[CLOS] Bien démarrer l'année.

Le cours venait de se terminer. Le premier de l'année, avec les cinquièmes année. Cela avait permit à Brynn de voir ce qu'allaient valoir les prochaines recrues du service militaire. Si certains sortaient clairement du lot, d'autres étaient... Une catastrophe en maîtrise du don offert par leur dragon.
Malheureusement pour la jeune femme, son cousin était de ceux-là.

Le cours avait été fatiguant, pour elle qui n'avait pas l'habitude d'être enseignante, entre les élèves qui avaient ouverts de grands yeux en la voyant, persuadés d'avoir à faire avec une élève - ce genre de méprise n'était pas rare et la faisait invariablement rire - et ceux qui étaient visiblement ailleurs pendant ses explications plus théoriques.

Pour ce premier cour, elle n'avait pas demandé grand chose, elle devait déjà découvrir les dons de chacun et leur niveau de maîtrise face à un ordre simple. Elle avait donc convenu d'un exercice binaire : parer et attaquer en utilisant son don. C'était on ne peut plus simple pour des élèves à ce niveau mais un en particulier s'avéra parfaitement incapable de faire quoi que ce soit, ni en attaque, ni en défense. A croire que Sloann n'avait pas une goutte de sang Cuinn dans les veines. Pourtant ses cheveux bicolores trahissaient son ascendance. Il était agaçant de constater que le pire élève de sa classe était de son lignage - c'était presque une insulte à sa propre maîtrise de son Don.

Ce fut donc sans surprise pour les autres élèves qui s'en étaient tous plus ou moins bien sortis - qui avaient pu au moins faire quelque chose, même en ratant l'attaque ou la défense, voir les deux mais en démontrant de leur Don tout de même - qu'elle soupira : "Monsieur O'Leary. Veuillez rester après le cours, s'il vous plait."

Polie, aimable, Brynn ne déviait jamais de la plus parfaite maîtrise d'elle-même et de son vocabulaire - sauf sur un champ de bataille où tout ce qu'elle contenait en elle avait tendance à se déverser dans l'adrénaline - et son sourire était plus aimable que réprobateur. Cependant, seul Hagen aurait pu lire dans ses yeux une pointe de déception. Son cousin semblait être passé du statut de type à problèmes à celui de limace lymphatique.
Finalement, le cours se termina sans heurts majeurs ni explosion non canalisée - et cela était plus qu'heureux vu la terreur du feu de la jeune professeur qui avait déjà du mal à supporter les dons des Ignis.
Alors que chacun revenaient vers l'académie, Sloann s'avança vers elle, seule à présent au milieu de l'herbe. Ils avaient eu la chance qu'il fasse beau et un temps clément de septembre océanique. Elle ne portait qu'une robe de toile blanche et un chapeau assorti, ainsi qu'un léger châle. Ses bottines solidement campées, son maintient était cependant des plus martial. Elle se définissait volontiers comme une arme de forme humaine. Une arme au fourreau est une bien triste arme. Seule sa rapière, dont la garde ouvragée scintillait sous le soleil dépareillait sur sa tenue civile. Elle se sentait nue sans elle, elle qui l'avait depuis sa prime jeunesse. Quand au pendentif de jade, son cœur nervuré brillait d'un feu vert et ardent.

"Pourquoi n'avez-vous pas exécuté mes consignes ?" Le ton était donné. Rigide, malgré son sourire, comme un fossé immense entre eux. Et ses cheveux verts, pleinement verts, oscillaient dans la brise.

Les mains dans les poches de son pantalon large de toile noir, Sloan avait rejoint le terrain d'entrainement pour le premier cours de maîtrise du don de l'année, suivant à distance respectable, la masse de ses camarades de 5ème année. Déjà posté près du terrain, Vhaxas, le dragon vert et doré de Sloan, attendait avec impatience le début du cours. Bien plus assidu que son allié, le jeune dragon semblait heureux de revoir Bryne et tremblait d'excitation à l'idée d'assister aux démonstrations des dons de tous ces humains qu'il côtoyait depuis maintenant six ans. En apparence cependant, Sloan et Vhaxas étaient très différents, car fidèle à ses habitudes depuis plusieurs années, le jeune homme ne montrait que peu de motivation pour les cours, se montrait fort distant avec ses camarades et semblait aussi énergique qu'une moule accrochée à un rocher. C'est la voix de son professeur qui lui fit lever la tête et porter un semblant d'attention, pour quelques minutes au moins. Bryne n'était vêtue que d'une robe claire et légère qui laissait entrevoir ses formes, portant un chapeau sur la tête d'où s'échappait une longue chevelure aussi verte que les quelques mèches sur sa propre tête. Sloan se prit à se demander si ses cheveux avaient toujours été de cette couleur là, ou si elle aussi avait changé en rencontrant son dragon, et quelle était sa vraie couleur. Tout à ses pensées, le Terra n'entendit même pas la consigne simple donnée par sa cousine et professeur, mais cela ne le fit pas paniquer pour autant. S'écartant un peu du groupe, il se rapprocha de Vhaxas et s'accouda à une barrière, tournant presque le dos à la classe et au cours qui se déroulait près de lui. Vhaxas le sermonna avec quelques mots bien placés, ce qui eut pour effet de renvoyer Sloan vers le groupe parce que c'était son tour de faire la démonstration de son don.

Mais le poids de tous ces regards sur lui, et l'attention de Bryne tout particulièrement eurent pour effet de le déstabiliser et il put à peine faire trembler la terre sous ses propres pieds. Il s'en sortit avec quelques hématomes et égratignures, ayant été incapable d'ériger le fameux mur qui normalement lui permettait de se protéger des attaques. Rejetant quelques mèches de ses cheveux derrières ses épaules, il se releva et s'en retourna vers son dragon qui lui faisait les gros yeux, la déception et la colère se lisant dans le regard de celui-ci. Sloan n'osa même pas regarder Bryne et s'assit en attendant la fin du cours.

