Ce ne fut qu’au moment où le groupe de Ventus dépassa l’angle du couloir qui partait du réfectoire que Nathanael s’autorisa à soupirer d’ennui. Non, il n’y avait pas de doutes, une des engeances qu’il détestait le plus était bien celle des parasites – dont faisait partie le groupe qui venait précédemment de le quitter. Il savait bien que dès qu’une personne détenait un peu de pouvoir, elle attirait les profiteurs et les suiveurs comme le miel attirait les mouches ; mais il ne s’attendait pas à trouver cela aussi à Lindorm. Et pourtant, c’était bien le cas, il s’était trompé magistralement. La preuve. Depuis que Silia avait été admise à l’infirmerie – dans laquelle elle était toujours assignée-, un trio d’étudiants du groupe des Ventus s’était fait un point d’honneur à déjeuner avec lui matin et soir. Oh bien sûr, il l’avait senti venir ; ces trois-là passaient une bonne partie de leur temps à lui passer la brosse à reluire, à le brosser dans le sens du poil dans l’espoir d’obtenir des faveurs...alors lui courir après jusque dans le réfectoire n’était que l’étape supérieure, au fond. Le délégué avait laissé faire, plus par lassitude qu’autre chose. Sauf qu’à la fin du repas, il avait craqué et prétexté avoir du travail à faire à la bibliothèque – seul, de préférence- pour avoir la paix. Ce n’était pas le cas, évidemment ; depuis ce soir de faiblesse où Raphaël avait eu pitié de lui, il avait décidé qu’un soir de relâchement par semaine ne pouvait pas lui faire du mal. (Sauf en cas de devoirs donnés le jour-même pour le lendemain, mais cela restait relativement rare.) Ce soir-là, il n’avait pas envie de travailler. Pas du tout. Mais cela, le trio de sangsues n’avait pas besoin de le savoir.

Alors il prenait un peu son temps pour rentrer aux dortoirs, flânant à travers le deuxième étage, savourant sa solitude bienfaisante. S’arrêtant seulement lorsqu’il passa devant la salle de classe vide, laquelle n'était pas silencieuse. Au départ, il pensa qu’elle était occupée par un des habituels couples qui profitaient de la-dite salle pour leurs rendez-vous...Sauf qu’il se trompait magistralement, comme s'il s'en rendit compte en percevant un bruit étouffé de sanglots. Ses sourcils se froncèrent à cause de la contrariété. Il n’avait pas prévu de jouer les confidents ce soir-là. Mais avait-il vraiment le choix ? Non, pas vraiment. Un vieil instinct l’incitait à voir de quoi il s’agissait. Il se rappelait trop bien les moments où lui-même avait été dans cette situation pour pouvoir laisser passer ça ; d'autant plus qu'il avait toujours pu compter sur Silia pour lui remonter le moral. Il se mordit la lèvre, nerveusement, avant de faire son choix et de pousser la porte le plus discrètement possible. Dans la semi-obscurité, il ne vit d’abord pas grand-chose...avant que son regard ne tombe sur Maelen, assis sur le sol, dos au mur, les épaules agitées de tremblements.

Là évidemment, ce n’était plus la même chose, si Maelen était impliqué..Il lui tenait toujours rigueur de ce qu’il s’était passé dans le réfectoire l’autre jour – en particulier parce qu’il avait osé rire de sa peur-, mais il décida de mettre sa rancœur de côté ; ne serait-ce qu'au nom de leur ancienne amitié à défaut de leur relation actuelle qu'il ne pouvait guère définir pour le moment, au vu de leur dernière rencontre. Peut-être qu’ils pourraient tirer les choses au clair, plus tard ; mais pour le moment, Maelen en train de pleurer était un poil plus important. Il se dirigea donc vers lui, lentement, avant de s’agenouiller à côté de son ami d’enfance et de lui prendre l'épaule, doucement, pour signifier sa présence :

« Maelen, qu’est-ce qui ne va pas ? »

Sa voix n'était qu'un murmure. Il n'allait définitivement pas lui hurler dessus. Certes, il avait bien changé depuis son adolescence..mais pas ceci : il détestait avoir à élever la voix. Encore plus quand la personne en face de lui n'allait pas bien, comme c'était le cas maintenant. Maelen lui paraissait au fond du trou ; alors non, il n'allait pas en rajouter une couche, mais bien l'aider à remonter la pente, autant qu'il le pouvait.

