Le mot qu'elle avait reçu dans sa boîte aux lettres l'avait glacé jusqu'au sang. Il promettait mille tortures : être collé au mur un samedi. Quelle étrange pratique ! Quel genre de colle faudrait-il pour une telle chose ? Comme cela devait être désagréable.
Et puis il y avait les coups de règle. Ça elle avait l'habitude, des coups. Ce n'était pas trop grave. Elle aimait bien l'Histoire Géographie. C'était sans doute ce qui la laissait si peinée d'avoir manqué le cours.

Son professeur avait eu l'air furieuse dans sa lettre. En plus elle n'était pas habituée à avoir du courrier. Elle n'avait vu le mot qu'en retard. Juste avant le rendez-vous en fait. D'où la raison d'une galopade effrénée dans les couloirs, cherchant désespérément son chemin dans ce dédale qu'était l'école. Heureusement, elle était observatrice et elle parvint à se repérer suffisamment pour trouver le bureau de son professeur. Elle devait cela à Aldo, dans lequel elle était rentrée comme un boulet de canon et qui lui avait indiqué l'endroit.

Essoufflée, les joues rouges d'avoir couru, un point de côté la tenaillant, Liatris toqua finalement à la porte en essayant de lisser son T-shirt noir froissé. Elle portait un jean rapiécé en maints endroits et ce t-shirt au noir passé, sans motifs, ses cheveux complètement en bataille et les lunettes de travers.

On l'invita à entrer et elle fit quelques pas dans la pièce, le museau baissé comme une petite souris sans oser encore regarder celle qui la terrifiait au moins autant qu'un dragon. Elle avait deux minutes de retard, sa course se voyant encore sur sa respiration trop rapide et la rougeur de son visage blafard aux yeux cernés.

Sans reprendre sa respiration elle dit d'une seule traite :
"Bonjour Madame Wennerström-Blømkvist professeur principale de la classe Glacies professeur d'histoire-géographie." Elle n'avait certainement pas appris pas cœur tout ceci mais l'avait retenu et pensais, naïve, qu'il convenait de s'adresser à son professeur de telle manière, puisqu'il était ainsi écrit dans sa signature.

Elle garda finalement le silence. Par politesse.

Lorsqu'elle releva le museau, elle fut surprise de ne pas voir quelqu'un de plus grande que lui. Mais c'était normal, puisque son professeur était assise, dans un fauteuil roulant. Un instant désarçonnée par l'index autoritaire qui remonta ses lunettes sur l'arrête de son nez, elle tressaillit violemment, manquant de se jeter en arrière mais parvenant à trouver assez de contenance pour ne pas le faire, bien qu'elle se soit mise à trembler.

Heureusement, le professeur en fauteuil s'éloigna, la laissant un peu perplexe et elle regarda ses vêtements, ne leur trouvant rien de spécial. Ils étaient propres, pourtant. Quant aux ampoules, elle n'en avait pas.
Liatris s'exécuta tout de même avec sa docilité habituelle, suivant le professeur et s'asseyant sur une chaise à bras en face de son bureau. Derrière les lunettes rondes, les yeux sombres la regardait avec une certaine nervosité, alors qu'elle songeait que cela était bien pratique, d'avoir un fauteuil roulant : elle n'avait pas besoin de chaise.

Elle laissa parler l'adulte sans la couper. Non elle n'avait pas "dédaigné", se dit-elle. Mais elle ne parla pas encore, se contentant d'attendre. Les gens, pour une raison qu'elle ne comprenait pas vraiment, n'aimaient pas être coupés dans leurs paroles. Ils s'énervaient souvent si elle le faisait.
Néanmoins la suite lui glaça le sang : ne plus pouvoir aller à ce cours ? Elle écarquilla les yeux, lui donnant l'air d'une chouette aveuglée par une lumière vive. Mais elle aurait mieux aimer être quatre heures avec du travail, elle ! Même si c'était repeindre le mur ou laver le sol. C'était très bien, le travail. Ca occupait bien mieux que d'être collée sur le mur. A moins qu'il faille travailler en étant collée ? Cela devenait compliqué.
Elle n'était pas une énergumène d'ailleurs : elle ne se sentait ni exaltée, ni agitée. Mais bon, c'était une professeur qui le disait, c'était peut-être vrai. Elle allait devoir faire attention à ne pas trop bouger, pour ne pas avoir l'air agitée.

