Shaem était énervé.
Et inquiet.
Mais c'était bien la colère qui prenait le dessus et le mélange des deux n'était pas joli à voir.

Nathanaël était venu lui annoncer à la fin des cours, en fin d'après-midi plus précisément, que Maelen devait s'absenter quelques jours. Parce que son père était mourant et qu'il requérait sa présence à ses côtés.
Shaem aurait du s'en douter, après tout le jeune homme l'avait déjà prévenu la dernière fois qu'ils s'étaient vus de l'état de santé de son père. Ce n'était pas ça qui l'énervait. Il avait beau détester cet homme qu'il avait servi de si longues années et qui ... Bref il ne souhaitait pas sa mort pour autant, parce qu'il savait que Maelen tenait à son père et que sa disparation allait lui faire beaucoup de peine. Alors non, la mort du Maître n'était pas la raison de sa colère. C'était plus ... minutieux. Il était fortement contrarié par le fait que Maelen n'avait même pas eu le courage de venir le prévenir directement ! Il avait envoyé son "ami", ce délégué des Ventus pour venir lui apprendre la nouvelle comme s'il était n'importe quel professeur de Lindorm.

Mais il n'était pas n'importe quel professeur !
Pas pour Maelen en tout cas.
Il n'était pas n'importe qui pour son père non plus.
Non mais franchement qu'est-ce qui avait pu lui passer encore par la tête?!

Ils étaient fâchés, certes!
Ils ne s'étaient pas parlé depuis quelques jours ... semaines, certes!!
Maelen l'évitait comme la peste depuis qu'il l'avait embrassé et que Shaem avait manqué de tact en le repoussant, certes!!!
Mais il ne méritait pas d'être traité de cette façon, pas alors qu'ils avaient ce passé en commun où le père de Maelen y avait joué un rôle imposant.

Alors toute cette comédie avait assez duré.
Il était temps que le jeune homme lui fasse face à nouveau, il s'était assez caché derrière son dragon ou en séchant ses cours. Lorsque Nathanaël avait finalement quitté son bureau, Shaem avait rapidement fait de même. Il était pratiquement l'heure de diner, il y avait donc de fortes chances que Maelen soit dans sa chambre ou en chemin pour le réfectoire.
Il ne devait quitter l'Académie que demain dans la matinée, mais Shaem n'avait plus de temps à perdre. Il quitta donc le rez-de-chaussée passant devant les bureaux de certains de ses collègues avant de prendre la direction des dortoirs.

Il croisa des élèves qui riaient, chahutaient en se laissant porter par l'odeur qui s'élevait du réfectoire. Mais Shaem remontait le courant guettant cette chevelure blanche qu'il reconnaissait sans mal. Il s'attira la salutation de certains élèves y répondit vaguement, puis il s'attira quelques regards interloqués alors qu'il arrivait au niveau des dortoirs. Il était rare que les professeurs trainent dans cette partie de l'Académie, à moins d'un évènement majeur. La majorité du temps, c'étaient les surveillants qui étaient les maîtres des lieux. Peu importe.
Ses pas le portèrent rapidement, ses yeux passaient d'un numéro de chambre à un autre.
Il se rapprochait du but.

Il n'était plus qu'à quelques pas de son objectif lorsque Maelen sorti de sa chambre à la suite de certains de ses camarades. La colère du jeune professeur n'était pas retombée et ne s'apaisa pas vraiment devant le maigre sourire fictif dont le jeune homme avait orné son visage pour donner le change. Shaem n'était pas dupe, il était capable de déchiffrer la peine dans son regard, dans le coin de ses lèvres un peu trop crispé, dans la façon qu'il avait de jouer avec ses doigts. Mais les signes de cette peine ne parvinrent pas à l'apaiser, le Saabi ne s'enflammait pas souvent, mais généralement il lui fallait du temps pour retomber.
Et ça faisait de longs jours et longues semaines qu'il rongeait son os.

Alors maintenant qu'il l'avait enfin à portée de main, il n'allait pas le laisser filer.
Ralentissant à peine son rythme soutenu, il passa à côté des camarades de Maelen et sans plus de préambules il saisit le poignée du garçon l'empêchant de suivre le mouvement. Son regard colérique rencontra le sien laissant le temps à Maelen de comprendre le pétrin dans lequel il s'était fourré, jusqu'à ce que Shaem se rende compte que la conversation de ses élèves avait cessé et qu'on le fixait. Ses yeux dorés quittèrent le jeune homme et se posèrent brièvement sur la petite troupe.

« Allez diner, Monsieur Ortega vous rejoindra lorsqu'il m'aura expliquer la raison des cours qu'il a séché dernièrement »

Il avait relâché son poignet. Parce que le geste était un peu trop intime pour un professeur et son élève.
Il remonta donc sa main la plaçant entre les omoplates du jeune homme pour l'inciter à aller de l'avant. Il n'avait pas plus d'explications à donner à ses élèves, cette histoire ne les regardait pas de toute façon.
D'un pas vif, ils firent donc de traverser le couloir atteignant un escalier secondaire qui les permettait de regagner le rez-de-chaussée.

Lorsqu'ils avaient été hors de portée des regards des élèves, Shaem avait laissé retomber sa main, ses doigts avaient glissé le long du bras du garçon et il avait refermé sa main autour de la sienne. Un peu trop durement pour faire naître trop d'espoirs dans le cœur du plus jeune, mais assez pour que la chaleur de Maelen parvienne à faire accélérer légèrement les battements de son cœur.
Toujours animé de sentiments colériques, il marcha devant Maelen d'un pas vif, ne lui laissant pas d'autres choix que de le suivre. Il ne l'écoutait pas faisant en sorte de regagner rapidement son bureau. Et bientôt la porte fut en vue, ils n'eurent plus que quelques mètres à franchir et d'un geste souple, il ouvrit son bureau, poussa Maelen à l'intérieur et relâcha sa main pour refermer la porte derrière eux.
Et il lui fit face.

