[Clos]Témoin de mon passé

Il soupirait. Intérieurement bien sûr. Nathanael Castellanos, ou plutôt, le personnage qu'il avait créé, était connu pour son caractère égal et avenant. Un soupir d'agacement aurait été trop contraire à son habitude, susceptible d'attirer l'attention et par-là même des questions. Or, il s'était donné pour objectif de jouer au maximum le caméléon, l'élève modèle. L'ami de tout le monde en apparence, ce lui à qui on pouvait se confier, celui qui réconforte, celui qui guide son groupe. Donc non, il ne pouvait pas, ne devait pas se permettre de provoquer un esclandre. Depuis le temps, ce principe avait été parfaitement intégré par le jeune homme. Mais que n'aurait-il pas donné pour secouer un de ces gamins braillards comme un prunier, pour lui inculquer politesse et respect d'autrui. Ou lui enfoncer sa tête dans son assiette. Qu'il comprenne que dans un lieu public, parler comme si son interlocuteur était sourd et qu'en conséquence, tout le monde profite de sa conversation plus ou moins intéressante, cela ne se faisait définitivement pas. Ô image de rêve.

Seulement, ce qui se passait ici était la réalité pure et dure, il s'en était rendu compte dès son premier jour ici, deux ans auparavant. Mais il l'avait accueilli de bonne grâce. Ce qui avait constitué sa vie jusque là, ce n'était pas le vrai monde, loin de là. Ce monde complètement détaché du quotidien des autres gens, ce monde soigneusement délimité. La haute société..quelle plaisanterie. Une vaste et énorme plaisanterie. Y avait-il quelque chose de raffiné lorsqu'il voyait un noble aviné harceler une domestique qui ne pouvait pas se défendre ? Absolument pas. Grimace intérieure. Enfin, inutile de repenser au passé. Seul comptait le présent et la manière dont il le vivait. Il se répéta plusieurs fois cette phrase comme un mantra, tentant d'y puiser de la force. Voilà. Il était de nouveau opérationnel pour la journée, malgré l'absence de Silia, occupée à la bibliothèque qu'elle était..Avec elle, supporter le bruit du réfectoire aurait été bien plus facile. Mais puisqu'elle n'était pas là, et bien...suivant la formule consacrée, il fallait faire contre mauvaise fortune bon cœur, n'est-ce-pas ?

Enfin pour le moment, il était surtout occupé à naviguer entre les tables avec son plateau, cherchant une place libre. Non certainement pas à cette table puisqu'elle était occupée par des premières années bruyants, celle-là était sale – non pas qu'il fût snob, mais une table où se trouvaient des restes d'aliments non identifiés, c'était hors de question -, et cette table-là était occupée par quelqu'un qu'il ne pouvait pas voir en peinture. Il était inutile de se provoquer un ulcère à l'estomac à force de se retenir de dire ce qu'il pensait ; se torturer pour rien l'était tout autant.

*«Tu comptes t'installer avant la fin de la pause déjeuner ou non ?»* fit la voix amusée de Calliope dans son esprit.
*-Très drôle Calley...Hilarant même...*
-*A ton service..Mais tu es sûr que ça va ?*
-*Ca ira »*,répondit-il, agacé. *«Je peux supporter de déjeuner tout seul pour une fois, je ne suis pas si fragile.. »*

Toujours cette tendance de la dragonne à le materner, à s'inquiéter exagérément pour lui...Il savait qu'un dragon et son dragonnier partageaient un lien fort, certes, mais là c'était pousser le vice un peu trop loin non ?

Là. Encore à une bonne distance, une place libre à une table occupée uniquement par une autre personne. Un garçon aux cheveux blonds platine assez longs. Assez grand aussi. Avec un petit air qui lui faisait penser que..Non, tu t'emballes, ce n'est pas forcément ce que tu crois. Le rythme de son cœur s'accélérant, il s'obligea à prendre de grandes inspirations, reconnaissant les débuts d'une crise de panique comme il en faisait si souvent. Reste calme.

*« Nathanael ! Tout va bien?*
*-Je..je crois. Pendant un moment j'ai cru que...»*

Quand il se sentit un peu plus maître de lui-même, se maudissant pour son émotivité, Nathanael parvint à faire quelques pas dans la direction de la table. Voilà. Comme ça, c'était beaucoup mieux. Il était plus solide que cela, quand même. Néanmoins, l'occupant de la table lui semblait vaguement familier..Impression confirmée quand il se trouva plus près. Bon. Quoiqu'il en soit, il connaissait ses bonnes manières et n'allait clairement pas s'imposer si sa présence n'était pas voulue. On n'était pas chez les barbares tout de même. Première étape : ne pas faire croire à des intentions hostiles. Donc sourire. Pas trop largement parce que cela n'était pas crédible. Deuxième étape, choix des mots. Donc un peu de politesse.

