La journée avait été longue et éprouvante, mais elle tirait enfin vers une nouvelle conclusion. Dans quelques longues minutes il saurait s’il comptait plus que de raison pour Shaem.
Inspirant l’air iodé de Laragon, il gonfla ses poumons et expira lentement pour calmer les battements de son cœur.

L’île s’étendait à perte de vue et il repensa instinctivement à la séance de vol de Viridianna qu’il avait vécu dans la matinée.
Oh, il ne s’approcha aucunement du promontoire, ni même de l’Observatoire, il resta juste dans le parc environnant, observant d’un œil curieux ce grand dôme dont on pouvait admirer les étoiles. Assit sur le banc, il avait quarante minutes d’avances. Il était impatient et ne pouvait plus tenir en place. Alors il avait prit son courage à deux mains et avait rejoins l’endroit du rendez-vous. Il ne voulait pas apprendre la nouvelle à Lindorm, il voulait un terrain neutre où il pourrait pleurer de tout son saoul s’il se faisait éconduire. Il ne voulait pas risquer de tomber sur Nath, Raph, Asa ou encore Ludvig au détour d’un couloir. Pas qu’il n’aurait pas besoin d’eux pour lui remonter le moral, mais il préférait vivre sa douleur seul en cas d’échec cuisant. Norn était de toute façon en train de voler à proximité et il lui suffirait d’une pensée pour qu’il soit à ses côtés.

L’air était frais et Maelen portait son écharpe en cachemire grise, il fourra son visage dedans et resserra son manteau. Ses longs cheveux blancs flottèrent autour de son visage et il enfila ses gants pour se réchauffer un peu. Le silence l’apaisa, le ressac de la mer le fit un peu divaguer et il se prit à penser à son père.
Il revoyait ses derniers gestes, ses derniers mots, la décision qu’il avait prit à sa place, son destin qu’il avait choisit de manipuler jusqu’au bout. Maelen aurait pu tout envoyer balader, il aurait pu hurler que c’était injuste, mais il n’avait rien fait. Il avait choisi d’endosser ce rôle, non par fierté ou par avidité, mais pour prouver qu’on pouvait compter sur lui, pour être plus influent, pour pouvoir arriver au bout de ses rêves de liberté. Il espérait que d’être enfermé au plus profond de cette cage dorée lui donnerait l’envie irrépressible de la briser. Il voulait comprendre, pouvoir dire que lui aussi n’avait jamais eu de choix et qu’il avait pourtant réussit à obtenir ce qu’il voulait.

Alors, face à Sir Quinto, il avait sourit, il lui avait tendu la main et avait signé la promesse de fiançailles. Au fond de lui, il s’y était déjà plus ou moins attendu, il était même surprit que cela ne soit pas arrivé plus tôt. Il était le cousin de la Gouverneur d’Aéria, il était jeune, riche, plutôt beau garçon, son père aurait pu lui arranger un mariage depuis la naissance. Mais il ne l’avait jamais fait. Peut être avait-il voulut lui laisser quelques derniers instants de liberté avant de l’emprisonné dans cette mascarade. Peut être…

Mais il y avait Shaem, Shaem pour qui son cœur battait, Shaem qui restait sa part de liberté, son choix à lui que personne ne pourrait lui retirer. Il espérait juste de tout cœur que le Saabi accepterait de demeurer à ses côtés en tant que compagnon et non pas comme un parfait inconnu. Il était sa dernière bulle d’air pur, la dernière personne à pouvoir lui offrir ce sursaut d’égoïsme dont il pouvait faire preuve.

Il savait que dans moins d’un an il serait marié. Il serait encore à Lindorm, mais il aurait des responsabilités, il serait un époux, puis il y aurai Shaem, et quand quelques années, il devrait rejoindre l’armée, faire son service, puis retourner en Aéria. Et oublier Shaem ? Il ne savait pas, il ne voulait pas y penser…Cette route le faisait crever de trouille. Il ne voulait pas se projeter aussi loin, il ne voulait pas de la route devant lui.

Il voulait juste vivre libre…

Il avait leur destin entre les mains. Enfin plus précisément leur destin commun.
Avant de partir Maelen lui avait lancé un ultimatum, ils s'étaient encore disputés et il avait obtenu ce délai. Deux semaines que Maelen passait au chevet, puis face à la tombe et enfin dans la maison de son père, la sienne à présent. Une durée indéterminée au départ, qui devait lui permettre de prendre un peu de recul de décider : soit il acceptait que la relation qu'il avait avec Maelen évolue en quelque chose de plus ... intime, soit ils coupaient les ponts.
Le jeune homme semblait être contre l'idée qu'ils reprennent là où ils s'étaient arrêtés il y a un peu plus de dix ans, une relation basée sur l'affection mutuelle qu'ils se portaient, mais teintées d'amitié et sans que Shaem soit dans la position d'esclave qu'il avait occupé. Si Maelen avait grandi, il était resté capricieux et il lui laissait le choix. C'était tout ou rien.

Dès l’instant où Maelen avait quitté son bureau, il avait eu envie de le rejoindre.
Il ne voulait pas qu’il affronte cette épreuve, la mort de son père, seul. Shaem n’avait pas changé, malgré quelques longues années d’absence, il désirait toujours la même chose : protéger son petit Maître … mais sans être son esclave. Alors il aurait voulu être présent à ses côtés quand son père serait finalement passé de l'autre côté pour pouvoir l'emprisonner entre ses bras, tout contre son torse, comme pour absorber une partie de sa peine.
Mais il aurait été mis aux arrêts à l’instant même où il aurait essayé de passer les portes de la demeure Ortega, peut-être même aux portes de la ville, voir bien avant. Leur relation avait toujours été « singulière », il était trop jeune quand on lui avait confié Maelen bébé pour se considérer comme un père et leur statut social était bien trop éloigné pour qu’il le considère comme un petit frère. C’était d’ailleurs pour cela qu’il peinait à mettre un nom sur ses sentiments et qu’il avait été bien incapable de donner à Maelen la réponse qu’il attendait avant de partir parce qu’il était incapable de définir correctement cette relation particulière qui était la leur.
Il aurait également voulu lui demander la provenance de ces marques bleues qui teintaient la peau si blanche de son cou. Ces suçons qui l’avaient poussé à embrasser le jeune homme pour marquer une territoire qui ne lui appartenait pas alors qu’il aurait du s’abstenir. Il avait senti la jalousie monter en lui et il était parvenu à garder un bon self-control, il n’avait pas crié, il ne l’avait pas secoué pour connaître l’auteur de ces marques. Mais il avait agi bêtement.

Il fallait dire aussi qu’il était particulièrement perturbé.
Il ne s’était pas attendu à retrouver un Maelen aussi sûr de lui en train de lui déclarer ses sentiments. Il ne s’était pas imaginé que leur relation pouvait évoluer de la sorte. Il n'y avait pas réfléchi à vrai dire.
Lorsqu’il avait quitté Aeria, il avait laissé un enfant derrière lui. Il retrouvait aujourd’hui un jeune homme qui avait pris les rênes de son avenir en mains, un dragonnier en devenir, qui était capable de comprendre les responsabilités qui allaient être les siennes dans les jours à venir lorsque son père mourrait. Un jeune homme qui n’avait plus rien d’un enfant vu les marques qui ornaient son cou. Il avait grandi, il s’était un peu musclé, il l’avait senti en le serrant tout contre lui.
Et c’était bien ce qui le perturbait. Son propre corps avait manqué de le trahir, sa chair était faible et avait accepté sans mal que Maelen avait grandi et qu’il le désirait. Lorsqu’ils s’étaient retrouvés la seconde semaine après la rentrée et que le jeune homme l’avait embrassé, il avait eu le réflexe de lui répondre avant de le repousser. Sa réaction première avait été le lui répondre. Parce qu’il le désirait.

