- Jo ? Tu as préparé ton sac pour demain ?

- Oui, m'man ! Tout est prêt !

- Tu es sûre de n'avoir rien oublié ?

- Oui, j'ai vérifié trois fois avec la liste que tu m'as donnée.

- Ha oui ? Et ta Masamune ? Elle est où ?

- ... Ha mince !

- Qu'est-ce que je disais...

Après avoir regardé tous les endroits où elle la posait d'habitude, Jordanne se souvint qu'elle l'avait amenée à la forge pour un petit affutage en règle. Arthur s'était proposé pour le faire à la place de leur père qui avait déjà une énorme commande sur le dos.

- Je me rappelle l'avoir donnée à Arthur, je vais à la forge !

- Tu en profiteras pour appeler tout le monde pour le dîner !

- Oui, m'man !

Sortant de la maison en courant, la jeune femme ralentit pourtant le pas en arrivant près des portes de la forge...

Ce qui s'était passé quelques jours en arrière n'avait pas cessé de la travailler. Car malgré le fait que Douglas soit toujours en vie, elle ne savait plus que faire à son sujet. Elle avait osé en parler avec Arthur, lequel avait eu une réaction complètement disproportionnée en déchirant les précieuses lettres qu'elle avait reçu. Jordanne lui en avait voulu, l'avait repoussé pour s'enfuir, sortant du village pour pouvoir réfléchir.

Cependant, plus le temps passait, plus la situation lui paraissait inextricable. La jeune femme savait qu'elle ne pouvait pas laisser un traître en vie, même si c'était son propre frère, son propre sang, il avait bafoué les lois, forçant une Alliance qui avait échoué par trois fois déjà. Mais son coeur ne suivait pas sa raison. Douglas avait toujours son amour fraternel, ce qu'Arthur n'avait pas compris. Pour lui, leur frère aîné était mort.

Entre-baillant la grande porte en fer forgé, Jordanne observait son père et Arthur en train de travailler. Arthur tenait sa Masamune, l'héritage familial au premier d'une génération qui réussissait l'épreuve d'Alliance. Douglas ayant échoué et Arthur n'étant pas lié à un dragon, Jordanne en avait reçu ce superbe cadeau en guise de félicitations et elle n'en était pas peu fière. Même si elle était un peu triste que ce ne soit pas un de ses frères qui ne l'ait pas eu avant.

- Papa, Arthur, maman nous attend pour dîner. Mais je pense qu'on a encore cinq bonnes minutes.

En souriant, Jo se percha sur son tabouret favori. Il était assez haut pour que ses pieds survolent le sol d'au moins trente bon centimètres.

- J'en ai fini pour ce soir de toute façon. Arthur, je te laisse ranger. Et ne tardez pas trop tous les deux, sinon votre mère va encore me gronder dessus !

En éclatant d'un grand rire, le géant McCallan claqua l'épaule de son fils dans un geste amical et ébouriffa les cheveux de sa fille en passant devant elle. Avec un grognement de désapprobation, Jordanne repoussa sa main. Il savait qu'elle avait horreur de ça.

Puis Arthur et elle se retrouvèrent seul. Le souvenir de ce qui s'était passé il y a quelques jours à peine flottait entre eux, provoquant une grosse sensation de gêne chez la jeune femme...

Je n’aurais jamais dut me proposer.
Je me trouvais dans la forge, avec Père. Mes mains parcouraient une lame qui n’était nullement mienne. Je l’avais humidifié, avant de commencer à travailler sur la meule d’aiguisage.
J’avais entre les dents une gourde d’eau, alors que j’activais manuellement le système de rotation de la meule. Je m’arranger pour que la lame reste humide, afin qu’elle ne soit pas abimer dans le processus.
J’avais préparé du matériel pour Jordanne. Un ensemble de pierre à aiguiser, afin qu’elle puisse continuer à maintenir l’éclat, et le tranchant, de Masamune. Son entretien est du devoir de son utilisateur. Et nos origines de forgeron ne devraient permettre à sa lame de s’émousser : jamais.

Je ne saurais dire depuis quand je me trouvais dans la forge. Le bruit du métal que l’on frappe. Le crépitement du foyer de forge. Le bruit du métal brûlant que l’on trempe, et la chaleur de la vapeur soudaine.
Je m’étais contenté d’attacher mes cheveux dans un turban de coton, et de ne porter que mon pantalon. Le travail de Père était acharné, et les vagues de vapeur insoutenable pour une personne sans don avec le feu : comme moi. Forcément, j’avais chaud...mais j’avais un petit sourire sur les lèvres, alors que je travaillais.

Je pouvais oublier ce qui me contrariait. Je pouvais oublier mes tracas dans le travail. Je pouvais nier ce que j’avais ressentit, quelques jours auparavant, en présence de ma petite-sœur.
Un bruit se fit entendre, alors que ma gourde devenait vide. J’aperçus du coin de l’œil Jo’...et j’avoue avoir à peine entendu ses mots.
J’étais comme bloqué, paralysé. Cela fut assez fugace, vu que la voix forte de mon cher « patron » retentit. Par chance, j’avais arrêté la meule ! Car la tape dans l’épaule était loin d’être dénué de force. Si j’étais encore en pleine action, les chances de me louper auraient été de cent sur cent ! Pour dire !

Le silence s’installa, alors que je vérifiais une dernière fois l’état de la lame. Je la fit glisser dans son fourreau, lentement. Le bruit du métal tranchant teinta lorsque la garde reposa sur le haut du fourreau. L’arme était rengainé, et je la tenais là : en silence.
Me dirigeant vers l’atelier, j’attrapais une petite boîte en fer forgé. Là, je pris ce qui est censé être mon courage, entre quatre mains avant de me pointer devant Jo’.
Je lui tendit, sans la regarder dans les yeux, son arme et la boîte.

« Désolé...pour l’autre jour. » vins-je à murmurer.

Mon comportement avait été...déplacé.
Me débrouillant pour avoir les mains libres, je passais une main dans ma nuque, puis mes cheveux : retirant le turban trempé de sueur. J’étais gêné : pas besoin d’être devin pour le comprendre. Me mordant la lèvre inférieur, j'osais la regardais dans les yeux pour la première fois depuis cet incident.

« Je t’ai mit de quoi entretenir Masamune à l’Académie...et...tu veux bien...comment dire... »

Ok, j’ai perdu mon début de superbe ! Je me sentais mal de la regarder dans les yeux. L’espace d’un instant, je ne voyais pas juste ma sœur...mais une femme, belle et splendide, que j’avais dû vexer et...j’ai fini la main droite sur ma nuque, terminant ma phrase comme un idiot :

« Tu veux bien oublier ce qui s’est passé ? »

Je suis trop con...Avec son caractère...Bon sang, je sens que je vais m’en manger une. Enfin, j’espère m’en bouffer une...cela serait signe d’amélioration. Je ne veux pas qu’elle m’ignore...Je ne veux pas qu’elle aussi, elle m’abandonne !

La gêne n'était visiblement pas que d'un seul côté ! Je regardais Arthur en biais sans oser l'affronter vraiment, mais à ce que je venais d'entendre, lui non plus n'était pas à l'aise. On se faisait face comme deux idiots que nous étions, n'arrivant pas à dépasser cette scène qui nous avait opposé.

C'était fou tout de même ! Ce n'était pas la première dispute que nous essuyions mais pourtant, celle-là ne ressemblait à aucune des autres ! Et pourquoi ? Je n'arrivais même pas à mettre le doigt dessus tellement c'était stupide !

L'entendant s'excuser, je lui fis un petit sourire timide. Arthur était comme ça : honnête. Il reconnaissait ses torts même si cela lui prenait du temps. Mieux valait tard que jamais. Cependant, cela ne m'avais jamais troublée jusqu'à ce soir... Qu'est-ce qui avait changé pour que je me mette à rougir, même légèrement ?

Pourtant, depuis ma rencontre avec Ifrit, je ne craignais plus aucune température ambiante. La fournaise qui régnait dans la forge ne me faisait absolument rien, et donc, mes joues qui s'échauffaient étaient dues à une autre raison que je ne souhaitais pas identifier.

Sautant de mon tabouret, j'attrapais le t-shirt d'Arthur qui était posé sur le dossier d'une chaise et le lui lançais en riant. Peut-être que ma nature enjouée suffirait à oublier pourquoi la vue de mon frère torse nu... Non ! Mieux valait ne pas penser à ça...

Attrapant le nécessaire qu'Arthur m'avait préparé, je lui souris en récupérant également la Masamune.

- Merci Arthur.

Puis je soupirais. Pourrai-je vraiment oublier ? Bien que je tienne énormément à Douglas, je n'étais pas de son côté. Et je ne souhaitais pas perdre Arthur, ni maintenant, ni jamais. Ça me détruirait sûrement. Seulement, depuis cet éclat d'il y avait quelques jours, je sentais une distance entre lui et moi, une distance qui me faisait mal mais que je ne faisais rien pour atténuer.

Et Arthur me proposait d'enterrer la hache de guerre. Je continuais de lui sourire en lui tendant l'auriculaire, comme on faisait toujours pour se faire une promesse.

- Je te promets d'oublier. Promets-le aussi.

