le plateau sur le bureau devant le directeur.

-Ce sera tout monsieur ?
-Oui merci Judith.
-Très bien.

La femme s'inclina d'un air révérencieux avant de quitter de nouveau le bureau, laissant planer derrière elle une impression de lourdeur et de froid.

-Bref... reprit Liam. Si je peux faire quoi que ce soit, dites-le moi.

Hattusha repensait à la corde que lui avait offert Riheb sur le marché de Larragon: la Tammi était de bons conseils puisqu’elle était professeur de survie; en outre être une Hine-nui-te-pō signifie marcher avec le vents, les étoiles comme guides silencieux. Elle l'avait remercié très simplement et avait récupéré la corde qu'elle avait glissé dans son paquetage; fine et solide à la fois, comme l'espoir ténu mais vivace de mettre un jour fin à cette incessante guerre tribale qui ravageait leur peuple. L'estimée nouvelle amie de la reine était parvenue à ranimer le feu qui était en elle et qui brûlait d'accomplir la paix pour ses frères, mais son regard restait désespérément éteints tandis qu'elles marchaient le long des corridors remplis de souvenirs de Lindorm. Des bons comme des mauvais, des joies immenses et des peines incommensurables. Des petits rien et des petits touts; des plaisirs et déconvenues ordinaires.

Hattusha n'avait pas cherché à croiser le regard de ceux que l'équipée qu'elle formait avec Riheb croisait sur leur chemin. Non pas qu'elle les méprisait, mais la toute jeune reine ne savait comment réagir en tant que telle face aux Pakehas, face à des gens qui l'avaient connu le sourire aux lèvres, débordantes de rire et de joie de vivre. Une jeune fille pleine de sève qui aujourd'hui avait le regard sec et grave. Elle marchait lourdement, gravement; son attitude générale ne se répartissait pas d'une roideur royale, grave et très droite. Rien de prétentieux, simplement quelqu'un qui connaissait le chemin. Elle jetait quelques coups d’œil furtif à son hoa qui préférait rester en arrière. Il fallait se faire à la position, même si cela ne mettait pas toujours Hattusha très à l'aise: elle était la reine de son peuple et Riheb, un de ses sujets. Mais elle était son amie et plus encore, sa hoa. Ce mot ne signifiait rien pour les Blancs mais pour les Roroas, il donne un sens à l'amitié. Un sens puissant.

Elle sourit tristement à la Tammi à ses dires sur le cœur et la tête, hochant positivement du chef même si elle savait que le sien n'était pas ici; pas en Lindorm. Elle ne l'avait donné à personne et il était déjà froissé comme un chagrin, resté sur elle en bandoulière. C'était un vaste sujet et la Roroa ne désirait pas en parler, entrant dans le bureau du directeur en se baissant un peu, par réflexes. La poignée de main fut à la fois vigoureuse et sincère et bien qu'Hattusha ne sourit pas, le cœur était dans l'accolade.

"Merci du compliment, monsieur Fletcher", répondit très simplement mais laconiquement la jeune femme, "l’académie a été bonne avec nous et nous lui avons simplement rendu ce qu'elle nous a offert", fit-elle avec humilité.

Elle parlait de Shamaash et elle, implicitement; Hattusha n'avait jamais utilisé le pluriel de majesté et ne l'utilisait jamais et tout comme son père, ses sujets la tutoyaient; elle était Rimat-Ninsun, la grande reine, une grande femme au grand cœur, petite sœur de tout son peuple. Elle était Ta Majesté et Ta Grandeur; grandeur de son peuple, majesté des Fils du Feu: elle n'était rien sans eux. Riheb prit alors la parole et Hattusha hocha la tête encore une fois, avec une certaine sérénité malgré son angoisse bien cachée. Elle avait toujours fait confiance au directeur qui était un homme maltraité par la vie mais d'une bonne nature; un être bon et juste, bien que meurtrie. La reine avait toujours eu une certaine admiration pour lui mais n'avait jamais prit la peine de le lui dire. Ses pensées n'appartenaient qu'à elle. Ses amitiés et inclinaisons aussi.