Maelen avait l'air..complètement brisé. Recroquevillé sur lui-même, prostré même, les yeux rouges et ce sourire contrit, tellement loin des sourires rayonnants qu'il affichait d'habitude, ces sourires communicatifs qui l'avaient fait se sentir le cœur plus léger pendant son adolescence, lorsqu'il l'avait connu, il y avait de cela ce qui lui apparaissait comme des années-lumières. Dans un autre univers peut-être, tant c'était loin et différent de Lindorm. Pour un peu..il avait l'impression que les rôles s'étaient inversés par rapport à cette époque : en ce temps -là, c'était plus Nathanael qui pleurait ou se sentait mal et Maelen qui le réconfortait, ne serait-ce que par lettres. Cela avait été une des choses qu'il avait le plus regrettées à cette époque-là, ne pas voir son ami plus souvent...mais le vertige n'était pas quelque chose qui se contrôlait après tout.

Le jeune homme se demandait même si ce n'était pas pour lui une occasion de se racheter après qu'il l'ait rudoyé, ce fameux jour au réfectoire...Non pas qu'il se sentît coupable, mais...

Pris d'un nouveau sanglot, Maelen s'accrocha à lui comme à une ancre. Le Ventus le laissa faire, passant même son bras autour de son dos pour le serrer contre lui, brièvement. Pour le moment, son ami avait surtout besoin de réconfort, d'une présence amicale pour lui rappeler que non, il n'était pas tout seul, qu'il pouvait compter sur lui et son soutien. Sur son amitié, tout simplement. Il savait d'expérience à quel point une simple présence pouvait faire du bien.

Car dans ces moments difficiles où l'on avait l'impression que les ténèbres allaient nous engloutir, rien n'était pire que de se sentir seul et abandonné. De se laisser entraîner dans ses pensées négatives, sans espoir de pouvoir un jour revoir la lumière. C'était si facile, à ces moments-là, de dévaler la pente à la vitesse grand V et de se laisser glisser dans la dépression. Combien de fois lui était-ce arrivé ? Trop souvent.

Mais là n'était plus la question. La question, c'était de savoir pourquoi Maelen était dans cet état ; pour mieux l'aider. En l'occurrence, il s'agissait..d'une peine de cœur, s'il comprenait bien. Malaen s'était finalement reculé. Il n'avait plus besoin de s'accrocher à lui comme il l'avait fait, mais il lui semblait toujours..brisé.

« Il ?»

Sa curiosité était piquée, sur le coup. Il s'inquiétait pour son ami, c'était certain. Mais sur le coup..peut-être ressentait-il comme une pointe d'agacement. Puisqu'il n'y avait pas si longtemps, il lui avait quand même fait certaines avances. Non,il n'était pas possessif à l'égard de son ami - ou si peu- : mais voilà, il n'appréciait guère être le dindon de la farce, ce qui signifiait ici qu'il ne voulait pas être un second choix. C'était humiliant.

Cependant, il avait quelque chose de bien plus urgent à penser. Maelen qui avait l'air d'avoir un vertige. Aussi prit-il rapidement la situation en main. Il n'était pas spécialiste en peine de cœur, certes, mais ce n'était pas pour ça qu'il allait laisser son ami dans la panade la plus complète. Surtout s'il allait lui faire un malaise, là, devant lui.

«Maelen.»Sa voix se faisait douce et ferme en même temps.«Respire.Lentement. »

Et il sortit un paquet de mouchoirs de la poche de sa veste, le tendant ensuite à son interlocuteur.

«Et sèche tes larmes. Personne ne vaut la peine que tu te mettes dans des états pareils. Personne. »

Sacrément ironique de sa part, lui, qui avait toujours été assez émotif - et cela continuait encore aujourd'hui, bien qu'à un degré moindre, car il avait appris à se contrôler, ne serait-ce qu'un peu - , au grand désespoir du reste de sa famille. Mais justement. Il pouvait parler d'expérience. Et surtout, montrer à Maelen qu'il était là pour lui.