« Bonjour ! Est-ce que ça te dérange si je m'installe à ta table ? »

Ni trop ni pas assez. Faire en sorte que son interlocuteur sente qu'il était réellement concerné par sa réponse, qu'elle fût positive ou négative.

Le profil de son interlocuteur lui était définitivement familier. Le jeune aerien réfléchissait à toute allure, cherchant à le replacer..Non pas quelqu'un qu'il avait connu à l'académie, mais avant. Avant, cela voulait dire..Sa vie d'avant, de noble surprotégé et définitivement malheureux. Ce qui expliquait sa réaction de tout à l'heure...La lumière se fit soudainement dans son esprit.

« Maelen ? C'est bien toi ? »

Les mots étaient polis, le ton aussi ; mais au fond de lui, son monde s'écroulait.

Le masque qu'il avait mis deux ans à se constituer commençait à s'effriter.

C’était la mine un peu sombre, amer de ce qui s’était passé la vieille que Maelen s’était levé. Il avait beaucoup tourné dans son lit et n’avait trouvé le sommeil que tardivement. Il se força à mettre Shaem entre parenthèse pour le moment et se consacra à ses cours.
Il passa la matinée avec Norn en cours de combat monté et heureusement pour lui il n’y eut pas de décollage.

Du coin de l’oeil il avait fixé le Saabi qui donnait des cours non loin de là et une boule s’était formé dans sa gorge. Norn l’avait bien sentit, il était resté calme et ne l’avait pas taquiné. Le dragon savait que Shaem comptait énormément pour lui et que cette dispute laisserait des séquelles. Après tout, il avait lâché tout ce qu’il avait sur le cœur. Dix ans de colère avaient implosé. Il était normal que le contrecoup soit violent.
Maelen se sentait vidé, lessivé et la cadence du cours le vida de ses forces. Il n’était pas habitué à être soumis à tant d’efforts physiques. Au lycée privé d’Aéria, il se contentait de suivre les cours en étant tranquillement assis sur sa chaise, il séchait les cours de sports pour passer du temps avec Norn. Mais cette époque était révolue.
Dorénavant il n’aurait qu’un seul et unique but. Lutter contre l’asservissement des hommes par les hommes. Il allait devenir un dragonnier, fort, respecté et quand il retournerait en Aéria après avoir été au front, il se ferait une place dans la société et écraserait quiconque se mettrait entre lui et ses objectifs. Il réduirait au silence ces nobliaux, il changerait les lois et détruirait la famille Gorgo et son sérail avilissant.

Il se l’était promit, il l’avait promit à Norn, à chaque esclaves qui vivait encore dans le palais de son père. Un jour ils seraient libres de mener leur vie comme ils l’entendaient.

Mais pour le moment il n’était qu’un simple dragonnier en première année avec une peine de cœur difficile à gérer.
Il poussa un long soupir en s’asseyant dans le réfectoire, son plateau devant les yeux. Il n’avait même pas faim à vrai dire. Ce midi il avait préféré manger seul pour ruminer en silence. Il prit donc la dernière table la plus éloignée de l’entrée et maugréa en silence.

Soulevant sa purée avec sa cuillère, il fit une grimace de dégoût en voyant son aspect grumeleux et repoussa le plateau.
Une ombre se posta devant lui et il s’apprêtait à l’envoyer bouler avec toute la pédance dont il était capable, mais quand il releva ses yeux et qu’il vit le visage de son interlocuteur ses sourcils se froncèrent. Son nom sortit de la bouche du jeune garçon blond et alors que ces neurones s’agitaient pour savoir si il l’avait déjà vu, il eut une expression de surprise quand le nom lui revint enfin à l’esprit.

« Nath’ ! »

Se relevant d’un bon, il lui fit un large sourire et contourna la table pour le prendre dans ses bras. Il le serra fort contre lui et la douce odeur des vents d’Aéria emplit son nez. Riant, il se rassit et l’invita à faire de même d’une manière typiquement noble.

« Nath, mais qu’est ce que tu fais ici ? Je ne savais pas que tu étais devenu dragonnier… »

Souriant, il mit une mèche de cheveux derrière son oreille et se pencha en avant pour ne pas à avoir crier tant le bruit dans le réfectoire était incessant.