Les autres étaient en train de repartir vers l'académie quand Sloan se sentit poussé par une patte griffue, et entendit son nom. Observant autour de lui, le jeune homme se rendit compte qu'il était désormais seul et que Bryne souhaitait lui parler. Bien campée sur ses deux pieds, l'héritage familiale attachée au côté comme pour narguer le jeune O'Leary, Bryne attendait des explications. Elle employait un ton formel et malgré le sourire qui déformait ses lèvres, Sloan n'était pas dupe. Sloan se leva et s'approcha de Bryne, les mains dans les poches, le dos voûté, la tête basse. Le reproche dans la voix de sa cousine était autant de couteau dans le ventre de Sloan et il serra les poings, se mordit la langue. Si en apparence le jeune homme était devenue stable et calme, c'était un vrai chambardement en lui, mais ça, même Vhax le soupçonnait à peine.

-Je peux pas utiliser mon don à volonté. Désolé. Répondit-il simplement, en marmonnant entre ses dents de vagues excuses qui n'avaient pas lieu d'être. Il avait envie de lui dire qu'il était heureux de la savoir en vie, et qu'il était content de la revoir, qu'il aurait aimé apprendre à mieux la connaître, mais il sentit que ce n'était ni le moment, ni le lieu pour cela. Après tout, peut-être ne pourraient-ils jamais avoir une vraie relation de cousin à cousine. Cette idée lui tordit l'estomac.

-Content que tu ailles bien... marmonna-t-il encore, incapable de se retenir. Il jeta un bref coup d'oeil à son dragon. Celui-ci lui lança un clin d'oeil, et hocha une fois la tête, en signe d'approbation. Mais que pouvait bien savoir un jeune dragon solitaire sur les relations entre humains ?

Bryne attendait que ce jeune délinquant prenne la parole, droite, comme au garde-à-vous. les habitudes martiales ne se perdaient pas en quelques jours et son regard d’émeraude était fixé sur le jeune homme. Qu'il soit de son sang - même de loin - était proprement sidérant et, alors qu'elle posait sa question, elle s'attendait à tout sauf à cette réponse. Ses sourcils se levèrent si haut de surprise qu'ils disparurent presque sous ses mèches de cheveux et elle fut un instant désarçonnée par ce qu'affirmait Sloann.

Alors voilà c'était simplement ça : il ne pouvait pas utiliser son don sur commande et en était juste désolé, comme l'on s'excuse d'avoir passé son bras devant un voisin de table ? Bryne l'aurait volontiers mis au pas mais il n'était pas question de s'emporter ainsi, ce n'était pas professionnel et encore moins pédagogue.

Toute à sa colère, elle faillit ne pas entendre le marmonnement qui suivit. Il... Quoi ? Si cela aurait été touchant, d'une certaine façon, c'était presque insultant dans la bouche de son cousin. Comme si elle aurait pu aller mal. La gloire ultime, une mort au champ d'honneur. Une blessure de guerre, une décoration. Cela si tant est que l'on soit intègre dans sa propre tête et non enclin à l’apitoiement comme une bonne partie du corps enseignant local. Elle mettait un léger bémol sur Jan, son ancienne professeur d'histoire-géographie et à présent collègue : son discours de début d'année révélaient qu'elles étaient d'une même avis. Au moins une de moins dans le camp des idéalistes et des blessés dépressifs.

"Naturellement, je vais aussi bien que possible." Dit-elle d'un ton tranchant, gardant le menton haut et la tête droite. C'était en partie faux : la paix lui pesait et son retour du front était éprouvant pour se réhabituer à la vie civile - et aux courriers des O'Cuinn qui étalaient leur fierté à son endroit et leurs bons voeux. Elle faisait ce qui était bon pour l'honneur de la famille, dont le blason s'était redoré en partie et ce, grâce à elle. Les Disgrâciés des Dragons avaient de nouveau une dragonnière et l'on parlait de lui trouver le meilleur parti possible.
Ho, assurément, elle l'épouserait, c'était son devoir. Mais quant à aimer quiconque... c'était là une autre histoire.

"Monsieur O'Leary. Il est impensable que vous soyez en dernière année et parfaitement incapable, selon vos dires, de maîtriser votre don. L'année prochaine, si vous ne redoublez pas encore, les personnes face à vous ne seront pas disposées à vous faire le moindre cadeau à moins que vous ne vous dirigiez vers une carrière d'officier stratège mais vous ne semblez guère plus porté par ceci que par votre inaptitude en Don." Elle se coupa un instant. Elle s'exprimait comme le capitaine qu'elle était quelques semaines encore auparavant. La discipline et l'ordre... Quant à la familiarité il ne fallait pas y compter : son cousin l'avait autrefois chassé comme une malpropre alors qu'elle venait faire connaissance en toute cordialité et Bryne avait la rancune tenace concernant ce genre de choses.
"Mais il ne sera pas dit que je laisserais un dragonnier de notre sang gâcher bêtement ses chances de briller. Vous viendrez tous les matins à cinq heures précises sur ce même terrain. Je serais bien damnée si vous n'appreniez pas à faire quelque chose de vos facultés." Puis elle ajouta, peut-être avec plus de douceur, bien que son ton resta si terriblement formel : "Comprenez, Monsieur O'Leary que je prend sur mon temps personnel d'entraînement pour superviser le vôtre. Ne me faites pas regretter cette décision."

Elle avait beau être petite et mignonne, Bryne savait aussi être une force de persuasion et s'entêterait aussi longtemps qu'il le faudrait...

Le ton, sec et clinquant, les paroles, froides et distantes, tout cela était autant de lames de rasoir sur son âme, comme si elles avaient lacérées sa peau à vif. Depuis plusieurs années maintenant il se montrait poli quand il avait appris qu'il fallait l'être. Il disait "bonjour" et "au revoir". "S'il vous plait" et "merci". Il se montrait un minimum attentif aux personnes qui lui parlaient, et à qui il répondait, parce qu'on lui avait dit que c'était ainsi qu'on se comportait en société. Les sourires faux il en était incapable cependant, contrairement à ses parents et personne ne le lui avait demandé. Il ne demandait pas la reconnaissance. Il ne voulait pas qu'on s’apitoie sur son sort ni qu'on le remarque forcément. Au contraire. La plupart du temps il ne souhaitait qu'être aussi petit qu'une souris pour se glisser dans un trou et qu'on l'oublie.