Il détestait le voir dans cet état. Ce qu'il voulait voir, c'était un Maelen souriant et heureux. Celui qui se transformait en moulin à paroles, celui qui contaminait son enthousiasme. Pas le Maelen déprimé qu'il avait en face de lui. Pourquoi ? Nathanael ne le savait pas trop lui-même. Pas par intérêt, ça c'était sûr. Il fallait croire..que couper tous les liens de son passé était impossible. Qu'il ne pouvait pas rompre tout contact avec Maelen comme ça. Qu'importait à quel point il avait été en colère contre lui, il lui suffisait de le voir au fond du gouffre pour se sentir complètement chamboulé et ne plus vouloir que le soutenir dans cette épreuve.

C'était ça, l'amitié.

...Vraiment?

Oui. Nathanael ne pouvait pas tirer un trait définitif sur son amitié passée avec Maelen, il ne pouvait pas faire semblant, prendre de la hauteur par rapport à lui, le traiter comme un moins-que-rien, comme s'il n'était qu'un autre Ventus sans importance particulière pour lui. Non. Peut-être qu'il était trop gentil ou trop faible ; mais il ne pouvait pas. Il l'avait bien vu au réfectoire, passé le premier moment de panique, ils avaient retrouvé leur ancienne dynamique d'antan. Alors oui. Il serait son ami. Son meilleur ami même s'il le fallait. Mais il ne voulait pas, il ne pouvait pas simplement prétendre que leur amitié passée n'était rien. Ils avaientcompté l'un pour l'autre. En témoignaient toutes les lettres qu'il avait conservées soigneusement dans son secrétaire, là-bas dans sa chambre de la villa Castellanos ; un des rares souvenirs joyeux de son enfance passée là-bas.

« J'ai tout mon temps.»répliqua-t-il doucement.«Et s'il te plaît, Maelen, ne te force pas à sourire. Tu n'as pas besoin de faire semblant. Pas avec moi. Ca nous arrive tous de se sentir mal.»

Et jamais, jamais il ne se moquerait de lui pour ça. Par respect pour lui ; et il avait trop enduré de moqueries de ses frères lorsqu'il pleurait pour que l'idée de tourner Maelen en ridicule puisse seulement lui effleurer l'esprit. Alors il l'écoutait. Il l'écoutait raconter comment il avait été rejeté sans la moindre délicatesse. Que les sentiments que Maelen éprouvait pour ce « il » ne soient pas réciproques, cela pouvait arriver, c'était compréhensible, mais tout de même. Là, ça allait un peu loin comme rejet...

«Ton père est malade ? »laissa-t-il échapper, sous la surprise. Il se rappelait vaguement de Borus Ortega, sans pour autant lui avoir énormément parlé. Guère plus que des phrases de bienvenue lorsque des réceptions chez les Castellanos, et quelques phrases banales, de courtoisie, lorsqu'au contraire, la famille de Nathanael était invitée chez les Ortega.. Mais en tout cas, sa maladie ne pouvait qu'annoncer certains bouleversements pas toujours agréables..

En revanche, il se rappelait un peu trop bien son propre père le féliciter d'être devenu ami avec Maelen, parce que celui-ci appartenait à une famille importante..Un souvenir qui aujourd'hui encore le faisait bouillir de rage...car de quel droit avait-il osé seulement penser à instrumentaliser leur amitié de la sorte ?

«Je vois. »

En fait non il ne voyait pas. Pas bien en tout cas.

«Mais j'ai l'impression que tu ne me dis pas tout... »Il secoua la tête.«Il me manque des éléments pour bien comprendre. Or, je ne peux pas t'aider si je n'ai pas toutes les cartes en main..  »

Quitte à ce qu'il doive lui promettre de garder cela pour lui, qu'il ne le répète pas..
Car oui, il était bien déterminé à l'aider. C'était normal en tant qu'amis, n'est-ce-pas ?

«Et arrête de répéter que tu es un gamin, car ce n'est pas vrai. Tu es jeune, oui, mais pas immature pour autant....  »

Maelen avait un côté enfantin par ses grands mouvements d'enthousiasme et son débit de parole quasi-constant, oui, mais pas immature. Du moins, il ne trouvait pas. D'autant plus que Nathanael lui-même avait un an de moins que lui..Alors bon,« gamin »...C'était typiquement le genre de qualificatif qu'il détestait...C'était rabaissant et humiliant.