« Tu étais obligé de m'envoyer ton roquet au lieu de venir me prévenir directement?! »

Et voilà, ils rentraient directement dans le vif du sujet.

Sa valise était posée sur son lit, quelques affaires avaient été jetées dedans à la va-vite. Il n’avait pratiquement besoin de rien. Il rentrait chez lui, enfin chez son père. Il avait l’impression que là-bas, à Thanos, ce n’était pas vraiment chez lui. Ici, à Lindorm, il avait rencontré des gens formidables, des gens avec qui il avait rit, avec qui il avait pleurer, avec qui il avait combattu. C’était sa nouvelle maison pour les cinq prochaines années et il était fier d’appartenir à ces dragonniers qui risquaient leurs vies au combat.
Alors quand il ferma sa valise et que ses camarades vinrent le chercher pour aller manger, il jeta un rapide coup d’œil au lit de Ludvig dans lequel il avait passé la nuit et eut un léger sourire. Quand il reviendra il faudrait qu’il discute avec lui, pour faire le point, tranquillement, sans colère, juste pour savoir sur quelles routes ils devaient dorénavant marcher. Puis il se promit de passer un peu de temps avec Asa, il était persuadé qu’ils s’entendraient bien, qu’ils pourraient être de vrais ami. Alors c’est le cœur léger qu’il quitta la chambre.
Il s’engouffra dans le couloir, suivant ses amis en riant de bon cœur avant de voir la silhouette de Shaem se découper. Il regarda derrière lui dans l’espoir que ce n’était pas lui qu’il venait chercher, mais quand la main se referma sur son poignet, il fut bien forcé d’accepter qu’il était bel et bien ici pour lui. Un sourire calme se posa sur ses lèvres et il fixa ses camarades pour les rassurer. Mais son regard en disait long, il soutint les yeux dorés de Shaem sans faillir et il le suivit, secouant son poignet pour lui faire retirer sa main.

« Je vous rejoins tout à l’heure »

Riant, il emboîta le pas au professeur et fixa son dos, fixant cette carrure qu’il avait toujours suivit des yeux avec un amour infini. Puis quand ils furent seuls, il sentit la main se refermer sur sa paume et il poussa un soupir avant d’essayer de calmer les battements de son cœur. Il fallait qu’il se calme, qu’il se maîtrise. Il devait être un adulte dorénavant, il devait lui prouver qu’il n’avait plus dix ans. C’était ce qu’avait conseillé Nathanael.
Repoussant ses cheveux blonds dans son cou, il fut pousser assez durement dans le bureau et la porte se referma sur eux.

Voilà, ils étaient là, tout les deux, ils allaient bien falloir qu’ils discutent, enfin…Maelen aurait préféré reporté ça à après son voyage, mais visiblement Shaem semblait pressé de lui dire ses quatre vérités. Ses yeux glissèrent sur la sobre décoration du bureau, ses pupilles fouillant les peintures Saabis, et il pencha la tête quand la première réplique cingla l’air avec fermeté. Il poussa un long soupir et se pinça le nez avant de se retourner pour fixer Shaem sans ciller.

Sa vois se fit dure et ferme. Mais il resta calme.

« C’est le devoir des délègues de prévenir les professeurs, Monsieur Nazarian.. » Lâcha t-il alors qu’il croisait les bras sur sa poitrine, un sourire narquois sur les lèvres. Shaem avait voulut jouer avec lui, mais Maelen était aussi très fort dans ce genre de petit jeu. Il garda une maitrise de lui-même qui fut presque exemplaire.

« Je suis en tout cas ravi que vous soyez déjà informé de mon départ. Je ne sais pas quand je reviendrais, je vais devoir attendre la mort de mon père… » Cracha t-il acerbe. « Mais ne vous occupez pas du gamin que je suis, je saurais fort bien me débrouillé seul. Je n’ai pas besoin de votre compassion, ni même de votre amour… »

Il plaça chacun des mots qui lui avaient vrillé le cœur pour faire saigner celui de Shaem. Il avait décidé de mûrir, mais quand il serait revenu, quand sa relation avec Shaem serait terminé. Il allait devoir passé cinq ans ici, et il ne voulait pas se couvrir d’espoir inutile, il voulait en finir, ici et maintenant. Alors il joua sur le sarcasme, il cacha ce qu’il avait au plus profond de son cœur, il masqua les battements de son cœur, retint ses yeux de glisser sur cette peau mate et ses lèvres de se tendre dans une demande de baiser invisible. Non, il ne ferait plus de cadeau. Il ne voulait pas discuter. Il avait bien compris, trop bien. Il n’était qu’un frère, un ami..Mais il ne voulait pas être cela, il préférait ne plus voir Shaem du tout que de devoir se morfondre en espérant un geste de sa part.

Sa voix prit une pointe de colère et il lança revêche :

« Ne vous avisez plus de traiter Nathanael de roquet, vous ne savez rien de lui. Vous l’avez traîné en conseil de disciple alors qu’il donne le meilleur de lui-même dans cette académie… »

Ses yeux bleus s’accrochèrent à ceux de Shaem et il le dépassa pour poser sa main sur la poignée de la porte et demanda :

« Bien, si nous avons finit, j’ai des amis qui m’attendent… »

Son corps trembla légèrement à la seule pensée que c’était peut être la dernière fois qu’il était aussi près de Shaem et il retint ses lèvres qui commençaient à vibrer violement. Non, il était fort, il devait l’être…Il le serait, très bientôt.