Mais pas avec Bryne.

Elle lui avait manqué mais elle, pendant tout ce temps, n'avait gardé de lui que l'image violente et amère qu'il lui avait montré il y a cinq ans. Bryne gardait ses distances, le vouvoyant comme n'importe quel autre élève, et s'adressant à lui comme un parfait inconnu. Pas comme s'ils étaient de la même famille. Il sentit un pincement plus aigu dans sa poitrine et sa gorge se resserrait. Derrière la barrière de bois, le dragon s'était hérissé. Dans les poches de Sloan, ses poings s'étaient resserrés. Avait-il seulement conscience qu'en ce moment il se contrôlait, et empêchait son don de se déverser sur sa cousine pour la blesser et lui prouver qu'elle avait tord ?

Peu probable.

La seule chose dont il avait conscience, c'était son rythme cardiaque qui s'affolait anormalement, et sa respiration qui s'accélérait anarchiquement. Il avait l'habitude qu'on le menace. Depuis six ans, même si c'était moins courant à l'heure actuelle qu'en première année, les professeurs le rabrouaient pour la plupart quand c'était nécessaire, tentaient de l'intéresser aux cours, de le motiver. Certains le mettaient en retenue régulièrement, d'autres lui faisaient faire de petits travaux pour l'académie. Mais il n'avait pas l'habitude d'être rabaisser de la sorte. Il avait conscience que cela aurait pu être pire. Bryne aurait pu lui faire la leçon devant toute la classe, lui foutant la honte de sa vie une bonne fois pour toute.

Il mordilla nerveusement l'anneau à sa lèvre inférieure jusqu'à s'en irriter et se faire saigner une unique perle carmin. La douleur prenant place de la colère dans son esprit, il tourna la tête vers Vhaxas toujours sur ses gardes non loin, près du terrain. Sloan plissa les yeux et lui envoya un regard qui en disait long. Pas besoin de mot pour que le jeune dragon comprenne et s'en aille voir ailleurs si ils y étaient.

Il se retourna un peu brusquement à la demande de Bryne et écarquilla ses grands yeux verts sous ses mèches de même couleur, alors qu'il essuyait la goutte de sang avec son pouce.

-5h ? Tu... vous... êtes sérieuse ? Ok ok, pas besoin de... 5h... Waow.

Ses mains se détendirent dans ses poches et il les sortit pour aller les passer derrière sa tête, rejetant cette dernière en arrière, offrant au ciel dégagé ce jour-là, son rire si précieux parce que si rare. Il était pourtant sincère. Si Bryne voulait perdre son temps avec lui, comme elle voudrait. Pour ce que ça changerait. Mais au moins aurait-il l'occasion de voir sa cousine plus souvent, et même, l'aurait-il pour lui tout seul dans ces moments-là. C'était inespéré, bien que dérangeant. Lui qui avait l'habitude de se lever à peine une demie heure avant les cours... Il se rendit soudain compte que cela ne faisait pas rire sa cousine. Il se reprit bien vite alors et croisa les bras, avant que la colère de l'officielle héritière ne sorte vraiment de ses gonds.

-Hum... mouais. 5h donc. ok. Je vois pas bien... Je veux dire, je ne suis pas sûr que ça serve vraiment à quelque chose. Aucun professeur avant vous n'a réussi à me faire utiliser ce putain de don à volonté, même dans les meilleurs moments avec mon dragon. Pourquoi ce serait différent avec toi... vous ? Vous vous croyez si supérieure à tous les autres ?

A l'époque, il n'avait pas vraiment écouté ce que Bryne lui avait révélé de sa famille et de la branche officielle des héritiers dragonniers. Si la jeune femme était venue lui en parler aujourd'hui, les choses auraient été différentes, mais Sloan doutait qu'elle voudrait bien lui refaire un cours d'histoire généalogique, juste parce qu'il le lui demandait. Il devrait donc faire un effort de mémoire et se rappeler ce qu'elle lui avait dit. Bon sang que la vie était compliquée ! Qu'est-ce qu'il faisait à Lindorm déjà ? Ah oui... il sauvait sa peau, et celle de son dragon dans la foulée.

Bryne était-elle au courant de son passé criminel ? Et si c'était le cas, le croyait-elle coupable du meurtre dont on l'accusait injustement ?

Pour Bryne, Sloann n'était qu'un gamin immature, qui n'en faisait qu'à sa tête. Lors de la première année du jeune homme, elle lui avait tendu la main, mais c'était vue repoussée. C'était une chose que Bryne n'oublierait pas. Elle ne tendrait plus la main... A moins qu'elle ne le fasse à présent de manière totalement détournée ? Au fond, n'étais-ce pas de la sollicitude, cachée derrière cette air glacial ?

Bryne se souciait peu des rumeurs sur le garçon et l'histoire de meurtre, tant qu'elle ne serait pas effectivement prouvée par des faits tangibles, resterait une simple rumeur. Elle ne souhaitait s'en mêler, ce n'était ni son rôle, ni sa fonction. Pour peu que son cousin soit effectivement un criminel, elle le châtierait alors ainsi qu'il le mériterait. Par la mort, simple et claire, en le passant au fil de sa rapière, afin de laver à jamais l’opprobre qu'il amènerait inévitablement avec lui.
Bryne avait restauré les Disgraciés des Dragons à Keven, grâce à Hagen, grâce à ses propres efforts. Elle ne saurait souffrir qu'un pareil gamin remette en cause son travail depuis enfant. Au fond, les on-dits ne l'intéressaient pas le moins du monde et elle considérait la famille de Sloann comme des bons à rien et des m'as-tu-vu. Les O'Leary n'étaient jamais que des parasites se débattant dans l'ombre, et cela ne saurait changer. Ils se piquaient de leur infortune alors que nul d'entre eux ne tentait seulement de répondre aux calomnies du petit peuple par la grandeur et l'honneur.