«Je pense au contraire que tu es quelqu'un de formidable. J'étais...non, je suis, heureux d'être ton ami.»

Tout simplement.

Resserrant sa prise sur les épaules de son ami, Nathanael le laissa pleurer tout son soûl. Que Maelen pleure autant qu'il le voulait, ce n'était pas lui qui allait le juger ou se moquer de lui. Qu'il évacue tout ce qu'il avait sur le cœur, qu'il ait l'impression de toucher le fond ; et qu'ainsi, quand il aurait fini, il puisse repartir à neuf. Il aurait l'esprit vidé, du moins un peu plus clair. Le délégué Ventus ne disait rien pour le moment. Il n'allait pas l'accabler de "Arrête de pleurer, tu es un homme." . Il en avait assez soupé, de ces imbécillités-là. Comme si l'humilier de la sorte allait aider Maelen à se reprendre. Cela n'aurait d'autre effet que de l'enfoncer davantage, ce dont il n'avait vraiment pas besoin. Dans cette optique, que son ami se blottisse contre lui ne le dérangeait pas non plus. S'il en avait besoin, qu'il le fasse; Nathanael aurait bien mal placé pour critiquer. Lui, Nathanael, l'ancien chouinard. Et qui l'était encore par certains aspects, quand la situation était vraiment trop extrême pour qu'il puisse rester de marbre..

« Je te le promets.».

Les secrets de Maelen, quels qu'ils furent, étaient en sécurité avec lui. Il n'en cracherait pas un mot même sous la torture. N'était-ce pas pour cela qu'il était doué ? Toujours à dissimuler la vérité, à toujours tout garder pour lui; tout pour que personne ne le manipule.Eh bien, il garderait en plus ce que son ami allait lui raconter, ce n'était pas un problème pour lui. L'affaire semblait déjà assez compliqué, inutile que d'autres soient au courant. Qui plus est, cela concernait la vie privée de Maelen : donc par définition, cela ne regardait que lui et les personnes à qui il voulait bien en parler. Cela réglait donc la question. Nathanael ne dirait pas un mot. Sur son honneur.

Il l'écouta donc narrer toute l'histoire, silencieux pour ne pas couper le jeune homme dans son élan. Il voulait tout savoir. Il devait tout savoir, pour mieux comprendre; mieux comprendre pour mieux analyser la situation et essayer de résoudre le problème. Non, même pas essayer : le faire, tout simplement. Son intuition avait en tout cas était exacte : il s'agissait d'une histoire (très) compliquée, et en un sens si propre à Maelen. Cela lui ressemblait bien, de s'attacher autant à quelqu'un et de tout faire pour le retrouver. Quand bien même avait-il commis des erreurs au moment des retrouvailles avec le professeur Nazarian ; face à qui Nathanael avait une approche assez ambivalente, entre la blessure de Silia et l'aide qu'il avait apportée à Raphaël. Et l'histoire que Maelen lui avait raconté ne jouait guère en sa faveur. Néanmoins, il se devait de mettre ce qu'il ressentait de côté, pour aider Maelen.

Il se sentait néanmoins heureux en apprenant que Maelen le considérait comme son ami le plus cher. Le qualificatif de génial qu'il lui accola ensuite lui sembla assez discutable au vu de ce qu'il était devenu. Mais ça...c'était une autre histoire.

Ceci dit, il lui semblait que Maelen avait l'air un peu moins misérable une fois qu'il eut fini son récit. Tant mieux. C'était là, aussi cliché que cela puisse paraître, le pouvoir libérateur de la parole. S'il avait tout gardé pour lui, il n'aurait pu que se sentir encore plus mal à force de ruminer toute l'affaire ; et arriverait un moment où il n'arriverait plus à penser juste et agir très différemment par rapport à d'habitude.

A présent, Nathanael réfléchissait à comment résoudre cette situation assez..épineuse ; son cerveau fonctionnant à plein régime.Déjà, décida-t-il, il fallait essayer de comprendre ce qui avait pu motiver la réaction du professeur de monte draconique.