*Reste calme Shaem*

Maelen le provoquait et Shaem ne le supportait pas.
Il avait toujours eu face à lui un enfant parfois turbulent, voir capricieux mais toujours respectueux. Il avait échappé à la crise de l'adolescence et apparemment il venait d'en avoir un bref aperçu.
Certes ses paroles trahissaient un peu trop de maturité, elles étaient un peu trop réfléchies pour venir d'une simple rébellion d'adolescent.
Maelen lui faisait clairement comprendre qu'il l'avait blessé.
Irrémédiablement visiblement puisqu'il semblait vouloir lui faire comprendre qu'il coupait plus ou moins les ponts avec lui.

Mais Shaem n'était pas d'accord.
Pas
du
tout.

Maelen enchaînait les piques maintenant la colère du Saabi à un niveau élevé tout en lui serrant progressivement la poitrine..
Il n’avait pas à s’occuper de lui, il pouvait se débrouiller.
Il n’avait besoin ni de sa compassion, ni de son amour.
Brusque retournement de situation depuis leur dernière rencontre où Shaem l’avait repoussé un peu trop durement. Il lui faisait clairement comprendre qu’il n’était plus un enfant … mais que visiblement il ne voulait plus de lui non plus.

Ses paroles semèrent le doute dans l’esprit du Saabi qui estimait que Maelen serait peut-être mieux sans lui. Tout du moins pas dans sa vie sentimentale. Lui était encore incapable de faire le point sur ses propres sentiments, il avait élevé Maelen jusqu’à onze ans, mais il ne l’avait pas vu devenir un homme. Il peinait encore à le voir comme tel, alors il était bien incapable de comprendre clairement l’origine des battements de son cœur.
Alors peut-être était-il préférable qu’il reste en retrait, pour que le jeune homme puisse se construire sainement en compagnie de ses camarades. Ce serait difficile d’établir une relation froide et simple de professeur à élève entre eux … mais c’était envisageable. S’il le fallait vraiment.

La colère de Shaem commençait à descendre, mais le dernière reproche du garçon concernant Nathanaël le fit repartir. Parce que Maelen n’était pas impartial, il lui prouvait clairement qu’il n’était pas aussi mature qu’il voulait le montrer.
Alors Shaem se mit en mouvement lorsque le garçon passa près de lui pour poser sa main sur la poignée de la porte. Il tendit le bras pour poser sa main sur la porte, son corps pivota et il pesa sur le battement se retrouvant tourné vers Maelen. Son torse n’était séparé de ses épaules tendues que par quelques centimètres, il le surplombait son regard posé dans ses fins cheveux blancs.

« Tu es injuste là Maelen »

Sa voix était toujours dure, mais pas froide, elle était encore brûlante de colère même si la jauge avait légèrement quittée le rouge par rapport à son arrivée dans les dortoirs.

« Crois-tu sincèrement que ça m’a fait plaisir d’aller en conseil de discipline alors que j’y ai échappé durant toute ma scolarité ? »

Il voulait lui faire comprendre la bêtise de sa remarque, cette accusation poussée uniquement par la colère qui l’animait.

« Cette histoire ne le concernait pas directement, c’est un incident entre moi, une élève et nos dragons. Il s’est impliqué tout seul dans cette histoire. Si tu veux reprocher la présence de Nathanaël au conseil, tu peux t’adresser directement au proviseur »

Il peinait à garder son calme.
La colère continuait à bouillonner dans ses veines animée par la peine dont laquelle il luttait silencieusement. Maelen l’avait vouvoyé mettant une distance certaine entre eux. Et ça lui faisait mal, mais il ne pouvait pas se laisser submerger.
Pas tant qu’il n’avait pas éclairci certains points avec Maelen. Il ne pouvait tout simplement pas le laisser partir ainsi. Il lui devait des explications pour la dernière fois. Alors il continua à peser sur la porte bloquant sa retraite.

« Ne mélange pas tout Maelen ! Si tu es en colère c’est pour ce que je t’ai fait la dernière fois »

La colère essayait de retomber tout doucement alors que l’embarras montait en lui.
Shaem n’était pas un homme de paroles, il n’était pas toujours facile pour lui d’exprimer clairement ce qu’il ressentait. Il n’avait pas ce genre de problèmes dans sa vie professionnel, lorsqu’il devait donner ses cours, mais c’était bien plus compliqué à l’instant … alors que ses sentiments étaient encore trop flous pour qu’il puisse faire le tri.

« J’ai réagi un peu brusquement, tu m’as pris par surprise Maelen. Je ne m’attendais vraiment pas à une telle réaction de ta part, sinon j’aurais mesuré mes paroles »

Sa discussion avec Moïra lui avait permis de réfléchir de manière plus constructive à cet évènement. Et même s’il n’était pas encore parvenu à avoir le recul nécessaire pour démêler ses sentiments et les réactions qu’il avait pu avoir ce jour-là, il était capable de se rattraper.
Ils avaient déjà laissé trainer cette situation trop longtemps.

«J’ai encore beaucoup de mal à te voir autrement que comme le petit garçon de onze ans que j’ai laissé derrière moi en fuyant Aeria »

Bien sûr qu’il le faisait exprès, bien sûr qu’il le vouvoyait pour le faire sortir de ses gonds. Il savait comment faire pour que Shaem plonge la tête la première. Il retournait sa veste, car il savait au fond de lui que jamais le professeur ne l’aimerait, il lui avait clairement fait comprendre. Alors plutôt que d’essayer de l’attirer en se montrant adulte, combat qu’il pensait perdu d’avance, il préféra le briser pour l’éloigner. Après les mots que Shaem lui avait lancés, après le mal qu’il lui avait fait, Maelen restait persuadé que jamais il n’aurait ce qu’il voulait du Saabi.