Quant à Sloann, c'était un paresseux. Un gamin irritant, qu'elle dresserait comme elle avait dressé les gamins sous ses ordres tout au long de sa carrière.
Elle ne prit même pas la peine de répondre à ses balbutiements concernant l'heure de leur rendez-vous quotidien. Cinq heures, précises. Gare s'il était en retard. Elle n'aurait aucun scrupule à lui imposer le double de travail, dût-elle le voir soirs et matins.
Alors qu'il se renfrognait, se lamentant sur son incapacité que nul n'avait pu guérir, et qu'il osait seulement remettre en cause le fait qu'elle soit effectivement meilleure que les autres, elle demeura droite, de glace, seuls ses cheveux ondoyant légèrement, d'un vert éclatant dans l'air du soir.

"Seul l'essai me donnera raison ou tord concernant ma présomption d'être effectivement meilleure que les autres." Dit-elle d'un ton rigide, son regard émeraude fixant son cousin sans ciller, véritable femme de poigne sous ses dehors faussement sociaux et mondains. "De plus, il est avéré que l'ancien professeur de Don était un incapable. Je le sais pour l'avoir eu, au cas où vous l'auriez oublié." Elle marqua une pause, tranchante comme une lame affûtée.
"N'eut égard à votre nom si malheureusement associé au mien, je vous aurais considéré comme quelque poids mort pour ma classe - il faut bien des derniers et des premiers - aussi considérez cela comme une chance de faire pour une fois preuve de jugeote."
Qu'elle était dure, cette femme de fer, cette femme de batailles et de fureur froide... Nul sourire cette fois, elle fixait Sloann comme elle aurait fixé quelque recrue dissidente.
"Vous avez refusé de vous intéresser à votre famille, par le passé. Vous pouvez aussi refuser ces cours supplémentaires. Cependant, sachez qu'alors, vous serez mort à mes yeux. Vous êtes un cancre et un gamin. Je suis anciennement Capitaine et je suis votre professeur principal. Désobéissez lors de nos entretient et je ne vous traiterais guère mieux que nos déserteurs et brebis galeuses. Est-ce bien clair, monsieur O'Leary ?"
Jamais Bryne ne balbutiait, jamais elle ne flanchait, pas même en sous-effectifs en plein cœur du combat. La gloire se gagne dans l'honneur et la droiture. Son cousin l'apprendrait, qu'il le veuille ou non.

Ses bras toujours croisés sur son torse, le jeune O'Leary reprenait son air morne coutumier, tout en prêtant une oreille attentive à sa cousine. Apparemment, elle était belle et bien persuadée d'être meilleure que tout le monde, que les autres professeurs de maîtrise du don tout du moins, et ne s'en cachait même pas. Pouvait-on se montrer aussi sûr de soi ? Était-ce seulement autorisé ? Sloan avait bien du mal parfois avec les conventions et les moeurs de la société, car même s'il n'avait pas été un orphelin grandissant dans la rue et chapardant quelque étalage pour survivre, c'était tout comme, et les exemples qu'il avait suivis depuis son enfance n'étaient pas des meilleurs, il le savait aujourd'hui. Avait-il vraiment eu le choix, garçon à peine âgé de six ou sept ans quand il avait été enrôlé par cette organisation criminelle de bas étage, délaissé par des parents à peine mieux que les voleurs et assassins dont il avait suivi le code pendant de nombreuses années ?

Aujourd'hui s'il n'était plus ce garçon impétueux, volant et kidnappant de pauvres innocents, il n'en était pas moins un gamin paumé qui ne se trouvait pas vraiment à sa place dans une académie militaire, dont il rejoignait les idéaux uniquement pour sauver sa peau. Alors, la discipline et la rudesse de sa cousine ne l'atteignait pas tout à fait comme elle l'espérait sans doute, prenant les remontrances et les invectives à peine plus que comme des punitions, comme s'il avait fait une bêtise et qu'on lui imposait le bonnet d'âne et le coin pour avoir embêter ses camarades ou obtenu de mauvaises notes.

Pourtant, il se plierait à ce que lui demandait Bryne, parce qu'elle était son professeur, son professeur principale mais également sa cousine et il ne désirait rien de moins que lui être agréable, après l'avoir tant déçue, rien que par son existence. Il tenterait bien de lui faire changer sa vision qu'elle avait de lui, même s'il n'était pas convaincu d'y parvenir un jour. Qu'était-il après tout ? Le fils de personnes fort peu recommandables et qui se targuaient de faire le bien en Keven, alors que tout n'était que magouilles et coups tordus pour défaire les Grands et prendre leur place. Il y avait six ans qu'il n'avait pas donné de nouvelle à ses parents, préférant faire comme s'ils étaient morts plutôt que de tenter de leur pardonner. Son père l'avait condamné à mort sans chercher à savoir ce qu'il s'était passé réellement et sa mère, aussi pourrie que son mari, ne s'était intéressée à son fils que lorsqu'il avait été la promesse d'un avenir de grandeur en rencontrant son dragon...

Les mots de Bryne résonnaient comme des dagues acérées mais Sloan savait qu'elle avait raison, sur un point tout du moins. Il était l'écho d'une partie de la famille, sombre et qui gâtait un panier de fruits goûteux. Peut-être était-il à Lindorm pour changer cela justement ? Peut-être sa cousine lui donnait-elle les moyens de changer cela ?

Mais en attendant, ses poings se serraient de nouveau tout contre lui et ses mâchoires se contractaient. Si on y prêtait attention, l'air était devenu plus lourd, un grondement sourd s'élevait, imperceptible, des profondeurs, et sous les pieds du jeune kevii, la terre commençait à trembler.

-Vous ne savez rien de moi, ni de ma famille, ni de ce qui m'a amené ici. Et je présume que tout cela ne vous intéresse guère. Soit. Mais je suis tout de même de votre famille et si je vous ai déçu par le passé, sachez que je ferai tout pour racheter ma faute, car vous êtes de mon sang, et je ne souffrirai pas que vous me haïssiez sans même me connaître. Réservez votre jugement à mon encontre, je vous en prie. Car, pour ma part, je n'ai aucune haine envers vous.