L'autre jeune femme exposa alors les faits et Hattusha se contenta d'écouter, s’essayant sur la chaise qu'elle lui avait tiré un peu à contre-courant: elle détestait s'assoir et ne plus bouger. Mais une conversation se fait certainement mieux ainsi. Riheb prit place à ses côté et Liam en face; on s'ajusta pour être plus à l'aise. Elle déclina poliment mais sans rien dire, d'un simple geste de la main la proposition de boisson et découvrit que la Roroa avait déjà mené une petite enquête sur ses propres assaillants; Hattusha n'avait aucune envie de communiquer ce qu'elles avait d'eux, comprenant en l'instant qu'on avait essayé de faire porter le chapeau à la tribu Te-Kaipara pour raviver la vieille flamme des rancunes tenaces.

"Notre existence est construite sur les nobles sacrifices que nous faisons", elle croisa les bras sous sa cape, le regard creux, "Mes hommes et mes amis n'ont pas été simplement tués, ils ont laissé des marques sur la façon de continuer le combat. Nous tenons en nous la résolution de ceux qui ont sacrifié leurs vies."

Elle était désolée, tout comme Liam mais s'interdisait de le prouver par ses paroles. Le combat continuait et les morts permettaient de donner du sens à la bataille, à la vie. Chacun était un souvenir précieux, un allié par delà la vie et la mort.

"Aldo vivra toujours en moi. Il me suis sur les champs de bataille, par delà la vie et la mort."

La reine ne s'exprima pas sur Candel, plus dubitative sur les causes de sa mort, lui qui aimait tant jouer avec elle. Elle-même ne croyait que ce qu'elle voyait et avait l'espoir tenace. Elle tourna soudain son regard vers sa nouvelle amie, sans incliner la tête toutefois puis concentration ses yeux sur le directeur. Elle aussi vivait en elle, et elle portait une partie de la résolution de la Tammi; c'était une lourde tache, noble et pleine d'honneur et l'affection en diable qu'elle avait pour la professeur de survie lui donnait plus de force. Elle n'était jamais seule: Aldo par delà le Feu, Riheb, Candel et ses défunts frères de peuple. Moana, Eresh, la volonté de flammes de son père défunt. La volonté de son peuple et l'amour qu'elle avait pour lui.

"C'était plus sage, en effet", commenta Hattusha au sujet du choix de Riheb de la cacher à la Tour Perlée, "et je n'étais pas en état de faire quoi que ce soit", reconnut-elle ensuite en fermant les yeux et inclinant un peu la tête.

Riheb lui avait réellement sauvé la vie et elle lui en était plus que reconnaissante; elle n'aurait assez de toutes ses vies pour la remercier mais espérait bien pour alléger sa dette lui offrir la paix de leur peuple. Liam parla finalement de la fierté de Shamaash et s'autorisant un fantôme de sourire un peu vague, mi triste mi amusé, la Roroa reprit:

"Shamaash-Shum-Unk pense que la solitude du guerrier est sa plus grande dignité. Qu'il est accepté les soins prouve qu'il n'est pas orgueilleux, mais sa fierté est grande. Merci de l'avoir soigné. Il vous en est certainement reconnaissant mais ne l’exprimera jamais."

Finalement, le temps de la révélation était arrivé et la jeune reine sentit les deux regards de Riheb et Liam se poser sur elle pour lever leurs doutes et confirmer leurs incertitudes. Elle prit alors la parole, très simplement et se contenta de la plus exacte vérité, elle pour qui le mensonge n'était qu'un fardeau.

"Ce n'était pas des Roroas", elle ferma les yeux, "c'était des mercenaires Pakehas. Pas des assassins, les assassins Pakehas ne me toucheront pas."

