Elle était seule, face à l'immensité mouvante de la mer. Seule face au ressac impitoyable qui lui avait pris sa mère. Sa vie engloutie sous les eaux ne lui avait jamais été rendue. Elle était une dragonnière, à présent, pétrie de doutes et de peurs de l'avenir. Tant de choses qu'elle ignorait, tant de choses englouties sous les eaux bleues, au milieu des secrets du monde. Sa mère dormait dans ces vagues, devenue simple souvenir et simple fantôme.

Avoir confié quelques jours plus tôt ses secrets et son identité à Medea avait remué la vase de ses souvenirs. Douloureuses images d'un naufrage, de débris et de cadavres. Et cet immense forme ailée et cornue qui l'avait saisie dans ses bras puissant pour l'arracher à la mort, elle en qui subsistait une étincelle de vie. Les souvenirs, tranchants comme des poignards, lui lacéraient l'âme. Elle avait peur de comprendre quelque chose que Maegath voulait d'elle. Peur que cela soit vrai. Déchirante plainte à cet instant que celui de ses sanglots. Elle était fatiguée de mentir, de se couper mentalement de son dragon, qu'elle aurait voulu aimer comme avant, avec l'insouciance de son désir contre-nature. Elle le forçait à s'éloigner d'elle, sans parvenir à le détester et ne pouvait qu'en souffrir.

Parfois, la mer l'appelait de sa voix maléfique, comme à cet instant, où, profitant d'une permission des élèves à Laragon, elle avait faussé compagnie au monde, pour rejoindre seule l'une des plages peu connue, simple crique abritée des vents et des regards par un creux rocheux difficile à descendre. Elle avait abandonné sur le sable son pantalon d'homme, sa chemise et son blaser. Elle avait retiré le boxer masculin. Puis avait patiemment défait le bandage étouffant sur sa poitrine, qui l'empêchait de respirer. Mais son souffle était toujours haché, de larmes cette fois. Elle avait pleuré, a genoux dans l'eau, ses cheveux noirs dénoués. Elle avait pleuré, sa mère, son innocence, ce corps de femme. Elle avait laissé les sanglots la consumer, prise à la gorge par son désespoir d'homme qui n'aurait jamais le bon corps. Une femme dans une chrysalide d'homme qui ne se changerait jamais qu'en une travestie.
Elle aurait voulue être comme tous les autres garçons. Ne pas avoir à mentir constamment à sa petite amie. Ne pas avoir à subir tout ce que la nature donne aux femmes. Les hommes, s'ils savaient son secret, ne la verraient plus que comme une fille. Même Maegath ne la comprenait pas et la voyait avec un désir de mâle pour sa femelle. Même celui qui partageait son sang ne comprenait la difficulté de sa condition. Et c'était peut-être le plus douloureux. Mais que peut comprendre un dragon face à des questions pareilles ? Celles d'avoir un genre qui n'est pas défini par son corps ?

Asa, entouré d'eau jusqu'à la taille, sentait les vagues la pousser doucement. Et, dans ses yeux vides, baignés de larmes, il y avait une tristesse vaste comme l'océan. Et, pas après pas, elle avançait vers le large.
Je veux juste disparaître, moi qui ne sait même pas qui je suis. Peut-être trouverais-je dans les abysses les secrets qui m'ont pris ma mère et ont changés ma vie.
Pas après pas. Elle s'y noierait, elle nagerait jusqu'à l'épuisement, jusqu'au bout du monde. Droit vers le large.

Les jambes lourdes, le souffle court et les cheveux dans tous les sens, Ludvig courrait. Il courrait depuis déjà une heure. Il avait besoin de se vider l'esprit. Il avait besoin de ne plus penser. Cela faisait déjà quelque jours que Maelen avait voulu partager son lit et il ne savait toujours pas quoi en penser. Jabutha n'avait pas su l'aider non plus, le vieux dragon n'y connaissant pas grand chose non plus à ces choses là. Il avait passé sa vie à observer sa protégée partager sa vie avec un homme qu'elle n'avait jamais aimé. Il avait passé la suite à observer la famille Brax évoluer. Avec et sans amour. Il n'avait jamais été qu'un spectateur. Il n'y connaissait rien au fond. Et Ludvig non plus. Il ne s'était jamais interressé à ces choses là. Toute sa vie il avait été obnubilé par Jabutha, il avait des amis, il parlait de ces choses là... mais c'était la première fois qu'il acceptait que quelqu'un d'autre que Jabu ne s'approche de lui aussi près.

La brise marine soulevait les cheveux bruns qui collaient au front de l'aqua. Lui qui profitait habituellement de ses congés pour passer du temps avec Jabutha avait décidé de courir. Il avait besoin de courir. Au fond, il était bien un homme. Il n'y avait qu'un homme pour courir sans but pendant des heures avec pour seule raison le désir de ne plus penser. C'était primaire, il s'en fichait. IL ne voulait pas réfléchir. Alors il courait. Son t-shirt collait à son torse musclé, aréolé de tâches de sueur. Son pantalon lui aussi était trempé. Il avait parcourut la forêt, sauté par dessus des branches, il n'aimait pas les chemins, il préférait les buissons. Ses bras étaient légèrement coupés par les branches qui ne souhaitaient pas se déplacer pour un pauvre humain. Il n'était qu'un humain. Il n'était rien pour la nature sauvage de Larragon. Un intrus.

Il ne s'arrêta pas pour autant et descendit les rochers qui se présentaient à lui. Il termina sur une plage et la vue de l'océan le fit finalement s'arrêter. Le souffle court il se laissa éblouir par les rayons du soleil se réverbérant sur la mer. Les vagues tranquilles s'échouaient sur la plage sans véhémence aucune. Il ne connaissait pas cet endroit. Il était content de l'avoir trouvé. Cela lui rappellait un peu ces jours où il vadrouillaient dans les montagnes de Nordheim pour découvrir de nouveaux endroits... pour trouver Jabutha. Jamais il n'avait avoué au dragon le temps que ça lui avait pris pour trouver son lac. C'était le seul secret qu'il avait pour le dragon.

Reprenant son souffle, l'homme avança dans le sable fin, ses pieds s'enfonçant aisément dans le sol meuble et acceuillant. Il n'était pas un homme de la mer comme beaucoup d'aqua. Pour lui la vue de l'océan était toujours un plaisir et une surprise. Il le redécouvrait à chaque instant. Perdu dans sa contemplation il crut un instant apercevoir une sirène. Etrange impression alors que la silhouette féminine avançait la poitrine à l'air dans l'eau légèrement houleuse. Ses longs cheveux noirs glissant dans son dos et flottant dans l'eau. C'était une étrange vision, presque féérique.

Sauf qu'il n'y avait point de sirènes à Larragon. Et le tas de vêtements sur le sol non loin de là appuya la théorie de Ludvig selon laquelle il n'y avait qu'une simple femme cherchant seulement un peu de solitude avec la mer. Il se senti soudain voyeur, n'ayant pas l'habitude de voir une femme dévêtue. A vingt-six ans il n'avait en fait jamais vu qu'une seule fille sans aucun vêtement - et qui ne soit pas une de ses soeurs. Pourtant il ne pouvait détâcher son regard du corps gracile qui avançait dans l'eau.

Presque hypnotisé il crut la reconnaître. Mais de là où il était il ne voyait pas son visage. Juste ses longs cheveux flottant dans la mer. Etait-ce une aqua en cherche de solitude ? Il posa son regard sur les vêtements sur le sol et soudain fronça ses sourcils épais. Ce blazer lui disait quelque chose. S'avançant il s'accroupit pour tenir entre ses doigts la veste posée dans le sable clair.

"Asa...?" murmura-t-il pour lui-même avant de se retourner en direction de la sirène.

C'était le blazer de son compagnon de chambre. Il n'y avait pas de doutes. Observant à nouveau le sol il vit les bandages épais. Serait-il possible ? Il se redressa, laissant la veste retomber sur le sol. Le visage égal malgrés la surprise dans ses yeux il observa la silhouette qui avançait dans l'eau sans se retourner. Asa était fin... il s'était peut-être trompé. Il était vrai que certains disaient qu'il avait les traits fins d'une fille. Mais de là à...

Il continua de l'observer un moment, jusqu'à ce que seule la tête de l'ignis ne reste hors de l'eau. Il ne s'était pas retourné une seule fois. Il n'avait pas commencé à nager ou quoi que ce soit avant de perdre pied. Ludvig fronça les sourcils alors que le soleil luisait sur chaque vague comme un million de diamants.

*Jabu,* appella-t-il soudain, la voix calme et posé. *Je crois que je vais avoir besoin de toi* lança-t-il avant de se déshabiller à son tour.