Je savais que je réagissais encore comme une gamine. Mais je ne pouvais pas faire autrement avec lui. Je ne voulais pas qu'il m'abandonne derrière lui, comme Douglas l'avait fait avec moi.

Dîtes, vous connaissez un remède contre la bêtise humaine ? Ou encore...Contre la gêne ? Mieux, contre la franchise ! Pourquoi, par tous les Dragons, a-t-il fallu que je dise haut et fort ce que je pense ? Si j’avais fermé ma gueule, hein, je n’en serais pas là.
Je vis le tissu qui s’approcher de moi, alors qu’elle avait quitté « son » tabouret. Je l’attrapais, le faisant glisser entre mes doigts, avant de l’enfiler. Ma peau avait eu le temps de s’assécher légèrement, aussi, le contact du tissu ne me fut pas dérangeant.
Je ne savais que dire ou faire, lorsqu’elle vint à me remercier. J’ai relevé la tête vers elle, le visage interdit. Mon cœur avait raté un battement, alors qu’elle n’avait fait que me remercier. Je suis un idiot...Ces lettres...cette dispute...cela m’a plus perturbé que jamais je n’aurais voulu l’avouer.

Lorsqu’elle me tendit l’auriculaire, les paroles qui devaient sceller notre promesse teintèrent dans mes oreilles. Que...je le promette ? Moi aussi ?
Mais...oublier quoi ?! J’ai déglutit...Devais-je oublier le contenu des lettres ? Le fait que celui qui nous a abandonné osé revenir dans le Territoire ? Ou devais-je oublier le fait que j’avais déchiré ces lettres, ces preuves ? Voir même...Que...Que je l’avais serré, elle, dans mes bras.
La bouche entrouverte, alors que je tendais la main pour attraper son petit doigt avec le mien, je me stoppai en pleine action. Mes yeux, mon regard, se fit un peu triste alors que je reculais d’un pas...Je ne peux pas faire une promesse que je ne pourrais pas tenir !

« Que devrais-je oublier ? »

Ma voix était assez saccadée. Je ne sais pas mentir. Je ne sais pas manipuler les foules ou autre. Je suis pire qu’un livre ouvert en termes d’expressions ! Là, on pouvait sentir le fait que j’étais perdu...tiraillé. Que je ne savais plus où j’en étais : du tout.

« Les lettres qu’Il t’a envoyé ? Après nous avoir laissé, nous avoir abandonné, sa façon de revenir vers toi, et seulement toi ? »

Passant mes mains dans mes cheveux, je les ai ébouriffés d’avantage, sous l’effet de l’incompréhension.

« Ou...Ou mon comportement ? Dit-moi quoi oublier Jo’ ! Car j’ai peur de ne pas pouvoir te promettre...d’oublier ce que Lui a fait. Je ne peux pas oublier...et encore moins fermer les yeux ou pardonner. »

Mon ton avait été plus sec sur la fin, alors que mes poings se seraient. La jointure en devenait blanche, et j’en avais même mal. Mon corps tremblait de colère, de rage, rien qu’à parler de lui...à évoquer ce sujet.
Que devais-je faire ? Que devrais-je dire ? Je ne peux pas juste faire l’aveugle ET le sourd. Je ne peux pas...Douglas...veut-il détruire notre famille ? Nous déchirer ? Que veut-il à la fin...

En le voyant reculer, mon coeur se serra, mes sourcils se froncèrent et mon sourire s'évanouit. En temps normal, Arthur accédait toujours à mes caprices sans jamais poser de question. Alors pourquoi refusait-il aujourd'hui ??

Évidemment, le sujet Douglas retombait sur le tapis. Inspirant profondément pour garder mon calme et éviter ainsi de lui arracher les yeux, je fixais mon attention sur les flammes encore vives de la cheminée. Cette technique marchait la plupart du temps, ce coup-ci ne fit pas exception.

- Alors si je comprends bien... Tu me demandes à moi d'oublier, mais toi tu ne peux pas ?

La colère montait aussi sûrement qu'un incendie avalait les arbres encore bien portant pour en faire de la cendre. Je baissais le bras, serrai les poings et les dents. Mes larmes amères s'accumulaient au coin de mes yeux mais je refusais qu'elles coulent. Je ne pouvais pas me laisser aller à cette faiblesse, pas devant Arthur.

- Tu peux choisir d'oublier ce que tu veux, je ne t'ai pas demandé de choisir !

Je faillis lui dire autre chose mais me retins sévèrement. La colère était le plus sûr moyen de laisser échapper des choses que je ne pensais pas et que je risquais de regretter vraiment. Pour autant, je ne pouvais le laisser dire des choses pareilles.

- S'il m'a contactée moi, c'est parce que j'étais la seule à être joignable aussi facilement... Tu crois vraiment que les parents auraient accueilli les lettres de Douglas avec joie ? Je n'ai pas sauté au plafond quand je les ai reçu mais j'essaie de comprendre pourquoi il nous a trahi. Ça ne veut pas dire que je lui pardonne...

Puis une immense lassitude chassa la colère qui était retombée comme un soufflet. Le manque de Douglas allié à l'éloignement d'Arthur m'épuisait plus que de raison.

- Je comprends très bien ce que tu ressens. Je le ressens aussi. Et malgré tout, il me manque... C'est notre frère...

Les larmes que je m'efforçais de retenir finirent par rouler sur mes joues. La triste situation dans laquelle notre famille était n'en finissait pas de me briser le coeur. Cependant, comment pouvais-je affirmer savoir ce qu'Arthur ressentait ? Je le savais mais en même temps n'en étais pas certaine. Tant de choses nous séparaient à présent, même si je n'avais aucune idée de ce qui se passait dans ce fossé... Et je n'avais pas du tout envie de le savoir...

Le ton de la voix qui vint à me répondre me le dit clairement : j’ai merdé. J’ai fais le con...Ma réaction était idiote. Mais...Si j’avais promis, j’aurais menti. Elle l’aurait vu : de suite. Elle aurait encore moins apprécié : je pense. Moi, je n’aurais pas aimé qu’elle me mente lors d’une promesse. J’aurais vu ça comme...une trahison.

« Je te demande seulement d’oublier ce que j’ai fait... » Vins-je à lâcher, le regard incertain.

La colère montait : envers moi-même. Et au vu de ses mots, chez elle aussi.
Me disputer avec une alliée du feu : suis-je idiot ? Elle est encore plus « tout feu, tout flamme », que moi ! Je suis définitivement le type le plus idiot de tous le Territoire.

« Tu ne comprends pas... »

J’allais dire autre chose, alors que j’avais enfin retourné mon regard vers elle. Mes yeux exprimaient une forme de détresse, d’incompréhension. Non, elle ne comprend pas. Je ne peux pas oublier Douglas...mais je peux nier le fait de savoir. Me voiler la face.
Mais, surtout, comment oublier ce que j’ai fait ? Je me dégoûte d’avoir agit ainsi ! J’étais hors de moi, j’ai agit sous le coup de la colère et sous une impulsion. Je SAIS qu’un frère n’enlace pas sa sœur comme je l’ai fait. Mon étreinte n’était pas une étreinte « anodine »...Je le sais, et je ne peux l’accepter.

Elle dû croire que je ne parlais que de Douglas, car elle lui offrit un plaidoyer. Je me sentais amer, pas à ma place.

« Pourquoi. Je ne demandais qu’à comprendre, qu’à savoir pourquoi il nous a abandonné ! Mais tu es la seule qu’il a contacté...La seule qu’il voit encore comme sa famille. Dit-moi, qui est celui qui a complètement était laissé pour compte au final ? »

Je m’étais approché d’elle. Je pouvais voir les larmes qui commençaient à apparaître sous ses yeux, puis, sur ses joues. Je me trouvais...détestable.
Là, je ne pus m’empêcher d’une nouvelle fois l’enlacer. Je l’a prit dans mes bras, son visage contre mon torse. Mon nez allant dans sa chevelure, respirant son parfum. Je tremblais, alors que je murmurais :

« Je n’ai plus que vous, moi...Père, mère...et toi, Jordanne. Je ne veux pas qu’il te prenne à moi...tu ne devrais pas avoir à choisir. Tu ne devrais pas savoir tout ça. Tu devrais oublier... »

Mon ton se calmait, alors que je me rendais compte que ma main caressait son dos comme pour la calmer. Je me suis brusquement décollé d’elle, ma main droite venant serrer mon avant bras-gauche, de colère envers moi.
Néanmoins, la regardant dans les yeux, je terminais ma pensée.

« Ce genre de soucis...ce n’est pas à toi de les avoir. Comment puis-je te protéger, si je ne peux me souvenir de ce qu’il te faut oublier pour mieux apprendre ? Tu ne peux pas te laisser aller, si tu veux réussir...Moi, je n’ai rien à perdre, si ce n’est vous. »

Je suis juste un petit forgeron après tout...Ni plus, ni moins. Ma sœur ne devrait pas avoir à se tirailler ainsi...Quel genre de frères sommes-nous, Douglas ? Des échecs...je crois. C’est bien ma veine.

Je m'en voulais de ne pas avoir réussi à retenir mes émotions. Je connaissais suffisamment Arthur pour savoir qu'il devait s'en vouloir aussi maintenant, ce qui ne fit qu'augmenter la sensation de malaise encore d'un cran. Je ne pouvais plus le regarder en face sans en augmenter ma honte qui semblait ne plus connaître de limite. C'en devenait très agaçant !