Cela lui faisait mal, il sentait son cœur se tordre dans sa poitrine, il sentait son cœur de petit garçon essayer de percer sa poitrine et de crier qu’il existait aussi. Mais c’était trop tard….
Plonger dans les bras de Ludvig lui avait plus ou moins ouvert les yeux, il n’était pas difficile de se faire plaisir, de s’attacher à d’autres que Shaem. Il le pourrait…dû moins, il l’espérait.
Fermant les yeux alors que le brun claquait la porte sous son nez, il poussa un long soupir.

Oui il esquivait la conversation en la recentrant sur Nathanael, c’était plus simple de parler de lui que de parler d’eux. Ses dents se serrèrent alors que les mots claquaient avec un étrange calme à ses oreilles.
Son sang bouillait dans ses veines. Il voulait en finir, ne plus s’énerver, oublier, encore, pour toujours. Il ne voulait plus entendre qu’il n’était qu’un gamin il ne voulait plus entendre parler de leur différence d’âge, il ne voulait plus l’entendre parler, alors il hurla sortant de ses gonds :

« LA FERME !!! LA FERME LA FERME ! »

Criant à plein poumon il frappa contre la porte, percutant le bois avec son poing. Ses lèvres tremblaient violement, son corps était prit de soubresaut de colère. Il aurait tellement voulut pouvoir resté calme, sourire et acquiescer à tout ce que Shaem disait. Mais ce n’était pas possible. Shaem comptait trop pour lui que ces décisions ne l’impacte pas directement, pour que chaque mot qui sortait de sa bouche ne le blesse ou l’emplisse de joie.

Frappant ses tempes de ses poings il se dégagea de l’étreinte du Saabi et tourna en rond comme un lion en cage. Il sentait la rage lui monter dans la gorge, il voulait sortir, courir, sauter dans le vide même, il en serait bien capable maintenant.

Plongeant ses yeux remplis de colère dans ceux du Saabi, il cracha :

« Mais tu t’attendais à quoi Shaem ? A ce qu’on se sert la main comme deux inconnus ? A ce que je te souris de loin et que je me tienne à l’écart. MERDE ! Shaem, je t’ai embrassé il y a plus de dix ans. Ouvre les yeux !!! »

Glissant ses mains dans ses cheveux, il les remonta et se pressa les paumes contre son crâne retenant des mèches.

« Ne me traite plus comme un gamin. Je ne suis plus un enfant. J’ai vingt et un an. Plus onze. Qu’est ce qu’il faut que je fasse pour que tu le voies, que je me foute à poil et que tu accepte que je n’ai plus un physique de gamin…. »

Nerveux, il se retourna ne sachant plus quoi faire de son corps, ses mains se tordaient, ses jambes marchaient inlassablement, sa voix criait et il ne pouvait plus s’arrêter.

« Mon père va mourir et j’aurais plus de responsabilité que toi à l’heure actuelle ou que tu n’en auras dans toute ta vie. J’aurais sa fortune à gérer, le palais, les domestique, les alliances, le nom Ortega. Et si Mara venait à mourir, tu sais ce qu’il se passerait Shaem ? Tu le sais ? Je resterais le dernier Ortega de tout Aéria…Je deviendrais sans doute Gouverneur, alors ne me fais pas rire avec tes petits soucis de visualisation. Il n’y a vraiment que toi pour te voiler la face de cette façon. »

Sentant son cœur pulser dans ses oreilles, il inspira profondément et se pinça l’arrête du nez pour essayer de se calmer.
Il avait envie de pleurer, terriblement. Il voulait appeler Nathanael au secours et craquer entre ses bras. Il voulait oublier Shaem dans les bras fort de Ludvig. Il voulait rire aux côtés de Raphaël.

Il voulait que le professeur prenne une décision, il devait là, maintenant, alors il lâcha un ultimatum :

« Bien, Shaem, avec ces nouvelles données, tu vas me dire maintenant si tu me vois toujours comme un gamin. Si c’est oui, alors tu pourras oublier toutes tes années à Thanos, nous serons plus que deux parfait inconnu l’un pour l’autre…Si c’est non, je veux que tu m’embrasses là, maintenant, mais pas d’un léger baiser, je veux que tu m’embrasses comme le garçon de mon âge que je suis, je veux toute la passion dont tu es capable. Je veux sentir que tu m’aimes… »

Car c’était ça le problème. Shaem l’aimait-il ? Outre le fait qu’il le voyait comme un gamin, peut être qu’un jour il le verrait comme un adulte, mais à ce moment là, qu’est ce qui lui disait que Shaem l’aimerait d’un amour infini ?

Il savait Maelen susceptible, il se doutait bien qu’il était sur les nerfs compte-tenu de la situation et de l’accumulation des évènements. Entre lui qui avait eu des mots un peu durs à son égard et l’annonce de la mort à venir de son père, il l’imaginait bien.
Mais pas à ce point.
Il fut surpris de le voir lui crier dessus de cette façon lui disant si brutalement de se taire, cela manqua de lui donner envie de gronder le vilain gamin qu’était Maelen, mais cette idée lui passa bien vite.

Maelen s’énerva contre lui, tourna dans son bureau comme un lion en cage et Shaem demeura immobile retirant sans vraiment s’en rendre compte sa main de la porte écoutant avec attention ce que le garçon avait à lui dire. Ou plutôt à lui reprocher.
Il chercha à lui faire comprendre qu’il n’était plus qu’un gamin et si sa proposition de se mettre nu n’impressionna pas le jeune professeur plus que ça … les paroles qui suivirent par compte firent leur petit effet.