Et cette pensée lui faisait presque honte parce que son esprit mettait bien plus de temps à accepter le fait que Maelen avait grandi et qu’il n’était plus ce jeune enfant qu’il devait protéger et élever.
Si son corps disait oui, sa tête disait non.
Parce qu’il avait du mal à remplacer l’image de l’enfant qu’il avait quitté par celle du jeune homme qu’il avait retrouvé à Lindorm.
Parce qu’ils avaient huit ans d’écart. Lui avait déjà fini ses cinq années de scolarité, il avait déjà combattu trois années sur le front. Il était un adulte et même si Maelen lui avait donné la preuve qu’il n’était plus un enfant, qu’il avait gagné en maturité, cela n’effaçait pas leur différence d’âge.
Parce qu’il était professeur et que Maelen venait tout juste de commencer sa première année. Ce genre de relation était rarement bien vue et s’il acceptait, il leur faudrait certainement se cacher ou bien qu’il en parle avec son directeur et il serait peut-être obligé de démissionner. Mais ce poste représentait beaucoup à ses yeux. Esclave à dix neuf ans, neuf années après il était enfin libre de faire ses propres choix tout en participant à l’éducation des générations futures.
Et il préférait même pas savoir ce dont la famille Ortega pouvait être capable en apprenant que Maelen se mettait en couple avec un de leur ancien esclave.

Il pouvait être égoïste et ne pas penser à l’avenir de Maelen.
En répondant à ses sentiments, il l’empêchait de « profiter » d’une partie de sa scolarité. Shaem était fier et il ne partageait pas. Il avait passé l’âge des histoires d’un soir – enfin presque – et lorsqu’il s’investissait dans une relation, il était exclusif et il demandait la même chose à son partenaire. Alors Maelen n’avait pas intérêt de se laisser tenter par un garçon de son âge … ou une fille.
Il l’empêchait aussi de fonder une « vraie » famille, parce qu’il était un homme et que s’il était parvenu à gravir quelques échelons de l’échelle sociale, il était encore loin de la catégorie à laquelle le jeune Ortega appartenait.
Il avait donc de nombreuses raisons pour donner une réponse négative au jeune homme.

Autant dire que son esprit était un véritable bordel alors qu’il traversait les rues du quartier des plaisirs de Laragon. Arrad l'avait déposé à une distance certaine de leur lieu de rendez-vous, parce qu'il avait encore besoin de réfléchir.
Ces deux semaines d’attente avaient été particulièrement longues et même s'il avait pu s'occuper avec ses cours et Arrad, il n'avait pas pu s'empêcher de le chercher lorsqu'il passait devant le réfectoire aux heures de pointe, à l'entrée des dortoirs, durant ses cours avec les premières années ... un peu partout en fait. Durant ces quatorze jours, Maelen avait rarement quitté ses pensées, même le soir, même lorsqu'il se retrouvait étendu sur son lit. Et par moments, il avait presque eu envie de se flageller à la suite de certaines ... pensées qu'il put avoir.

Au fur et à mesure que ses pieds le rapprochaient de sa destination, alors que ses yeux se braquaient sur l'imposant dôme de l'observatoire, il sentit son cœur battre plus vite, ses foulées se firent légèrement plus rapides. Il avait l'impression de revivre ses premiers émois.
Comment allait-il ?
Comment allait-il réagir en le voyant?

Qu'allait-il lui donner comme réponse?

Mais c'était trop tard pour faire demi-tour et Il pénétra dans le parc au pied de l'observatoire avec dix minutes d'avance.
Et les battements de son cœur s'apaisèrent soudainement lorsqu'il le vit assis sur son banc, ses longs cheveux blancs flottant légèrement autour de lui au gré de la brise marine.
Et alors il sut.

« Maelen »

D'une voix douce, il l'appela attirant son attention sur lui. Il s'approcha, mais s'arrêta à quelques pas de lui.

« Comment vas-tu ? »

Il avait envie d'en dire plus, mais il se retint.

Les minutes lui parurent des heures, presque une longue éternité. Le froid lui mordit un peu le visage, mais il resta prostré sur ce banc, le dos droit, ses cheveux dansant doucement dans le vent frais de ce début d’hiver.
Puis, doucement, il entendit le gravier du parc crisser, et sa tête se tourna légèrement pour accueillir la silhouette de Shaem. Son cœur battit dans sa poitrine, ses poumons se gonflèrent et alors qu’il se rapprochait ses yeux bleus ne purent se décrocher de ce regard doré. Il le fixa sans un mot, sa voix chaude aux accents chantant du sud résonna à ses oreilles et tout ce qu’il avait retenu au fond de lui depuis ces dernières semaines se fracassa en un seul instant. Juste là, sous le regard si doux de Shaem, il sentit les larmes lui monter aux yeux. Il hoqueta, ses lèvres tremblèrent et il se leva la gorge nouée pour courir dans les bras du Saabi et le serrer contre lui.

Il pleura, cria, hurla toute la douleur qu’il avait au fond du cœur. Il déversa entre ses bras toute cette souffrance qui lui vrillait le cœur depuis la mort de son père. Il laissa couler toutes ces larmes qu’il avait retenues devant ces inconnus, il gémit aux souvenirs de ces faux-sourires, de ces fausses douleurs. Il pleura l’absence de son père, il pleura car il n’avait pas pleuré là-bas. Il pleura pour dire au revoir à ce père qu’il avait autant hait qu’aimer, il pleura cette rage qui lui vrillait le ventre d’avoir été impuissant, il pleura cette peur d’être seul, il pleura contre Shaem car il savait, qu’il n’y avait qu’entre ses bras qu’il ne serait pas juger. Il n’y avait qu’à cet endroit où il pouvait re-devenir un petit garçon pendant quelques instants.
Ses mains s’accrochèrent à sa tunique, sa bouche s’ouvrit pour gémir, avalant les flots de larmes, laissant son nez rougir et se frotter contre le tissu pour essuyer le coin de ces yeux. Il cria pour évacuer cette douleur d’avoir trop longtemps dû retenir sa tristesse, il cria comme il aurait dû le faire plus tôt. Il se raccrocha à Shaem, car il était la seule personne dans ce monde capable de le comprendre, capable de savoir que derrière ses sourires se cachaient une tristesse infinie et une peur d’être abandonner.

Shaem, Shaem, Shaem…

Il hoqueta son nom autant qu’il le put, il poussa de long soupirs remplit de peine, et il resta dans ses bras. Tous les efforts qu’il avait faits s’envolèrent en éclat. Il se ficha que le Saabi le prenne pour un adulte ou non. Il se ficha de sa réponse, car même si c’était non, il savait que Shaem ne pourrait jamais être un inconnu. Il était son repère, son confident, son ami depuis toujours. Il était celui qui l’avait toujours vu pleurer, qui ne l’avait jamais jugé et qui l’avait réconforté pendant toutes ses années.
Alors, comme il l’avait toujours fait, il se laissa aller dans ses bras. Car il n’y avait que cette douce odeur d’épice et de fleur d’oranger pour le rendre si faible, pour l’apaiser.