- Non, je ne peux pas comprendre si tu ne m'expliques pas.

Et je ne demandais que ça, finalement. Comprendre ce qui se passait dans sa tête, comprendre ce qui se passait entre nous, ce qui n'allait plus. Je ne voulais pas qu'on se sépare ainsi.

- Je ne suis pas à la place de Douglas pour tenter d'imaginer ce qu'il pense, tout comme je ne suis pas à la tienne. Qu'est-ce que je suis sensée faire moi, maintenant ? Est-ce que je dois vous regarder augmenter votre haine l'un envers l'autre sans rien pouvoir y faire ? J'ai déjà perdu Douglas, je ne veux pas te perdre toi aussi...

Mes sanglots silencieux poussèrent Arthur à me serrer contre lui. Encore une fois. Cette étreinte faisait naître en moi des sensations étranges que je ne voulais surtout pas analyser. Je laissais mes bras ballants, évitant ainsi de céder à mon instinct qui me dictait de le serrer pour ne plus jamais le lâcher. Mais je n'en avais pas le droit.

Cachant mon visage dans son torse, je le sentais qui tentait de m'apaiser en me caressant le dos. Arthur... De qui ou de quoi essaie-tu de me protéger ? Il s'éloigna, toujours en proie à une colère uniquement dirigée vers lui-même.

Séchant mes larmes de mes doigts, une nouvelle détermination naissait dans mon regard.

- Arthur, je ne suis plus une petite fille. Ce que nos parents affrontent, ce que toi tu affrontes, je me dois de l'affronter aussi. Sinon, je ne pourrais plus me regarder dans une glace. Douglas a choisi son chemin, j'ai choisi le mien. Même si c'est notre frère, il a trahi l'une de nos plus anciennes lois. C'est un criminel.

Je venais tout juste de prendre une décision, malgré ce que cela impliquait. Mais avant tout, je devais me forger encore, je n'en étais qu'à la deuxième année à Lindorm et j'avais encore des progrès à faire.

- Sache que tu ne me perdras jamais. Je ne le permettrai pas.

Puis prenant la Masamune et le kit d'aiguisage, je sortis de la forge afin de rejoindre la maison, sans attendre mon frère. Il nous rejoindra au dîner. En attendant, je devais terminer la préparation de mes affaires pour la rentrée de demain.

- Jo, ma chérie, ça va ? Tu as les yeux gonflés.

- C'est rien. On s'est un peu disputé avec Arthur...

- Encore ! Mais j'ai l'impression que c'est plus sérieux que ce que tu veux bien le dire... Tu ne veux pas m'en parler, chérie ?

- Non, merci. Ça ne regarde qu'Arthur et moi. Mais ne t'inquiètes pas, maman, ça va aller.

- Très bien. Le dîner est prêt en tout cas.

- D'accord, je termine ici et j'arrive.

Maman déposa un tendre baiser sur mon front, ce qui me réconforta un peu. Elle savait toujours qu'un contact tendre me faisait toujours du bien. En soupirant, je finissais de ranger mes affaires et redescendis pour m'asseoir à ma place habituelle.

*Tu sais que tu ne pourras pas éternellement cacher à tes parents que Douglas t'a contactée ?*

Ifrit se manifestait pour la première fois de la soirée, annonçant son inquiétude.

*Tant que je n'ai aucune raison de leur dire, je compte bien emporter ce secret dans la tombe...*

*J'espère pour toi qu'Arthur pense la même chose...*

J'espérais la même chose, à dire vrai...

Mais comment pourrais-je lui expliquer, ce que moi-même je me refuse de nommer ? J’ai vraiment fait le con. Si je n’avais rien dit, rien fait, lorsqu’elle m’a parlé et montré ces fichus lettres...notre « relation » n’aurait pas changé. Ce gouffre de gêne, ne serait pas apparut. On blaguerait, rigolerait, et serait juste un frère et une sœur.
Les mots qu’elle ajouta...Ils déclenchaient tant de chose. De la colère, de la rage, contre Douglas. Et un battement de cœur raté quant je compris qu’elle craignait la même chose que moi. J’ai peur qu’elle m’abandonne...elle a peur que je fasse de même. Sommes-nous idiots ? Oui...Je crois.

J’avais craqué...Je l’avais pris dans mes bras, je ne pouvais me retenir. Lorsque finalement je l’ai relâché, et que j’ai fini d’expliquer le pourquoi je voulais qu’elle oublie, et moi non, la réponse qu’elle me donna m’écarquilla les yeux.
Je restais interdit, analysant ce qu’elle venait de dire. Je me suis passé ses mots en boucle, sans même comprendre qu’elle venait de quitter la forge. Mon regard était dans le vague...
Elle a...choisit. Je l’ai forcé à me choisir...je suis vraiment un type horrible, égoïste. Mais bizarrement, je suis heureux. Notre famille ne sera pas fragmentée, notre famille sera toujours là.

Je sentis comme un poids en moins dans mon estomac...Un poids qui fut remplacé par un autre. Affronter ce que père et moi affrontons ?! Ah ça : non alors ! Je me suis comme réveillé, telle une bonne douche froide.
Je refuse qu’elle aille s’emmancher dans des batailles contre Eux...contre Lui. Ce n’est pas à elle de faire ça. Moi, je forge ce dont les gens ont besoin pour les combattre. Père et Mère les combattent eux aussi. Et nul doute que si j’étais allié à un Dragon, je combattrai aussi.
Mais pas Jordanne. Elle est trop jeune, et puis, c’est ma petite sœur ! S’il lui arrivait malheur, hein ? Elle y a pensé ? Non...Elle n’a pas dû y penser.

Je restais là, les bras ballant. Mon regard repris vie, alors que je quittais mes pensées. Me passant une main sur le front, je ne pus retenir un soupir exacerbé. Je suis juste un idiot.
Dans tous les cas, je fis ce que j’aurais dû faire une fois l’aiguisage de Masamune terminé...Je rangeais la forge. Mais alors, que je terminais, un bruit se fit entendre. Je connais cette présence : c’est Père.

« Arthur...tu n’as toujours pas fini ? On t’attend pour passer à table. »

Terminant de ranger le marteau et la pince que j’avais en main, je me suis retourné pour faire face à celui pour qui mon estime n’a que peu de limite.

« Désolé papa...Disons juste que Jo’ et moi avons eu un différent...
- Encore ? Arthur, tu es sûr que ça va ? »

Si ça va ? Pas du tout ! Ma sœur se met inutilement en danger, voilà ce qu’il y a ! Et tout ça, car un traître, une personne qui nous a abandonné pour braver les Lois, l’a contacté ! Je me mords la lèvre inférieur...Je rêve de lâcher la vérité à Père...mais je sais qu’alors, elle m’abandonnera. Elle ne me pardonnera pas d’avoir parlé.

« C’est une affaire entre Jordanne et moi, papa. On va trouver une solution...enfin...j’espère. En attendant, si on allait manger ? »

J’avais retrouvé le sourire qu’on me connait, même si là : il n’était qu’une façade. Je sais bien que cela ne duperai pas mon père...et qu’il m’aurait à l’œil pour un temps. Mais je ne sais déjà plus où j’en suis.

« Va te nettoyer un peu avant, je préviens ta mère que tu arrives. Oh et, Arthur ! »

Moi qui avait commencé à sortir pour rejoindre la pièce d’eau, je me suis stoppé et retourné à l’appel de mon nom.

« Oui ?
- Tu sais que tu peux venir me voir, et parler de tout ? On est une famille.
- Je sais papa. Mais, ça ira pour le moment. Merci. »

Fadaise que cela ira ! Mais je vivrais avec pour le moment...jusqu’à ce que ma crainte de ne perdre ma sœur à cause de Douglas ne l’emporte, et me taillade de l’intérieur. Alors, j’espère que ma faiblesse ne me la fera pas perdre.
En tout cas, une fois rincé, j’ai enfilé une chemise en lin assez légère, et j’ai quitté le lourd pantalon de cuir, servant de protection lors de la forge. Troqué pour un simple pantalon droit noir, d’un tissu assez souple. Observant un dernier moment mon reflet dans le miroir de la pièce d’eau, je soupirai alors que je sortais pour me diriger en direction du repas.

Lorsque je suis entré, j’avoue avoir juste sourit à mon père, et à ma mère. Cette-dernière fronça des sourcils un instant, et je sus alors que la comédie du « Arthur guilleret » ne marcherait pas. Elle a dû croiser Jordanne...
Je me suis installé à ma place, censé être en face de Jordanne. Autrefois, il y avait Douglas à ma droite...maintenant, c’est seulement Père. Tout était plus simple quant on était enfant, finalement. En tout cas, je gardais le silence : un peu gêné par l’ambiance...

Une fois à table, je m'efforçais d'oublier l'incident de la forge. Mais c'était tellement frais, tellement fort, que j'avais beaucoup de mal à faire bonne figure. Et dans le cas où j'y arrivais (ce qui ne marchait quasiment jamais), je ne faisais illusion pour personne.