« Ca me fait plaisir de voir enfin un visage familier… »

Le fixant, il remarqua que le garçon un peu chétif qu’il avait connu à l’époque était devenu un homme. Sa carrure en imposait, ses bras semblaient beaucoup plus musclés et son torse développé. Les yeux bleus du blond coulèrent le long de sa nuque avant de remonter sur sa paire de lunette qu’il portait toujours. Ses cheveux étaient toujours aussi blond et malgré l’air surprit que Nathanael arborait aussi, son visage avait gardé cette douceur qu’il lui souvenait.
Cette rencontre fortuite et improbable le remit de bonne humeur et Maelen tira son plateau vers lui pour avaler avec gourmandise la purée de son assiette.

« J’suis chuper…content…ch’te voir.. » Dit-il la bouche pleine. Certes ce n’était pas très « politiquement correct » de parler ainsi, mais Nathanael allait être surprit d’apprendre qu’il pourrait dorénavant compter sur un ami pour s’en prendre à la noblesse Aérienne.

C'était impossible. Impensable. Irréaliste. Et pourtant. Nathanael ne rêvait pas. C'était bien Maelen, là, en face de lui. Maelen qui l'appelait par le diminutif de son prénom, qui lui souriait, de ce large sourire qui lui était si habituel, qui enfin le serrait fort contre lui -il nota au passage que son ancien ami était devenu plus grand que lui, mais ce n'était pas une surprise - ; il fut vaguement content d'avoir posé le plateau sur sa table, sinon il l'aurait lâché sous le choc. Lui se figea pendant une fraction de seconde, sous la surprise. -peu, ou plus, habitué à ce genre de contact- , avant de lui rendre prudemment son étreinte. Non, il n'en revenait pas. C'était bien la dernière personne qu'il aurait pensé voir ici..La preuve que rien n'est véritablement figé dans le marbre, une surprise était toujours possible...Encore plus une surprise de taille comme c'était le cas présentement. Et encore, le mot surprise était faible... Son monde s'écroulait, était retourné sur ses fondations et lui glissait entre les doigts comme du sable ou de l'eau. Il ne savait plus comment réagir. Pas de sa manière habituelle en tout cas.

Il voulait partir, s'enfuir en courant face à ce témoin de son passé. Mais il ne pouvait pas. Il était coincé ici. Coincé comme il l'avait été à ces réceptions. Nathanael se sentait redevenir le pauvre petit garçon craintif, timide, silencieux de l'époque. Ou peut-être l'avait-il toujours été, ce petit garçon, et qu'il avait simplement refoulé cette partie-là de lui. Par honte. Son cœur tambourinait toujours dans sa poitrine, mais il l'ignora et se fit violence pour s’asseoir. Maintenant que le vin était tiré, il fallait le boire.. Non, il ne pouvait pas fuir. Fuir, c'aurait été être fidèle à son passé. Il était un homme maintenant. Il devait rester droit. Fier. Il ne pouvait pas se laisser atteindre par cela, non. Il était plus fort que cela, se persuada-t-il.Résister jusqu'à la fin d'un repas, il pouvait le faire.. Il avait déjà vécu des situations bien plus difficiles, non ? Si.

La question de Maelen le tira de ses pensées et lui arracha un sourire ironique. Blasé. Non, il n'était pas surpris. Parce qu'on oublie toujours le vilain petit canard, la honte de la famille, et qu'on met en valeur les superbes cygnes. Si tant était que ses deux aînés puissent être comparés à des cygnes, évidemment, parce que ce n'était pas l'image première qu'il avait en pensant à Vassilis et Serafeim. Des ours plutôt. Ou des sangliers. Voire des taureaux, forts et roulant des mécaniques, mais pas nécessairement dotés du bon sens ou d'intelligence. Oui, voilà, des êtres sans cervelle.

«Il n'y a rien d'étonnant à cela, mon père a toujours été doué pour étouffer les affaires embarrassantes.. »Embarrassantes, oui, car par tous les dieux, pourquoi était-ce l'avorton de la portée qui avait écopé de l'honneur de se voir lié à un dragon ? «Il a sûrement prétendu que j'étais très malade et devais garder le lit... Voire que j'étais en voyage quelque part..Va savoir.» Peut-être même qu'il était mort. Savait-on jamais avec Iosif Castellanos ; il avait bien refusé de l'envoyer dans un établissement scolaire par honte de son fils. Léger soupir. Était-ce de la colère qu'il ressentait ? Il ne savait pas. «Mais j'entame ma troisième année avec Calliope, ma dragonne.»