Raidie toute droit, sans plus faire de mouvements à part cligner des yeux, Liatris ne hocha même pas la tête - ne pas s'agiter donc.

"En fait j'ai oublié." Dit-elle finalement, avec cette franchise crue qu'elle avait de si déplaisante. "Et je n'ai pas dédaigné parce que je n'ai pas pu traiter ou regarder avec dédain puisque je n'en ressentais pas."

Elle ne bougeait toujours pas, cillant cependant très vite.

"Je suis désolée d'avoir manqué votre cours, je voulais vraiment y aller, c'est très intéressant et j'espérais vraiment qu'on allait expliquer le chapitre 7 partie 3 concernant l'activité volcanique de l'ère primaire sur le territoire de Narthan. Après je ne sais pas trop pour l'examen, je ne sais pas non plus ce que ça donnerait. Mais j'aimerais quand même beaucoup venir, s'il vous plait, Madame Wennerström-Blømkvist."

Elle avait raccourcit les titres en espérant que son professeur ne lui en tiendrait pas rigueur. Elle n'avait pas semblé apprécier la première fois mais elle ne voyait pas comment l'appeler autrement.

"Je ferais vraiment attention pour les règles, c'est promis. Vous me pardonnez ?"

Elle ne bougeait toujours pas, toute droite, et paradoxalement minuscule et maigrichonne sur cette chaise impersonnelle. Complètement insignifiante. Elle croisa fort les doigts dans sa tête pour ne pas être interdite de cours. C'était vraiment une punition cruelle.

Liatris s'était tue, regardant son professeur sans colère, ni sentiment d'injustice. Ainsi était elle, à ne jamais rien dire, à ne jamais se plaindre - sauf une fois, devant Aldo, ce qui était idiot : se plaindre n'amenait pas la clémence. Et ne résolvait rien.

Elle espérait pourtant ne pas être interdite de cours. Mais visiblement... Sa punition était décidée.
Liatris passa outre sur les remarques acerbes, avec l'insouciance de ceux qui ont une âme de victimes. Elle ne lui pardonnait pas ? C'était dommage, se dit-elle. Mais elle garda la même expression un peu nerveuse d'oiseau enfermé dans une vierge de fer, sans rien dire d'autre.

Elle hochait doucement la tête à mesure que Jan lui expliquait la manière dont se dérouleraient ses retenues. Alors il faudrait recopier. Elle espérait que cela irait, elle n'écrivait pas très bien et lentement. Mais elle s'appliquerait bien. Quant à parler... Elle n'était pas exactement une bavarde.

La suite était plus grave : un mois entier sans Histoire-Géographie ? Elle abaissa la tête, tristement. Mais... Elle aurait bien aimé, elle. C'était bien, l'histoire. A la place elle recopierait le règlement, encore et encore ? Elle ne dit cependant rien, hochant la tête, tristement.
Habituée à subir les humeurs des autres sans protester, elle se contenta de demander, lorsque son professeur lui demanda si elle avait des questions :

"Est-ce qu'il faut écrire en étant collée au mur ? Je ne suis pas tout à fait sûre d'y arriver, mais je ferais de mon mieux." Elle avait dit cela sans arrières pensées tout en se levant très simplement de la chaise, pour s'en aller ensuite puisque son professeur lui avait dit qu'elle pouvait. Elle attendit néanmoins quelques instants. "Merci de me permettre de revenir dans un mois, Madame Wennerström-Blømkvist." Dit-elle encore d'un ton joyeux, comme un oiseau insouciant. Elle était, là encore, parfaitement sincère.

Puis, sur ces paroles, elle n'eut qu'un simple et très doux :
"Au revoir."
Avant de tourner les talons pour sortir de la pièce.