Maelen lui renvoyait en pleine figure son mal-être et plus précisément les responsabilités qu’il allait devoir porter à la mort de son père. Il lui prouva par ce biais qu’il n’était plus un enfant, qu’il était capable de comprendre ce qui l’attendait. Il avait grandi, il avait muri et pourtant Shaem voyait encore l’enfant apeuré derrière ses paroles. Parce que toutes ces responsabilités allaient être un fardeau bien lourd à porter pour une personne si jeune.
Alors oui Shaem était capable de comprendre, il pouvait comprendre qu’il avait grandi. Il lui fallait juste un peu de temps pour se faire à cette idée. Il aurait très bien pu s’apaiser totalement à l’écoute de ses paroles, mais Maelen fit une grossière erreur : il s’attaqua à la fierté longtemps refoulée de l’ancien esclave.

Bien entendu lorsque Maelen lui disait qu’il allait avoir des responsabilités que lui n’aurait jamais de toute sa vie, il employait ce superlatif pour lui faire comprendre l’importance des fonctions qu’il allait assumer et la maturité dont il devait faire preuve. Mais, sans forcément s’en rendre compte, il rabaissait l’ancien esclave qu’il avait été.
Lui n’était pas issu d’une famille noble, au contraire il en avait servi une durant presque vingt ans. Il avait toujours mis sa fierté de côté, parce qu’un esclave trop fier ne faisait jamais long feu et qu’il était responsable de sa mère et de sa sœur, alors il ne pouvait pas faire des vagues. Mais il avait fini par avoir le courage de dire non, de se dresser de toute sa hauteur et enfin de dire ce qu’il avait sur le cœur au Maître. Il lui avait fallu une bonne dose de colère et de courage ce jour-là pour s’affranchir et pour s’enfuir avec sa mère et sa sœur. Alors il était piqué à vif par les paroles de Maelen qui le dénigrait.

Sa colère remonta en flèche alors que le garçon lui s’apaisait, mais il parvint tout de même à la contenir le temps que le garçon lâche son ultimatum. Et ça ne l’aida franchement pas à s’apaiser.
Parce que le garçon lui faisait clairement du chantage sans tenir compte de la situation dans laquelle il mettait Shaem.

« Non, c’est clair, je te vois plus comme un gamin Maelen … » Il s’approcha de lui, le ton de sa voix restait normal mais vibrant de colère et il l’attrapa par le col « … mais plutôt comme un sale con »

L’insulte claqua sans qu’il n’enlève la voix. Sa colère sourde était facilement perceptible dans son ton.
Bandant les muscles de ses bras, il fit décoller Maelen en s’aidant également de sa deuxième main pour ne pas l’étrangler. Il ne le souleva pas beaucoup, mais assez pour le faire légèrement reculer et pour l’asseoir sur son bureau froissant quelques papiers au passage.
Il n’était pas capable de lui faire du mal et pourtant il n’était pas vraiment doux pour l’instant. Il le relâcha et vint se coller au bureau. Ses mains glissèrent sur les flancs du garçon, puis il le saisit brusquement par les hanches pour le faire glisser sur le bois et coller son bassin au sien.

« Tu veux quoi ? Que je t’embrasse là maintenant, passionnément au point de t’en faire tourner la tête ? Et puis quoi, que je te prenne là sur mon bureau pour qu’on y est ?! »

Son corps était tendu, ses doigts crispés sur les hanches légèrement saillantes et la colère brûlait dans son regard assombri. Il était stressé par la situation. Il était peiné pour Maelen, pour la perte qu’il allait devoir surmonter.
Est-ce qu’il l’aimait ? Est-ce qu’il le désirait ? Il n’arrivait pas encore à le savoir, il savait qu’il éprouvait quelque chose de très fort à son égard, mais il ne parvenait pas à réfléchir correctement.

« Je n’aurais peut-être jamais autant de responsabilités que toi, grand Ortega, mais je tiens à ma place ici ! Ici je peux lutter à ma manière. Je ne me suis pas cassé le cul à obéir aux putains d’ordre que l’on me donnait sur le front pour tout foutre en l’air maintenant ! »

Ça y était, le ton montait enfin. Sa colère éclatait en même temps qu’il l’informait de l’offense qu’il lui avait fait. Ses mains se mirent à trembler et il eut tout juste le temps de se redresser relâchant Maelen avant qu’une puis deux étincelles vinrent claquer au bout de ses doigts.
La lumière de la pièce vacilla légèrement.
Il n’y avait bien que Maelen pour le mettre dans un tel état.

« Tu sais d’où je viens Maelen, mais tu ne sais pas ce que j’ai du faire pour nous affranchir, pour construire une vie à ma mère et à ma sœur. Tu ne sais pas ce que c’est que de combattre sur le front. Putain Maelen ! Tu n’as pas la moindre idée de l’importance que j’accorde au poste que j’occupe aujourd’hui »

Il ferma brièvement les yeux comme pour chasser les images de mauvais souvenirs et ce fut son tour de faire quelques pas rageurs dans la pièce. Une nouvelle étincelle claqua au bout de ses doigts mais moins fortement que précédemment.