« Il…Il..il est mort…Shaem..Il..il est mort…Je..Je suis tout seul maintenant…Je.. »

Ses gants crissèrent sous les mouvements de poings qui se refermaient sur le tissu de douleur, alors qu’il se reculait pour essayer de parler. Mais sa voix fut prise de sanglot, il retint sa respiration, puis expira, ses yeux étaient rouges de larmes, ses joues dévastées et ses cheveux lui collaient au visage.

Oh qu’est ce qu’il aurait voulut être fort, accueillir Shaem avec un doux sourire et attendre sa terrible réponse. Qu’est ce qu’il aurait voulut être aussi fort que dans sa lettre, lui parler de ses responsabilité, lui avouer ses fiançailles, lui raconter le palais presque vide. Qu’est ce qu’il aurait voulut pouvoir lui parler normalement….Mais ce n’était pas possible. Pas avec Shaem.

Dés qu’il le voyait, la mince feuille de sa fierté s’effritait et tout explosait, avec lui, il était enfin lui-même. Un petit garçon peureux, chouineur, capricieux et égoïste.

Et il savait, il savait que Shaem l’aimerait pour ça. Qu’il l’accepterait tout entier et qu’avec lui, il n’avait rien à caché, car il avait vu le pire de son âme, car il ne connaissait par cœur, car dans ses pupilles il pouvait y lire tout l’amour qu’il lui portait.

Alors, doucement, il recula un peu, quittant son étreinte pour inspirer l’air froid. Ses larmes lui gelèrent le visage et il sanglota encore quelques instants.

Puis dans un geste doux, il prit la main de Shaem et l’entraîna vers le bord de la falaise. Doucement, il sortit de sa poche le vieux mouchoir de son père qu’il avait toujours gardé précieusement, puis alors que le vent soufflait fort il le lâcha. Il s’envola dans le ciel, tournoya délicatement avant de disparaître lentement dans les nuages.

Ses doigts s’entrecroisèrent avec ceux de du Saabi et Maelen sourit en pleurant :

« Au revoir Père… »

Serrant les lèvres et les doigts pour ne pas se remettre à pleurer alors que sa poitrine se serrait, il fixa l’horizon et posa sa tête sur l’épaule de Shaem.

Il ne s'attendait pas à une réaction bien précise de la part de Maelen à son arrivée.
Connaissant le caractère souvent imprévisible du jeune homme, il aurait très bien pu l'engueuler pour l'avoir fait attendre comme il aurait pu courir à sa rencontre pour lui sauter dans les bras et essayer d'hâter les choses en l'embrassant.
Alors il ne fut ni blasé ni surpris par la réaction du jeune Ortega.
Juste peiné de le savoir aussi triste, comme s'il absorbait une partie de ses émotions.

Lorsque Maelen l'avait entendu arriver, il s'était levé et il avait porté sur lui son regard bleu. Ses grands yeux initialement secs s'étaient soudainement remplis de larme et la réaction de Shaem fut purement instinctive. Il combla la distance qui les séparait en deux enjambées rapides, ses mains se tendirent et ses bras se refermèrent bientôt autour du corps du jeune homme.
Aujourd'hui, il n'y avait plus qu'une petite dizaine de centimètres qui empêchait Maelen de plonger son regard droit dans le sien, preuve incontestable qu'il avait grandi. Mais ça n'empêcha pas le Saabi de refermer son étreinte autour de lui, comme il l'avait déjà tant fait et il eut à peine besoin de baisser la tête pour poser ses lèvres sur le sommet de la tête du jeune Ortega. Au moins il n'avait plus besoin de s'accroupir pour se mettre à sa hauteur.
Les yeux ouverts, perdus derrière Maelen, il ne bougea presque plus restant dans cette position, les lèvres effleurant les fines mèches blanches. Ses mains passaient sur ses bras, dans son dos, sur ses épaules prodiguant quelques caresses ayant pour but de l'apaiser et de lui communiquer sa chaleur, du réconfort.

Ses pleurs, ses sanglots, ses larmes qui mouillaient sa tunique et ses cris lui serraient douloureusement la poitrine. Il comprenait une partie de sa peine, parce qu'il avait lui-même perdu son père, le jour même de la naissance de cet enfant unique. Mais il ne pouvait pas entièrement la comprendre, parce qu'il ne connaissait pas tous les détails de cette relation père-fils. Il ne savait pas comment elle avait pu évoluer depuis les onze ans de Maelen et lui n'avait pas de point de comparaison vu qu'il n'avait pas eu de père à partir de ses huit ans.
Il resserra un peu son étreinte alors que le jeune homme hoquetait son prénom tout contre lui puis il baissa légèrement la tête effleurant sa tempe de sa joue lorsqu'il avouait enfin la mort de son père.

« Tu n'es pas seul Maelen, je suis là »

Il faillit ajouter quelques mots supplémentaires manquant de lui promettre d'être toujours là. Mais il les retint parce que la vie les avait déjà séparé une première fois et malgré la décision qu'il venait de prendre en pénétrant dans le parc, ils ne pouvaient être sûr de rien.
Ça le touchait de le voir ainsi, il sentait sa poitrine se gonfler sous l'effet d'une émotion intense et il sut qu'il avait pris la bonne décision même s'il ne l'avait pas encore avoué à Maelen.
Il tenait tellement à lui. A ce garçon qui avait quitté l'enfance et qui pourtant était capable de craquer complètement devant lui. Il s'agissait là de la preuve d'amour la plus sincère que Maelen pouvait lui apporter en se mettant à nu de la sorte.
Alors il ne pouvait pas le laisser derrière lui, pas alors que sa détresse le touchait si fortement.
Mais pour le moment, il préférait se taire choisissant de l'apaiser par sa présence, par des gestes doux plutôt que par des mots. Il avait du entendre tellement de paroles pompeuses depuis l'enterrement qu'il préférait s'exprimer d'une autre manière.

Et finalement, au bout d'un moment, Maelen s'apaisa un peu. Il s'écarta de lui prenant quelques instants pour reprendre le contrôle partiel de ses émotions avant de lui prendre la main et de l'attirer jusqu'à la falaise. Shaem se laissa faire curieux de savoir ce qu'il souhaitait faire et finalement il l'observa porter un dernier hommage à son père en abandonnant son vieux mouchoir au gré du vent.
La mâchoire du Saabi se crispa légèrement à la vue de ce bout de tissu et il resta muet lorsque Maelen prononça quelques mots.
Lui n'avait pas d'hommage à faire à cet homme.

Il prit néanmoins sur lui pour ne pas laisser la colère monter en lui, après tout l'homme était mort, ça ne servait plus à rien de s'énerver pour lui. Et puis ... Maelen n'avait pas besoin de savoir. Il n'avait pas besoin de ça tout de suite.
Ce fut sa tête posée contre son épaule qui l'aida à évacuer rapidement les mauvaises pensées qui cherchaient à s'imposer dans son esprit et il lui caressa doucement le dos.
Shaem était un homme de peu de mots. Il avait longtemps appris à se taire et il ne ressentait jamais le besoin de combler le silence par quelques paroles ou conversations peu réfléchies. Il ne parla donc pas mais à la place il chanta.
Il chanta, pas très fort mais assez pour que le son de sa voix passe par dessus le bruit du vent et atteigne les oreilles de Maelen. Il lui chanta cette chanson que l'enfant lui avait réclamé si souvent, ses paroles qui avaient le pouvoir de l'apaiser lorsqu'il était triste, ce chant auquel il était le seul à avoir le droit. Parce que Shaem n'était pas un chanteur, il n'avait pas forcément une très belle voix et s'il se surprenait parfois à fredonner, ce qui faisait bien rire Arrad, il ne chantait jamais. Il ne chantait plus depuis ses dix neuf ans, depuis qu'il l'avait laissé derrière lui. Il n'y avait que pour lui qu'il s'exprimait de la sorte.