Sloan faisait montre d'un contrôle de ses émotions impeccable, mais on sentait que si l'on grattait un peu sous la surface, le torrent de rage qu'il contenait au quotidien, n'était pas loin d'exploser. C'était peut-être le but du professeur après tout, sortir le jeune homme de ses gonds pour qu'enfin il libère sa puissance qu'il disait ne pas maîtriser et Sloan le soupçonnait, mais son propre don l'effrayait en réalité et il n'avait jamais osé l'avouer.

Alors qu'il terminait de parler, Vhaxas réapparaissait à ses côtés, à peine plus grand qu'un cheval, se tenant haut sur ses quatre pattes, et vint se positionner à côté de son allié, comme pour appuyer ses propos. Sa peau lisse chatoyait avec les rayons du soir et donnait au terrain d'entrainement une ambiance étrange. S'il lui arrivait de se montrer exaspérant, il était tout de même là pour Sloan et le soutenait dans toutes ses décisions. Lui aussi devait apprendre à mieux être en phase avec son dragonnier et ne plus s'opposer à lui, afin qu'il devienne plus puissant.

Un grondement, anormal, juste sous leurs pieds. Bryne ne sourit qu'en son fort intérieur cependant. Énerve-toi donc, petit. Elle voulait voir. Elle avait suffisamment confiance en ses capacités pour parer à toute éventualité.
Son visage lisse et neutre, elle ne semblait plus à présent éprouver la moindre émotion parasite. Enfermée dans la coquille de son âme, son cœur demeurait de glace. Les émotions superflues étaient pour les faibles. Elle faisait montre de bien des visages, cette femme aux cheveux verts. Une arme ne saurait s'effrayer du combat à venir et l'envisageait sereinement, avec l'enthousiasme parfait des âmes faites pour faire couler le sang.
Elle avait là son visage des heures de guerre, sereine et patiente, accusant des paroles de ce morveux qui se prenait pour un homme, du haut de sa formidable expérience de vingt-et-un ans. Si elle était au courant de bien des choses concernant cette branche de la famille, elle préférait constater d'elle-même que les cancans ne valaient guère que le poids qu'on leur donne. Et ce petit délinquant qu'elle avait croisé à sa première année, n'était jamais que le fruit pourri d'un arbre mort. A moins qu'elle le considéra en réalité tout autrement que ses propos le laissaient extrapoler ? Rien n'était très sûr avec l'ancien Capitaine.

Meneuse d'hommes, il ne serait pas le premier à s'imaginer ne jamais être à la hauteur. La seule chose à faire était de se révéler à soi-même. Nulle autre méthode pour Bryne, que de regarder en face ses propres démons et ses craintes et de leur cracher à la gueule. Il n'y avait qu'ainsi que l'on pouvait avoir assez de recul sur soi-même.

La tirade de son cousin ne l'émeut guère et elle se contenta de hausser un sourcil alors que le beau dragon du Terra les rejoignait, en une posture défensive. Petit dragon, il était était élégant sans jamais rivaliser cependant à ses yeux avec le fier et noble dragon de l'homme de ses rêves.
La terre remua, mais cette fois, ce ne fut pas du fait de Sloann, mais plutôt celui de l'énorme Titan qui s'avançait à son tour. S'il avait été loin, l'on vit cependant derrière Bryne émerger l'énorme créature depuis le sol, dominant les arbres pour s'avancer d'un pas qui couvrait la distance en un temps record. Bientôt, l'ombre gigantesque obscurcit le terrain, et Bryne était minuscule auprès de l'énorme crochet de ronces. Le titan abaissa sa gueule aveugle près de la frêle silhouette blanche et Bryne flatta de la main le côté de la tête de son compagnon.

"Mon cher cousin, apprenez déjà à votre dragon de ne point se mêler d'affaires qui ne le regardent en rien. Vous êtes un duo bien faible, et il n'est guère étonnant que votre Allié ne sache rester à sa place en accourant à votre secours comme auprès de celui d'une jouvencelle." Glaciale, elle cessa de caresser tendrement la tête de son compagnon. Ce dernier tournant sa gueule hérissée et aveugle vers Vhaxas, déroula son énorme langue au puissant aiguillon et, d'une pichenette de l'appendice, l'envoya rouler plus loin. Sans que personne ne le perçoive - en dehors de Bryne, les émanations curieuses du titanesque mâle agissaient sur l'atmosphère. Les phéromones du dragon avaient bien des effets psychotropes, et Bryne avait l'heureuse idée d'y être immunisée par le sang qu'elle partageait avec Hagen.
Car l'air se fit plus électrique, comme une menace invisible. Des phéromones, invisibles et inodores, qui excitaient soudains les passions les mieux réprimées. Car Hagen n'était pas venu par hasard, répondant en réalité à l'appel de sa compagne de toujours.
Car Bryne et Hagen avaient toujours été en parfaite symbiose, comme deux plantes se nourrissant l'une de l'autre. Ce n'était pas pour rien que le don de la jeune femme était si puissant.

"Ne prenez pas vos grands airs. J'en sais suffisamment sur vous pour me mortifier de notre parentèle, heureusement lointaine. Je ne vous haïs pas, mon enfant, sachez-le. Je réserve mes sentiments, quels qu'ils soient, à ceux qui en sont dignes. Or, vous ne méritez guère de figurer dans mes détestations et mes affections."
Blessante, dure comme la lame de sa propre épée, ainsi était Bryne. Femme de pierre et de sève, son cœur était aussi imprenable qu'une forteresse, à ce qu'il semblait. L'air électrique s'étirait entre eux, Hagen prêt à se charger du minuscule dragon à ses yeux, si l'envie fantaisiste d'attaquer Bryne lui prenait.
Et le sol grondait, comme le ventre affamé d'un enfant qui ne voulait finalement qu'être quelqu'un. Attaque-moi donc, petit, si tu l'oses seulement, pensait-elle, cette femme étrange, au visage de poupée gracieuse et à l'âme de guerrière.