Inutile de mentir sur ce point, c'était le genre d'informations qui pouvaient se vérifier très vite. Et surtout, au nom de quoi aurait-il dû avoir honte de sa partenaire au point de ne pas dire la vérité à son sujet ? La simple idée lui paraissait stupide.

« Moi aussi, je suis content de te revoir» , affirma-t-il avec un sourire timide, et cette phrase avait une part de vérité. Au fond de lui, derrière la terreur et la gêne qu'il s'efforçait de garder sous contrôle, oui. Il était content de revoir son ami. « Mais parle-moi un peu de toi. Ce que tu veux. Tes années de lycée, ton dragon – ou ta dragonne -,ton opinion sur Lindorm ...»

L’étreinte qu’il donna à son ami lui fit du bien. Comme si tout d’un coup, tous les malheurs qui s’étaient abattus dernièrement sur ses épaules s’envolèrent. Il sentit son cœur devenir plus léger et ne cessa de fixer Nathanael.
Oui il était étonné de le voir, car son ami était d’une nature calme, peu encline à attirer l’attention, ni même les problèmes. Du moins, c’est comme ça qu’il l’avait connu à l’époque.
Pour tout avouer, Maelen avait rencontré Nath à une réception organisé par le père de ce dernier. Ils devaient environ treize quatorze ans à l’époque. Maelen n’était pas très ouvert aux autres et se remettaient à l’époque difficilement du départ de Shaem. Son père l’avait laissé dans un coin et le blond avait finit par fouiller le grand palais de la famille Castellanos. Puis il était tombé sur le garçon, un peu au hasard au détour d’un couloir et ils s’étaient tout de suite bien entendu. Ils avaient continué à se voir après, à s’écrire et s’était un peu perdu de vue depuis que Maelen était rentré au lycée.

Il fronça donc les sourcils quand son ami lui avoua que son père avait dû cacher sa venue ici.

« Hum, je n’ai rien entendu de particulier à ton sujet… » Puis haussant les épaules, il rajouta : « De toute façon, je ne fais plus trop attention à ce qu’il se dit dans les hautes sphères d’Aéria »

Intrigué, il se pencha en avant et chuchota par-dessus son plateau.

« Tu as fais des choses répréhensibles ? »

L’esprit de Maelen vagabonda à toute allure, imaginant déjà son ami accusé de vol, ou de meurtre. Puis il se dit que quand même, connaissant le caractère introverti du garçon, il y avait quand même peu de chance.
Mais le Ventus embraya sur sa dragonne et le blond l’écouta avec plaisir. Il retrouvait un peu les tics de langage de son ami et ses pensées pour Shaem s’apaisèrent.

Finissant son assiette, Maelen rougit un peu quand Nath lui avoua être content de le voir et son cœur se réchauffa.
Il avait l’impression que dorénavant l’année serait moins dure, qu’il pourrait se confier à lui si jamais il avait un souci.
Souriant tranquillement, Maelen lui raconta brièvement son choix de vouloir rentrer dans un lycée pour fréquenter du monde, ses compétions de tir à l’arc, ses sorties entre amis. Il oublia volontairement de parler de son père et de Shaem.

« Mon dragon s’appelle Norn, c’est un Dragon de Vent, comme Calliope. Je l’ai rencontré prés de Thanos, il reluquait des humaines se baignant dans un lac… »

Affligé par cette rencontre un peu pitoyable et de l’image qu’il véhiculait sur son compagnon, il se rattrapa en rajoutant :

« Il m’a beaucoup aidé, à m’ouvrir aux autres. On a beaucoup discuté, il m’a un peu aidé pour mon problème..Tu sais..le truc là… »

Nathanael était au courant que Maelen avait le vertige, c’était pour ça que pendant leur enfance, ils s’étaient plus écrit que vu, car le Ventus avait eu beaucoup de mal à faire la route jusqu’à chez son ami à cause des Dragons-Nacelles.

« Puis bon, une chose en entraînant une autre, on a finit par passer l’Alliance et nous voilà à Lindorm. Je suis très content d’être ici, l’Académie est si grande…J’ai juste un peu peur des cours de vol… »

Baissant les yeux, il poussa un soupire et mordit dans la pomme qui était sur son plateau. Il mâchouilla un peu et fixa les pupilles bleues de son ami.

« J’aimerais beaucoup rencontrer Calliope ! Les dragons sont si extraordinaire… »

Les yeux un peu rêveurs, Maelen sourit en pensant à Norn.

« C’est quoi ton don ? » Demanda t-il intrigué. « Je n’ai toujours pas découvert le mien…Ca me tarde un peu ! »

S’enfonçant dans sa chaise, il finit sa pomme avec nonchalance, ses yeux se perdant des fois dans le flot d’élèves qui passaient, cherchant sans vraiment le vouloir la silhouette familière de Shaem.