Il terminait de chanter lorsqu'il se tourna vers lui, il lui fit face en prononçant les derniers mots et doucement il passa ses doigts sur son visage ravagé par les larmes. Il étala plus qu'il effaça les traces salées, décolla les mèches blanches qui y étaient encore collées et il sentit sa poitrine se gonfler sous un sentiment dévastateur.
Il l'avait retrouvé.
Et sans qu'il ne s'en rende vraiment compte ses sentiments à son égard avaient évolués depuis que Maelen l'avait pris par surprise lors de leurs retrouvailles ... lorsqu'il avait posé ses lèvres sur les siennes pour la seconde fois. Lorsqu'il lui avait avoué ses sentiments pour la première fois.

Il avait encore un peu de mal, mais il acceptait l'idée qu'il avait grandi même s'il restait au fond toujours cet enfant capricieux mais si attachant qu'il avait vu grandir. Il ressentait pour lui des sentiments qui allaient au delà de l'amitié. Il n'accepterait pas de le perdre à nouveau et au fond de lui il l'avait su dès l'instant où Maelen lui avait posé son ultimatum.
Il ferait tout pour lui.
Mais il ne valait mieux pas que le garçon le sache.

« Tu veux parler de ce qu'il s'est passé là-bas ? »

Il savait qu'il était là normalement pour lui donner une réponse, mais il repoussait encore un peu l'échéance. Parce qu'il avait des doutes, parce que sa réponse risquait d'impliquer beaucoup de changements autant dans sa vie que dans celle de Maelen.
Et il s'inquiétait réellement pour lui. Il n'avait pas été en mesure de l'accompagner durant ce "déplacement" qui avait du être plus qu'éprouvant pour lui, alors il voulait savoir comment ça s'était passé. Après tout, il venait de récupérer les rênes du royaume de son père.

Tout en posant sa question, il laissa retomber ses mains, une fois qu'il eut terminer d'étaler les traces de larme et qu'il ait remis un peu en ordre ses cheveux. Et il croisa les bras sur son torse pour s'occuper les mains.

L’espace entre ses bras était un moment d’éternité. Un moment où il pouvait tout oublier, quelques précieuses secondes où tout semblait s’effacer, où plus rien n’avait d’importance. Il n’y avait que Shaem, juste Shaem et cet air qu’il respirait, ce vent mélangé à cette douce odeur d’épice et de fleur d’oranger. Cette odeur qui lui rappelait combien le Saabi lui avait manqué, plus que de raison et pourquoi il avait désespérément cherché à le retrouver. Il l’aimait, il l’aimait plus que tout. Et pour rien au monde il n’aurait voulut se séparer de lui. Pas même pour de prétendue fiançailles. Non…Il voulait garder cette part de liberté, cet espace entre ces bras ou il pouvait tout oublier et se reposer, être ce gamin capricieux. Alors entre les bras de Shaem il déversa toute la tristesse qu’il avait trop longtemps retenu. Il sentit la chaleur le réconforter et il n’eut pas honte, car il savait qu’il ne serait pas jugé. Pas ici, pas maintenant, jamais. Jamais Shaem ne le jugerait sur une faiblesse, sur sa tristesse, jamais.

Alors il resta entre ses bras, profitant peut être de leur dernier instant, profitant des dernières lueurs d’espoirs qui brillaient encore dans son cœur. Il l’écouta lui dire qu’il était là, qu’il n’était pas seul, puis dans les derniers adieux à son père, il ne lâcha pas sa main. La voix du professeur résonna dans son esprit et il frotta sa joue contre son épaule, chantonnant aussi les paroles qui avaient bercé son enfance.

Let the wind carry us
To the clouds, hurry up, alright
We can travel so far
As our eyes can see

We go where no one goes
We slow for no one
Get out of our way

Combien de fois avait-il chanté cette chanson ? Combien de fois avait-il répéter ses paroles dans son esprit pour se donner du courage et se donner l’illusion que Shaem était près de lui, fredonnant pour l’endormir.
Souriant, il releva la tête ses yeux encore embués de larmes. Il savoura chaque caresse, glissant ses joues contre les paumes brûlantes.

Il voulait se pencher et capturer les lèvres de Shaem. L’embrasser avec tout l’amour dont il était possible.

Oublier.Juste oublier.
Oublier encore et encore, pendant un instant. Mettre tout de côté et se noyer à jamais dans l’or de ses yeux. Dériver à l’infini, ne jamais devoir lui dire au revoir et couler doucement dans les flots tumultueux de ses sentiments.

Il ne pouvait pas, il ne voulait pas le laisser. Alors il s’accrocha un peu, il voulut garder ses mains sur son visage qui effaçaient ses larmes, il voulait sentir ses longues mèches de cheveux rouler contre ses doigts.
Et pourtant, il dut le laisser partir.

Il secoua la tête avouant par là que non, il n’avait pas envie d’en parler.

« Il n’y a rien de plus que ce je t’ai déjà raconter dans ma lettre...Tu m’as tellement manqué…Ca en devenait insupportable, je n’avais qu’une hâte, revenir ici pour te retrouver… »

Baissant un peu les yeux, il joua avec une de ses mèches blanches et l’enroula autour de ses doigts. Il devait lui dire, ce terrible secret, cet ordre que son père lui avait donné, ces fiançailles, il devait lui avouer. Mais il n’y arrivait pas, il avait peur de le perdre pour toujours, il ne voulait pas lui dire au revoir comme il venait de dire adieux à son père. Non il ne le voulait pas.

Alors ses mains se refermèrent sur les pans de la tunique de Shaem et il posa son front contre son torse. Il inspira profondément, ses doigts tremblant sous la peur et l’émotion. D’une voix chevrotante, il murmura :

« Je..j’ai quelque chose d’important à te dire, quelque chose qui changera la donne..mais…mais avant, je veux savoir. »

Relevant les yeux, il le fixa de ses grandes pupilles bleus et comme un enfant il resta suspendu à ses lèvres, le suppliant du regard.

« Je..Je veux savoir si tu m’aimes, si tu m’aimes comme je t’aimes toi..Si..si..je dois lâcher la bride de mon cœur ou au contraire le boucler pour toujours et en jeter la clé. » Sentant les larmes refluer, il hoqueta mais se retint et serra les poings encore plus fort. « Je…Je dois savoir… »

Comme il mourrait d’envie de se hausser sur la pointe des pieds pour capturer ses lèvres et le faire sien, d’échanger ce premier baiser, ce véritable baiser d’un amour commun et consenti, et non pas un fugace échange volé ou imposé.
Restant ancré dans ses pupilles dorées, il ne le lâcha pas du regard, pas jusqu’à ce qu’il sache…

...s’il devait lui dire au revoir.

La réaction de Maelen aurait pu le rebuter. Après tout, le jeune homme lui avait promis qu'il allait grandir, qu'il allait être plus mature pour que Shaem ne le voit plus comme cet enfant qu'il avait élevé jusqu'à l'adolescence.
Mais le Saabi ne lui tint pas rigueur d'avoir réagi de la sorte, bien au contraire. Il était bien normal que Maelen se sente peiné par la mort de son père, même si la relation entre les deux hommes n'avait pas été fusionnelle cela n'empêchait pas qu'un lien père-fils s'était tissé étroitement entre eux. Alors Shaem n'allait pas reproché au jeune homme d'exprimer sa peine, surtout pas avec lui parce qu'il savait Maelen assez fier, il l'avait vu fanfaronner un peu face à ses amis à l'Académie, il savait qu'il n'avait pas du genre à se montrer aussi peiné à Aeria. Pas alors qu'il avait été entouré d'une grande partie de la noblesse de la nation. Alors le fait qu'il lâchait prise en se trouvant face à lui, alors même qu'il attendait la réponse à ses sentiments, cela toucha Shaem.
Parce qu'il s'agissait d'une preuve supplémentaire de cette relation si forte qui les liait l'un à l'autre. Maelen lui faisait assez confiance pour laisser éclater toute sa peine face à lui.
Pour se mettre à nu de cette façon.