Elle n'arrêtait pas, la pimbêche à la chevelure verte, de le chercher, de lui reprocher d'être de sa famille, le provoquant ouvertement, et violemment. Sloan tourna légèrement la tête en sentant approcher Vhaxas qui vint se poster à ses côtés. Sloan ne se sentit pas plus fort pour autant, mais plus en colère encore et le contrôle était difficile à maintenir, alors que le sol se mettait à trembler de plus en plus. Soudain, voyant la gigantesque silhouette de Hagen, Sloan se mit encore plus à douter, se demander si le tremblement ne venait pas tout simplement du dragon de Bryne et non de son don qui couvait sous la surface. La peur s'empara de lui, peur pour lui et pour Vhaxas et la colère se transforma en rage quand Hagen envoya valser Vhaxas à l'autre bout du terrain. Son coeur se mit à battre la chamade, une veine se gonflait à sa tempe et bientôt, les choses seraient différentes. Bryne n'arrêtait pas, elle continuait de le descendre, de le rabaisser, de le provoquer. Le jeune Terra savait ne pas être à la hauteur mais cela lui était bien égal. Il ne laisserait pas ce geste impuni. On ne s'en prenait pas à son allié sans en subir les conséquences. Et trop, c'était trop.

-Qui es-tu pour te permettre une telle arrogance ? Gronda-t-il d'une voix plus grave que d'habitude, se répercutant sur le terrain d'entrainement.

D'un même mouvement, il sorti ses deux mains de ses poches et les laissa le long de son corps, légèrement écartées. Son médaillon à son cou se mit à flotter légèrement dans l'air au-dessus de sa peau. Le grondement sous leurs pieds s'accentua jusqu'à devenir presque assourdissant. Les derniers mots de sa cousine eurent raison de son peu de maîtrise et Sloan poussa un puissant cri, tout en serra les poings, la tête rejeté vers le ciel assombri. Au loin le jeune dragon se redressait grimaçant de douleur mais indemne. Il criait à l'esprit de Sloan de ne rien faire et de se calmer, mais il était trop tard... comme à chaque fois.

Le sol tremblait de plus belle. Le sable à leurs pieds se mit à couler et disparaître au travers de fissures qu'on ne voyait pas encore, tout autour du petit groupe. Les arbres à proximité vacillaient sur leurs fondations, les plus jeunes pliant sous le mouvement des racines des plus anciens sur le point de s'écrouler. Soudain, des gerbes de terre durcie de plusieurs mètres de haut s'élevèrent entre Hagen et Bryne, séparant le couple de dragonniers pour former un mur relativement solide, mais pas assez pour retenir le dragon longtemps et Sloan le savait. Une fissure était en train de s'ouvrir entre les deux pieds de la jeune femme et courait jusqu'à Sloan, qui s'il ne faisait rien, serait dans la même posture que sa cousine, si la fissure s'élargissait encore pour séparer le terrain en deux. Voilà qui illustrait parfaitement les propos de Sloan un peu plus tôt. Il ne parvenait pas à contrôler son don et il était terrifié par lui, car il le mettait en danger une fois sur deux, ayant été incapable d'apprendre à faire trembler la terre là où il le souhaitait, et comme il le souhaitait. Il avait honte, et le fait qur Bryne pointe aussi ses faiblesses à voix hautes sans prendre de gant, contrairement aux autres professeurs, cela le mettait hors de lui. Il avait honte et cela le mettait encore plus en colère... mais contre lui-même avant tout. Il avait été choisi par un dragon pour devenir son allié. Il avait en lui l'héritage familial, sans vraiment trop savoir en quoi cela consistait, mais il ne s'en sentait pas digne... il devait y avoir une erreur quelque part.

Il était facile de faire céder les gens, de les pousser vers ce qu'ils fuyaient. Croyait-il, ce gamin, qu'elle n'avait jamais eu de recrue difficile ? De problèmes de maîtrise du don pour de jeunes dragonniers fraîchement sortis de Lindorm ? Sur un champ de bataille, rien ne serait laissé au hasard. Alors les entraînements ne s'arrêtaient pas à la sortie de Lindorm. Beaucoup la trouvaient trop dure. Trop sévère. D'autres disaient qu'elle s'impliquait trop pour ces gamins qui ne feraient pour beaucoup qu'un an avant d'aller battre la campagne avec leur dragon. Les dragonniers de carrière étaient rares et d'autant plus précieux. Cependant, Bryne savait que, parfois, certains réfractaires trouvaient finalement dans l'armée une famille et un but. Ce vers quoi elle les aidait à tendre en se montrant intransigeante. Certains finissaient pas s'émuler devant la sévérité de leur Capitaine.
Bryne songeait à tout cela en regardant Sloann perdre ses moyens. Il était un gamin apeuré, qui ignorait où était sa place et il ne fallait pas être devin pour le savoir. C'était des choses qu'elle savait. Croyait-il qu'elle n'avait jamais demandé de ses nouvelles en écrivant aux professeurs ? Il était de son sang. Il était son cadet. C'était son devoir de cousine que de s'enquérir de lui. Et sous ses dehors intraitables, elle avait pourtant un cœur. Si elle le provoquait, si elle le maltraitait, c'était pour mieux jauger de ses capacités.
Les phéromones d'Hagen excitaient les passions, et envoyer valser le dragon du gamin fit le reste.

Il céda, finalement, ainsi qu'elle l'avait prévu. La terre se fendit, s'érigeant en murs de roche et de terre. Ce n'était pas un obstacle pour Hagen, dont la masse énorme pouvait pourtant percer la terre pour s'y enfouir afin d'y dormir - créant d'énormes trous et galeries. Cependant, le dragon, sur un signe de la jeune femme, plongea dans le sol, s'y déplaçant avec un incroyable facilité, labourant tout un pan du terrain pour s'éloigner. Alliés parfaits, ils se comprenaient, se faisaient confiance et aucun ne saurait gêner l'autre.
Bondissant en arrière pour éviter la chute dans la faille, Bryne invoqua ses ronces, ses dernières s'enroulant autours de ses mains, en plusieurs lianes tressées ensemble, la propulsant à deux mètres du sol, ses pieds ne touchant plus terre alors qu'elle s'écartait vivement à l'aide des végétaux préhensiles afin de ne pas sombrer dans le gouffre qui commençait à s'ouvrir.
Ce don était puissant, terriblement puissant. C'était un don dangereux mais oui, elle voyait les avantages tactiques, l'utilité contre un groupe d'ennemi. Oui, Sloann était puissant. Trop puissant peut-être.