Maelen n'avait pas changé, fut la première pensée qui traversa l'esprit du blond à lunettes alors qu'il s'attaquait à son assiette sans même faire attention à ce qu'il mangeait. Toujours égal à lui-même. Bien sûr, depuis le temps, il avait un peu changé physiquement -d'autant plus que cela faisait plusieurs années qu'ils ne s'étaient pas vus-, avait grandi comme il l'avait noté plus noté, s'était un peu étoffé mais pas trop ; mais psychologiquement, il lui semblait rester le même. Sociable, avenant, curieux. Quand ils s'étaient connus, il se le rappelait un peu trop bien, c'était majoritairement lui qui prenait les initiatives : aller à tel endroit, discuter de tel ou tel sujet. Et Nathanael, lui, suivait timidement, n'opposant que rarement un refus. Seulement quand il s'agissait vraiment de quelque chose qu'il ne voulait vraiment pas faire. Sociabiliser avec les autres jeunes nobles qui pouvaient être invités, par exemple. Pourquoi n'osait-il pas dire plus souvent non ? C'était simple. Il avait peur que Maelen le considère comme ennuyeux, pas drôle, et arrête de lui parler. Ce n'était véritablement qu'avec l'arrivée de Calliope dans sa vie qu'il avait véritablement réussi à faire entendre sa voix, chez lui..Progressivement. Lentement. Le point culminant étant quand il avait osé dire non à son père quand il avait prétendu l'empêcher de passer l'Alliance avec Calliope. Après évidemment, les choses s'étaient arrangées..Il pouvait dire non s'il ne voulait vraiment pas faire quelque chose. Mais pour ce qu'il voulait faire..c'était une autre histoire. La peur revenait toujours.

«Non, mais tu sais que je n'ai jamais vraiment été le fils qu'il voulait.»

Un haussement d' épaules, un ton lassé, résigné presque. Une formule générale qui englobait l'entièreté de ses rapports avec son père. Il ne pouvait pas en dire plus ; il portait un secret qui lui pesait si lourd, depuis des années. Pas question que quiconque le sache. A Lindorm, seule Silia savait – il était difficile de lui cacher quoique ce soit, surtout en prenant en compte le fait depuis qu'il la connaissait depuis treize années -, et encore : c'était déjà trop. Il ne pouvait pas prendre le risque que quelqu'un d'autre sache. Il avait peur du rejet, des regards méprisants, des moqueries, des insultes. Il portait déjà un masque depuis son arrivée ici ; alors cacher encore autre chose n'était qu'une formalité en apparence. Mais que n'aurait-il donné pour pouvoir être plus honnête, desserrer un peu le cercle de peste rouge que son père avait tracé autour de lui et pouvoir respirer...Etre plus lui-même. Plutôt qu'être faux, l'acteur qui jouait son rôle et que personne n'arrivait à percer à jour...

Qui plus est, ce n'était pas vraiment mentir, si par choses répréhensibles, Maelen entendait des délits classiques comme des vols, des agressions ou des meurtres... Mais déjà celui-ci embrayait sur ce qu'avait été sa vie depuis la dernière fois qu'ils s'étaient écrit. Le lycée, le tir à l'arc, ses amis. Il n'aurait pas cru que cela lui arriverait, mais Nathanael se sentait...vaguement envieux. Il l'enviait d'avoir vu le monde, alors que lui avait tourné entre les quatre murs du domaine Castellanos comme un ours en cage, ou un être si différent qu'on ne pouvait pas le montrer.. Il était...envieux et malheureux à la fois. Il ressentait même...comme un pincement au cœur. Il avait mal.

Il approuvait de la tête à ce que son ancien ami disait, pour bien lui montrer qu'il était tout ouïe. Laissant même échapper un petit rire. Non pas qu'il se moquât de Norn, mais c'était...cocasse comme situation. Reluquer des humaines, vraiment. Les dragons ne cesseraient jamais de le surprendre...

«Bienvenue chez les Ventus, alors. » se força-t-il à sourire. «Si tu as le moindre souci, n'hésite pas...d'autant plus que je suis devenu le délégué de ce groupe. »

Il s'était légèrement redressé en disant cela. Légère once de fierté, peut-être. Ce poste, il avait travaillé à l'avoir, déployant un temps infini à consolider sa toile et convaincre les autres Ventus qu'il était parfait pour ce poste ; et la consécration était là.