Il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait. Il se laissait guider par son instinct. Des centaines de questions se formaient dans son esprit alors qu'il avançait vers l'eau. La fraîcheur des vagues le saisit mais il ne s'arrêta pas. La mer de Larragon n'avait rien à voir avec les lac de Nordheim au printemps. Il se mit à nager, ses bras saisissant l'eau dans un crawl presque parfait. Pour rejoindre Asa. Pour comprendre. Jabutha était déjà en route. Il n'interviendrais sans doute pas. Il se faisait sans doute des idées. Comme cette idée stupide d'avoir aperçut une sirène.

"Tiens tiens... si ce n'est pas grincheux," fit soudain Ludvig en se tournant sur le dos nonchalament, souriant. "On fait trempette ?" demanda-t-il comme si de rien était. "Tu veux faire la course ? Enfin... si tu as le courage d'affronter un aqua dans l'eau ?" proposa-t-il en riant.

Ludvig était connu pour ne rien prendre au sérieux. Il le prouvait encore un fois. Tout du moins, il faisait comme si de rien était. Il ne savait rien. Il était peut-être juste paranoïaque. Mais la vue d'Asa avançant lentement dans l'eau avait éveillé en lui une crainte qu'il avait besoin de dissiper. Ce n'était certainement rien. Mais il était là. Il ne pouvait pas tourner le dos à la sirène aux cheveux noirs. Il n'était même pas encore sûr qu'il n'ai pas rêvé. L'eau et la mer cachait avec facilité ce qui se passait sous le cou de l'ignis. Et Ludvig ne cherchait pas à regarder non plus. Il était naturel en toute circonstance. Il battit des jambes en roulant ses épaules pour prendre de l'avance. Le regard vers le ciel il sourit. Il aimait le dos crawlé. Il avait l'impression de voler.

Le silence aquatique. La peur s'envolait doucement alors qu'elle commençait à nager. Etrangement, l'eau l'apaisait, aspirant ses envies de rejoindre sa mère. Elle avait les yeux brouillés de larmes, et ses sanglots silencieux faisaient écho au ressac. Elle voulait se noyer, rejoindre sa mère, oublier qu'elle n'était qu'une menteuse qui se faisait passer pour un garçon, elle qui était née d'un sexe et à laquelle on en avait imposé un autre depuis si longtemps qu'elle ne se voyait pas devenir une femme.
Les gens ne pensait pas qu'Asa puisse être une fille. Elle était grande et athlétique. Cela aidait. Elle agissait et se présentait comme un garçon et partageait l'intimité des hommes depuis tellement de temps qu'elle était mal à l'aise devant les filles. On disait qu'il avait les traits fins, la voix claire. Mais de là à en faire une fille, il y avait un pas que personne n'avait jamais franchi.
A ses débuts à Lindorm, elle avait été terrorisée : et si quelqu'un l'apprenait ? Mais personne n'avait jamais rien su. Peut-être était-ce du regret ? Oui ce sentiment dans sa poitrine... C'était du regret. Le regret que personne n'ai vu ce qu'elle était. Puis elle avait fini par s'y faire. Elle était un garçon avec le mauvais corps, sans trop savoir finalement ce que ça faisait d'elle.
Et puis Medea, trop gentille, qu'elle avait si peur de perdre. Elle lui mentait depuis un an et c'était là quelque chose qu'elle pensait impardonnable. Medea la laisserait. Bien sûr, elle pensait qu'il était un garçon.

Le cœur battant douloureusement, elle avançait sans se retourner, sans un adieu au monde, elle que son dragon voulait pour amante. Et jamais elle ne pourrait supporter cette idée. Elle n'était pas très bonne nageuse, ni très endurante - ses poumons perpétuellement comprimés par ses bandages la rendait sensible à la perte de souffle. S'essouffler serait rapide. Elle sombrerait vite. Prise par ses idées noires, engluée dans la toile de son désespoir, elle n'entendit pas tout de suite le bruit d'un second nageur. Elle-même s'était arrêtée après quelques mètres, brassant simplement des bras et des jambes dans l'eau froide mais pas trop, le climat clément de Laragon aidant la mer a ne pas être trop glaciale en ce mois de septembre. Immobile, elle laissait les larmes couler, rougissant ses yeux et ses joues et la faisant renifler comme une enfant.

Soudain, le bruit la choqua et elle entendit une voix familière, la faisant violemment sursauter, sans en croire ses yeux. Elle le fixa en cillant comme un hibou ébloui, bouche entre-ouverte de surprise. Ludvig ? Ici ? La peur lui mordit cruellement les entrailles et elle poussa un petit cri inarticulé, prise de panique. Non. Pas lui. Pas ici, pas maintenant. Bêtement, elle s'arrêta de battre des bras pour les enrouler sous l'eau autours de ses seins, dans un réflexe stupide et elle manqua de boire la tasse, recrachant un peu d'eau salée.
"Vas-t-en !" Fit-elle pathétiquement, la voix tremblante, les yeux rouges et l'air profondément misérable pour une sirène, avec ses cheveux noirs qui flottaient comme des algues autours de ses épaules. "Dégage..." Même sa voix s'étrangla. Elle tremblait. Comme l'eau était froide, à présent... Elle ne se rendait pas compte de ses lèvres bleuies. Elle aurait voulu vraiment disparaître, c'était un cauchemar. Elle était nue. Il allait la voir. Il allait tout savoir. NON ! Pas lui, pas cet imbécile d'Aqua !
Elle secoua la tête, comme pour s'assurer que c'était réel. Sa peur était si violente qu'il lui semblait être en plein cauchemar. Glacée de terreur, ivre de la crainte d'être vue en temps que fille, elle ne savait même plus quoi faire. La voix plus aiguë qu'à l'ordinaire, déformée par sa propre peur, elle lui cria " Va nager ailleurs, crétin d'Aqua !"
Et elle eut le réflexe idiot de fermer les yeux et de plonger, comme pour s'enfuir, nageant rapidement sous la surface, vers le large - en pensant se diriger vers la plage. Mais elle n'avait pas beaucoup de souffle et elle dû remonter trop rapidement à son goût, à quelques mètres de l'autre élève, plus loin encore de la plage. La fatigue et le stress étaient dangereuses en pleine mer et elle se sentait lasse, prête à couler. Elle essaya de faire encore quelques brasses - elle n'était définitivement pas bien bonne nageuse - mais dû s'arrêter, essoufflée, ballottée par les vagues, cherchant des yeux quelque chose à quoi s'accrocher. Elle fatiguait vraiment mais il n'y avait rien. Rien que la mer et Ludvig et elle sentit malgré elle ses larmes redoubler, pleurant de plus belle, se sentant aussi vulnérable que le moment où Maegath avait voulu abuser d'elle, tout en tentant quelques nouveaux mouvements de brasse, un peu plus faibles alors qu'elle espérait un rocher ou quoi que ce soit pour se reposer un instant.
Les hommes n'étaient vraiment que des ennemis, lorsqu'on est une femme. Et elle allait finir réellement par se noyer.

Asa. Ignis grincheux. Forte tête et pourtant très timide et discret. Ludvig ne savait toujours pas quoi penser de ce qu'il avait vu. L'avait-il seulement vu ? Mais alors qu'ils étaient entourés de l'immensité océanique, l'aqua voyait ses doutes s'envoler aussi facilement que l'écume pointant son nez au bout d'une vague. Là, dans l'eau, les cheveux détâchés et flottant autour de son corps caché par la mer. Avec ses yeux rouges et sa voix aigue. Asa avait tout d'une femme désespérée. Pourtant l'aqua ne sembla pas réagir à ses insultes. Elles ne l'avaient jamais touchées, et elles n'allaient pas commencer maintenant. Se redressant dans l'eau et oubliant sa planche, Ludvig posa un regard calme et posé au nageur.

Il n'avait l'air ni surpris, ni offusqué, ni moqueur. Il était juste là. Témoin silencieux de la crise de son compagnon de chambre. Asa avait le visage rouge, d'ennervement, d'essouflement et de larmes. Mais Ludvig n'avait pas l'air plus inquiet que cela. A vrai dire, il garda un sourire simple, avenant. Non, il n'était pas insensible. Mais il savait être aussi calme que l'onde d'un lac. Et la situation recquiérait du calme. S'il commençait à paniquer ou à s'ennerver à son tour, en plein milieu de l'océan avec quelqu'un d'autre... cela pouvait mal se terminer. Alors il se remit à faire la planche, ses yeux au bleu profond comme l'océan cherchant dans le clair du ciel une réponse.