«Je ne voudrais pas me faire l'avocat du diable», commença-t-il prudemment « mais je crois comprendre pourquoi il a réagi de cette façon. D'après ce que tu me dis, c'est lui qui t'a quasiment élevé. Ce qui pour moi veut dire qu'il a du mal à te voir autrement que comme un petit frère, ou un fils. Dans ces conditions, avoue que cela a du le surprendre que tu l'embrasses.

Surpris, oui. Un euphémisme sans doute. C'était comme s'il lui prenait l'envie d'embrasser Silia, Nathanael n'était pas sûr qu'elle apprécie..enfin, si, car cela ne risquait clairement pas d'arriver.

«Cependant, pour moi, il est clair que tu l'aimes. » Pour des raisons qui le dépassaient, mais ma foi, là n'était pas la question. Il n'était pas là non plus pour juger.«Ce qu'il faudrait, c'est que tu casses cet image d'enfant qu'il a de toi. Je pense donc vous devriez discuter de qu'il s'est passé et que tu lui dises clairement ce que tu ressens. Mais comme des adultes. Calmement. Sans crier. Sans se hurler des horreurs à la figure.»

Un léger soupir.

« Parce que tu ne pourras pas le fuir éternellement, Maelen. Tu peux le fuir quelques semaines, mais certainement pas tout le reste du temps que tu dois encore passer à Lindorm. Ceci dit, pour le moment, essaye de te reconstruire ; et quand tu iras mieux, quand tu sentiras prêt, va lui parler.»

En espérant que Maelen ne repousse pas éternellement le moment de parler. Pourvu qu'il n'ait pas trop peur ou alors, pire, trop de fierté...

« Néanmoins. Tu dois prendre en compte la possibilité qu'il ne ressente pas ce genre de chose pour toi. Tu ne peux pas le forcer à s'engager dans une relation dont il ne veut pas, sans tenir compte de ses sentiments. Cela serait égoïste, et cruel. »

Sur le coup, c'était lui qui se sentait cruel en prononçant ces mots. Il était pourtant du côté de son ami. Entièrement.

«Surtout compte tenu du fait que les relations élèves-professeurs de ce type ne sont pas forcément bien vues ici...Cela vous mettrait dans une situation délicate si vous étiez découverts..»

Et juste parce qu'il avait besoin de le dire, parce qu'il ne voulait pas que Maelen le prenne pour un monstre sans cœur :

«Je ne te dis pas ça de gaieté de cœur, crois-moi.Mais je préfère être réaliste, que tu ne conçoives pas de grands espoirs qui pourraient être déçus par la suite... Autant que tu saches à quoi t'attendre. »

Il avait toujours réfléchi aussi froidement, privilégiant l'intellect au ressenti. Suivre ses inclinations n'était pas quelque chose de raisonnable, et était, de son expérience personnelle, le meilleur moyen de se mettre dans la panade. Peut-être était-ce une erreur.

Et surtout, peut-être que Maelen allait le détester pour les mots durs qu'il venait de prononcer.

Les yeux fixés sur le sol, Nathanael n'osait plus parler. Il avait peur que Maelen ne s'énerve contre lui, contre les mots qu'il avait prononcés. Qu'il l'accuse de briser ses rêves. Qu'il lui dise qu'il n'était qu'un pessimiste. Qu'il lui dise qu'il n'avait pas de cœur. Alors que Nathanael en avait trop, au contraire ; lui qui avait toujours été particulièrement sensible. Qu'il le frappe, même. Savait-on jamais, la colère faisait parfois faire des choses terribles. Il se serait défendu, bien évidemment. Et leur amitié serait morte. Morte parce que justement, il se souciait de Maelen. Cela serait sacrément ironique. Mais la vie était une drôle de farceuse..

Quand son ami prit à nouveau la parole, il se tendit, avant de s'apaiser. Non, aucun des scenarii qu'il avait envisagés plus tôt ne se réalisait. Tant mieux. Il avait toujours tendance à envisager le pire. Peut-être pour justement être soulagé après ? Qui savait. Ou alors pour ne pas voir ses espoirs déçus et perdre le contrôle si tout ne se passait pas comme prévu. Chose qu'il détestait au passage. C'était presque un besoin compulsif d'avoir tout sous contrôle. Même s'il parvenait toujours plus ou moins à se débrouiller.