Le repas avait commencé dans un silence tendu. Je chipotais, jouant avec ma fourchette en avalant une bouchée par-ci par-là, n'ayant pas l'appétit qui me caractérisait d'habitude. Je sentais les regards inquiets des parents mais je n'arrivais même pas à sourire pour les rassurer.

*Ifrit, je ne sais plus quoi faire...*

*Tu as envie de leur dire, c'est ça ?*

*Je sais très bien comment ils vont réagir, mais je ne peux pas les maintenir dans l'ignorance... C'est quand même leur fils aîné !*

*Le problème, c'est que depuis qu'il s'est enfui avec Magma, Aaron et Morgane l'ont renié... Es-tu certaine que c'est la meilleure chose à faire ?*

J'étais vraiment paumée. Étais-je la seule à encore considérer Douglas comme de la famille ? Ma raison me disait d'exterminer toutes les émotions que je ressentais encore pour lui alors que mon coeur saignait de cette perte. Et il se passerait certainement beaucoup de temps avant que je ne puisse vraiment faire abstraction de tout ça.

- Douglas est toujours en vie.

Bon... Apparemment, il me semblait que ma langue avait décidé de choisir pour moi. L'énormité de ce que je venais de dire me figea plus sûrement que ne l'aurait fait le danger ou autre chose. Toute la pièce semblait s'être arrêtée, les parents me regardaient comme s'il m'était poussé une paire de cornes sur la tête alors que leurs gestes étaient suspendus. À part le crépitement du feu dans la cheminée, plus aucun son n'était audible.

Ayant les yeux écarquillés moi-même, je cherchais vite une connerie à dire pour effacer mes paroles, mais c'était visiblement trop tard.

*Ha bravo ! T'aurais au moins pu prendre des gants et le leur annoncer en douceur si tu voulais vraiment leur dire !*

*Hey ! J'y peux rien, c'est sorti tout seul ! J'ai pas réfléchi !*

*C'était la seule fois où tu devais réfléchir, tu leur devais bien ça !*

*Je suis au courant, merci !*

Toute rougissante de gêne, il me semblait que la soirée embarrassante allait se poursuivre...

- De... Pardon ?!

Je voyais le regard de Père s'assombrir de rage, mais aussi d'une autre lueur indéfinissable.

- Euh... Je... Il m'a contactée par lettre. Je ne savais pas non plus qu'il était toujours vivant !

- Et depuis quand tu le sais ?

La voix de mère était insupportablement lourde de tristesse. J'avais si mal au coeur de devoir lui faire subir ça. Je savais bien qu'elle, comme Père, avait renié Douglas. Mais on ne pouvait oublier sa chair et son sang, même s'il y avait trahison.

- Depuis quelques jours. J'hésitais à vous en parler, et vu vos réactions, j'aurais mieux fait de me taire...

- Non, tu as bien fait. Maintenant, nous savons à quoi nous en tenir. A-t-il dit quelque chose de particulier ?

- Euh...

Devais-je leur dire que Douggie avait annoncé son retour sur le Territoire ? Savoir qu'il était en vie était une chose, savoir qu'il allait revenir en était une autre. Regardant Arthur, je cherchais un peu son soutien. Allait-il m'aider ou au contraire, me laisser sombrer dans cette bataille que j'avais engagé à mon corps défendant ?

Le silence...enfin, presque. On pouvait entendre le bruit des couverts teintant lorsqu’ils entraient en contact avec la faïence de l’assiette. Je mangeais, sans réel appétit. Un regard sur l’assiette de Jo’ me confirma que c’était pareil pour elle. Je ne pus retenir un soupir las.
Mais, alors que je m’apprêtais à porter ma foruchette à mes lèvres, sans réelle motivation, un pavé fut lâché dans la marre. Quoique, à ce niveau, je pense qu’il s’agit plutôt d’une énorme Académie qu’on balancerait en pleine mer pour déclencher un tsunami. Mais là, c’est juste mon avis...au fait qu’on est tous fini paralysé.
Père semblait sur le point d’exploser...Mère paraissait triste. Moi, je dévisageais Jo’, le regard ahuri. Je m’étais plus ou moins promis à moi-même de garder le sujet de notre dispute, soit le traître, secret. Alors, pourquoi lâchait-elle ainsi les choses.

Le silence lourd était brisé, pour finalement de vagues explications. J’avais toujours ma fourchette en l’air, lorsque mon regard croisa celui de ma précieuse sœur. Fermant les yeux, je tentais de calmer l’incompréhension, la colère, la rage, la tristesse aussi...tout cet amas de sentiments en furie. Je reposais ma fourchette, et ouvrit la bouche pour parler : à mon tour.

« Il lui a seulement dit qu’elle lui manquait...mais qu’il avait une autre « famille » désormais. Une famille qui pensait comme lui...et Magma. »

Les regards convergèrent vers moi soudainement. Mes yeux, eux, étaient ancré dans ceux de Jordanne. Je voyais qu’elle cherchait mon aide...Mais après pareille annonce, qu’attendait-elle de moi finalement ? Que je cache son futur retour dans le Territoire ?

« Arthur...comment ?
- C’est le sujet de nos dernières disputes. Elle est venue me voir, et m’en a parlé. Je me suis énervé à cause de ça...J’en ai même déchiré les lettres de rage. »

Le regard, tant de père que de mère, qui se posait sur moi me pesait. Je n’ai pas mentit...Mais que Jordanne ne me demande pas de le faire ! Je ne sais pas mentir, même pour elle je ne saurais pas être crédible. Ma main droite tremblait, une sorte de colère contenue. Contre qui était-elle ? Moi...ou Douglas ? Cette simple pensée me faisait me sentir malade de haine.
S’il n’avait rien fait, on serait tous les quatre souriant, insouciant, avec l’ambiance joyeuse qu’est normalement la notre. Ce ne serait pas si...austère, tendu.
Voilà pourquoi je ne peux lui pardonner, car plus rien n’est comme avant quant il s’agit de Lui. De sa traitrise...de sa Fuite, son Abandon.

« C’est un criminel maintenant...Et Jordanne l’a compris. On ne peut lui en vouloir de ne pas avoir parlé de suite. Et puis...ma réaction n’a pas dû l’aider. »

Déglutissant, je me suis levé. J’ai regardé mère et lui ai fait un maigre sourire avant de dire :

« Je n’ai plus faim...Merci pour le repas maman. »

Alors que j’allais débarrasser ma place, Père m’empoigna le bras et nos yeux se croisèrent. Je crois que tous n’est pas fini...

« Rassis-toi Arthur...Je crois qu’il faut qu’on éclaire tout ça. Jo’, Douglas a-t-il parlé plus en détail de son autre « Famille »...de leurs projets ? »

Cette question...Finalement...Je me demande...Trahir un traître est-il mal ? Je crois que c’est cette question qui va la tirailler. Et moi, je ne sais que répondre pour la sortir de là.

Devant la question de Père, je grimaçais, ayant complètement oublié cet aspect du problème. Étant de fervents défenseurs du Territoire, il était logique de penser aux mouvements de l'ennemi afin de le confondre et de l'éliminer. Et ça me faisait prendre conscience à quel point ce que j'avais fait était stupide.

- Les... Wyrms... Vont bientôt arriver sur le Territoire. Douglas ne m'en a pas dit plus.

Ma langue avait buté sur le nom de ce groupe de rebelles qui souhaitaient ardemment renverser Limlug. Que Doug fasse parti de ces traîtres était une aberration. Mais c'était un fait, pas une possibilité. Et je ne pouvais pas non plus me résoudre à mentir à ma famille. J'étais aussi mauvaise menteuse qu'Arthur de ce côté-là.

- Il faut en informer Limlug le plus tôt possible pour lui dire de renforcer la sécurité sur le Territoire.

- J'envoie un courrier de suite.

Mère s'était levée pour rejoindre le bureau. Le repas était apparemment terminé, et ce fut avec soulagement que je me levais de ma chaise...

- Jordanne McCallan, la discussion est loin d'être terminée.

Avec une autre grimace, je me rasseyais. En général, quand Père utilisait mon nom en entier, c'est que ça sentait le roussis pour ma pomme...

- Je m'en doutais. Mais tu veux savoir quoi d'autre ? C'est tout ce que je sais. Arthur peut en témoigner, il a lu toutes les lettres.

Enfin, il en restait une qu'il n'avait pas lu, mais elle était bien planquée à Lindorm. Je ne souhaitais absolument pas qu'Arthur tombe dessus, ni lui, ni les parents. Heureusement, je chassais bien vite ce souvenir de mon esprit. L'omission n'était pas un crime à ce que je sache.

- Si vous me cachez quoique ce soit tous les deux, vous savez ce qui vous attend.

Oh oui, je ne le savais que trop bien. La punition était bien pire que l'épreuve d'Alliance. C'était un affrontement avec Père et Bahamut, une chose qui n'était encore jamais arrivée et qu'il valait mieux éviter. Ils étaient forts, expérimentés et surtout en parfaite symbiose. Peu de personnes pouvaient se targuer de les avoir vaincu en combat singulier.

- Je n'ai rien d'autres à dire que vous ne sachiez déjà. Je peux sortir de table ?

Je n'attendais qu'une chose, pouvoir m'enfermer dans ma chambre et sombrer dans l'oubli pour tenter de bannir ce fiasco de ma mémoire.