« Alors ne me mets pas au pied du mur de cette façon Maelen, ne me dénigre pas de cette façon » Il prit une inspiration s’immobilisant finalement à deux mètres du garçon « Laisse-moi un peu de temps, je tiens à toi c’est indéniable … mais j’ai besoin de réfléchir, quelque soit ma réponse, elle risque d’avoir beaucoup de conséquences. Autant pour toi que pour moi »

Il avait peur. Il était même terrifié. Il ne voulait pas perdre son père. Il ne voulait pas être seul. Il se voyait déjà parcourant les immenses couloirs du palais de Thanos désespérément vide et pourtant remplis des souvenirs de son enfance. Alors, à cause de cette peur abyssale, de ce rejet qu’il avait dû subir, il paniquait. Après tout Maelen n’était encore qu’un gamin de vingt ans qui essayait d’être grand.
Mais il savait au fond de lui qu’il n’en était rien. Il ne voulait pas de toute ses responsabilités, il ne voulait pas de tout cet argent...Il voulait encore moins de ces esclaves qui peuplait sa maison. Il voulait quelqu’un à ses côtés, il voulait Shaem, désespérément, et il ne pouvait s’empêcher de se montrer odieux, car il avait peur encore une fois. Peur de le perdre, peur de ne jamais le revoir, peur de devoir l’ignorer pendant tout le reste de sa vie.
Pourtant, c’est le choix qu’il fit, d’être acerbe et lui asséner le coup de grâce. Il affronta sa peur et le rejeta en bloc, il l’humilia une fois de plus, tapant dans sa fierté qu’il avait trop longtemps mit de côté.
C’était facile pour lui de le briser, il connaissait tous ces honteux secrets, son passé d’esclave, il avait tant à lui reprocher.

L’insulte le fit intérieurement rire. Shaem avait bien changé, jamais il n’aurait levé le ton comme ça avant, jamais il n’aurait traité son petit-Maître de « sale con ». Pourtant son regard s’accrocha au sien et il se sentit soulever. Ses mains se refermèrent sur les poignets du Saabi et il sentit le bureau taper contre ses cuisses.
Ses pensées s’embrouillèrent un peu et sa respiration s’accéléra. Les mains glissèrent sur ses hanches et Maelen retint un couinement de sortir de sa gorge. Son corps bascula et il se retrouva allongé sur le bureau, Shaem collant ses hanches contre les siennes.
Pendant un instant, un fol espoir le traversa, il voulut presque y croire et remua légèrement les fesses. Mais quand il entendit le ton de Shaem, il sut qu’il ne rigolait pas.
Il se mordit les lèvres et le fixa en baissant les yeux. Il n’était qu’un petit con, un petit égoïste. Il était un petit noble qui ne pensait qu’à lui.

Allongé sur le bureau, il se passa la main sur les yeux avant de voir la lumière vaciller et l’électricité crépité dans l’air. Il savait que Shaem avait fait beaucoup d’effort pour obtenir cette place et ainsi se protéger de son ancien statut d’esclave. Il savait qu’il avait combattu au front, qu’il avait tué…Mais comme pour le Saabi qui restait bloqué avec cette image de petit garçon, lui ne voyait que le jeune homme de dix-neuf ans qui l’avait élevé, à qui il avait donné un baiser sans trop comprendre.

Se redressant, il resta assit sur le bureau et lança d’un ton plus calme.

« Je suis désolé… »

Puis baissant la tête, honteux, cachant son regard derrière ses cheveux, il avoua à demi-mot :

« Tu..tu es tellement important pour moi Shaem. J’ai peur que si tu ne m’aimes jamais comme j’en ai envie, que je ne puisse pas rester ton ami. »

Inspirant il se mordit l’intérieur des joues et se mit debout pour épousseter ses vêtements.

« Je pars demain matin…Tu auras tout le temps d’y réfléchir. Sache juste que…Si tu me disais non, je ne serais plus capable de te sourire et de faire comme si de rien n’était. Nous redeviendrons, deux inconnus…Toi un professeur, et moi un simple élève. »

S’approchant de Shaem, il se posta devant lui une moue triste sur le visage et il attrapa sa chemise avant de poser son front contre son torse. Il resta agrippé contre le tissu pendant quelques secondes, son souffle chaud frôlant la peau mate du Saabi.

« Je t’aime Shaem. Je t’aime comme personne. »

Puis relevant son visage, il se força à sourire et se haussa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur ses lèvres dorées.

« Il n’y a que toi qui compte… il mio unico amore »

Puis, quittant son regard à regret, il retomba sur ses pieds et détourna son regard légèrement rougis. Il sentit son cœur lourd, et tout ce qui l’attendait pour le futur retomba sur ses épaules. Il n’y avait vraiment que contre le Saabi, qu’il se sentait apaisé…

Il n’était pas encore capable de prendre une décision.
Il ne pouvait pas lui dire s’il était capable de l’aimer autrement que de la façon dont il avait aimé le petit garçon qu’il avait élevé pendant de si longues années. Il avait beau dire, beau mettre en avant son envie de liberté, sa responsabilité envers sa famille … ça l’avait clairement déchiré de laisser Maelen derrière lui.
Il y avait beaucoup trop de choses qui lui tournaient dans la tête, autant d’arguments pour et d’arguments contre : sa position au sein de l’Académie, ce jeune corps si différent de ses souvenirs, leur différence d’âge, les sentiments forts qu’il ressentait à son égard, son caractère si fort et parfois trop égocentrique, la chaleur qu’il ressentait en sa présence, sa demande d’attentions presque constantes …

Tant de pensées qui s’entrechoquaient, qui l’empêchaient de penser clairement et qui faisait battre son cœur trop rapidement. Il avait encore tellement de mal à se dire qu’il avait retrouvé Maelen, ce garçon qui comptait tant à ses yeux et qui lui avait tant manqué. Ce garçon pour lequel il s’était battu sur le front.
Alors oui il était énervé par les demandes trop catégoriques de Maelen, par son incapacité de prendre en compte des problèmes qui n’étaient pas les siens. Mais il était surtout incapable pour le moment de réfléchir clairement à ses sentiments. Et puis il se faisait presque peur parce que ce n’était pas vraiment consciemment qu’il avait plaqué le garçon sur son bureau et il était bien content d’être encore maître de son propre corps, et non pas esclave de désirs sournois qu’il découvrait à peine.