"Non," répondit-il simplement aux paroles véhémentes d'Asa qui lui ordonnait de partir. "J'ai pas envie," fit-il en riant, comme s'il ignorait les états d'âme de l'ignis.

Et c'était le cas. Il les ignoraient royalement. Ce n'était pas le moment de plaindre Asa. Etrange sirène qui s'en voulait retourner vers l'océan. Sauf que tout le monde savait comment se terminait l'histoire de la petite sirène. Princesse des eaux tombée amoureuse d'un humain, prenant forme humaine pour ensuite devenir écume. Il ne voulait pas être le témoin de cette tragédie.

Asa se débattait avec sa propre personne en cet instant. Fuyant, se rattrappant, revenant pour mieux repartir. Il dépensait beaucoup trop d'energie inutilement. Sans bouger de sa position où il était confortable, Ludvig battit des jambes pour la rejoindre. Ce ne fut pas difficile, l'ignis semblait nager aussi bien que lui-même savait se tenir en société. Mal. Il entendait le son des pleurs mais continua à observer le ciel. Il ne regardait pas son colocataire. Femme ? Homme ? Un peu des deux ? Il s'en fichait bien au fond. Ce n'était pas le genre de choses qui l'interessait. Par contre il pouvait sentir le désespoir et la peur. Asa était fatigué. Et la plage était désormais trop loin pour qu'elle la rejoigne. Ludvig se surpris à ne pas savoir comment catégorisé l'ignis.

"J'imagine que tu ne veux pas d'un coup de main ?" lança-t-il soudain, calme comme la mer dans laquelle ils baignaient actuellement.

Il savait Asa fier. Il savait aussi que le garçons aux traits fins ne l'appréciait pas. Pourtant il refusait de le laisser seul. Fermant les yeux il se concentra du mieux qu'il put. Autant d'eau autour de lui, il pouvait faire ce qu'il voulait ou presque. Respirant calmement il prit le contrôle de toute l'eau possible autour de lui. Il pouvait sentir chaque goutte d'eau comme si elle faisait partie de lui. C'était une étrange sensation. Comme si son corps soudain devenait celui d'un géant. Il senti Asa au sein de son nouvel être. Les jambes battant furieusement pour garder la tête hors de l'eau. Il ne put ignorer non plus la poitrine qui se dessinait autour de son corps svelte. Mais il mit cette info de côté et se concentra. La pression soudain augmenta autour d'Asa et l'eau bouillonna pour la repousser hors de l'eau, l'aider à se maintenir.

Les bras en croix, Ludvig utilisait toute son énergie à maintenir l'Ignis hors de danger. Rester à faire la planche était donc pour lui la seule solution pour ne pas perdre le contrôle et se noyer à son tour. Mais il n'avait pas peur. Il ne pouvait pas avoir peur dans l'eau. Car l'eau n'était son seul allié dans la vie. Il y en avait un autre. Celui pour lequel il avait voué son existence. Celui vers qui se tournait toute ses pensées. Comment avoir peur quand on a une confiance absolue ?

Il le senti. Il sourit. Soudain l'eau autour d'eux changea et une large ombre se dessina depuis le fond de l'océan. L'ombre se rapprocha, masse terrifiante venant des tréfonds du plateau océanique. Soudain Asa pu sentir quelque chose de dur sous ses pieds. L'eau se souleva et ce fut comme le sol lui même était remonté à eux. Ludvig sourit alors que sa peau nue rencontra les écailles dures et humides de son partenaire. Il pouvait reconnaître cette sensation entre mille. Il entendit Asa glisser et se retrouver sur les fesses. Il ne bougea pas. Gardant les yeux fermés alors que le gros dragon d'eau leur offrait son dos comme radeau de fortune.

"T'es en retard vieux machin," lança Ludvig en riant.

"Si j'étais toi je tiendrais ma langue petite chose avant que je ne te laisse te noyer," gronda le dragon en sortant la tête hors de l'eau.

"Asa ? Je te présente Jabutha," fit Ludvig nonchalement, comme si rien ne s'était passé. "Jabu ? Je t'ai parlé d'Asa avant, un de mes colocs," continua-t-il, toujours les yeux clos.

Souriant il profita du soleil qui rayonnait autour d'eux en ce jour de septembre. Il ne faisait pas encore froid, en tout cas pas pour Ludvig. Seulement habillé de son caleçon et dévoilant son corps musclé à Asa, il n'ouvrit cependant toujours pas les yeux. Pudeur ? Attention pour Asa ? Quoi qu'il en fut, il fit comme si de rien était.

"Vous êtes tous les deux aussi insouciants l'un que l'autre !" gronda le dragon en faisant claquer sa queue dans l'eau, éclaboussant la mer autour d'eux en un jet puissant.

Sa seule réponse fut un rire de Ludvig. A se demander si ce garçon prendrait jamais quelque chose au sérieux.

Elle était fatiguée, fatiguée de mauvaises nuits au sommeil difficile à cause des bandes qui comprimaient toujours sa fine poitrine. Elle aurait voulu fermer les yeux rien qu'un instant, se reposer un peu dans ce berceau aqueux, au milieu du silence maritime. L'océan la malmenait, rendait sa nage maladroite difficile.
Et Ludvig la rejoint avec si peu d'efforts qu'elle s'en sentit encore plus désarmée. Elle avait peur de lui, parce qu'il était un idiot d'Aqua beaucoup plus vieux qu'elle. Parce qu'elle était terrifiée que quelqu'un apprenne son secret. Jamais personne n'avait su et cette perspective l'angoissait terriblement. Que se passerait-il si l'on savait qu'elle était une fille ? Elle serait exclue de Lindorm ? Ludvig était un délégué. Et s'il racontait aux professeurs le fait qu'elle se travestisse ? Si elle devait répondre de ses actes ? L'angoisse lui tordait les entrailles et rajoutait à ses sanglots. Et lui qui venait nager près d'elle... Et lui disait... quoi ? Qu'il pourrait l'aider ?
Effrayée, elle sentit soudain une étrange poussée de la part de l'eau, comme si un millier de petites bulles parcouraient sa peau nue et elle sentit la sensation de flotter se faire plus aisée. Elle rejaillit un peu de l'eau, comme le petit bouchon d'une ligne de pêche et jeta un regard vers l'Aqua, les yeux encore tout brouillés de larmes et comprit qu'il usait de son dos, sous son dehors paisible, yeux fermés.
Il semblait si tranquille... Il gardait les yeux fermés ? Elle ne comprenait pas bien, n'était pas sûre de comprendre pourquoi.

Mais avant qu'elle ai pu demander quoi que ce soit, toute à sa peur et à sa surprise, elle sentit quelque chose sous ses pieds - quelque chose de très gros qui remontait à toute vitesse. Déséquilibrée là où l'Aqua restait de marbre, elle chut aussitôt sur les fesses, se faisant un peu mal et une belle trace rouge et elle oublia quelque seconde sa nudité pour ouvrir de grand yeux surpris alors que le dragon de Ludvig remontait des profondeurs et grondait à leur encontre.
Ils semblaient si complice. Se recroquevillant, mal à l'aise, elle fut surprise de le voir garder les yeux fermés ? Pourquoi ? Elle avait toujours envie de pleurer. Toujours envie de se jeter à l'eau mais elle ne pouvait plus le faire et se sentait impuissante et prise au piège, si bêtement intégralement nue sur le dos du dragon.

"Ja... butha ?" Dit-elle maladroitement alors que Ludvig, sans sembler se formaliser une seule seconde du côté incongru de la situation, demeurait impassible avec ses yeux clos. "Euh... en...chantée..." Fit-elle toute recroquevillée, tétanisée par l'angoisse et la situation qui la dépassait complètement.
Elle était à dos de dragons avec cet idiot d'Aqua, cet empêcheur de batifoler en rond. Tremblante, elle loucha un instant vers l'autre garçon, aux muscles agréables. Elle n'aimait pas le corps des garçons car elle le jalousait trop. Le sien était fin, mince, tout en angles de fille plate et un peu en sous poids. Cependant, malgré l'aspect menu de sa poitrine, il était indéniable qu'elle soit une fille.
Le coup de queue du dragon les arrosa et elle sursauta, glissant un peu à cause du mouvement ondoyant de la colonne vertébrale sur les écailles trempées, toujours sur les fesses, se retrouvant toute proche de Ludvig, sans oser bouger, toute cramoisie, tentant de cacher vainement sa poitrine et son sexe indéniablement féminin de ses mains, sans réussir autre chose que d'avoir l'air parfaitement empotée. Elle avait froid, à cause de différence entre l'eau et l'air et la légère brise de la nage régulière et tranquille du vaste dragon d'eau. et claquait des dents.