Et finalement, elle dit la vérité à Père ? Je regardais Jordanne, sachant très bien que mon tour viendrait d’être comme sermonné. Je savais, mais je n’ai rien dit. Je savais, j'enrageais, mais j’ai gardé mes lèvres closes. Pourquoi ? Probablement avais-je peur, au fond, que les parents apprennent aussi mes actes inconsidérés ? Lorsque je l’enlaçais contre moi, avec cette énergie proche du désespoir...si j’avais put, je crois, je crains, que je n’aurais fini par l’embrasser. Et je ne peux que me sentir sale, coupable, d’avoir ainsi cette tare qui s’éveille de jour en jour.
J’espère qu’une fois qu’elle sera à l’académie, j’aurais le temps pour oublier la folie qui d’année en année grandit en moi. J’espère, mais ne rêve pas.

Plongé dans mes pensées, je n’étais plus trop sûr de ce qui se déroulait autour de moi. Je sus que Mère était partie envoyer un courrier urgent...Mais je ne fis pas le moindre geste à cette réaction. J’entendis père user du nom complet de Jo’, ce qui signifie sermons et punitions souvent.
Je crois avoir repris pieds à terre lorsque mon nom vint à jaillir des lèvres de Jordanne. Je l’ai regardé...et je ne pus que répondre.

« Elle dit vrai...Il a laissé entendre qu’il allait rejoindre le Territoire. Après, et là j’extrapole, je pense pouvoir dire qu’ils ne viendront pas en masse. J’enrage de l’avouer, mais Douglas est loin d’être idiot. Il privilégiera l’arrivé par petit groupe à celui de masse. De plus, il a réussit à entrer en contact avec Jo’...ce qui laisse à supposer qu’il est déjà sur le Territoire, ou en tout cas, qu’il a déjà des alliés en place. Juste... »

Je détaillais ma sœur, le regard désolé alors que je concluais.

« Il se fait appeler Fried, et d’après ses lettres...il est loin d’être un exécutant. Il est plutôt...proche de la tête. »

J’avais dit tout ce qu’elle n’avait pas précisé le concernant. J’étais désolé pour elle...car j’avais la sensation de trahir sa « confiance ». Mais, surtout, j’étais dégouté. La haine que j’éprouve pour Douglas ne faisait que grimper. Par sa faute, ma sœur souffre désormais. Elle est déchirée entre deux camps : ce qu’elle ne devrait jamais connaître !
Finalement, ne sait-il que nous faire souffrir ? J’enrage...et je ne demanderai qu’à me laisser aller de colère : en vain. Je ne peux me mentir à moi-même...même si j’essai depuis longtemps et continue d’essayer.

La menace de Père claqua. Je me contentais d’hocher la tête en réponse, le regard lointain. Affronter Père et Bahamut avec un Allié est déjà difficile. Alors, pour moi qui ne suis rien qu’un humain, seul et sans dons...Autant me demander de sauter du haut d’une falaise, pour m’écraser sur des rochers.
Jordanne demanda à sortir de table, personnellement je me levais et ajoutais :

« Nous avons tout dit...Je pense que retourner dans nos chambres seraient mieux désormais.
- Vous pouvez y aller, mais si jamais Il te recontacte Jordanne, ou te contacte Arthur, n’attendez plus cette fois-ci ! Où aviez-vous donc la tête à ne rien dire ? »

Je sais qu’il a raison, et je pense que la lueur de culpabilité dans mes yeux rouges lui servit de réponse de mon côté. Je laisser à Jo’ le choix de s’expliquer si elle le voulait, ou non.
Me postant à côté d’elle, je lui murmurais :

« Je serais dans ma chambre...si tu veux parler. »

Puis, sans rien ajouter d’autre. Alors que l’ambiance était pesante dans ma maison, je me suis dirigé à l’étage. Ouvrant la porte de ma chambre, je troqué ce tee-shirt pour une chemise plus légère que je pouvais laisser ouverte. Et c’est en m’installant sur le bord de la fenêtre, que je cherchais à faire le point. Le vent frais de la nuit me calmant quelque peu...enfin, si peu !

Je me doutais bien qu'Arthur allait dire ce que je ne disais pas. Il ne pouvait rien dissimuler à nos parents, ayant toujours fait preuve d'une franchise parfois brutale, bien caractéristique de la famille McCallan. En y repensant, j'en souriais légèrement sans même le vouloir.

Père avait cet air que je n'aimais pas trop sur le visage : un mélange de dureté ainsi que de colère rentrée qui s'effaçaient sous un masque d'indifférence. L'envie de le serrer contre moi pour lui enlever cette expression me passait un instant à l'esprit sans vraiment se concrétiser. Aaron McCallan était fier, trop fier pour se laisser consoler par sa propre fille.

- Si jamais il me recontacte ou qu'il contacte Arthur, nous vous préviendrons. J'en fais la promesse.

La promesse que j'avais demandé à Arthur mais qu'il n'avait pas pu faire. Puis me détournant, je montais les escaliers, m'arrêtant un instant devant la porte d'Arthur, envisageant une seconde d'y entrer pour tenter de faire la paix... Mais c'était difficile. Je décidais d'abord d'aller prendre ma douche et de me préparer pour la nuit...

La nuit... Ça sentait surtout la nuit blanche. Enfin... Je pris mes affaires de toilette et ma tenue de nuit qui se composait d'un débardeur blanc et d'un pantacourt en tissu bariolé de blanc et de bleu ciel. Douche prise, dents brossées, cheveux séchés, j'avais pris tout mon temps pour reculer le plus possible le moment de retrouver mon frère.

Je ne voulais absolument pas penser à ce que j'avais ressenti quand il m'avait prise dans ses bras, ce qui déclencha instinctivement un frisson dans tout mon être... Dégoût ? Joie ? Je ne savais plus et ne souhaitais pas y réfléchir d'ailleurs...

- Jo chérie, tu devrais aller te coucher !

Maman se faisait encore du soucis. Elle se doutait bien que les révélations du dîner m'avait secoué plus que tout le reste. Elle monta les escaliers pour venir à ma rencontre, alors que je venais tout juste de déposer mes affaires dans ma chambre et que j'en ressortais.

- Oui, maman, je vais juste dire bonne nuit à Arthur.

- Bonne nuit, ma chérie. Et ne t'inquiètes pas, tout ira bien.

Elle me serra contre elle, me faisant profiter de sa chaleur maternelle. Avec un soupir de bien-être, je me laissais aller et fermais les yeux. Maman savait toujours comment me réconforter, si elle n'était pas là, j'aurais sombré depuis longtemps dans le chagrin.

- Bonne nuit, m'man. Fais un bisou à papa. J'espère qu'il va bien.

- Ne t'en fais donc pas pour lui. Il va surmonter ça, comme nous tous.

Elle me sourit et caressa mon front. Je lui souris en retour avant qu'elle ne redescende au rez-de-chaussé. Puis en prenant une profonde inspiration, je me postais devant la porte de la chambre d'Arthur, puis levant la main, je toquais deux petites fois, suivi de trois fois, comme j'en avais l'habitude pour lui dire que c'était moi. Il connaissait par coeur ce code que nous avions établi depuis que nous étions en âge de réfléchir à ce genre de chose.

J’avais le regard dans le vague, alors que mon front se posa contre la bordure de la fenêtre. Assis ainsi sur son rebord, une jambe dans le vide, j’essayais de ne plus penser. Chose que je vous avouerai comme étant difficile : vraiment.
La nuit qui aura était le déclenchement de tout ça repassais dans ma tête, de même que l’épisode dans la forge...et le diner catastrophique. Et, demain, elle retourne à l’académie ? Je suis monstrueux...car je sais qu’elle n’aurait rien dit si je n’avais pas remué le couteau dans la plaie, lorsque nous étions dans la forge.

Je crois que là, j’aimerai bien faire comme les fumeurs. Me griller un de ces tubes nauséabonds, et laisser sa fumée me brûler la gorge. Peut-être, alors, que j’oublierai mes soucis. Mais ça ne serait qu’une forme de faiblesse.
Je me suis donc contenté de regarder les étoiles qui commençaient à poindre dans le ciel. La couleur rouge, orangé, de la nuit tombante avait désormais bien disparut. La nuit recouvrait le village. Les maisons des plus riches, dotées de l’électricité, s’éclairaient. Les plus pauvres voyaient des lueurs de bougies et de feux éclairer leur intérieur. Moi, j’observais ce spectacle depuis ma fenêtre. L’obscurité commençait à s’infiltrer dans ma chambre...Je ne voulais pas de lumière, je voulais juste ruminer mes conneries de ces-derniers jours.

Soupirant, je tournais la tête vers l’intérieur de cette pièce qu’est ma chambre. Dans un coin, le lit. Simple, et surtout, pas fait. Les draps sont en boule aux pieds, et l’épaisse couette repliée sur le côté : le mur la maintenant sur le lit.
La table de chevet avait un bougeoir et le matériel pour allumer la bougie neuve s’y trouvant. Il faut dire que l’ampoule de mon plafonnier ayant grillée, je devais faire avec le moyen à disposition.
Mon visage tomba sur la porte, éperdument clause. A côté de cette dernière, le placard avec mes vêtements. Sur l’autre côté ? Un bureau et une bibliothèque. Il y avait surtout des ouvrages sur les dragons et le travail du fer...
Il y avait aussi un dessin enfantin. C’est un dessin qu’on avait fait ensemble, Jo’ et moi. On était encore des mioches à cette époque...Douglas aussi était encore un gamin : comme nous. Je ferme les yeux à cette pensée, la mâchoire serrée. Mon regard se porte à nouveau vers l’extérieur, quand soudainement une combinaison que je ne connais que trop bien raisonne dans ma chambre.