Alors que le jeune homme se redressa finalement en position assise sur son bureau et qu’il s’excusa, la poitrine de Shaem s’allégea un peu. Parce que Maelen lui prouvait qu’il était capable de prendre en compte ses sentiments, ses émotions et surtout les difficultés que lui pouvait avoir de son côté. Il parvenait un peu à passer au-dessus de son caractère un peu égoïste. Et surtout ses paroles le touchèrent alors qu’il lui rappelait une nouvelle fois l’importance qu’il accordait à leur relation.

La colère continua à parcourir les veines du Saabi, mais elle s’apaisa progressivement permettant aux étincelles de quitter le bout de ses doigts. Sa poitrine se serra face à l’ultimatum sincère dont Maelen lui faisait part, visiblement le jeune homme n’était pas capable de rester à côté en tant que simple ami ce qui ne leur laissait que deux choix : inconnus ou compagnons.
Les arguments pour et contre remplirent leur lutte de plus bel de son esprit et pourtant il resta calme lorsque le jeune homme vint poser son front tout contre son torse. Il sentit la chaleur de sa peau à travers le tissu de sa chemise et il leva ses mains frôlant ses bras sans oser s’y poser.
Il ne se faisait pas confiance.

Son cœur battit un peu plus vite à la déclaration de Maelen renforçant le tourbillon dans son esprit et il se fit violence pour ne pas bouger lorsque les lèvres du garçon se posèrent sur les siennes.
Il ne faisait vraiment pas confiance.
Maelen retomba sur ses pieds et détourna les yeux, le regard doré du Narth suivi les fines mèches de cheveux blanches qui glissèrent sur l’oreille, l’angle de la mâchoire du jeune homme dévoilant son cou …
… et des marques.

Son cœur battait vite mais il loupa un battement.
Instinctivement il leva sa main et il écarta un peu les mèches blanches de ses doigts à la peau mate. L’extrémité de ses doigts vint frôler la peau pâle faisant remonter de légers frissons dans ses bras et il alla frôler les marques, ronds plus ou moins ronds qui oscillaient entre le rouge et le bleu.
Mais ce n’était pas des bleus.
Et pourtant Shaem aurait préféré que ça en soit.

Le jeune professeur déglutit, sa respiration se fit un peu plus profonde.
Désir ? Peur ? Colère ?
Un joyeux mélange de tout ça que l’on pouvait regrouper sous un sentiment unique.
La jalousie.
Intense émotion qui explosa dans sa poitrine envoyant valser tous les arguments qui se battaient comme des chiffonniers dans son esprit.

La colère aurait pu reprendre le dessus. Il aurait pu exploser de nouveau.
Mais à la place, il posa simplement sa main sur les marques, les masquant à sa vue. Il sentait l’électricité courir en lui, son don se réveiller sous les émotions fortes qui faisaient rages en lui, il aurait pu envoyer une décharge au jeune homme mais il se retint. Parce que sa colère n’avait pas à éclater, pas maintenant. Pas alors qu’il n’était pas capable de répondre à Maelen.

Mais Shaem était jeune, même s’il était professeur, il avait son caractère impulsif et sans qu’il ne puisse totalement se maîtriser, un très léger flux d’électricité quitta sa main pour traverser le corps de Maelen. Rien de douloureux, juste un frisson un peu plus … particulier qui fit relever les yeux au jeune homme.
Et Shaem se pencha pour poser ses lèvres sur les siennes.

Il n’aurait pu du.
Pas maintenant alors qu’il était bien incapable de répondre à ses sentiments.
Maelen avait compris, il lui laissait du temps. Le temps qu’il allait passer à Aeria, loin d’ici.
Mais la vision de ces marques sur sa peau si blanche l’avait électricité et il l’embrassa. Pas d’un baiser violent et dominateur, d’un baiser doux mais bien réels qui dura quelques longues secondes.

Puis Shaem se redressa calmement. Sa main quitta la nuque du garçon et il joua légèrement avec les mèches blanches pour recouvrir ces marques qui le perturbaient. Son regard doré plongea dans celui du garçon.

« Je tiens énormément à temps Maelen, même si je t’ai laissé derrière moi chez ton père, je ne t’ai pas oublié »

Clignant brièvement des yeux, il laissa retomber sa main le long de son corps jouant avec ses doigts comme pour les occuper au lieu de faire autre chose.

« J’ai bien entendu ce que tu m’as dit, tu auras ma réponse à ton retour. Je te le promets »

Alors voilà, la fin du deuxième acte de leur vie prenait doucement fin. Ils avaient eu un passé commun, mais Maelen doutait que leur futur le soit aussi. Il voulait de tout cœur espérer, mais il se tempérait. Il ne voulait pas que sa déception soit trop dure à accepter.
Alors il resta dans l’étreinte fictive du professeur. Il resta tout près de lui, se laissant doucement manipuler comme il l’avait toujours fait. Il le laissa glisser ses doigts sur sa nuque, jouer avec ses cheveux, il inspira pour sentir une dernière fois l’odeur de sable et d’épice, marqué par des embruns frais d’Aéria. Il aurait tout donné pour que le monde s’écroule à cet instant, qu’il ne reste plus que leur deux corps collé l’un contre l’autre.