Cette preuve vint renforcer la conviction qu'il avait eu en pénétrant dans le parc de l'Observatoire et en retrouvant Maelen qui l'attendait sagement.
Il aurait pu tout lui avouer une fois que le jeune homme eut terminé son hommage, mais il s'était retenu. Parce qu'une fois que les paroles auraient passé ses lèvres, une fois qui lui aurait fait part de ses sentiments alors tout allait changer. Leur relation, les moments qu'ils allaient passés ensemble, les regards qu'ils allaient échangés, tout, tout allait changer.
Alors il avait essayé de retarder un peu le moment de la déclaration, comme pour se donner un peu plus de temps pour réfléchir. Comme si les deux dernières semaines n'avaient pas été suffisantes. Il lui avait proposé de parler un peu de son retour aux sources mais Maelen avait secoué négativement la tête. Et il lui avoua son impatience, cette envie si forte qui l'avait poussé à laisser Aeria rapidement derrière lui ... pour le retrouver.
La poitrine du Saabi se réchauffa un peu plus et ce n'était pas les bras croisés sur sa poitrine qui en était la cause. Il l'écouta lui dire qu'il avait quelque chose d'important à lui révéler ... mais qu'avant il voulait sa réponse. En le voyant pris par l'émotion hoquetant alors qu'il lui demandait s'il l'aimait autant que lui l'aimait, Shaem ne parvint pas à rester les bras croisés. Une fois de plus ses mains se tendirent vers lui et il posa ses longs doigts sur son visage comme pour l'aider à retenir les larmes qui menaçaient encore de s'écouler.
Et il lui avoua enfin ce qu'il avait sur le cœur.

« Je t'aime Maelen »

On voyait qu'il voulait en dire plus, mais les mots avaient encore du mal à sortir. Il y avait tellement d'émotions qui se bousculaient dans sa poitrine, tellement de pensées qui s'entrechoquaient à l'intérieur de sa tête. Tellement de pour et de contre.

« Je sais que je ne veux pas qu'on me sépare de toi une nouvelle fois. Même si j'ai mes convictions, je m'en veux ... tellement de t'avoir laissé derrière moi en Aeria et je ne veux pas que cela se reproduise une nouvelle fois. Pas alors que je viens tout juste de te retrouver »

En parlant, il laissa ses doigts jouer sur son visage effleurant la peau douce écartant les mèches qui voulaient lui tomber devant les yeux, les faisant glisser entre ses doigts. Et il ne le lâcha pas des yeux, il se dévoilait et il voulait que Maelen comprenne bien ses sentiments.

« C'est difficile pour moi de remplacer l'enfant que j'ai élevé par l'adulte que tu es devenu Maelen. J'ai loupé dix années durant lesquelles j'aurais pu te voir grandir, faire des crises d'adolescence, gagner progressivement maturité, dix années durant lesquelles la vision que j'avais de toi aurait pu évoluer. Je ne t'ai pas vu devenir un homme ... alors c'est encore difficile pour moi de te voir de cette façon »

Calmement il essayait de lui l'expliquer pourquoi il était difficile pour lui de lui répondre. Pourquoi au final il l'avait repoussé assez violemment lorsqu'il l'avait embrassé quelques heures tout juste après qu'ils se soient retrouvés. Pourquoi il était difficile pour lui de lui dire je t'aime sans que cela ne signifie seulement qu'il l'aimait bien.
Doucement, il écarta les mèches de cheveux qui cachaient le côté gauche du cou de Maelen et ses yeux lâchèrent rapidement les siens pour se poser sur la peau blanche redevenue vierge de toute marque. Et la petite créature rageuse qui grognait au creux de son ventre, que l'on pouvait appeler jalousie, grogna de contentement.

« Mais j'ai compris que tu avais grandi Maelen, que tu étais devenu plus mature puisque tu sembles capable de faire face aux responsabilités qui t'attendent. J'ai compris que tu n'étais plus un enfant et que ton amour pour moi n'était pas un caprice. Tu sembles vraiment sincère »

Doucement, il laissa retomber les longues mèches blanches posant ses doigts à l'intérieur de son cou, effleurant la peau sensible du bout des doigts remontant jusque sous l'oreille puis il retraça la ligne de sa mâchoire avant d'emprisonner son menton entre ses doigts.
Il se pencha légèrement vers lui effaçant la petite dizaine de centimètres qui manquait à Maelen pour faire sa taille. Il plongea ses yeux dorés dans l'océan bleu du regard du jeune homme et il sentit son cœur battre plus rapidement.

« Je t'aime Maelen et je ne veux pas être séparé de toi une nouvelle fois »

Là voilà, il lui avait dit le principal, ce qu'il avait sur le cœur.
Alors il put enfin l'embrasser. Il put poser ses lèvres sur les siennes parce qu'il était en paix avec lui-même. Il avait accepté le fait que Maelen n'était plus un enfant, alors il pouvait entrouvrir ses lèvres tout contre les siennes. Il pouvait glisser sa main derrière sa nuque et envahir la chaleur de sa bouche sans se sentir l'âme d'un pédophile.
Ça lui avait pris un peu de temps, mais il était capable de laisser l'enfant à la place qui était la sienne : dans ses souvenirs. Il avait à présent un homme, un jeune adulte face à lui et il pouvait répondre à ses sentiments sans se sentir trop coupable. Oh bien entendu, cela n'effaçait pas toutes les appréhensions qu'il pouvait avoir et Hal-Haman qu'elles étaient nombreuses !
Mais ils verraient avec le temps, il voulait leur laisser une chance.

Il profita du baiser quelques instants, perdant un peu la notion du temps, puis il se redressa un peu le souffle un peu court. Il papillonna brièvement des yeux, écarta son visage de quelques centimètres pour ne pas être trop tenté de recommencer.

« Par compte j'ai des conditions Maelen. Je tiens au poste que j'occupe à l'Académie et que je veux nous laisser le temps de voir comment ça va fonctionner entre nous avant de mettre mon poste en jeu en mettant le directeur de l'école dans la confidence »

Shaem se redressa sérieux, brisant un peu la douce ambiance de leur baiser, mais il voulait que Maelen comprenne ses exigences. Sinon leur relation risquait de ne pas partir sur le bon pied.

« Tu l'auras compris, personne à l'Académie ne doit être au courant de notre relation, professeur, personnel, élève ... pas même l'un de tes amis. Lorsque l'on se verra avec du monde autour, je suis le professeur Nazarian pour toi et tu seras Maelen Ortega pour moi, je ne tiens pas non plus à ce que l'école apprenne le fait que j'ai été l'esclave de ta famille. J'ai parcouru trop de chemin depuis. Alors il faudra que l'on se soit prudent et que l'on décide des moments où l'on pourra se retrouver sans problème »

L'essentiel était dit et pourtant Shaem tint à rajouter une chose son regard s'animant soudainement d'une flamme un peu colérique, preuve que le caractère un peu explosif du Saabi restait bel et bien vivant. Du doigt, il pointa le cou de Maelen.