La faille s'élargissait mais Bryne ne songeait par aux conséquences, elle était toute entière tournée vers la réflexion, son esprit aiguisé comme une épée, se déplaçant sans dommages grâce à ses ronces, à présent largement au dessus du terrain.
"C'est tout ce que tu es capable de faire, petit ?" Fit-elle, narquoise, générant de nouvelles ronces supplémentaires, qui coururent encercler le gamin, s'entremêlant pour former un roncier impénétrable, barbelé d'épines empoisonnées, séparant un peu plus Vhaxas de Sloann, les ronces s'élevant tel un mur à une vitesse ahurissante. Son don était l'un des plus puissants. Il ne saurait en être autrement pour la Capitaine des Lianes Terrestres. Et elle avait passé sa vie à le travailler. Elle était vulnérable au feu, ou au givre, mais contre un autre dragonnier de terre, un élève qui plus est, elle se savait en mesure de le maîtriser. Mais elle voulait voir, sans se soucier des dégâts matériels, jusqu'où irait ce garçon.

Depuis sa hauteur, d'un gracieux mouvement de sa main droite, elle généra de nouvelles ronces en direction de Vhaxas. Voyons ce que ferait Sloann si c'était le dragon qui était visé et lui bloqué par le roncier. Les ronces jaillirent à toute allure vers le petit dragon, s'enroulant autours de lui, douloureuse étreinte qui lui bloqua aussitôt les ailes, les épines acérées pénétrant la peau douce du reptile - le poison ferait son office mais elle possédait un antidote efficace, mais cela, Sloann l'ignorait. Elle entendit son rugissement de douleur et sourit, cette jeune fille si trompeusement douce. Donne de toutes tes forces, gamin. Donne tout ce que tu as pour aider ton Allié, sinon tu ne mérites même pas le nom de dragonnier...

Le petit geste de la main de Bryne n'échappa pas à Sloan qui sursauta légèrement avant de comprendre que ce geste ne lui était pas destiné, mais était pour indiquer à Hagen de s'éloigner. Ce qu'il fit en faisant un peu plus trembler le terrain, faisant ainsi s'ébranler le mur de terre de Sloan avait invoquer un peu plus tôt. Et alors qu'une fissure s'ouvrait sous les pieds de Bryne, celle-ci fut projetée dans les airs. Sloan la suivit du regard et s'aperçut qu'elle était soutenue par des lianes, à plusieurs mètres de hauteur au-dessus du gouffre qui menaçait de s'ouvrir. Pourquoi n'était-il pas capable de telles choses lui ? Et comme pour répondre à ses interrogations, Bryne le nargua un peu plus sur le sujet, de son air narquois, de sa voix qui avait perdu de sa fausse douceur.

Mais il n'eut pas le temps de chercher une réponse adéquat qu'il vit des ronces courir dans sa direction et il fut trop lent à réagir. Alors qu'il se retournait pour s'enfuir, il fut aussitôt encerclé par un buisson d'épines qu'il savait empoisonnées et dont il ne pouvait pas s'extirper pour le moment. Dans le même temps, il vit Bryne faire de nouveau appel à son don et son regard désespéré se tourna aussitôt vers Vhaxas un peu plus loin. Il tendit un bras en direction de son allié, alors que les épines s'enfonçait dans chaque parcelle de la peau reptilienne à leur portée et faisait couler un sang aussi écarlate qu'un soleil naissant. Sloan laissa échapper un râle en même temps que Vhaxas, ressentant sa détresse et sa douleur. Dans le tumulte de ses pensées désordonnées, Sloan n'entendait pas celles du dragon lui demander de se calmer, pour puiser la force en lui, si bien que le dragon se fatiguait, et Sloan était impuissant à faire quoi que ce soit. Il se recroquevilla sur le sol, entourant ses genoux de ses bras comme lorsqu'il était enfant. Son visage était crispé dans une grimace de douleur, autant physique que morale.

Pourquoi personne ne voulait le croire quand il disait qu'il n'était qu'un bon à rien et qu'il ne méritait pas sa chance dans l'académie ? Qu'il ne méritait cet être parfait qu'était Vhaxas ? Pourquoi l'avait-il choisi lui ?

-Parce que tu es mon frère ! Sloan ! Debout ! Réagis !

Ces mots lui parvinrent de loin comme si le dragon les avait prononcé à vive voix, rien que pour lui. Il était rare que Vhaxas parle à voix haute avec Sloan, préférant le son de ses pensées, et n'usant ses cordes vocales que pour s'adresser à d'autres. Par conséquent, la voix du jeune dragon était douce et mélodieuse, mais en cet instant, elle était emplie de désespoir et d'amour en même temps.

Sloan sortit de sa coquille et se releva pour s'avancer vers le mur de ronces qui l'empêchaient d'agir. Il attrapa les ronces à pleine mains et les écarta, se fichant pas mal de la douleur des piqures et de son sang qui coulait. Déchirant sa peau, ses vêtements et s'arrachant quelques cheveux au passage, Sloan s'extirpa de sa prison, mais le poison faisait déjà son effet. Il tituba en direction de l'amas qui entourait Vhaxas, délaissant Bryne derrière lui. Il manqua de tomber plusieurs fois, son regard s'embrouillant déjà, sentant ses forces le quittaient à chaque pas qu'il faisait. Mais il sentait aussi sa colère grandir. Il s'arrêta à un pas de l'amas de ronces empoisonnées.

Il respira profondément plusieurs fois, semblant hésiter sur la marche à suivre, si bien qu'on pouvait croire qu'il avait abandonné. Finalement, il releva la tête et un bras en direction de Vhaxas dont il ne percevait déjà plus les pensées ni les émotions. Est-ce qu'il était déjà trop tard ? Son bras se mit à trembler en même temps que la terre sous Vhaxas et sous lui. Rien ne se passa de plus pendant quelques minutes. Il fini même par tomber à genoux, presque à bout de force. Au lieu d'accélérer, il sentait les battements de son coeur ralentir. Mais ce n'était pas la fin, ça ne pouvait pas.