Il ne savait guère comment prendre le fait que Maelen plaisante sur un possible rejet..Se moquait-il de lui-même, ou était-ce une simple façade, pour essayer de paraître fort face à lui ? Bonne question. Peut-être était-ce même les deux. Mais dans tous les cas, non, il n'aimait pas non plus le voir comme ça. Mais en tout cas,la réponse à son interrogation tombait sous le sens. Il était prêt à renouer avec Maelen, ce qui ne revenait ni plus ni moins qu'à renouer avec son passé. Dans cette optique, il ne pouvait simplement pas le laisser tomber. Quelle que soit la situation.

« Evidemment. Et si tu as besoin de quoi que ce soit pendant que tu es chez ton père..n'hésite pas à m'envoyer une lettre.».

Non pas qu'il pût faire grand-chose de Lindorm, mais au moins, il serait une oreille attentive.

Maelen posa ensuite son front contre le sien. Comme Raphaël l'avait fait il n'y avait pas si longtemps ; sauf que là, il n'y avait pas la moindre ambiguïté . Enfin pour lui en tout cas , et il y avait la probabilité qu'il se trompe. Pour lui, c'était juste une marque...de réconfort ? De compréhension ? De simple amitié ? Quelque chose comme ça. Rien de plus. Oui, inutile d'aller chercher plus loin.

«De rien. C'est normal. », répondit-il, un léger sourire sur le visage, miroir de celui de son ami.

Ami qui venait de faire preuve d'une maturité surprenante. Reconnaître ses faiblesses était le début de la sagesse, après tout. Sa décision de réfléchir calmement à la question aussi, et ne pas agir impulsivement. C'était simplement..penser en adulte. Un grand pas sur le chemin de la maturité. Bien sûr, on ne pourrait jamais changer complètement le caractère de Maelen, mais qu'il prenne en considération les sentiments de l'élu de son cœur était déjà un gros progrès.

Soulagé qu'il se sente un peu mieux, Nathanael accepta volontiers l'aide de Maelen pour se relever, et le répondit fort à son étreinte. Il avait toujours du mal à mettre des mots sur ses émotions, alors il essayait de les faire passer autrement. Dans le cas présent, en serrant fort son ami dans ses bras. Toujours un sourire doux, léger, sur le visage. Oui, Maelen allait définitivement mieux, même s'il pleurait à nouveau ; et cette fois, cela lui paraissait être davantage du soulagement. Il lui frotta un peu le dos, attendant que ça passe.

En revanche, il était sauf préparé à ce que Maelen l'embrasse. Un baiser rapide sans qu'il ait seulement la possibilité de réagir, mais quand même ! Un baiser restait un baiser . Enfin connaissant Maelen, c'était sûrement plus un moyen de le remercier qu'autre chose...non ? Surtout après ce qu'il venait de lui raconter. Enfin, suite à ce qui s'était passé au réfectoire, Nathanael avait supposé qu'il lui plaisait, ne serait-ce qu'un peu. Lui-même avait trouvé Maelen beau. Mais ça s'arrêtait là. Il songea quelques instants à courir après Maelen – qui avait quitté la salle de classe de bien meilleure humeur- , mais laissa vite tomber l'idée. Pourquoi faire, au fond ? Lui demander des explications ? Moui. Et puis, il y avait le risque que ça dégénère. Évidemment il pourrait aller plus loin qu'un simple baiser...sauf que non. Maelen aimait le professeur Nazarian, donc c'était hors de question. De plus, comme il venait de se faire rejeter, il aurait l'impression de profiter de son ami. Donc non. Il avait des principes.

L'essentiel, c'était simplement que Maelen aille mieux. Le délégué n'avait pas l'impression d'avoir fait grand-chose, et pourtant...cela avait suffi à ramener un sourire sur le visage de son ami. Il se demandait bien comment, mais le résultat avait été là...

Secouant finalement la tête - inutile de se torturer l'esprit pour rien-, il sortit de la salle à son tour, avec le sentiment du devoir accompli.