Elle n'osait pas parler, prostrée, pétrie d'angoisse, à quelques centimètres de Ludvig, totalement tétanisée d'être dans une situation tellement cauchemardesque. Elle mourrait de trouille qu'il la dénonce. Elle avait tellement peur... Reniflant tout doucement, elle se remit à pleurer, parce qu'elle était totalement vulnérable et que c'était là le pire sentiment du monde. Elle aurait tellement voulu être un garçon, cela aurait été tellement plus facile... Mais elle était une femme de dix-neuf ans, totalement dépassée par les événements. Voulant s'éloigner un peu de Ludvig, glissant sur les écailles du dragon d'eau, son mouvement eut l'effet inverse et elle manqua de s'étaler sur lui, le heurtant légèrement avec un couinement de souris, avant de se figer, complètement dépassée, la respiration aussi rapide que celle d'un petit oiseau, comme si elle pouvait mourir d'un instant à l'autre d'une crise cardiaque.
"J... J'ten prie..." Commença-t-elle mais elle resta bouche sèche, incapable de finir sa phrase, tant elle tremblait. Elle aurait préféré réellement qu'on la laisse en finir, plutôt que de se retrouver dans une situation aussi insupportable.

C'était étrange comme sensation. Bercé par le clapotis de l'eau contre l'énorme masse qu'étais Jabutha, pour la première fois de sa vie ils n'étaient pas seuls. Asa tentait tant bien que mal de se tenir, paniquait et balbutiait. Ludvig quant à lui, ne savait pas trop quoi faire maintenant. Il avait suivi son instinct, il avait rejoint l'ignis dans l'eau, il l'avait aidé. Et maintenant ? La sirène n'était pas devenue écume. Que se passait-il dans ce cas là ? Il n'était pas un prince et n'avait pas envie d'en devenir un. Il n'avait pas réfléchit et ne voulait pas réfléchir. Il n'avait aucun doute. Asa était une femme. Asa qui avait partagé sa chambre et était en couple avec Médéa n'était pas un homme.

Qu'est-ce que cela changeait ? Tout et rien à la fois. Ludvig n'identifiait pas forcément les gens par leur genre. Asa était et serait sans doute toujours le grincheux Ignis. Mais sous son air sérieux et timide à la fois, se cachait une femme. Il avait envie de demander pourquoi. Mais il savait que la sirène ne l'appréciait pas. Elle ne voudrait sans doute pas répondre. Les filles étaient interdites dans le dortoir des garçons. Mais Asa avait déjà vécut trois ans parmis eux... est-ce que ça changerait grand chose ? Si les autres le savait oui. Les yeux toujours clos, Ludvig essayait de ne pas réfléchir à toute les situations dans lesquelles il s'était mise en voulant rejoindre Asa.

"Ludvig !" gronda Jabutha soudainement. "La petite va pas tenir longtemps sur mon dos !"

Le dragon d'eau se fichait bien de savoir qu'Asa était une fille. Pour lui la seule personne qui avait de l'interêt à ses yeux était son dragonnier. Il ne savait pas non plus que c'était un secret, parce que cela ne le regardait pas. Les histoires d'humains ne le regardaient pas. Nageant calmement en direction de la plage, il était très lent, ne voulant pas que l'amie de Ludvig ne tombe à l'eau. Vieux récif aux écailles glissante il se laissait glisser par la houle tranquille.

"Asa..." fit soudain Ludvig, gardant ses yeux clos encore un instant.

Peut-être que s'il ne les ouvraient plus... rien de tout cela ne serait arrivé. Il senti le rouge lui monter aux joues. Il n'avait pas l'habitude des corps féminins. Ses soeurs étaient bien plus âgées que lui et le seul souvenir qu'il avait d'elles nues était quand il était tout petit, quand cela ne les dérangeaient pas d'être vue dans leur plus simple appareil par leur frère. A part cela... n'y avait eu que cette fulgere. Comment devait-il faire ? Il ne savait pas. Il aurait voulu rire, faire comme si de rien était. Mais ça devenait dur d'ignorer ce qu'il se passait à côté de lui. Alors, d'un geste souple il se redressa. Assis avec aisance sur le dos de Jabutha il regarda l'horizon, essayant de ne pas tourner la tête sur le côté.

D'un geste habile il attrappa la taille d'Asa pour la maintenir, faisant de son mieux pour regarder ailleurs, les joues rouges. Elle tremblait. Et soudain Ludvig se rendit compte à quel point l'ignis était fine. Sa taille épousait avec perfection la prise de son bras. Ses longs cheveux noirs glissaient entre eux et chatouillaient leur peau nue. Il ne la voyait pas. Mais il se l'imagina soudain fragile. Et c'était étrange d'associer les mots fragilité et Asa.

"Arrête de gigoter," conclut-il finalement dans un ordre tranquille.

Il restait calme. S'il paniquait lui aussi, ils finiraient tous les deux à l'eau. Alors il la maintint contre lui, gardant ses yeux rivés sur le rivage qui se rapprochaient. Il n'avait pas froid mais il sentait Asa grelotter. Il aurait voulu la réchauffer mais il ne savait pas comment sans la mortifier d'avantage. Alors il ne fit rien. Lui qui pouvait rire de tout, se trouvait démunis en cet instant.

"On y est," fit la voix rauque du dragon qui soudain fit trembler les deux humains alors que ses pattes prenaient appuis sur le sol pour rejoindre la plage.

Ludvig ressera son emprise sur Asa pour l'empêcher de tomber, une de ses mains s'accrochant à une écaille épaisse. Il avait l'habitude de voyager sur le dos de Jabutha mais il devait avouer que c'était bien la première fois qu'il devait faire attention à ce qu'il faisait. Le dragon s'allongea sur le sol, presque s'affala et Ludvig serra les dents en entourant finalement l'ignis de ses deux bras pour la soutenir.

Son regard dévia sur la peau nue et blanche. Il rougit de plus belle et détourna à nouveau les yeux. Elle allait le frapper. C'était ce qu'il se disait. Mais Asa n'était pas comme à son habitude. Elle était malheureuse et il ne savait pas pourquoi. Pourquoi elle s'était avancée si loin dans l'océan, risquant sa vie. Inspirant profondément il lâcha finalement l'ignis et se décala sur le côté.

"Par ici !" fit-il en souriant à nouveau, chassant ses pensées. "Descend par là, c'est comme un toboggan !" il rit et montra l'exemple, glissant le long des écailles humides dans un cri amusé.

"Je ne suis pas un jouet !" gronda Jabutha qui pourtant ne bougea pas d'un millimètre.

"T'en fait pas ! Ce vieux bougon à beau dire il adore ça ! Vas-y ! C'est facile !" encouragea l'aqua.

Pourtant il ne se tourna pas vers Asa, il fit le tour de Jabutha et alla rejoindre la tête de la créature pour se saisir du bout de sa large gueule remplie de dents.

*Merci Jabu....* lança-t-il en fermant les yeux. *Je fais quoi maintenant ?* demanda-t-il, les joues en feu.

*Déjà vous vous rhabillez* fit le dragon exaspéré.

Souriant à nouveau Ludvig se remit à rire et courut vers leurs vêtements. Le sable colla à ses jambes mouillées mais il n'en avait rien à faire. Il se pencha et enfila rapidement son t-shirt, restant en caleçon pour le moment. Il garda le dos à Asa et mit les mains sur les hanches.

"Tu devrais t'habiller ! Tu va attrapper froid ! Après c'est moi qui ne vais plus dormir de la nuit parce que tu sera malade," il rit à nouveau, laissant son instinct le guider. Il ne voulait pas penser aux conséquences, il n'aimait pas les conséquences.

Elle se retrouva dans ses bras, sans trop comprendre comment est-ce qu'elle était arrivée là. C'était étrange et elle se sentit rougir. La respiration hachée, effrayée d'entendre la voix grondante du dragon mettre encore plus de mots sur sa condition de femme, elle se surpris à regarder l'horizon qui s'éloignait doucement, glissant sur l'océan d'un bleu scintillant. Elle avait peur, elle avait froid. Elle sentait dans son dos le torse de Ludvig. Il était tiède et confortable et elle s'en troubla, bêtement. Joues rouges, sur peau blanche. Elle se sentait bizarre. A la fois désespérée et soulagée. Quelqu'un savait, son secret n'avait plus court. Et elle était en vie. Et le monde ne venait pas de finir. Elle avait toujours caché son sexe, à tout le monde, depuis bébé. Et voilà qu'un homme éventait ce que sa mère avait tant voulu cacher. Elle ne savait pas qui elle était. Ni pourquoi est-ce qu'elle devait se cacher. Mais à cet instant, le cœur de son colocataire battait autant la chamade que le sien, comme s'il avait aussi peur qu'elle des conséquences. Etrangement, cela le rassura paradoxalement. Peut-être lui aussi se demandait-il quoi faire. Et alors que le vieux dragon de Ludvig s'échouait sur le sable, elle se sentit un peu plus calme. Etait-ce sa tête, un instant, qui s'était oubliée sur son épaule, à regarder l'océan ? Perdue de peurs et d'angoisse, elle ne s'en était pas rendue compte. Mais ces instants infimes, presque fragiles, prirent fin. Remarquant qu'il regardait ailleurs, elle s'en sentit étrangement touchée, mal à l'aise, et maladroite.