«Mais ne t'en fais pas pour ça, ça viendra avec le temps.» , ajouta-t-il lorsque Maelen évoqua son angoisse des cours de vol, peu surprenante au vu de son vertige... « Tu es là pour apprendre. Fais les choses à ton rythme, sans brûler les étapes...Surtout, ne te brusque pas.

C'était là le meilleur conseil qu'il pouvait lui offrir. On ne pouvait pas vaincre une phobie du jour au lendemain, cela se faisait au contraire par un travail lent et patient. Et il songeait, au fond de lui, que cela aurait pu s'appliquer à lui aussi. Avant de refouler immédiatement cette pensée. Alors comme ça, Maelen voulait rencontrer Calliope ?

«Sans aucun souci. A l'occasion peut-être...voire après le déjeuner si l'on a encore le temps.»

Même si cela impliquait de s'attarder un peu avec Maelen..mais il ne serait pas seul, cette fois ; Calliope serait avec lui. Cette idée lui apportait du courage. Tant qu'elle était à ses côtés, il pourrait tout faire : c'était là l'impression qu'il avait depuis qu'ils s'étaient Liés. Cependant, il se rembrunit légèrement lorsque la question de son don fût évoquée. Ce don, il détestait en parler, et le détestait encore plus. Et pas seulement à cause de sa dangerosité incontestable.

«Je peux manipuler l'oxygène de l'air. », fit-il simplement. Sa voix lui semblait...tendue.

Il savait pourtant, que c'était un don qui ne manquerait pas d'intéresser l'armée. Pouvoir asphyxier ses adversaires à distance...Cela avait un certain intérêt, et une des plus grandes peurs du jeune homme était que ses supérieurs tentent de l'inciter à rester dans l'armée territoriale d'Aeria. Il ne voulait..simplement pas se faire manipuler,essayer de rentrer dans un moule qui ne lui conviendrait pas. Il avait déjà assez donné, merci...

Dans un sens Maelen était un pur petit noble de tradition Aérienne et même si il voulait se défaire de ce carcan, il ne pouvait s’en empêcher. Peut-on apprendre à un dragon à ne pas voler s’il à des ailes ? Non et hélas pour Maelen son enfance s’était déroulée dans un milieu aisé, cela avait donc forgé une partie de son caractère. Alors certes il se battait contre ça, ne prônait jamais la valeur de l’argent, respectait tout à chacun et véhiculait une image positive. Mais il est des traits de caractères qui sont difficile à effacer et celui que Maelen avait et dont il ne se rendait pas compte était de ne pas penser aux autres, de ne jamais se mettre à leur place.
Alors quand il parla de ces années au lycée, il ne pensa pas un seul instant avoir blessé son ami. Pour lui il était inconcevable qu’il lui fasse du mal. Ils étaient censé être ami et comme tel ils n’auraient rien dû se cacher. Bon c’était un peu mal parti parce que Maelen avait quand même garder la présence de Shaem secrète.
Au final, étaient-ils vraiment amis ?

Le Ventus sourit au blond quand il lui conseilla de prendre son temps et de ne pas hésiter à lui demander conseil.
Oui Nathanael avait changé, il semblait plus sûr de lui et cela fit plaisir à Maelen. Fixant l’heure, il se dit que si Nath se dépêchait un peu, il pourrait aller voir le dragon de son ami. Et s’ils couraient pour y aller. Pas question d’y aller sur le dos de Norn.

Laissant le trognon de sa pomme dans son plateau, il croisa ses mains derrière sa tête avant d’ouvrir grand la bouche devant l’annonce du don de son ami. Aucun mot ne sortit. Il se contenta de le fixer, avant de lancer :

« C’est sacrément dangereux ! »

Pour ce qui était de mettre les pieds dans le plat, Maelen était toujours le premier. Il espérait que lui-même n’ai pas un pouvoir aussi dangereux, car avec sa maladresse il aurait tué tout le campus sans le faire exprès. Maelen ne savait pas trop ce qu’il voulait comme don, quelque chose de pas trop dérangeant, potentiellement pas trop dangereux et qui pouvait lui éviter de se retrouver en première ligne lorsqu’il serait obligé de devenir soldat. Il n’avait jamais vraiment pensé à cette année qu’il serait obligé de faire, pour lui c’était encore loin. Il aurait 26 ans quand il sortirait de Lindorm, il aurait préféré pouvoir retourner en Aéria et commencer à mener la cause qui lui tenait à cœur. Mais il ne le pourrait pas, il serait obligé d’aller au front, de tuer des gens, d’obéir à des ordres, de se plier à la volonté de Haut-Dignitaires qui ne souhaitait pas tout le temps véhiculer des idées qui collaient aux siennes.
Poussant un léger soupir, il préféra mettre de côté toutes ces interrogations. Il verrait bien dans cinq ans. Pour le moment il venait d’arriver, et il devait en profiter. Il devait devenir fort.