Elle avait l'air de savoir ce qu'elle disait en prononçant ces dernières paroles mais ne s'appesantit pas, reprenant rapidement:

"Il ont empoisonné l'eau de l'oasis où nous nous étions arrêté. Les dragons sont morts dans l'heure, mais Shamaash n'avait pas bu. Les guerriers nous ont pris en traitre durant le crépuscule, où la lumière rasante est tout aussi traitresse. Je ne sais pas qui ils sont et je ne m'avancerai jamais à dire qu'il s'agit des Wyrms si je ne suis pas sûre. Mais il s'agissait bien de Blancs, et ils ont visiblement envie de mettre la pagaille chez nous en faisant passer les Te-Kaipara pour mes assassins. Je n'en sais pas plus."

Elle haussa les épaules, sincère. La situation était compliquée mais il y avait moyen d'enquêter sur le sujet, bien qu'il ne soit la priorité absolue de la reine en ce moment. Relevant son regard vert sur Liam, elle le regarda sans plus rien dire, se contentant de relater ce qu'elle savait sans s'avancer. Ce n'était surement pas les Wyrms, même si les Roroas leur étaient clairement opposés, fervent défenseur des lois de Limlug. Ils n'avaient pas le monopole de la guerre et dans le doute, la reine écartait les pistes sans fondements. Elle releva crânement la tête.

"Je m'occuperai de mes assassins plus tard et sans vous y mêler. Ce sont des affaires qui ne doivent vous atteindre et j'y veillerai. Cependant j'aimerai voyager librement entre Narthan et Larragon avec votre permission et dans le conflit qui nous divise avec le Gouverneur de Narthan, vous n'avez pas à prendre position pour nous. Mon peuple ne demande pas à ses amis de se mettre entre deux feux."

Elle était simple et sincère, même si son visage était dur; la situation de Liam serait compliqué si quelqu'un lui demandait de choisir de soutenir Narthan ou les Roroas et il n'avait aucune raison qu'il prenne position; Hattusha ne le permettrait pas car ce serait une erreur de stratégie et cela pourrait mettre l'académie en mauvaise position. pourtant, connaissant un peu Liam et son bon sens, elle ne se fit pas de soucis mais désirait simplement mettre des mots sur ses angoisses.

"Je suis heureuse que nous ayons Riheb ici même pour faire découvrir les Enfants de Tammuz et nous ouvrir au monde, monsieur Fletcher", elle tourna la tête vers son amie, "traitez-la avec déférence, s'il vous plais. Elle est Tammi en notre peuple et c'est un devoir sacré mais elle est aussi ma hoa, mon amie et j'ai en elle toute confiance. Elle est Te-Kaipara et je suis Te-Roroa, nos tribus se détestent mais pour nous cela n'a pas d'importance. Je pense que cela devrait donner de l'espoir à ceux qui en cherchent, Roroa comme Pakeha. J'aimerai prouver que les anciennes haines savent mourir."

Un faible sourire éclaira sa face grave tandis qu'elle parlât plus que de coutume. Ainsi prouvait-elle que les Roroas savaient s'unir et faire fi des vieilles rancœurs; elle espérait que les Pakehas pourraient un jour faire de même, à une échelle plus élevée.

Liam écoutait en silence les deux jeunes femmes, les coudes appuyés sur le bureau, les doigts croisés, avec sur le visage, une expression de profonde concentration. Parfois on voyait passer une lueur plus sombre, de tristesse, de désarroi, sur ses traits, dans son regard, d'avoir perdu des personnes auxquelles il tenait, souvenir d'un passé pas si lointain, et qui lui semblait être une éternité cependant. Il hochait la tête en signe d'approbation, ou de remerciement, quand Hattusha rendait hommage à l'académie et l'enseignement qui y était dispensé. Parfois un sourire timide éclairait ses expressions, ému par les paroles de la reine des roroas, qu'il avait eu l'honneur d'avoir pour étudiante, à qui il avait appris des choses, transmis un savoir. Le directeur l'écoutait raconter ce qui s'était passé lors de son agression, les pistes qu'elle est Riheb avait trouvées et suivies. Des pistes inquiétantes, un complot couvant depuis un moment sous la surface ondoyante des eaux calmes des territoires... pas si calmes au final, se disait Liam qui commençait à ouvrir les yeux sur certaines vérités.