Il l'aida à descendre, la tenant contre lui, la traitant avec des égards dont elle n'avait jamais eu l'habitude et que l'on réserve aux filles. C'était étrange, d'être celle que l'on aide à descendre. Personne ne tenait les garçons pour ne pas qu'ils tombent. Elle le regarda glisser le long des écailles, s'émouvant un instant, sans y prendre garde, de ce drôle de dragonnier qui jouait ainsi sur son dragon et qu'il avait l'air de si bien connaître... Elle fit de même que lui, trébuchant finalement sur le sable alors que Ludvig venait câliner la tête de son Allié.
"M.. Merci, Jabutha." Dit-elle très maladroitement avant de s'enfuir sur le sable.
Elle s'avança vers ses vêtements, accompagnée de l'Aqua, effrayée de cette situation si troublante et se rua sur son boxer et sa chemise, les enfilant malgré le sable, se sentant aussitôt mieux, serrant le tissu autours d'elle, tremblante, tandis qu'il se rhabillait un peu aussi. Elle ne remit pas tout de suite ses bandages, elle se sentait incapable de tenir sur ses pieds et se laissa tomber sans grâce dans le sable, se fichant de s'en mettre partout. L'on ne demande pas aux garçons d'être impeccables.

Tremblante, elle ramena ses genoux contre sa poitrine, en état de choc, bien qu'elle se sentit légèrement rassurée par ses vêtements. "Ludvig ?" sa voix déchira le silence qui s'installait, tremblante et claire, la voix d'une fille effrayée. "Heu... Ne dis rien. S'il te plait. Je comprendrais si tu veux changer de chambre et tout..." Elle s'empourpra, de nouveau au bord des larmes. "Mais le dis pas... Le dis pas à Medea. Je veux pas la perdre." Elle renifla, s'essuyant le bout du nez avec sa manche sans distinction, gamine élevée comme un homme, puis par un dragon. "S'te plait. Ne le dis pas. A personne. Jamais... Je veux rester à l'académie. Je veux pas être exclue. On me tuera si cela se sait. Je t'en prie." Et elle le suppliait, à cet instant, les yeux brillants de larmes contenues, avec une ferveur à vous déchirer le cœur. "C'est sérieux... Je t'embêterais pas, je ferais c'que tu voudras en échange, mais ne le dis pas..." Elle était sincère, agenouillée dans le sable, sa chemise fermée dévoilant pourtant la pointe de ses petits seins durcit par le froid, vu qu'elle ne portait rien pour les dissimuler. Elle avait si peur, en vérité, si peur que les monstres invoqués tant de fois par sa mère viennent à cet instant la mettre à mort. Elle ne saurait même pas pourquoi, mais ils étaient des croquemitaines qui lui avaient fait perdre sa douce maman autrefois. Cette femme qui avait souffert et eu peur toute sa vie avant de périr dans les eaux noires.

Se mordillant les doigts, pétrie d'angoisse, ses cheveux longs et trempés mouillant le dos de sa chemise, elle osa dire "C'est parce que t'es homo que tu me regardais pas ?" Dit-elle, maladroite, persuadée que tous les garçons regarderaient une fille nue s'ils en avaient l'occasion. Elle ajouta, précipitemment, devant le regard de Ludvig : "Non en fait, j'ai voulu rentrer au dortoir et j'ai entendu Maelen et toi... Je veux dire... Je suis pas restée ni rien, je suis partie mais bon...Enfin... Vous serez un couple mignon... J'espère que je ne vous gênerais pas. Je pourrais partir si vous voulez... Enfin tu vois..." Rouge et gênée, elle avait l'impression de s'embrouiller un peu mais le silence lui faisait peur. Elle craignait que tout change, tout en redoutant que les choses restent pareilles. Etrange paradoxe.

Assis sur la plage, observant le large sous le paisible soleil automnale. Ludvig et Asa. Trempé de cette baignade plus ou moins improvisée. Chacun avait les joues rouges. Asa dont les cheveux de geais tombaient maladroitement sur ses épaules fines ressemblaient à une fille. Non, se rattrappa Ludvig en se tenant en tailleur. Asa était une fille, ce n'était pas pareil. Pourtant Asa avait tout d'un garçon, les manières, les paroles, les actes. Mais en cet instant, elle ressemblait à une fille alors qu'elle se tenait recroquevillée pour cacher ce qui se trouvait sous sa chemise : une petite poitrine aux seins ronds. Elle tremblait, de froid mais sans doute aussi de peur.

Ludvig ne tremblait pas, mais il n'en menait pas large lui non plus. Que devait-il faire ? Que devait-il dire ? Il contempla les vagues s'échouer à leur pieds, l'écume s'écrasant contre le sol avant de disparaître en quelques secondes. La petite sirène n'était pas devenue écume. Mais qu'allait-il advenir d'elle ? Rougissant légèrement, l'aqua ne pouvait chasser de son esprit l'image de l'ignis marchant dans l'eau, sa peau diaphane illuminée par le soleil de septembre et ses cheveux ondulant dans l'eau comme une marée noire prêt à s'échouer sur la plage.

Il ne tourna pas la tête vers elle quand elle lui parla. Sa voix tremblait, terrorisée. Gardant un calme olympien il écouta attentivement chaque mot qui lui parvenait. Garder son secret. Ne rien dire à quiconque, surtout à Médéa. Oui. Médéa. Beaucoup de choses semblaient soudain avoir du sens pour l'aqua. La raison pour laquelle Asa refusait de se changer dans la chambre ou de prendre une douche avec les autres. Et pourquoi elle était si maladroite avec les autres et avec Médéa. Il ne répondit rien, réfléchissant aux mots qu'il pourrait lui dire. Habituellement il ne s'embarrassait pas et disait ce qui lui passait par la tête. Il se fichait bien de ce genre de choses habituellement. Mais pas cet après midi.

"Tu sais..." commença-t-il avant de se faire brutalement couper.

Ludvig se raidit, prêt à bondir tel un diable sortant de sa boîte. Homo ? Les yeux écarquillés de stupeur il tourna enfin la tête vers Asa. Pourquoi est-ce qu'elle lui demandait ça ? Intrigué et estomaqué par cette supposition il allait demander des précisions mais il n'en eut pas besoin. Son visage devint subitement blanc, aussi blanc que la peau pâle de l'ignis. Horreur et embarras se saisirent de l'aqua qui aussi soudainement vira au pivoine. A tel point qu'il ramena à son tour ses genoux contre lui et enfoui sa tête dedans. La honte. Elle avait tout entendu. Elle savait.

"Non....." gémit Ludvig en prenant sa tête entre ses mains.

Il ne savait pas. Il n'en savait rien. Il n'était pas amoureux de Maelen, ça il en était sûr. Oui, ils avaient flirté... même un peu plus. Mais de là à dire qu'il était homo. Pas qu'il ai quelque chose contre mais... non, juste non. Lui qui avait passé sa journée à essayer d'oublier... et la voilà lui jettant en pleine face ce qu'il avait eu tant de mal à chasser de son esprit.

"C'est pas vrai..." fit la voix etouffée de l'aqua. "T'a tout entendu...?" demanda-t-il, honteux d'avoir été pris sur le fait. Il s'était persuadé qu'Asa avait déserté le dortoir pour rejoindre Médéa pour la nuit. "Putain..." il était terriblement géné.

Il tomba sur le côté, recroquevillé sur lui-même un instant avant de s'allonger face contre le sable, espérant sans doute se cacher dedans. Les mains à côtés de sa tête il se mit à genoux avant de se redresser en criant, espérant chasser ses doutes en les hurlant à la face de cette plage déserte. Rien ne lui répondit si ce ne fut le vent et il soupir ennuyé de Jabutha qui s'était allongé à côté d'eux.

"Fait chier !" hurla-t-il au monde entier, le visage rouge. Il ne savait plus où se mettre à présent.

Tournant la tête vers Asa il rougit de plus belle et s'assit sur ses genoux, détournant le regard.