Je quitte mon rebord de fenêtre, silencieux. Je pousse du bout du pied les parchemins et livres qui traînent un peu par terre. Je ne suis pas très ordonné, sauf dans la forge.
Là, j’ouvre la porte pour voir Jordanne derrière. Lui faisant signe d’entrer, je lui dis de fermer derrière elle, alors que je me dirige vers la table de chevet pour finalement allumer la bougie qui nous éclairera vaguement.
Avec elle, j’ai aussi allumé la bougie se trouvant sur le bureau, afin d’avoir un peu plus de lumière. Bien que l’ambiance reste tamisée...

Je m’assois sur mon lit, en tailleur, et l’invite d’un geste à prendre place où elle veut. Il y a la chaise de mon bureau, où encore, le rebord de la fenêtre, voir à côté de moi sur le lit.
Je n’ai pas vraiment parlé depuis, le silence est lourd et oppressant. Mais je plonge mon regard dans le sien, avant de demander :

« Pourquoi leur as-tu dit ? Tu m’avais demandé de me taire, et j’allais le faire...Alors...Pourquoi ? »

Je ne comprenais pas...

Alors qu'il m'ouvrit la porte, j'entrais dans la chambre d'Arthur qui était toujours en désordre. Après tout, c'était un garçon, les garçons ça ne rangeaient pas leur chambre, et je n'en avais jamais été offusquée, pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui ?

Fermant la porte derrière moi, je m'adossais dessus avant de décider de m'asseoir sur le lit d'Arthur, à côté de lui. Je remontais mes genoux sous mon menton, serrant mes jambes entre mes bras. Puis il me posa la question que j'attendais. Je savais pourquoi j'avais tout déballé aux parents.

- Je leur ai dit, parce que je voulais que cette querelle entre nous cesse. Je ne supporte pas de te voir t'éloigner de moi. J'ai déjà perdu Doug. Je ne supporterai pas de te perdre non plus. Je te l'ai déjà dit.

Et c'était vrai. Je ne voulais pas qu'Arthur s'éloigne de moi jusqu'à n'être plus qu'un point à l'horizon. La situation était déjà tellement difficile. Je ne voulais pas perdre encore un des hommes de ma vie.

- Et puis comme ça, tu n'as pas à te surveiller sans arrêt. À un moment où un autre, tu te serais trahi. Je ne voulais pas t'infliger déjà plus que ce que j'ai fait.

En soupirant, je n'osais pas le regarder dans les yeux, fixant obstinément le sol jonché de plein de choses. Je me mordillais la lèvre inférieure, comme à chaque fois que j'étais préoccupée. Je ne voulais pas qu'Arthur m'en veuille d'avoir dit ce que je lui avais fait juré de ne rien dévoiler. Mais j'en avais assez.

Assez de tout ce cirque. Assez de ne plus avoir ce rapport innocent avec lui, comme autrefois où il nous arrivait de dormir ensemble, comme deux enfants. Aujourd'hui, je sentais que je n'en avais plus le droit. J'étais devenue adulte, lui l'était déjà depuis un peu plus longtemps.

Puis le temps des incertitudes avait assez duré ! Je relevais la tête pour lui lancer un petit sourire timide, et je posais ma main sur la sienne pour la serrer.

- Tu t'éloigneras jamais, hein ?

C'était une voix de petite fille qui sortait de ma gorge, mais je ne pouvais l'empêcher. S'il fallait que je le supplie pour ne pas qu'il me tourne le dos, je n'hésiterai pas une seconde. Car je ne pouvais pas imaginer ma vie sans lui... En tant que frère bien sûr ! L'idée de... Ha non ! Non non non ! Je ne pouvais pas penser à autre chose ! Arthur était mon frère, bon sang ! Et même s'il devenait de plus en plus beau au fil des années, je ne pouvais le considérer autrement, ce n'était pas sain, mais alors pas du tout !

Finalement, elle était à côté de moi. Je remarquais que, cette fois-ci, c’était elle qui fuyait mon regard. Décidément, quelle paire on forme. J’avais posé la question qui me brûlait les lèvres et le fond de la gorge. Je n’avais pas été par quatre chemins...et la réponse fut tout aussi expéditive.
J’étais...touché. Elle avait finalement parlé...Pour moi ? La regardant, mes yeux se teintaient de reconnaissance, mais aussi, de tristesse. Je ne voulais pas qu’elle souffre pour moi. C’est à moi de souffrir pour elle, pour qu’elle s’épanouisse pleinement.
Elle soupira après avoir parlé...Moi, je me contentais d’observer à mon tour, non pas le sol, mais le mur face à moi. Enfin, la bibliothèque en bazar serait plus exacte.

« Merci...et pardon. Si je savais mieux mentir ou garder des secrets, tu n’aurais pas eut à faire ça...si je savais mieux contenir ma rage et ma haine aussi. »

A la fin de ma phrase, je l’avais regardé. Je remarquais qu’elle se mordillait la lèvre inférieure. Finalement, on a un peu les mêmes réactions quant on se triture les méninges et se fait du mal. Elle releva le visage, et l’expression qu’elle avait me poignarda.
J’en vins à frissonner à l’entente de sa voix, et lorsque sa peau toucha la mienne : sa main sur ma main. A cette vue, je ne pus que la rapprocher de moi, la garder contre moi.
Nous détachant un peu, je caressais du bout du pouce sa joue, alors que mon regard se faisait triste. Comment lui promettre ça ?

« Je ne peux pas te promettre ça Jo’...Je... »

Je marquais une pause, rajustant mes pensées. Je savais très bien que plus que Douglas, ce qui m’avait énervé c’était mon manque de retenu, mes gestes déplacés. Mon comportement, indigne de celui d’un frère.
Inspirant, je tentais de m’expliquer...de lui faire comprendre qu’il valait mieux mettre une distance entre nous, finalement.

« Je t’ai dit, tout à l’heure, que tu ne comprenais pas...tu as cru que je parlais de Lui, mais je parlais de Moi...de mes actes à ton égard. Je n’aurai pas du agir ainsi...Je ne suis pas un très bon frère, je crois. »

Me décollant d’elle, je quittais le lit et m’en allait vers la fenêtre. Regardant dehors, la chemise froissée, j’avais le bras qui tremblait alors que j’étais franc avec elle.

« Lorsque je t’avais dans les bras, je te voyais comme une femme Jo’...Et ça, je ne devrais pas en avoir le droit. Je suis malsain...peut-être même plus que Douglas. »

Car je n’arrive plus à voir ma sœur, la petite fripouille, lorsque je te regarde. Je vois la femme...belle et forte. Voilà ce que je me suis retenu de lui dire. Car je refuse encore cette pensée. Je pense...je pense que de la distance serait la seule chose qui m’aiderait : nous aiderait. Je ne veux pas l’abandonner...Mais je refuse de la blesser.

Alors qu'il me serrait de nouveau contre lui, je fermais les yeux et soupirais de bonheur... Bonheur qui se fissura très vite cependant. Alors que sa main sur ma joue faisait naître des sensations que je ne devais pas avoir, Arthur me brisa le coeur de lui-même par ses mots.

Mon sourire se perdit une fois de plus, mes yeux s'écarquillèrent de peine profonde et s'emplirent de larmes. Non, pas ça ! Il ne pouvait pas me faire ça ! Je n'arrivais même pas à protester alors qu'un trou béant se creusait dans ma poitrine. J'avais l'impression d'être rejetée par mes deux frères, qu'ils me laissaient chacun leur tour derrière eux sans même prêter attention à ce que je pouvais ressentir.

Et alors qu'il disait tout haut ce que je ressentais tout bas, je posais mes deux mains sur ma bouche pour couvrir l'exclamation qui menaçait de sortir, alors que mon coeur battait la chamade. Joie dévastatrice et frayeur immonde mêlée de dégoût, je ne savais plus à quelle émotion me vouer tellement j'étais troublée. Savoir qu'Arthur me regardait comme la femme que j'étais devenue quand moi-même je ne le regardais plus comme un frère me paraissait d'une insanité dépassant tout. On était liés par le sang ! On ne pouvait pas éprouver ce désir contre-nature !

Mais pourtant... Comme si je ne maîtrisais plus rien, je me levais pour me précipiter dans ses bras. Mes sanglots se firent poignants, je ne pouvais plus rien retenir.

- Ne m'abandonne pas... Je t'en supplie, Arthur... Ne me laisse pas...

Ma voix n'était plus qu'un murmure qui s'élevait dans la fraîcheur du soir.

[ha purée, c'est court, désolée XD]

Ne pars pas... Ne t'en vas pas... Ne me laisse pas toute seule...