Fixant Nath de ses grands yeux bleus, il tendit la main pour repousser une mèche de cheveux de son ami qui lui tombait devant le visage. Il la glissa derrière son oreille et lui fit un grand sourire.

« Toujours aussi beau Nath, tu dois avoir beaucoup de succès… »

Riant, il posa son menton dans sa paume et fixa les quelques élèves qui passait à côté de lui. Il vit Asa plus loin et lui fit signe de la main, avant de reporter son attention sur son ami.

« Tu as une petite amie ? » Demanda t-il intrigué. Après tout, il était délégué, il devait être quelqu’un d’important, les filles aimaient les hommes d’importance. En parlant de fille Maelen suivit du regard une jolie brune qui passa derrière Nath et lui décrocha un large sourire.

Avec la présence de Shaem dans l’Académie, Maelen ne savait pas trop s’il pouvait ouvertement fréquenter quelqu’un. Après tout leur relation n’était pas vraiment très claire. Il n’avait même pas de « titre » à donner au Saabi. Tant que rien ne serait posé à plat, il se contenterait d’être un gentil garçon, au demeurant charmant.

Il était plus calme, maintenant. Le choc initial passé, Nathanael parvenait à se détendre. Sa respiration avait repris un rythme normal, ses mains ne tremblaient plus, il pouvait manger tranquillement tout en discutant. Évidemment il y avait toujours une forme de gêne, car après tout cela faisait plusieurs années qu'ils ne s'étaient pas vus, comme ils avaient pris chacun un chemin différent. Mais ils se réhabituaient l'un à l'autre, lentement... Leur conversation redevenait naturelle. Comme auparavant, lorsqu'ils pouvaient encore se parler en face, et lorsqu'ils s'écrivaient fréquemment. Cela aidait, aussi, qu'au moins l'un des deux n'ait pas tellement changé. Les images du Maelen qu'il avait connu et de celui qui était à présent devant lui se superposaient presque parfaitement. Il était juste plus grand, plus..attirant ? Non, il ne fallait pas penser comme ça ! Certainement pas !

« Précisément...Je n'aime pas ce don. »renchérit le jeune homme pour oublier les eaux dangereuses vers lesquelles ses pensées s'étaient aventurées. Bel euphémisme ; il le haïssait. Il se haïssait. Pourquoi avait-il hérité d'un don aussi terrifiant ? En fait de don, il s'agissait plutôt d'un cadeau empoisonné...Il n'en voulait pas à Calliope de lui avoir transmis cette capacité, ce n'était pas comme si elle l'avait fait exprès...Mais quand même..Enfin d'un autre côté, c'était mieux que ce soit tombé sur lui, lui qui savait se contrôler et raisonner, plutôt qu'un fou sanguinaire qui utilise ce don à tord et à travers. Enfin, il était inutile de revenir sur le passé, n'est-ce-pas ? Ce n'était pas en se plaignant qu'il allait faire avancer les choses..

Je pourrais m'habituer à ça, songea-t-il brusquement. Reprendre contact avec Maelen, discuter régulièrement, passer un peu de temps avec lui, cela pouvait être agréable. C'était ce qu'une part de lui se disait. La moins rationnelle. L'autre, froide et méthodique, l'enjoignait à couper les ponts au plus vite, ce n'était peut-être pas raisonnable de reprendre contact avec son passé de cette façon..Il ne savait pas. Il ne savait plus. Il souriait pour cacher son trouble. Enfin, ses troubles... Il ne s'autorisait que de brefs regards furtifs, des allers-retours entre Maelen et son assiette. Éviter complètement le regard de Maelen, il ne le pouvait pas ; c'était suspicieux et le mettait à la torture. Mais il ne pouvait pas non plus planter son regard dans le sien, ou le laisser traîner trop longtemps ; c'était encore plus louche. Quel que soit son choix, il était fichu, conclut-il. Rien qu'il ne puisse supporter de toute manière. Il devait être fort et se contrôler. Comme toujours.