"C'était pas... c'était pas ce que tu crois..." marmonna-t-il. "Enfin si, mais non..." il commençait à s'embrouiller, lui qui d'habitude n'avait aucun mal à s'exprimer. "C'était juste... Maelen. Il s'est quasiment jeté sur moi... enfin, je l'ai pas trop retenu non plus," marmonna Ludvig avant d'inspirer un bon coup et de souffler. "Tu sais quoi !" fit-il soudain en se tournant complètement vers Asa, plongeant ses yeux dans les siens, sérieux. "Tu n'a rien vu, rien entendu ! Et moi... j'ai rien vu non plus !" lança-t-il. C'était une idée stupide mais il n'en avait pas d'autre. "Enfin... tout ça pour dire..." il s'assit à nouveau dans le sable, se fichant d'en être recouvert de la tête aux pieds. "Tu sais... t'es toujours Asa... moi je m'en fiche que tu sois dans la chambre, c'est pas comme si on en profitait," raisonna-t-il, essayant de passer outre son histoire avec Maelen. "Mais... est-ce que je peux te demander pourquoi ?" osa-t-il, retrouvant son calme. "Pourquoi tu cache que t'es... enfin... une fille. Et qui en voudrait à ta vie si ça se savait ? Tu sais... Lindorm acceuille tout le monde, quel qu'ils soient... même des esclaves d'Aéria," s'enquit l'aqua, soudain curieux. "Enfin, t'es pas obligé de répondre... je comprendrais,"

Elle le vit s'agiter soudain et elle se recroquevilla un peu plus alors que Ludvig passait du rouge au blanc, visiblement en plein embarras. Se sentant un peu coupable, Asa ne sut que dire alors que tout lui échappait. Elle n'avait pas pensé causer une telle réaction et s'en sentit empathiquement désolée. Elle pensait que c'était ok, que Ludvig serait à l'aise avec ça comme il semblait être à l'aise avec tout... Et puis elle n'avait pas beaucoup entendu, juste assez pour fuir le dortoir. Elle avait passé la nuit seule dans le parc, en réalité. Medea aussi avait des colocataires ! Et il était hors de question qu'elle dorme avec Maegath. Pas depuis... L'incident. Et puis elle avait l'habitude de dormir dehors, avec les étoiles comme couverture et le monde pour oreiller.
Elle ouvrit la bouche pour tenter de le rassurer mais la referma sitôt qu'il poussait un hurlement. Elle trembla, nerveuse face aux éclats de voix, mais ne bougea pas de sa place, maladroitement recroquevillée, le tout sous l’œil profondément indifférent du grand dragon d'eau.

"Je suis désolée..." Fit-elle. "J'ai pas entendu beaucoup, je suis partie dormir dehors quand j'ai compris...je suis désolée je voulais pas te mettre mal à l'aise. Tu... enfin vous... enfin nous sommes des garçons, c'est normal, je pense. Enfin je juge pas hein..." Elle s'empourpra de nouveau, décidément trop maladroite et préféra se taire plutôt que de continuer à dire trop. Elle ne voulait pas s'énerver de nouveau avec Ludvig, sinon il dirait à tout le monde qu'elle était une femme... Elle perdrait tout. Medea, sa place de dragonnière, tout ce qui comptait pour elle. Lindorm, c'était sa maison, au fond. Un endroit sûr, où manger et dormir. Non, elle ne voulait pas encore partir de cet endroit. Elle ne voulait pas qu'on sache et que tout soit si difficile...

Ludvig, couvert de sable, s'était de nouveau installé à ses côtés et elle lui coula un regard de biais, méfiante, alors qu'il lui disait qu'elle était toujours Asa ? Vraiment ? Il pensait vraiment ça ? Elle détourna les yeux, masquant pudiquement son propre trouble. Quant à en profiter, elle n'avait aucune idée de ce qu'il voulait dire par là. Penser que Ludvig était gay la rassurait, en réalité. Il n'essayerais pas de faire comme Mae...
Elle espérait couper aux questions. Elle l'espérait vraiment. Mais elles virent, ces affreuses questions. Elles revenaient toujours. Que pouvait-elle lui dire ? Qu'elle n'en savait rien ? C'était tellement ridicule, au fond.

Baissant un peu plus la tête, elle resta longuement silencieuse, effrayée, prostrée dans un mutisme têtu. Un instant, une vague de paranoïa la submergea : et si Ludvig était l'un de ceux qui étaient liés à son passé ? S'il l'interrogeait pour la piéger ? Elle se força à être rationnelle. Non. Il n'avait pas de lien avec Eux, ces fantômes qu'elle fuyait sans trop savoir ni de quoi ils avaient l'air, ni à quoi s'attendre.
"Je sais pas... Je sais pas qui je suis. Mais ma mère... Elle est morte en fuyant ces gens... Ces gens qu'elle tentait de semer... Moi je devais être un garçon pour que l'on se doute pas que j'étais... moi. Elle voulait brouiller les pistes. Mais les pistes de quoi..? Elle est morte avant de me le dire. Je ne sais pas qui est mon vrai père, ni qui était ma mère. Je sais juste que je dois être un garçon."
Elle marqua une pause. Elle n'aimait pas parler d'elle, cela l'angoissait. Mais Ludvig... pourrait tout dire. Et pourtant, elle se sentait à la fois terrorisée et soulagée.
"Et puis j'a l'habitude... Alors être une fille ce serait trop bizarre... J'aurais préféré être vraiment un garçon. J'aurais voulu être comme vous." Elle avait murmuré cette dernière phrase. C'était vrai. Elle avait l'impression qu'elle souffrirait toujours de sa différence, d'être une femme. "C'est tellement dur, tous les jours, tellement douloureux. Mais j'ai l'habitude..." Elle murmura cela à la plage, comme un secret que l'on glisse au vent. Ludvig... Il était étrange, ce type. Tellement gamin. Tellement sérieux. Elle ne savait pas trop à quoi s'attendre de lui.

"Je t'en prie, ne le dis pas, je veux pas tout perdre. Je veux juste rester un garçon." Elle le fixa, diablement sérieuse, avec ses yeux rougis, sa boule au ventre et son visage grave, ses traits tirés de fatigue et d'anxiété. Elle espérait tellement qu'il ferait cela. "J'ai peur. C'est bête. J'ai peur que des tueurs arrivent sur cette plage et m'exterminent, là comme ça, juste parce que tu le sais."
Elle eut un rire nerveux, qui se transforma en sanglot. Bientôt, de nouveau, les larmes coulèrent et elle cacha son visage dans ses mains. Il lui semblait qu'elle ne pourrait jamais s'arrêter de pleurer. "Y'a jamais personne qu'à su, à part Mae et il..." Sa voix se brisa. Non, cela elle ne pourrait pas le lui dire. "C'est bête." répéta-t-elle tout en pleurant. Et ça l'était, bel et bien.

Sur la plage le vent soufflait sans se préoccuper de ce qu'il se passait autour de lui. Indifférent aux éclats du monde et des humains. Immuable comme l'eau qui s'étendait à perte de vue devant Asa et Ludvig. Ils étaient couvert de sable, ils n'en avaient rien à faire. Ils étaient des garçons, ce genre de chose ne les dérangeaient pas. Enfin... Ludvig ne savait plus trop. Il n'avait jamais douté du sexe de son colocataire. Pourtant il ne pouvait nier la poitrine qu'il avait aperçut ni le corps qu'il avait senti lorsqu'il l'avait entouré de son pouvoir. C'était d'ailleurs un peu génant. Devait-il s'excuser? Mais Asa n'était pas comme les autres filles, elle avait les manières et les pensées d'un garçon.

En fait, Ludvig était bien plus perturbé de savoir que l'ignis les avaient surpris lui et Maelen alors qu'ils se laissaient aller à leur plus bas instinct. Il aurait voulu lui dire clairement qu'ils n'étaient pas un couple mais dans ce cas là il allait sans doute passer pour un homme de petite vertue... mais beaucoup d'hommes n'étaient-ils pas ainsi? Le sexe pour un homme était vu de façon bien différente que pour une femme. Asa pensait-elle à ça comme une femme ou comme un homme ? Il ne lui posa pas la question, il ne voulait pas la géner.

"Je suis désolé... on s'est laissé emportés. Maelen m'a quasiment sauté dessus et je l'ai laissé faire. Il n'y a rien entre nous," fit-il finalement en retrouvant son calme, bien qu'il n'osa pas regarder Asa dans les yeux. "C'était un coup d'un soir. Je ne pense pas qu'il ressente quoi que ce soit pour moi et puis... je n'ai pas envie de m'engager dans une relation amoureuse," et pas avec un homme aurait-il pu rajouter, mais ça aurait peut être été un peu cruel pour Maelen même si le ventus n'était pas présent.