« Et que je ne te retrouve plus jamais avec des suçons dans le cou Maelen. Que ce soit bien clair entre nous ... je ne partage pas »

Le cœur au bord des lèvres, le souffle suspendu aux paroles de Shaem, il attendait, espérant ces mots. Espérant plus que jamais ces trois petits mots. Oh comme il en avait rêvé, si souvent, si désespérément. Alors, quand ils tintèrent contre le creux de son oreille, son âme défaillit. Une bouffée d’amour et de victoire s’engouffra en lui et si Shaem n’avait pas posé ses mains sur son visage il aurait hurlé au monde entier combien il était heureux. Ses lèvres s’étirèrent dans un long sourire remplit de félicité et il n’écouta que d’une oreille tout ce que le Saabi lui racontait.

Shaem l’aimait. Il l’aimait comme lui l’aimait. Il acceptait d’être son petit-ami, son amant. Ses yeux se remplirent de larmes mais il les repoussa bien vite préférant montrer un visage souriant d’émotion. Il resta accroché à ce regard doré acquiesçant à tout ce qu’il lui disait. Il était prêt à accepter n’importe quelle condition pourvu que le Saabi veuille le garder auprès de lui. Il lui aurait demandé de quitter Lindorm qu’il l’aurait fait sans sourciller.
Riant à l’une de ses remarques, il mit sa main devant sa bouche pour étouffer son rire et pouffa :

« Je peux continuer à faire des caprices si cela te permets de mieux me voir grandir.. »

Savourant les doigts dans ses cheveux, il pencha le visage, accompagnant le geste tendre du professeur et il ferma les yeux quelques instants quand les doigts frôlèrent ses pommettes. Puis doucement, il sentit les lèvres de Shaem se poser sur les siennes, et ses jambes se mirent à trembler violement.
Shaem l’embrassait, volontairement, il se penchait vers lui pour capturer ses lèvres et lui prouver qu’il l’aimait. Toute trace de pensée déserta l’esprit du Ventus et il ne fit que savourer la douceur de la peau du Saabi. Il inspira cette odeur de fleur d’oranger et son cœur tambourina dans sa poitrine. Il se retint de se jeter au cou du professeur et de dévorer ses lèvres de baiser. Non, il avait grandit, il devait se contenir. Ses joues s’empourprèrent un peu et quand il le relâcha il baissa les yeux sous l’effet que l’échange lui avait fait. Sa main se posa sur sa poitrine et il sentit chaque battement si distinctement qu’il cru que son cœur cherchait à s’échapper. Avalant sa salive avec difficulté, il s’accrocha aux bras de Shaem pour ne pas tomber et posa sa tête contre son épaule avant de le sentir s’éloigner un peu. Relevant le visage, il le fixa avec tout l’amour dont il était possible et il lui sourit timidement. Il avait l’impression que Shaem venait de lui prendre son premier baiser.

Il hocha la tête quand il lui dit de tenir sa langue et il se jura de faire tout son possible pour que cela ne s’ébruite pas. Personne ne serait au courant de son passé d’esclave. Bon à part Nathanael qui était déjà au courant, mais il savait que son ami emporterait son secret dans sa tombe.

« Je te le promets, je ferais très attention. »

Lui souriant, il baissa ensuite les yeux un peu de honte et il sut que la partie n’était finalement pas gagnée. Ses fiançailles lui revenaient en mémoire, tout ce qu’il avait voulut oublier tomba sur ses épaules et il masque son regard dans sa frange se mordant la lèvre avec anxiété.

« Je… »

Déglutissant, il joua avec ses doigts, tirant sur le bout de ses gants. Il ne savait plus ou se mettre. Il y avait maintenant Estefania qui entrait dans leur avenir et il ne connaissait pas la jeune fille. Il ne pouvait rien promettre, il ne savait pas…

Un peu perdu, il se fit penaud et voulut en cet instant que le sol s’ouvre sous ses pieds et qu’il disparaisse emporter pour toujours. Mais les graviers restèrent immobiles et le vent frais continua de souffler dans ses longs cheveux clairs.

« Mon père m’a fiancé » Lâcha t-il comme une bombe. Il releva le visage vivement et s’accrocha à la tunique de Shaem de toutes ses forces. « Mais rien ne m’empêchera de t’aimer Shaem, je..tu es tout pour moi, ces fiançailles ne changeront rien, tu seras toujours mon seul et unique amour…Je te le jure..je..Je t’aime »

Sa gorge se nouait de nouveau et il voulut l’embrasser, mais il se dit que cela était sans doute mal placé après la révélation qu’il venait de lui faire. Alors il lâcha les vêtements, lissant le tissu pour éviter les plis et recula de quelques pas. N’osant pas accrocher son regard, il croisa ses mains dans son dos comme le petit garçon qu’il était il y a dix ans quand il attendait que Shaem lui réponde.

Il savait pas, il ne savait vraiment pas comment allait réagir le Saabi, et pour le coup cela le terrifia.

L’amour que lui portait Maelen semblait fort et sincère.
Après tout, contrairement à lui, le jeune homme avait cherché à le retrouver, alors lui n’avait fait que repousser l’échéance, ne trouvant ni le temps ni le courage de le faire. Maelen était venu à Lindorm, choisissant la rudesse de l’école militaire au détriment de confort de la vie de noblesse d’Aeria. Certes, l’Académie allait lui apporter de bonnes choses, une bonne formation, des amis qui n'étaient pas de son milieu, mais au départ il avait fait la démarche pour le retrouver. Lui.
Et lorsqu’il l’avait maladroitement repoussé après qu’il l’ait embrassé par surprise, Maelen avait été particulièrement affecté, sa peine n'avait pas été feinte. Le jeune homme semblait déterminé et c’était également cette conviction qui avait aidé Shaem à prendre sa décision.
Il prenait le risque de donner une chance à leur histoire.

Il profita donc de l’instant, de la joie qui marqua les traits de son compagnon lorsqu’il lui donna sa réponse, du baiser semblable à un premier baiser qu’ils échangèrent, du contact de son front appuyé contre son épaule. Il se sentait grand, haute silhouette il le protégeait. Il se sentait bien ... complet.
Alors il pensait ne pas trop en demander en faisant promettre à Maelen de garder leur relation secrète, parce qu'il tenait à son emploi. Et effectivement le jeune homme lui en fit la promesse sans aucune difficulté.
Il pensait aussi ne pas trop en demander en lui demandant l’exclusivité. Certes Maelen était jeune, il découvrait les joies de la vie « étudiante », mais s’il disait l’aimer alors il devait se contenter de lui. Il s'estimait amplement suffisant et puis Shaem savait qu’il finirait par s’en prendre à quelqu’un s’il retrouvait à nouveau Maelen avec des marques – autres que les siennes – sur le corps. Le Saabi n’était pas prêteur. Il était d'un naturel calme ... mais il pouvait rapidement atteindre ses limites.

Il s’attendait que pour cette condition également Maelen lui réponde positivement et sans problèmes, pourtant il vit la joie du jeune homme fondre comme neige au soleil. Il le vit baisser les yeux, se tordre les doigts, des réflexes que le garçon avait déjà enfant et qui se manifestaient lorsqu’il était gêné.
Bien heureusement, ou pas, Maelen ne le fit pas languir plus longtemps et il lâcha sa petite bombe … lui annonçant que son père l’avait fiancé avant de passer de la vie à la mort.
Même après sa mort, Borus Ortega parvenait encore à lui pourrir la vie. Shaem serra les dents, les muscles de sa mâchoire se crispant sous l’effort, son souffle se fit un peu plus profond, signe qu’il était agacé mais qu’il prenait sur lui pour ne pas exploser.