Alors que je le serrai dans mes bras, j'étais bien partie pour ne plus jamais le lâcher. Il était absolument hors de question qu'il s'éloigne ne serait-ce que d'un centimètre. À cet instant, j'avais besoin de lui aussi sûrement que de l'air que je respirais. S'il me repoussait, je pensais bien ne jamais m'en remettre...

Puis fatalement, Arthur s'écarta. Au moment où j'allais protester vivement pour l'en empêcher, son regard douloureux plongea dans le mien, un regard plus lourd encore que celui de maman quand elle avait appris pour son fils aîné. Toute tentative de rébellion m'avait déserté alors qu'il penchait sa tête contre la mienne.

Ses lèvres étaient si douces, si tendres, si amères de mes larmes. Je ne bougeais plus, ne respirais plus, ne vivais plus que pour cet instant ô combien interdit mais ô combien désiré. Des cendres de mes sentiments chaotiques renaissait un feu ardent qui flamboyait avec une telle vigueur que c'en était surprenant. Mais je ne devais pas le laisser gagner, je devais absolument me contrôler... Ce fut bien l'acte le plus difficile que j'eus à affronter de ma vie.

Ne pas lever les bras pour entourer son cou, ne pas presser mon corps avide contre le sien d'un désir que je ne comprenais pas, ne pas répondre à son baiser sous peine de me perdre totalement... Il n'y eut que la dernière condition que je ne respectais pas. Comme si elle n'obéissait pas à ma volonté, ma bouche se pressait contre la sienne avec ardeur, avant de réaliser que cette scène était totalement ignoble. Comment avions-nous pu en arriver là ?

Alors qu'Arthur éloignait nos lèvres les unes des autres, je ne pus rien faire d'autre que presser de nouveau ma main contre ma bouche, les yeux écarquillés de tant d'émotions qu'il était impossible de les dissocier. Joie, dégoût, désir, colère, amour, peine, tout se mêlait dans un maelström impossible à contrôler.

Puis il prit la direction de la porte. Je ne voulais pas le retenir, je souhaitais rester seule pour ne plus penser à rien, surtout pas à mon tout premier baiser que je venais de recevoir. Mais mon corps ne tint pas compte de mes vœux et se précipitait, l'attrapant par le bras et arrêtant sa marche.

- Tu n'as pas entendu ce que j'ai dit ? Ce n'est pas un souhait que j'ai formulé, c'est un ordre !

Mon regard s'était fait implacable. Si Arthur comptait s'enfuir et partir loin de moi, il allait devoir lutter encore plus. Je ne le laisserai pas partir. Pour la première fois, je me sentais moins des instincts fraternels que possessifs envers lui, et loin de m'effrayer, cela ne fit que renforcer ma détermination. Je devais être surtout bien cinglée mais je n'arrivais pas à me raisonner.

- Tu n'as pas le droit de partir, je refuse.

Et là, je lui fis la moue qui tue : la Jordanne boudeuse qui fronçait les sourcils alors qu'elle faisait un gros caprice. En règle générale, Arthur ne résistait jamais bien longtemps avant de rire. Espérons que cela marche cette fois, il le fallait...

Je pensais fuir, loin...Je serais rentré après son départ pour l’académie...Et peut-être me serais-je arrangé avec Père pour voyager, en promulguant nos articles. J’aurais fuit...Fuit afin de ne plus être tenté. Fuir afin de la libérer de ma présence malsaine...De mon regard sur sa personne qui ne devrait être ainsi.
Pourtant, je sentis une pression sur mon bras. Baissant le regard, j’y vis sa main, sa main qui me retenait. Je me suis retourné vers elle, le regard brûlant d’incompréhension. Ne me haïssait-elle pas ? Je venais pourtant de commettre un acte ignoble, un acte qu’aucun frère ne devrait jamais faire subir à sa sœur. C’est interdit...contraire aux normes. Alors...Pourquoi ?

Sa voix résonna dans ma chambre, et je ne pus qu’écarquiller les yeux. Je voulu parler, répondre, mais les sons ne quittèrent pas ma gorge.
Je la dévisageais, je cherchais à comprendre pourquoi elle ne cherchait pas à me chasser. N’avais-je pas agit de façon à ce qu’elle me déteste, et que ma fuite me semble moins pénible ? Je sais que je suis lâche, que je n’assume pas, mais j’avais espoir qu’elle me permette de continuer à me voiler la face, à fuir. Pas qu’elle me retienne, me garde prés d’elle.

« Tu ne me déteste pas ? »

Je ne comprenais pas. Même s’il s’agissait d’une question, c’était proche d’une affirmation. Là, je vit son regard alors qu’elle commença à bouder.
Cette façon de bouder...J’eus un premier soubresaut de rire, puis un second. Un rire, nerveux, quitta mes lèvres alors que de mes yeux glissaient quelques larmes perdus. Je pleurais ? Il semblerait...Je pleurais de détresse, et riais de joie. J’avais...mal. Et, en même temps, j’étais joyeux. Passant ma main sur mon visage, je tentais de me calmer...Finalement, je l’a prit dans mes bras, mon rire se calmant, mes larmes se tarissant. Je finis par demander au creux de son oreille.

« Que dois-je faire pour pouvoir rester ? Ai-je vraiment le droit de rester ? Je ne veux pas te laisser...Je refuse... »

Je la gardais prisonnière de mes bras. Mon dos était contre la porte de ma chambre...la poignée s’enfonçait un peu dans mon dos d’ailleurs, mais je n’en avais cure. Je sentais mon cœur se calmait, juste en la gardant dans mes bras. Pourtant, je ne devrais en avoir le droit...Que faire finalement ?

Cette soirée était décidément bizarre à plus d'un titre. Alors que je voulais le fuir, je me retrouvais à retenir Arthur pour ne pas qu'il m'abandonne comme Douglas l'avait fait avant lui. Et même si je ne devrais sûrement pas, je commençais à regretter d'avoir vendu la mèche. Ça n'aurait certainement pas abouti à une série de bêtises toutes aussi grosses les unes que les autres.

Mais pour le moment, je me contentais de soupirer de soulagement. Arthur avait fait demi-tour et me serrait maintenant contre lui. Je fermais les yeux, savourant son contact chaleureux que je n'aurais pas dû trouver si attirant. Chassant résolument ces pensées impures de mon esprit, je me contentais de sourire de nouveau en l'entendant annoncer que je ne le détestais pas.

Comment aurais-je pu le détester ? Il faisait parti de moi, comme Ifrit faisait parti de moi, comme nos parents, comme Douggie (mais ça, je le gardais bien entendu pour moi). L'entourant de mes bras, je posais mon oreille sur son coeur, l'entendant battre à un rythme de moins en moins rapide. Il se détendait et entraînait sans le vouloir mon propre coeur à se calmer aussi. Si nous pouvions rester ainsi pour l'éternité...

Mais ce n'était pas possible.

- Pourquoi t'en voudrai-je ? Je ne peux pas. Je n'ai jamais réussi à t'en vouloir pour quoique ce soit, pourquoi ça devrait commencer maintenant ?

Même alors que j'aurais dû lui en vouloir, c'était de la tendresse que j'éprouvais envers Arthur. Il aurait d'ailleurs pu en profiter mais ne l'avait jamais fait, il était trop fier et droit pour ça.

- Ne fais rien. Tu n'as rien besoin de faire. Même loin, tu as toujours été près de moi, pourquoi ça devrait changer ?

Je lui souriais tendrement et blottissais de nouveau ma tête contre son torse, appréciant enfin ce calme après un immense tsunami qui avait bien failli tout emporter sur son passage.

Je la gardais prisonnière, le tissu de son pyjama contre ma peau. Son visage, contre mon torse que la chemise ouverte ne cachait que moyennement. Je...Je savourais cet instant : ce calme. Une tempête de sentiments n’avait eu de cesse de me tourmenter, depuis que je m’étais rendu compte que je ne la voyais plus comme un frère regarde sa sœur, mais plus comme un homme regarde une femme.
J’ignore le nombre de gifles mentales que je me suis mis, le nombre de sermon que je me suis fait, le nombre d’heures que j’ai passé en plus à me noyer dans le travail de forge.
Mais là, présentement, même si j’étais complètement perdu sur ce que devrais être mon rôle, mon comportement, elle me disait, m’ordonnait même, de rester prés d’elle. Cela, tout en sachant pour ma tare. Ne serais-je pas le seul tiraillé ?
Pourquoi commençait à me haïr ? Je gardais le silence, savourant sa présence. Puis, elle me demanda pourquoi les choses devraient changer entre nous. La regardant tendrement, je répondis directement, de ma franchise habituelle.

« Car je doute de pouvoir te voir comme ma sœur désormais...Je doute de pouvoir te voir autrement que comme une femme. Que comme La Femme qui me fait perdre la notion des réalités... »

Oui...Si j’avais encore ces notions, je ne la garderais pas prisonnière contre moi. Je ne l’aurais pas embrassé...et je ne serais pas heureux juste car elle m’a retenu, et qu’elle se sert contre moi. Je ne ressentirais pas tout cela, si j’avais encore la notion des réalités, de ce que veux la norme.
J’ai entendu que dans le Nord, en Nordheim, les couples de l’aristocratie sont généralement issu de la même lignée à quelques degrés prés. Cousins et cousines...Frères et Sœurs. Je trouve ça horrible...Et puis, nous, nous sommes de Narthan et loin d’être des Nobles.
Leur folie à eux peut « passer »...La notre ne peut que se voir cracher dessus et traiter de déviance.
Caressant ses cheveux du bout des doigts, je vins à ajouter.