Après un moment, après avoir siroter son thé bouillant, après avoir tourné plusieurs fois les informations confiées dans son esprit, Liam soupira. Evidemment, il n'avait pas à se mêler de ce conflit en Narthan, car en tant que directeur de l'académie militaire, basée sur l'endroit le plus neutre des territoires il se devait de garder lui-même sa neutralité, mais ce n'était pas évident.

-En effet, il est trop facile d'accuser les wyrms pour tous les crimes commis sur les territoires. Ce sont des raccourcis faciles à faire en des temps comme ceux que nous vivons actuellement. Le gouverneur de Narthan est un étudiant de Lindorm et je le connais bien. c'est un garçon posé, avec un bon fond. Il ne fera rien sans peser le pour et le contre, ni sans avoir entendu toutes les parties avant de prendre une décision. Il n'est pas idiot et il sait vers qui se tourner en cas de doute. De plus il connait bien Hattusha, si je ne m'abuse. Mais l'amitié est parfois difficile à préserver dans ce genre de situation.

Il reposa sa tasse sur le plateau et se leva pour aller admirer les rayons du soleil couchant à travers la fenêtre, tournant ainsi le dos à ses invitées. Ce n'était pas une marque d'impolitesse de sa part, juste une façon de masquer les émotions qui se bousculaient dans sa tête. Il croisait les mains dans le dos et se tenait droit, malgré les épaules voûtées, d'un fardeau encore lourd à porter. Finalement, il se retourna de nouveaux et fit face aux deux femmes.

-Vous êtes un exemple que nous devrions tous suivre et bien sot est celui qui l'ignore. Je ne dis pas que nos dirigeants sont idiots mais... parfois, il y a trop d’œillères où il ne devrait pas. Et c'est à se demander qui sont les "sauvages" dans cette histoires... Ajouta-t-il en insistant sur le mot "sauvage", le vivant comme une insulte pour ceux qu'il estimait beaucoup. Ne vous en faites pas, je comprends les raisons qui ont poussé votre amie, votre... hoa ? à manquer le début d'année. Je suis même heureux qu'elle vous ai secouru. J'aurai été peiné d'apprendre votre mort, réellement. Votre esprit aiguisé et votre force d'âme est une chose à ne pas négliger dans l'objectif que vous vous êtes fixé, et je ne doute pas qu'un jour, vous parveniez à un compromis avec le gouverneur de Narthan.

Il s'avança d'un pas vers son bureau et s'y appuya des mains contre le bois peint, légèrement tremblant. Ses cernes ne trompaient personnes.

-Je vous prie de m'excuser, la rentrée a été éprouvante et malheureusement, je n'ai pas la force physique des roroas, la journée a été longue. Je suis heureux de vous avoir revu Hattusha. Riheb, je vous reverrai lors des prochaines réunions. Si l'une de vous a besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à faire appel à moi. Vous pouvez rester autant que vous le souhaitez entre ces murs, le temps que Shamaash se remette suffisamment pour vous emmener en sécurité. Je ferai parvenir un courrier à la Tour Perlée pour qu'on vous délivre un laisser-passer, bien évidemment, cela ne devrait pas poser de problème.

Il ne voulait pas se montrer impoli en mettant ses visiteuses à la porte, mais la fatigue se faisait ressentir et il avait encore des choses à mettre en ordre avant d'aller enfin se reposer. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas passé une nuit entière d'un sommeil sans rêve, sans cauchemar, sans se réveiller en sursaut, dans des draps trempés de sueur, le coeur battant. Tous les remèdes du monde n'y avait jamais rien changé. Il s'était résolu à ne dormir quelques quelques heures par nuit... peut-être devrait-il prendre des vacances réellement, un jour ?