Et Maelen le connaissait bien. Puisque quelques instants à peine après son annonce, il s’accrocha à lui pour l’empêcher de reculer, comme pour s’assurer que le Saabi ne reviendrait pas sur sa déclaration et la décision qu’il avait pris quelques minutes plus tôt.
Le regard doré de Shaem s’assombrit alors qu’il baissait les yeux sur le visage implorant de Maelen qui lui jurait encore une fois son amour. Puis tout aussi rapidement le garçon sembla presque capituler, ses doigts se desserrèrent et il le lâcha reculant de quelques pas avant de prendre cette position d’attente qu’il prenait déjà étant enfant.

Maelen était fiancé.
Et ça faisait clairement grincer Shaem des dents.
Maelen n'était pas sien, il ne l'avait jamais été, mais durant ses deux semaines, il avait continué à se rendre compte à quel point le garçon lui avait manqué. Il était parvenu, petit à petit, à le voir comme un homme et non plus comme un enfant, il le voyait comme un égal et non plus comme son petit Maître ... il avait encore quelques réticences mais il le voyait aussi comme un potentiel amant, un jeune corps capable de réveiller chez lui des pulsions qui lui semblaient encore malsaines.
Mais pas un instant au cours de ce processus, il n'avait envisagé qu'il devrait partager Maelen.

Alors oui certes ça aurait été mieux pour Maelen qu'il s'intéresse à une personne de son âge pour être sur la même longueur d'onde, une personne de l'autre sexe pour être facilement accepté, une personne qui pourrait lui donner des enfants pour lui permettre de bâtir une famille lorsqu'ils auraient l'âge et l'envie.
Et Shaem n'était pas assez égoïste pour lui refuser une telle opportunité.

Pourtant il n'aimait pas partagé.
Il avait beau être une personne calme d'apparence, ça n'empêchait pas le feu de brûler dans ses veines. Son passé d'esclave lui avait appris à bien se tenir, à refouler les émotions trop fortes, à prendre sur lui même lorsqu'il avait envie de frapper ou d'hurler. Il était maître de son corps et de ses humeurs, et c'était indispensable depuis qu'il s'était uni à Arrad et qu'il avait le don de foudroyer tout ce qui se trouvait à proximité.
Mais il restait quelqu'un d'entier, un jeune homme privé de liberté beaucoup trop longtemps et qui était devenu allergique aux ordres et à l'injustice. Alors lorsque Maelen lui annonçait qu'il était fiancé et que lui allait donc être relégué au second plan alors qu'ils débutaient tout juste leur relation, la nouvelle lui restait en travers de la gorge. Shaem n'avait pas un égo démesuré, mais il avait tout de même sa fierté et il savait qu'il se supporterait pas longtemps d'être relégué au second rang.

Il resta donc silencieux, tiraillé entre cette morale qui le poussait à tuer dans l'oeuf cette relation naissante pour laisser à Maelen la chance de construire une vie qui serait plus ... respectable, et cet amour présent en lui dès le premier. Cet amour qui ne demandait qu'à grandir et à s'épanouir.
Il claqua de la langue, preuve claire de son agacement, mais il ne quitta pas Maelen des yeux repensant à la force qu'il avait mis dans sa déclaration, l'intensité de ses sentiments lorsqu'il lui avait dit "Je t'aime".

« Et comment veux-tu t'y prendre Maelen ? Tu veux que l'on se voit en secret et que je me taise, que je m'efface lorsque tu iras sagement rejoindre ta fiancé ? »

La relation en secret, ils étaient déjà d'accord là dessus. Pour que Shaem puisse garder sa place au sein de l'Académie.
Mais il n'avait pas l'effort de faire évoluer ses sentiments pour devoir les réprimer et prendre sur lui lorsque Maelen irait faire son devoir de fiancé. Ce n'était pas dans le caractère du Narth de s'écraser de la sorte, surtout pas maintenant qu'il était pleinement maître de ses actes et de sa destinée.

« Et comment s'appelle l'heureuse élue ? Je me doute bien que j'ai déjà du la croiser lorsque j'étais au service de ta famille »

Shaem se refermait, il devait plus sec, plus ferme, plus incisif. Lui qui pourtant était du genre à prendre sur lui pour ménager Maelen et lui faciliter la vie autant que possible. Mais il était blessé dans son égo ...il était directement blessé au cœur.
Parce qu'il avait déjà commencé à se projeter dans cette relation.

Dire que tout aurait pu être comme dans un rêve. Tout aurait pu être si simple. Il aurait pu revenir avec le sourire, recevoir tout l’amour que Shaem avait pour lui, et s’arranger pour que leur relation ne soit jamais découverte. Mais il avait fallut que son père fourre son nez là-dedans. Et même si il n’était pas au courant que Shaem était vivant, il venait quand même contrecarrer leurs plans.
Et cela le brisa.

Il voulait Shaem plus que tout, il voulait son amour, il voulait son regard doré posé sur lui, ses sourires et ses mains dans ses cheveux. Il voulait pouvoir tout oublier. Mais son destin semblait inflexible et tendait à vouloir le faire s’éloigner le plus possible de l’ancien esclave.
Mais Maelen ne lâcherait pas, il ne voulait pas être faible, il voulait vivre ce qu’il avait décidé. Et il voulait Shaem. Désespérément et ce depuis tant d’année.

Fiancée ou pas, rien n’y ferait.

Et dans son égoïsme habituel, il ne comprit pas que Shaem serait sans doute relayé au second plan, qu’il devrait passer après sa fiancé, et que la fierté de l’ancien esclave serait durement touchée. Il ne se mit pas à sa place, pensant tout simplement que chacun trouverait sa place et qu’il volerait un peu entre les deux, gardant son amour pourtant toujours attaché à Shaem.
Alors quand la phase du Saabi claqua dans l’air en même temps que ce tic qu’il allait quand il était énervé, il baissa les yeux.
Il..il n’avait aucune réponse à donner, il n’avait pas de solution et le problème semblait insoluble. Son cœur se serra et pendant un instant il crut qu’il perdait Shaem pour toujours. Refoulant avec rage les larmes au bord de ses yeux, il se mordit l’intérieur des joues et à ce moment, il aurait voulut frapper quelque chose. Il aurait voulut expulser ce sentiment d’impuissance qui gonflait en lui. Il aurait voulut rassurer Shaem en lui disant que jamais il ne serait au second plan, mais il n’en savait rien et cela le blessa profondément. Ses mains se serrèrent sur son cœur douloureux et il chuchota doucement :

« Estefania Quinto..Elle est dans ma classe… »

Les yeux rivés sur le sol, il se sentait mal. Il avait envie de vomir tellement ses tripes se tordaient dans tout les sens. Dire qu’il avait à peine quelques minutes la joie comblait son cœur de la plus belle de la façon. Mais là, il ne pouvait rien faire. Il n’avait aucune solution.
Tirant sur son manteau dans des gestes répétitif de rage, il détourna le regard et inspira profondément. Il devait trouver une solution, il devait forcément y en avoir une. Mais rien ne lui vint.