Le vent souleva leur cheveux humides, colla leur vêtements mouillés contre leur peau. Tournant le regard vers Asa, Ludvig se trouva à penser pour la première fois qu'il la troubait mignonne. C'était étrange. Juste de connaître son secret rendait la vision de son apparence très différente pour le nordheimir. Elle était prostrée, sans doute en plein conflit interne. Il aurait voulu lui dire qu'elle n'était pas obligée de lui raconter ses plus sombre secret... mais il était curieux. Il attendit avec toute la patience dont il était capable. Il se remit à observer la mer calme et à écouter le roulis des vagues. C'était appaisant. Ce serait sans doute plus confortable en été mais il ne s'en plaint pas. Il pouvait entendre la respiration lourde de Jabutha non loin d'eux, veillant sur les deux humains d'un oeil placide.

Puis soudain le silence tranquille se brisa. Ludvig tendit l'oreille sans pour autant dévier son regard de la mer. Il écouta sagement la confession, le visage calme. Le délégué pouvait être une oreille attentive quand il le souhaitait, il était plus mature qu'il n'en avait l'air. Il écouta ses angoisses, son passé, les raisons qu'elle ne comprenait pas elle-même. C'était étrange. Chaque mot soulevait plus de questions encore. Il n'y avait dans la confession de l'ignis rien qui aurait pu répondre aux interrogations de Ludvig. Elle était perdue. Elle avait suivit les ordres de sa mère, sans doute terrorisée toute sa vie que quelqu'un n'essaye de la supprimer. C'était un lourd secret. Et elle le lui avait révélé. Alors qu'elle ne l'appréciait pas.

"T'a raison. C'est bête," fit finalement Ludvig avant de se lever. S'époussetant du sable qu'il le recouvrait il se tourna soudain vers Asa et mit ses mains sur ses hanches avant de lui offrir un sourire. "Tu sais pourquoi ? Parce que si jamais quelqu'un venait nous attaquer maintenant il aurait affaire à JabuJabu et moi !" il éclata de rire, essayant de lever tout le sérieux qui les entouraient, repoussant la gravité de la chose. "Et puis franchement, de ce que j'ai entendu dire, tu te défend plutôt bien !" rajouta-t-il en tendant soudain la main vers Asa. "Tu es un dragonnier, tu maîtrise un don que personne d'autre ne possède. Tu es un futur soldat et membre d'un escadron d'élite," il sourit nonchalament. "Et si jamais ils sont trop nombreux, je te donnerais un petit coup de main," il rit à nouveau.

"Tu es Asa Sunland, c'est tout ce que je sais," conclut-il. Il n'aimait pas le sérieux et le triste. Il voulait voir un sourire sur ce visage toujours fermé, timide et grincheux. Il ne l'avait jamais vu détendu qu'avec Médéa. Il n'avait pas promis qu'il ne raconterait rien. Parce qu'à ses yeux il n'y avait pas besoin de promesses. Il n'avait pas de raisons d'en parler.

Elle était Asa. Juste Asa, avec ses secrets. Asa était un garçon. Asa n'était pas son vrai nom, mais c'était celui qu'elle possédait. C'était celui qu'il utilisait. c'était vers Asa que se tendait cette main. Alors elle prit doucement sa main, dans un rosissement de ses pommettes, maladroitement, elle qui ne savait pas agir comme une fille, elle qui n'avait jamais connu les égards des garçons. Se mordillant la lèvre inférieure, elle se releva, se retrouvant tout en face de lui, pleine de sable, comme lui. Mais sous sa chemise, ses seins menus pointaient indubitablement. Et sous sa peau blanche battait doucement un cœur entre le garçon et la fille. Juste un instant, elle resta la main dans la sienne, maladroite petite funambule. Elle n'aimait pas les garçons, parce qu'un garçon aime les filles et que sa vision de la virilité serait toujours biaisé par son sexe. Elle n'était qu'une enfant qui jouait au garçon avec un mouchoir au creux du pantalon.

Pourtant, il lui avait dit qu'il la défendrait. Des mots étranges, si doux, elle qui avait toujours été seule et dont Medea était le seul repère. Elle se sentit étrange, comme un peu grise d'une étrange liberté. Ludvig savait. Le monde ne s'était pas écroulé. Ludvig savait. Il la voyait, elle, la fille sous les apparences. La peur au ventre et les yeux rouges, encore tout baignés de ses larmes. Il la voyait, telle qu'elle était. Juste une petite Asa terrifiée. Une gamine de dix-neuf ans qui ne savait pas où elle en était et pensait trouver dans chaque ombre ceux qui avaient terrorisé sa mère au point de changer sa vie à jamais.

Prenant conscience de sa main qui était restée dans la sienne un peu plus longtemps qu'il ne l'est permis, elle la retira vivement, mâchouillant toujours ses lèvres avec nervosité. Mais, timidement, elle releva les yeux. Peut-être l'avait-elle mal jugé, cet idiot d'Aqua qui semblait capable de rire de tout. Et pourtant qui détenait le plus grand secret de sa vie entre ses mains.
"... Merci." Dit-elle alors qu'elle l'embrassait sur la joue, en un geste fugace, se reculant aussitôt, rougissante, grande perche maigrichonne à l'air d'oiseau échassier. "Et c'est pas vrai que je me bat bien. Ferretti veut me coller à chaque cours... Mais c'est à cause des bandages... J'ai du mal à respirer." Dit-elle finalement, timidement, en pointant la longue bande épaisse qui habituellement masquait la rondeur de ses seins. "Et puis je supporte pas qu'on me touche." Dit-elle de nouveau, se sentant étrangement soulagée d'avoir quelqu'un qui sache. Elle pouvait parler. C'était étrange que de parler de cela. Elle ramassa sa veste. Il faisait un peu froid. Elle préférait attendre un peu pour remettre ses bandages de poitrine. Elle se sentait tellement soulagée, capable de respirer sans gêne. "Je n'ai pas envie d'être dans un escadron... j'espère que je serais à la logistique. Je ne suis pas très bon pour le combat et je n'ai pas envie de tuer..." Pourtant la confiance dont faisait preuve Ludvig l'avait émue, au plus profond de son être. Elle, exceptionnelle ? Elle en doutait mais ces mots étaient doux...
Elle baissa les yeux, parlant toujours d'elle au masculin. Une vieille habitude qu'elle ne perdrait jamais. Elle se dandina, un peu machinalement, les mains dans les poches, d'un pied sur l'autre.
"Et toi ? Tu vas faire quoi, après l'année obligatoire ?" Finit-elle par dire, s'enroulant dans son blazer pour se réchauffer. Elle se sentait coupable de l'avoir gêné à cause de l'histoire avec Maelen. Elle n'aurait su dire pourquoi est-ce qu'elle se sentait un peu soulagée de savoir qu'ils n'étaient pas en couple. C'était peut-être des choses qui arrivaient entre garçons. Elle était un peu jalouse : elle aurait bien voulu pouvoir être la première de Medea. Mais c'était vain et cela le serait toujours.

Les cheveux au vent, le sable collant sur leur peau froide et encore humide de leur bain improvisé, les deux étudiants se regardaient entre gêne et maladresse. Pourtant Ludvig tentait de garder un air calme. Ce n'était pas évident. Asa avait changé en quelques minutes. Grincheux était devenue une femme à ses yeux et pourtant il restait toujours un homme. Il n'aurait su dire comment interpréter toutes les informations qui lui arrivait et il décida de ne pas essayer. Asa était Asa. Il avait ses problèmes, de lourds secrets, qu'il avait décidé de partager avec lui alors qu'il ne l'appréciait pas. Ou alors peut être que les choses avaient enfin changés entre eux. Il l'espérait, car il n'avait aucune animosité envers lui.

Il était étrange cela dit de voir l'Ignis rougir et agir comme on s'y attendrait d'une fille. Au fond... peut être l'était-il bien plus qu'il ne se l'avouait. Cela tira un sourire à l'aqua qui mit une main sur ses hanches alors que les tensions s'appaisaient. Il était toujours terriblement géné qu'Asa ait entendu ses ébats avec Maelen, mais cela n'avait rien à voir avec ce que devait ressentir l'autre garçon face à lui. Il l'écouta balbutier et refuser ses compliments, les contredire et se sous estimer. Ludvig aurait voulu le contredire mais il haussa simplement des épaules, cherchant à ne pas le mettre un peu plus mal à l'aise. Ce n'était pas important ce qu'il pensait de son colocataire après tout, ils n'étaient même pas dans la même année. Asa avait l'air si féminine en cet instant que s'en était troublant. Pourtant Ludvig sembla ne pas s'en préoccupé lorsque la jeune femme lui demanda ce qu'il comptait faire dans l'avenir. Non, son regard s'assombrit légèrement et ses sourcils se froncèrent un instant avant que son regard ne se tourne vers le large un bref instant.