Sur sa chaise, Hattusha suivait la conversation sans en dire plus qu'il ne lui semblait nécessaire; elle détestait se perdre en conjecture et aimait traiter un problème à la fois pour ne pas perdre le fil. C'était quelqu'un qui manquait parfois un peu de sens pratique, pour tout dire. En face du directeur, elle n'avait plus rien à voir avec la sauvageonne insouciante qu'elle était huit ans plus tôt. Bras croisés et attitude un peu retranchée, elle se contenta de hocher la tête aux propos de Riheb: il y avait une chose plus urgente que de retrouver ses agresseurs, c'était la cohésion des tribus. Parlant du nouveau Gouverneur de Narthan, la jeune reine ne dit rien mais son visage se durcit un peu plus, signifiant qu'elle était prête à en découdre même avec un ami d'enfance. De plus le connaissant un peu, elle l'imaginait mal en dirigeant de tout un peuple; le petit Arthur. Le petit dernier de la famille de Dali, qui était encore tout morveux quand elle l'avait connu. La Roroa se renfrogna et préféra écouter monsieur Fletcher et Riheb discuter.

"Je verrai avec Arthur", dit familièrement Hattusha sans en dire plus, "l'amitié peut être un moteur ou un obstacle, tout dépend."

Elle n'était pas belliqueuse, Hattusha. Mais elle savait aussi qu'elle avait la volonté de toutes les tribus à porter et satisfaire et les espoirs de tout un peuple envoyé à l'exil à réaliser; face à ça, son amitié personnelle lui semblait bien peu de choses... mais elle voulait juger au mieux, en faisant des sacrifices s'il le fallait mais avec la tête froide et raisonnable. Qu'Arthur soit plus sage que feu Idriss Taha n'était pas le problème: elle était bien un peu moins bilieuse que son père, Enkidu Zabubu. Bras toujours croisé sans avoir accepté de prendre de boisson, la jeune reine reprit:

"On accuse facilement le fennec lors d'une épidémie de rage", parlant des Wyrms, "nous tirerons ça au clair."

Encore une fois, elle n'insista pas mais plus parce qu'elle n'eut pas le temps plutôt que pas l'envie. Riheb, tournant la tête vers elle, lui exprimait sa gratitude et cela eut le don de mettre la reine mal à l'aise.

"Semper fidelis", répondit-elle en posant la main sur son cœur à l'adresse de Riheb, très sobrement pour faire le moins possible étalage de sa timidité.

Liam contempla le dehors en leur tournant le dos et Hattusha plissa les yeux; elle faisait ce genre de chose lorsqu'elle ne voulait pas que ses sujets la regardent en face et la percent à jour. Entendant le directeur parler de compromis avec le Gouverneur de Narthan et revenir à son bureau, la Roroa décroisa ses bras et se releva lentement, dépliant sa longue silhouette massive. Elle ne dit mot sur les réflexions qu'elle avait concernant la manière dont elle allait ouvrir les pourparlers avec Arthur, ayant déjà son idée mais ne voulant la partager avec personne pour l'instant. Le terme de "sauvage", elle l'avait souvent entendu et il ne la touchait plus.

"Disons que nous autres Roroa avons manqué de nouvelles des autres peuples", elle fixa Liam qui avait l'air épuisé d'un œil un peu critique mais finit par hausser vaguement des épaules, s'inclinant vers lui, "nous avons tous nos limites. Vous franchissez souvent les vôtres, de souvenir."

Elle ne s'autorisa pas un sourire, même si elle aurait bien voulu, sachant que Liam était du genre à faire les efforts les plus fous quand il s'agissait du bien-être de la communauté; Hattusha avait été asse longtemps à Lindorm comme connaitre un peu son directeur pour lequel elle éprouvait le plus grand respect, comme l'attesta sa révérence face à lui, drapée dans sa cape.

"Merci d'avoir pris un peu de temps, en vous remerciant. Ménagez-vous quand vous le pourrez", la jeune femme n'en dit pas plus, tournant les talons et s'apprêtant à sortir. Mais lorsqu'elle atteint la porte, elle tourna légèrement la tete vers le directeur avant de lui dire.

"Permettez-moi cependant de vous donner un conseil Roroa sur la période qui se présente ... paix trompeuse nuit plus que guerre ouverte. C'est ce qu'on dit dans notre peuple."

Elle quitta le bureau sans rien ajouter de plus, se baissant pour ne pas heurter la chambranle de la porte du front et rejoindre le couloir principal de l'académie.