Alors doucement, il s’avança, ses mains gantées encadrèrent le visage de Shaem et il leva le menton pour poser ses lèvres sur les siennes. Il l’embrassa doucement, portant tout son amour dans ce baiser. Il pouvait rien faire d’autre que de l’aimer, et de lui montrer. Sa bouche remua légèrement alors que ses pouces caressaient avec douceur les pommettes du Saabi. Puis reculant légèrement, il lui souffla le plus sincèrement du monde :

« Je t’aime Shaem. Tu es le seul et l’unique, il n’y aura jamais que toi…Peu importe à qui mon fiancera et peu importe le nombre de fois, peu importe tous ceux qui essaieront d’obtenir mes faveurs, peu importe les années et mon rang, il n’y aura jamais que toi. »

Poussant un soupir et lui prenant la main avec tendresse, il la porta à sa bouche et déposa des baisers brûlants sur la peau douce et parfumée. « Je ferais tout pour te garder auprès de moi… je…je suis désolé Shaem...Si tout avait pu être différent je l’aurais fait… »

Baissant les yeux alors que le Ventus frottait sa joue à la main du professeur, il préférait ne rien lui promettre si ce n’est son amour éternel, car il ne savait pas, il ne savait vraiment pas comment il allait pouvoir garder Shaem avec lui et devoir en même temps être marié. Il ne savait pas comment trouver un équilibre.
Peu être que la solution viendrait avec le temps, mais en cet instant, son avenir semblait bouché et terriblement compromis.

« Je t’aime Shaem…Ti amo, il unico, ti amo, ti amo.. » Reprenant sa langue natale sous l’émotion, il plongea entre les bras de l’ancien esclave et cala son visage contre son torse, écoutant son cœur battre à tout rompre.

Il voulait juste, désespérément, que Shaem l’aime…pour toujours.

Même après sa mort, il avait envie de faire tomber la foudre sur la tombe de Borus Ortega.
Peut-être que de cette façon, il aurait pu le refaire revenir d'entre les morts et le forcer à annuler sa dernière volonté qui allait très certainement leur pourrir la vie.

Shaem était quelqu'un de réfléchi. Même si dans certains situations, il lui arrivait d'agir sans réfléchir - comme la fois où il s'était placé entre le fouet et sa sœur - la plupart du temps, il faisait travailler ses méninges avant de passer à l'action. Il n'avait pas eu d'autre choix de toute manière en tant qu'esclave pour rester en vie.
Alors lorsque Maelen lâcha sa petite bombe, Shaem eut instinctivement envie de crier. A son tour, il eut envie de faire un caprice, il voulait Maelen pour lui tout seul et n'acceptait pas qu'une autre personne occupe une place plus importante que la sienne à ses côtés. Il eut envie de s'en prendre au père du garçon ... mais c'était bien trop tard.

Mais Shaem n'était plus un enfant, il ne l'avait jamais vraiment été. Il parvint à prendre sur lui, à contenir sa colère laissant ainsi le temps à ses méninges de se mettre en route. Si son cœur le poussait à s'investir pleinement dans cette relation naissante, de laisser une chance à ses sentiments d'évoluer au contact de ceux si forts de son petit maître, sa tête le poussait dans une autre direction. Parce qu'il savait qu'il était trop fier pour accepter longtemps une telle situation, il avait gagné sa liberté et ce n'était pas pour s'effacer dans sa vie privée. Et surtout, il était devenu assez mature pour "envisager" de faire mourir dans l'œuf cette relation naissante ... pour laisser à Maelen la chance de se construire une vie un peu plus noble. Pour le bien de Maelen, il pensait être capable de s'effacer. Tout du moins, il envisageait cette possibilité.

Mais il ne la mit pas en application à l'instant.
Pourtant il s'agissait du meilleur moment, parce qu'en laissant démarrer leur relation, il prenait le risque d'intensifier les sentiments que Maelen lui portait, mais également les siens. Et la séparation n'en serait que plus douloureuse.
Pourtant Maelen n'était pas capable de lui apporter la solution miracle. De trouver ce compromis impossible qui lui permettrait de mener à bien son rôle de fiancé puis de marié, tout en gardant Shaem à ses côtés, sans que l'ancien esclave ne soit lésé.
Pourtant il savait qu'il ne faisait pas le poids - d'un point de vue relationnel - face à la petite princesse Estefania Quinto, cette fille qu'il avait déjà croisé lorsqu'il était encore au service du père de Maelen. Que valait l'ancien esclave qu'il était, dragonnier et jeune professeur à l'Académie de Lindorm contre cette fille issue de la noblesse d'Aeria ?

Pourtant il ne voulait pas baisser les bras avant d'avoir essayé. Shaem était un battant, il voulait donner une chance à leur relation ... même si elle semblait vouée à l'échec vu les nombreux obstacles qui se dressaient entre eux.
Une fois de plus il cédait face au nouveau caprice de Maelen Ortega, vaincu par la force de ses sentiments. Il voulait y croire, il voulait croire à ses mots qu'il prononçait dans sa langue natale avant de plonger dans ses bras. Il savait que le jeune homme pensait ce qu'il lui disait et il voulait encore sentir ses mains sur son visage, son corps tout contre le sien.

Alors il referma ses bras autour de lui, même si sa poitrine était douloureuse à la simple idée qu'il allait devoir partager son jeune compagnon avec ... Mademoiselle Quinto.
Il soupira, vaincu, comme lorsque Maelen était enfant et lui faisait un caprice. Et il baissa la tête, pour que sa joue vienne frôler sa tempe. Pour se sentir un petit peu plus proche de lui.

« Je n'ai pas de solution non plus ... mais on va essayer » Il ferma un instant les yeux, inspirant la douce odeur qui émanait des longs cheveux de son compagnon « On va essayer de faire en sorte que ça marche malgré ce ... contre temps »

Il resserra un peu sa prise autour de lui profitant de l'instant sachant qu'il allait être difficile pour eux de se retrouver aussi facilement. Il se doutait bien qu'il allait certainement regretter sa décision, mais il ne pouvait pas faire autrement.
Les sentiments qu'il ressentait envers Maelen étaient forts, mais encore un peu incertains car mal définis. Mais ils étaient suffisants pour qu'il prenne le risque ... que ça se finisse mal.
Il resta un bref instant silencieux avant de gronder légèrement sans modifier leur position.

« Qu'est-ce que je ferais pas pour toi »

Ils fonçaient droit dans le mur, et tout deux le savait pertinemment. Mais Maelen voulait y croire, il voulait que cet amour qu’il avait tant espéré lui arrive. Il voulait y croire et garder espoir. Tout finirait par s’arranger, un jour, il l’espérait de tout son cœur.
Enfouit dans les bras tendre de celui qu’il adorait par-dessus tout, il inspira son odeur épicée et savoura ces derniers mots, riant doucement et oubliant tout le reste.

Il était prêt à souffrir et à faire souffrir pour garder cet espace entre ses bras rien qu’à lui. Il ne baisserait plus la tête et ferait tout que cela fonctionne. Jamais on ne lui retirerait Shaem. Pas alors qu’ils pouvaient enfin être ensemble.

Levant la tête, il posa une multitude de baisers sur les lèvres du professeur et observa chaque parcelle de son visage, imprimant dans sa rétine ce regard doré qui brillait d’un nouvel amour pour lui. Puis, de nouveau sa tête se posa sur son épaule et il se laissa berçer alors que la nuit tombait peu à peu sur Laragon.

Le bruit de la mer leur parvint et le vent d’automne souffla doucement, soulevant leurs cheveux. Pourtant, ils restèrent là enlacer jusqu’à la lueur des premières étoiles.
Doucement, dans le parc silencieux, l’on pu entendre une chanson fredonner doucement

Let the wind carry us
To the clouds, hurry up, alright
We can travel so far
As our eyes can see

L’avenir s’annonçait compliqué, mais dans le coeur de Maelen il brillait de milles feu.