"Je vais me battre," répondit-il, le sérieux de sa voix bien différent de ce que quiconque avait jamais pu entendre de lui à Lindorm. "Je vais rester chez les mirages aquatique," il essayait d'être ferme et confiant mais en tournant son visage à nouveau vers Asa, il lui offrit un maigre sourire. "Je ne sais rien faire d'autre, je ne me vois pas faire autre chose... je n'ai pas de métier que j'aimerais faire, je pourrais voyager avec Jabu certe... mais pour combien de temps ? Pour quoi faire ?" soupirant avec un certain défaitisme il tourna à nouveau son regard vers la mer, essayant de cacher ce vide qui emplissait son regard. "Tu sais... je suis le petit dernier d'une grande famille... ma plus jeune soeur à quatorze ans de plus que moi. Mon frère est l'héritier de la famille Brax, ma soeur la plus agée est capitaine des écailles de givres, la seconde est une noble accomplie et une mère parfaite... les autres ne sont pas loin derrière, chacune avec une vie qui semble leur coller parfaitement. Moi, je n'étais pas désiré, je suis arrivé par surprise. Personne n'attend rien de moi," c'était la première fois qu'il parlait de sa famille et de ce qu'il pensait réellement de lui-même. Pourtant, sur cette plage, devant les vagues qui s'échouaient devant leur pieds, il parlait. "Je n'ai rien dans ma vie si ce n'est Jabu. Il est la seule chose qui me distingue des autres, qui fait de moi autre chose que le petit dernier," avoua-t-il un peu amérement et pourtant avec une certaine fierté. "La seule chose que je souhaite, c'est rester près de lui, toujours. Mais en même temps, je ne me vois pas tourner le dos aux territoires alors que j'ai la possibilité de les protéger. Ce serait... " il chercha ses mots, fronçant légèrement les sourcils. "futile ?" essaya-t-il avant de rire pauvrement, sa voix s'écrasant mollement contre ses lèvres. "Je ne veux pas tuer, je ne veux pas être tué," il tourna à nouveau son visage vers Asa et son regard soudain changea. "Quand j'y pense... l'idée me terrifie," avoua-t-il. Le vent à nouveau s'engouffra entre eux, faisant tournoyer le sable à leur pied nu. "Je me souviens du jour où ma soeur est rentrée de mission pour la première fois... je crois que ma mère a essayé de me cacher le visage dans sa robe mais je me souviens du sang sur les mains et l'uniforme d'Elsa. Mais ce qui m'a surtout marqué... c'est son visage à ce moment là... Tu l'aurais vu..." il baissa les yeux en se remémorant, le visage sombre. "C'est la seule fois de toute ma vie que je l'ai vue pleurer. C'est aussi la seule fois où j'ai vu mon père avoir un geste tendre envers l'un de nous. Il l'a prit dans ses bras, il ne l'avait jamais fait et ne l'a jamais refait," un fragment de son passé, un souvenir qui l'avait marqué à jamais et qu'il avouait à Asa. "Elsa est connue pour être forte et sans pitié mais... je sais qu'elle ne veut pas tuer elle non plus. Je pense que personne ne le veut vraiment... Elle n'a plus jamais pleuré depuis mais, je me souviendrais toujours de ses larmes ce jour là," à nouveau il regarda Asa, le visage bien différent de celui qu'il offrait chaque jour. Plus mature et bien plus masculin que ce à quoi il habituait les autres. "Je ne veux pas tuer. Mais je veux protéger notre monde. Je ne veux pas être un héro. Je veux simplement faire ce que je suis capable de faire... je mourrais sans doute dès la première année, ou je serais blessé... mais je ne veux pas tourner le dos en sachant que d'autres se battent pour notre liberté et notre paix. Pas quand j'ai les moyens de faire quelque chose,"

Sur cette plage où Asa avait avoué ses faiblesses et ses secrets, Ludvig faisait de même. Il n'était pas aussi sûr de lui qu'il le faisait paraître. Il n'était qu'un garçon comme les autres, terrifié à l'idée de mourir et de ses battre contre les wyrms. Mais sa fierté le poussait à avancer. Il ne pouvait pas reculer, ou il ne serait plus un Brax. Il était un homme sans perspective d'avenir. Il ne faisait que suivre un chemin sans but. Car même s'il voulait protéger les territoires... au fond, la seule chose qu'il souhaitait c'était de rester dans un coin avec Jabutha à ses côtés. Mais il se sentait terriblement coupable d'y penser. Il n'était pas fort. Il n'était pas puissant. Il n'était qu'un dragonnier sans avenir. Il ne se voyait pas officier, il ne se voyait simplement pas. Il avançait sans but.

"Tu vois... on est aussi paumé l'un que l'autre," conclut le jeune homme un peu amèrement avant de tendre la main à Asa, son visage s'illuminant à nouveau d'un sourire assuré et nonchalant. "Je ne dirais à personne que t'es une fille si tu ne dis à personne ce que tu as entendu l'autre soir. Et je ne raconterais tes secrets à personne si tu ne dis à personne que je suis un lâche," il rit, prêt à serrer la main de l'ignis pour sceller leur pacte.

Elle l'écoutait, plus attentivement qu'elle en laissait paraître. Et les aveux de Ludvig la touchaient au plus profond d'elle-même. Les gens avaient l'air si assurés, si sûrs d'eux. Ludvig semblait un garçon sérieux et droit dans ses bottes. Le découvrir différemment lui laissait une étrange impression : comme l'on pouvait se tromper sur les autres.
Mais elle se sentit touchée qu'il lui confie tant de choses, qu'il partage avec elle le poids de son incertitude. Le poids de ses doutes et de ses peurs. Car ce secret, aussi intime que son propre secret, les rapprochait un peu. Ludvig était un peu moins qu'un étranger et elle était un peu moins une étrangère pour lui. C'était agréable, cette sensation : celle de pouvoir être Asa, telle qu'elle était, sans faux semblants. C'était donc ça, l'impression d'avoir un véritable ami ? Il était peut-être tôt mais elle se sentait le cœur gonflé d'un drôle de soulagement.

Alors, doucement, elle lui serra la main. Avec une sincérité qui venait de l'âme, le fixant dans les yeux malgré ses pommettes rougies, avec plus de tendresse et de reconnaissance, elle qui était si souvent en colère contre lui d'ordinaire. La main de Ludvig était un peu froide, tout comme la sienne, à cause de leur baignade improvisée. Mais elle lui souriait avec chaleur.
"Merci. Je garderais aussi ton secret." Puis, se mâchouillant la lèvre inférieure, elle ajouta : "Et je suis sûre que tu trouveras ta voie, tôt ou tard. Je suis sûre que tu feras le bon choix avec ton Allié." Elle lui sourit, d'un sourire lumineux et empli d'une confiance qu'elle n'avait pas pour elle. Le dragon de Ludvig semblait bienveillant et gentil, pas comme Maegath. Elle espérait pour l'Aqua qu'il l'aiderait dans son choix. Mais il y arriverait : il était plus fort qu'il le pensait.

S'écartant, frissonnante, elle dit doucement : "Je vais rentrer. Il fait froid." Elle eut un pauvre sourire, heureuse, dans le fond, parce que la première personne à savoir son secret n'allait pas la rejeter ou vendre la mèche. Et c'était bon de se sentir soutenue. Elle récupéra ses bandages épais dans le sable, les glissant soigneusement dans l'une de ses poches. Son blazer était assez large pour cacher sa poitrine le temps de rentrer à l'académie. Elle avait besoin d'une douche chaude, pour se débarrasser du sable et retrouver son apparence habituelle. Avec ses cheveux noirs trempés et lâchés, son apparence n'était que trop androgyne à son goût. Elle était un garçon, dans le fond, et elle se sentait simplement heureuse d'être acceptée par son camarade de chambre. Maladroite, elle le regarda encore un instant, en dansant d'un pied sur l'autre. "Merci, Ludvig. On se verra plus tard ?" Elle s'en fut sur ces mots, incapable d'en trouver de plus forts ou de plus appropriés. Et elle disparu bientôt au détours des rochers qui abritaient la petite crique, grimpant souplement pour rejoindre l'académie. Finalement elle était en vie et elle avait un ami...



[Clos pour moi bichette ♥ Merciiii]