Mais il ne pouvait pas, il avait de nouvelles responsabilités à endosser. De nouvelles perspectives d’avenirs, il devait grandir, enfin. Cela lui prendrait peut être un peu de temps, mais il y arriverait, le temps était fait pour ça. Il espérait juste que quelques fois, il aurait le droit de redevenir un gamin, de piquer sa crise, de rire, de se goinfrer de gaufre aux parcs avec ses amis, qu’il aurait le droit de se rouler par terre, de sauter dans le vide si l’envie lui prenait, il voulait être libre, pour toujours. Il voulait sentir l’air lui fouetter le visage, l’ombre de Shaem derrière lui, courir le monde à toute allure et se reposer où bon lui semblait….
Mais tout comme son amour pour Shaem serait peut être un jour un lointain souvenir, il se dit que ce qu’il avait de plus cher, il ne le réaliserait pas.
Car dans la vie, tout n’était pas toujours permis, et si certains l’enviait car il était « bien » né, lui avait la terrible impression d’être né avec une destinée toute tracée. Tout aurait pu être différent si Shaem l’avait emmené avec lui, s’il n’était pas né Ortega, s’il n’avait pas rencontré Norn. Mais la vie était ce qu’elle était et il allait devoir faire avec.

Alors quand un frisson plus puissant que les autres lui fit relever les yeux, il sentit son cœur s’emballer dans sa poitrine, l’espoir creusa son âme, arquant ses reins et il ferma les yeux, un bonheur infini lui vrillant l’esprit. Shaem l’embrassait, tendrement, c’était un baiser que Maelen n’avait pas provoqué, il n’avait ni mendié, ni pleuré, ni même menacé pour l’avoir. Alors il sourit doucement à travers ce doux échange. Il se retint de se jeter à son cou, il savait que Shaem avait besoin de temps pour réfléchir, que ce baiser était juste un « au revoir ».

Bientôt peut être y en aurait-il d’autres ?

Rouvrant les paupières quand Shaem quitta ses lèvres, il leva la main et frôla son visage avec une douceur qui lui était méconnue. Il frôla les anneaux d’or à ses oreilles et glissa sur la nuque pour courir sur la petite chaîne en or qu’il portait autour du cou. Puis tirant un peu, il dévoila une pierre aussi bleue que ses yeux et il la laissa retomber sur le cœur du Saabi.

Shaem ne l’avait jamais oublié.

Cette pensée le rassura et dans un dernier geste, il se haussa de nouveau sur la pointe des pieds et déposa un unique baiser sur sa pommette. Il poussa un petit soupir, lassé par ce qu’il s’apprêtait à vivre dans quelques jours, à devoir attendre la mort inévitable de son père.

Alors s’écartant de l’étreinte, il se mordit la lèvre et baissa la tête. Il dépassa Shaem, et posa sa main sur la poignée de la porte. Dans un ultime geste, il se retourna et fixa le Saabi avec tout l’amour dont il était capable. Ses lèvres tremblèrent un peu, ses yeux s’embuèrent de larmes, il avait l’impression de lui dire adieu pour toujours. Mais il cacha bien vite sa tristesse et ouvrit la porte en disant simplement :

« A bientôt Shaem ! »

La porte se referma dans son dos et il essuya les larmes qui roulaient sur ses joues. Il ne devait pas pleurer, il allait revenir et il saurait enfin s’il comptait pour lui. Il saurait enfin si sa vie serait celle qu’il avait imaginée aux côtés de l’homme le plus important de sa vie.

Et qui sait, peut être que bientôt…tous les espoirs seraient permis.

Il n'aurait certainement pas du l'embrasser.
Pas maintenant alors que Maelen lui laissait le temps de son absence à venir pour réfléchir.
En l'embrassant, il lui donnait de l'espoir et pourtant il n'était pas encore capable de savoir s'il allait lui répondre positivement ou pas.

Mais ça avait été plus fort que lui.
En remarquant les marques dans le cou de Maelen, son cœur avait eu un loupé. Il ne savait pas qui lui avait fait ça. Homme ou femme? Elève de 1e année ou de dernière année? Et surtout dans quelles circonstances ?
Shaem avait senti la jalousie, ce sentiment pervers monter en lui. Il avait senti son corps se tendre et son don se manifester à nouveau.
Il avait d'avoir la preuve concrète que Maelen était "un grand".

Il aurait pu lui crier dessus, lui envoyer une décharge bien plus forte que le frisson qu'il avait généré, mais il n'avait pas à agir de la sorte. Certainement pas maintenant alors qu'il était incapable de dire si cette jalousie était juste du à son instinct protecteur particulièrement développé lorsqu'il s'agissait de Maelen, ou si c'était plus que ça.
Il avait tout de même fait la bêtise de l'embrasser.
Et visiblement ça ne dérangea pas Maelen.

Mais il fit en sorte de ne pas regretter son geste se redressant et souhaitant bonne chance au jeune homme à sa manière. Maelen lui répondit d'un baiser léger sur la pommette continuant de naître à l'intérieur du Saabi une multitude d'émotions qu'il ne souhaitait pas analyser pour le moment.
Il aurait bien assez de temps durant ces quelques jours voir semaines durant lesquelles Maelen allait être absent. Il sentit son cœur battre un peu plus vite lorsque le jeune homme s'éloigna enfin et qu'il le regarda au pas de la porte.

« Bon courage »

Il dut se faire violence pour ne pas le rattraper.
Il ne pouvait pas agir sou l'effet d'une impulsion, pas alors qu'il était incapable de mettre un nom clair sur ses sentiments.
Il était encore trop embrouillé, ses sentiments passés et présents se mélangeaient l'empêchant de réfléchir clairement.

Soupirant il passa une main sur sa nuque massant brièvement les muscles tendus puis il laissa retomber sa main son regard se perdant à l'extérieur.

Il avait leur destin commun entre les mains.