Soudain, le sol trembla un peu plus et Sloan disparu dans le sol. L'amas de ronces avaient également bougé mais rien ne semblait plus différent de ce côté-là.

Un coude... Puis un genou... L'autre coude... Et l'autre genou... Il avait mal partout mais par-dessus tout il voulait sentir Vhaxas au bout de ses doigts. Plus que quelques centimètres et il y serait. Il ne voyait rien dans le trou qu'il s'était creusé et il avait donné beaucoup d'énergie pour faire étalage de son don la première fois. Le poison se répandait aussi dans ses veines et il sentait sa vie lui échapper. Soudain un peu de chaleur. Le souffle faible de Vhaxas. Il était là, tout près de lui, à quelques centimètres, et il respirait encore. Sloan en aurait pleuré de joie. Il avança un peu plus et se recroquevilla contre le dragon, sentant les ronces qui l'entourait et le blessait.

-Tiens-bon mon frère. C'est presque terminé.

Avec la proximité de son dragon, Sloan se sentit envahi d'une nouvelle force. Pas encore à son maximum mais suffisante pour les sortir de là au moins. De nouveau, Sloan fit appel à son don, grâce à Vhaxas contre sa peau et se concentra comme jamais il ne s'était concentré. Le sol se mit à trembler de plus belle et de la terre envahi les faibles interstices entre les ronces, s'amassant de plus belle jusqu'à écarter les ronces les unes des autres pour libérer un passage. Sloan recommença comme pour le buisson qui l'avait entouré lui-même un peu plus tôt. Mais il n'avait plus beaucoup de force. Il supplia mentalement Vhaxas de l'aider parce que seul il ne pouvait plus. Les épines lui entaillaient les mains, les bras et le visage, et le poison se répandait de plus bel. Sentant la proximité de son allié et les efforts qu'il faisait pour lui, Vhaxas retrouva un peu de force et se mit à arracher les ronces dans sa gueule, tirant dessus malgré la douleur que cela lui provoquait. La lumière du soir perça bientôt au travers des épines et vint éclairer le duo mal en point. Vhaxas vit Sloan sur le point de s'évanouir et sentit la colère l'envahir ce qui eut pour effet de lui redonner un peu plus de force pour arracher les ronces et les en extirper. On n'abimait pas son allié ainsi !

Sloan eut le temps de voir un reflet doré familier avant de sombrer dans un gouffre qu'il n'avait pas provoqué, pour une fois.

♫ Thème

Elle les regardait lutter, jaugeant leur force, scrutant leur envie de s'en sortir. Et à mesure, son visage s'adoucit. Dominant la scène de la hauteur de ses ronces, sortant des paumes de ses mains comme d'étranges vaisseaux de sève, elle voulait voir. Jusqu'où iraient-ils, ce drôle de duo de redoublants ? Car Bryne savait qu'ils en étaient capables. Le sang antique coulait en eux. Ils vaincraient ses ronces, car elle ne les exploitait pas au maximum. Juste assez pour les mettre en difficulté. Juste assez pour forcer Sloann à se réveiller et à agir.
Ce qu'il fit. Malgré le poison paralysant des épines. Malgré leurs forces vacillantes. Il sut enfin utiliser son don, avec intelligence, et libérer son allié.

Ils n'avaient pas vu que, lentement, ses ronces l'avaient reposée au sol, alors même qu'ils s'en extirpaient avec tant de peine. Ils n'avaient pas vu son sourire appréciateur alors qu'elle laissait ses ronces rentrer en elle, sorte d'entité tentaculaire et colossale. Ils étaient sous l'emprise du poison - qui, sans antidote paralysait et laissait ses ennemis faiblards et mal assurés pour quelques heures. Mais, alors que Sloann perdait connaissance tout contre son dragon, elle s'avançait, les ronces évanouies, revenues dans son corps. Vhaxas, mal assuré, la regardait, tout hérissé comme les chats et elle lui sourit doucement, sortant une fiole d'antidote. Elle se penchait sur son cousin quand le dragon lui feula dessus, comme pour la dissuader d'approcher mais elle lui flatta le poitrail, le faisant sursauter, sans la moindre peur.
"Vous vous êtes bien battus." Lui dit-elle doucement, pour le rassurer et, glissa la fiole entre les lèvres de son pauvre cousin aux vêtements fichus et tout égratigné et ensanglanté de blessures heureusement plus bénignes qu'il n'y paraissait. Puis, donna le reste au dragon qui vacillait sur ses pattes, Vhaxas pouvant apprécier la sensation rapide de vertige qui se dissipait.
"Rentre aux nichoirs, petit dragon. Tu as été assez courageux, je vais m'occuper de cet idiot."
"Hors de question !" Se rengorgea le dragon, pourtant mal assuré sur ses pattes.
"Ne sois pas aussi obtus que ton Allié et ne me fait pas me répéter." Dit-elle, sans se soucier du jeune dragon, l'énorme tête du titanesque Hagen émergeant un instant à quelques centaines de mètre de là, comme une interrogation muette. Mais Bryne lui dit de s'éloigner, ce qu'il fit sans poser de questions, retournant à sa tranquillité de vieux dragon insectoïde. Finalement, Vhaxas capitula et s'éloigna, non sans regarder de nombreuses fois derrière lui.

Invoquant de nouveaux ses ronces, elle en modula les épines et les lianes se firent bien plus lisses, les enroulant savamment autours de son cousin, afin de le porter sans efforts comme dans un brancard. Il allait avoir besoin d'un petit séjour à l'infirmerie. Doucement, dans l'intimité du terrain singulièrement dévasté - elle s'occuperait de ça plus tard avec le directeur - elle fit glisser sa main sur le front de ce grand crétin, ébouriffant gentiment ses cheveux en un geste qu'elle n'avait jamais eu pour lui.
"Espèce de grand nigaud. Tu sais bien que je t'aime quand même." Dit-elle à voix basse. Elle avait de la tendresse pour cet idiot d'O'Leary. En dépit de tout, il était de son sang. Et elle lui apprendrait à maîtriser ce don si aléatoire. Ou elle ne s'appelait plus Bryne O'Cuinn.
Mais en attendant, il allait avoir besoin d'un peu de repos.