« Malgré ça, me garderas-tu prés de toi ? Ne fut-ce que...comme un frère ? Je ne peux pas te demander de me regarder comme un Homme qui te courtiserait...Cela serait déplacé de ma part. Alors, accepterais-tu de me garder malgré tout ? »

Alors que j’attendais une réponse, un bruit se fit entendre à la porte. On toqua, et le mouvement de poignée fut enclenché, mon dos ne pouvait le nier. Je la relâchais, tristement. Et avant que la porte ne s’ouvre, je lui murmurais :

« J’attendrais ta réponse, ne fut-ce qu'en écris...mais réfléchis-y : sérieusement. »

Là, alors que je m’étais écarté d’elle, se trouvait Mère qui nous regarda un peu surprise. Son regard passa de Jo’ à moi. Elle dût voir les traces rouges des larmes de ma sœur...Moi, je n’ai versé que quelques larmes. Mes yeux étaient loin d’être gonflé comme les siens.

« Arthur ! Ta sœur part demain, et tu l’as encore fait pleurer ?
- C’est...compliqué. Mais, rassures-toi maman...Je crois que je peux dire que nous nous sommes réconciliés. Enfin...Je crois. Jo’ ? »

Je voulais qu’elle rassure notre mère...Et puis, honnêtement, je me demandais si elle m’avait pardonné. Moi, en tout cas, je ne pouvais pas lui en vouloir. Non, déjà au début je n’en voulais qu’à Douglas, pas à elle.

Au moment où je souhaitais lui dire que je n'avais pas besoin de temps pour réfléchir, maman toqua à la porte et entra, ce qui laissa toutefois le temps à Arthur de me lâcher. La chaleur de son étreinte me manquait déjà et je n'avais qu'une envie, me serrer de nouveau contre lui. Mais la présence de notre mère compliquait la tâche. Nous avions passé l'âge des embrassades pour rien.

Je leur offris un sourire authentique, comme le soleil après une pluie cinglante et froide. Ma tristesse avait disparu, stupidement remplacée par ce sentiment nouveau que je me refusais encore à nommer pourtant. Je ne pouvais pas me laisser aller, mais c'était plus fort que moi. Savoir que mes désirs secrets et inavoués étaient partagés me mettait du baume au coeur.

- T'en fais pas, m'man. Tout ira bien maintenant !

J'utilisais sa propre maxime dont elle me faisait part à chaque fois qu'il se passait quelque chose de malheureux. Elle me sourit à son tour et pressa sa main droite sur la joue d'Arthur, et sa gauche sur la mienne.

- Alors c'est bien. Maintenant, il est l'heure de dormir.

Puis elle nous relâcha.

- Oui, m'man, j'allais justement rejoindre ma chambre !

Me tournant vers Arthur, je lui lançais un regard franc et agréable, comme je le faisais d'habitude, mais en cachant mes sentiments tous neufs. Me hissant sur la pointe des pieds, je déposais un baiser sur sa joue, pas le baiser rapide genre "houlà, j'vais me brûler !", non. Sans être trop long non plus pour ne pas éveiller les soupçons, je m'appliquais à retenir son goût et son odeur. J'allais sûrement être punie pour un tel acte mais je m'en fichais royalement.

- Bonne nuit, grand frère. Je t'écrirai à mon arrivée à Lindorm.

Pour notre mère, c'était une habitude. Mais pour nous, c'était ma réponse à sa question, comme mon regard pour lui le laissait entendre. Puis je lui fis une petite pichenette sur le nez, rien de méchant, mais c'était une autre habitude. En riant, je sortis de la chambre, suivie de maman qui ferma la porte en disant bonne nuit à son tour à Arthur.

- Jordanne...

Ce ton me fit piler net, mélange d'incertitude et d'inquiétude. Me retournant, j'observais maman qui me lançait un regard plus qu'étrange. Je ne comprenais pas et haussais les sourcils.

- Maman ? Ça ne va pas ?

- Si si, ce n'est rien, ne t'inquiètes pas.

Puis elle me sourit de nouveau. J'eus un instant la peur qu'elle eut découvert notre secret à Arthur et moi, puis me dis que non, elle me l'aurait sans doute dit. On ne se cachait pas grand chose dans la famille. Mais je ne pouvais me défaire de la sensation qu'elle avait essayé de me dire quelque chose... Enfin, je me trompais sans doute.

- Bonne nuit, ma chérie. Essaie de ne pas t'endormir trop tard.

- Je suis épuisée, je pense que je vais fermer les yeux sitôt que ma tête aura touché l'oreiller ! Bonne nuit maman, à demain.

Elle me serra de nouveau dans ses bras et m'embrassa le front. Puis elle se détourna et descendit à nouveau les escaliers tandis que je m'enfermais dans ma chambre. Touchant du bout des doigts mes lèvres brûlantes, je fermais les yeux et inspirais vivement. On allait sûrement être sévèrement châtiés pour ça mais j'avais sans aucun doute perdu la raison car je n'arrivais pas à m'en persuader...

Puis je me mis au lit, regardant le plafond en attendant que le sommeil vienne. Demain, il serait temps d'affronter la réalité.

Je sentais un poids en moins dans mon estomac lorsque Jordanne confirma que tout allait bien, désormais. Je savais que tout n’étais pas « Bien »...Mais je me sentais heureux de savoir qu’elle m’avait pardonné.
J’avais compris, à son regard, qu’elle savait déjà quoi me répondre. Que j’aimerais être aussi sûr de moi, qu’elle peut l’être d’elle-même. Mais moi, je vivais toute l’année durant chez nos parents. Cacher mes sentiments pour Jo’ ne sera pas chose aisée. Je sais que je vais devoir faire attention à ce que mon comportement ne devienne pas plus ambigu qu’il ne l’est déjà. Et puis, sa réponse m’éclairera et me refroidira sûrement.

La main de mère se posa sur nos joues, à tous les deux. Je souris à Mère, d’un vrai sourire. J’étais de nouveau plus léger...Et je pouvais savourer cette caresse d’une mère à son fils. Pourtant, au fond, j’avais peur qu’un jour elle découvre ce que je venais de faire à ma sœur, sa précieuse fille.
Le baiser que j’avais littéralement volé à celle qui réveillait en moi un mal certain.
Je rigolais un peu à la remarque sur l’heure, et c’est le ton léger et avec un clin d’œil que je répondis à ma mère :

« Il est encore un peu tôt quand même !
- Arthur...
- Je rigole maman. Je dois finir quelques croquis pour le projet de forge d’un client, et j’irais me coucher après. »

Ma réponse sembla mieux lui convenir que ma petite blague qui avait donné naissance à un ton du genre « mon fils, il n’y a pas d’âge pour que je t’ordonne d’aller au lit ».
Elle est tellement protectrice avec nous...Que je me sens mal d’ainsi aller contre sa confiance en...en...en aimant ma sœur de façon malintentionnée.

Jordanne vint me dire bonne nuit. Ses lèvres sur ma joue...Je l’étreignis fugacement, savourant une dernière fois sa chaleur contre ma peau. Son parfum vint fugacement se graver dans ma mémoire quant elle me relâcha.
J’avais aussi le fait que je recevrai du courrier avec la réponse à mon avenir parmi eux, ou sans eux. Elle sortit de ma chambre, mère la suivant. Je fermais la porte, et finissait par m’adosser au mur...le cœur battant. J’avais le bras qui tremblait, j’avais craint de ne faire une erreur en présence de notre mère. Je passais mes doigts sur ma joue, où je pouvais encore sentir les lèvres de Jordanne. Soupirant, je me détachais du mur pour attraper un fusain et du papier, et me remettre sur la bordure de fenêtre. Les bougies se fanaient petits à petits, mais j’avais assez d’éclairage pour terminer mon travail.

« Arthur...
- Maman ? Qu’y a-t-il ?
- Votre dispute avec Jo'...Quelle était-elle réellement ? »

Je pouvais voir et entendre l’inquiétude de mère dans son regard. Soupirant, je savais que je ne pouvais pas dire mes raisons...Mais je pouvais dire autre chose, de tout aussi vrai. Il était le déclencheur.

« Nulle autre que Lui, maman. Jo’ est adorable et...je pense qu’elle ne comprenait pas mon éclat de rage. Elle m’a mal interprété et...le final vous le savez, papa et toi. Nous nous sommes mutuellement excusés, c’est tout.
- Je vois. Bien, ne travaille pas trop, et repose-toi Arthur. On a tous besoin de repos je crois...
- Oui, merci maman. »

Son ton avait semblait moins inquiet, plus léger après que j’eus parlé. Je sentis mes muscles se détendre...j’avais eu peur qu’en fait, elle nous ait entendu, ou ai des doutes. L’intuition d’une mère peut-être redoutable après tout.
En tout cas, travaillant, je passais une nuit blanche pour ne m’endormir qu’à l’aube. Je ne vis pas même le départ de Jordanne à Lindorm...Et je craignais mon avenir.