Mais cet entre-deux se termina d'une façon plutôt brutale quand Maelen tendit la main vers pour repousser une mèche de cheveux et la caler derrière son oreille. Nathanael se sentit légèrement frémir sous ce contact, ses yeux se fermant même l'espace d'un instant pour ensuite mieux rencontrer ceux de son interlocuteur, qui avait posé son menton sur sa main. Un léger sourire satisfait naquit sur ses lèvres. Ainsi, Maelen le trouvait beau ? Il le savait franc, disant les choses comme il le pensait, donc cela ne pouvait qu'être un simple constat. Ou peut-être qu'il disait ça...parce qu'il était intéressé par lui ?

«Non, je n'ai pas de petite amie.»

A Lindorm, il était vrai qu'il avait sa petite côte de popularité auprès des demoiselles , sans toutefois être leur coqueluche – et dieu merci, il ne l'était pas. Il était même sorti avec deux ou trois filles, mais cela n'avait jamais marché. Tant pis. Il n'allait pas leur courir après non plus...

Mais peu importait, décida-t-il, en redirigeant son attention sur Maelen. Il songea un instant à attraper sa main et ne pas la lâcher et-
Et la réalisation qu'ils étaient dans un lieu public le frappa comme la foudre. Il se redressa comme un serpent prêt à mordre, les yeux écarquillés, le cœur tambourinant contre ses côtes et sa respiration s'accélérant de manière exponentielle. Il était brusquement trop conscient des dizaines de personnes autour d'eux. Des regards qui pourraient se diriger vers eux. Des regards qui jugeaient, condamnaient, des regards blessants.

«Je peux savoir pourquoi tu as fait ça ? » siffla-t-il, prêt à se lever et quitter le réfectoire.«On est en public !»

La peur était revenue, une fois de plus.

Nathanel avait toujours été son ami. Au moment où il lui était tombé dessus, il l’avait décidé. Il serait son tout premier ami. La personne à qui il pourrait tout raconter. Innocence d’une enfance maintenant lointaine.
Maelen se demandait si vraiment le garçon le considérait encore comme tel. Ils avaient grandit, chacun avait évolué et même si le caractère enjoué de Maelen restait le même que celui dans les souvenirs de Nathanael , lui semblait plus ouvert.
Mais derrière cette franche camaraderie, il y avait quelque chose qui n’existaient pas à l’époque. Une époque où ils étaient bien trop jeune, une époque où l’innocence ne flirte pas avec le désir, une époque où l’on ne désirait pas le corps de l’autre.

Et à cet instant, quand sa main glissa le long de ses cheveux, frôlant sa joue pendant de très courtes secondes, il y eu ce frisson de désir qui lui remonta le long de la colonne vertébrale, secouant son esprit d’une envie soudaine.
Ses yeux s’allumèrent quelques secondes quand il vit Nath fermé les yeux et son corps secoué par le même frisson qui l’avait parcouru.
Mais Maelen ne dit rien de plus, il se contenta de planter son regard dans celui de son ami. Ne se gênant pas pour le dévisager. Maelen ne cachait jamais ce qu’il ressentait. Son visage était un véritable livre ouvert.

Lui souriant, il fut ravi d’apprendre qu’il n’avait pas de petite amie. Puis il vit Nath se refermer complètement, se lever et siffler dans sa direction.
Ohoho, voilà un visage qu’il ne connaissait pas, une attitude que le doux Nath de son enfance ne possédait pas. S’il avait été gêné, il aurait sans doute pleuré ou rougit avant de s’enfuir.
Mais maintenant ils avaient vingt ans, plus question de pleurer, il s’agissait d’être un homme.

Maelen était peut être quelqu’un qui dévoilait tout ce qu’il pensait, mais sil savait aussi comment faire pour dévoiler le véritable visage de ceux qui le côtoyait. Sa trop grande franchise était une arme redoutable, elle mettait les gens mal à l’aise quand il n’était pas eux même, elle dévoilait des facettes que peu de personnes osaient montrer.
Après tout il venait de broyer le cœur d’un homme avec cette capacité à dire ce qu’il pensait. Il est des sourires dont il faut se méfier, il des phrases qu’il ne faut pas relever, il est des gestes qui sont calculés pour faire mal.

Le fixant dans les yeux, il haussa les épaules ne comprenant pas où était le problème.

« Et alors, personne ne nous regarde ! » Dit-il en riant. « Tu n’es pas le centre du monde Nath’… »

Lui faisant un grand sourire, Maelen se leva à son tour, prit son plateau entre ses mains et contourna la table pour se retrouver debout à côté de son ami. Là, il lui chuchota doucement à l’oreille :

« Tu es diablement beau quand tu frisonnes Nathanael ! »

Puis, il se pencha et déposa avec une rapidité fulgurante un baiser sur la joue de son ami. Riant de nouveau, il recula et lui lança un clin d’œil avant de traverser le réfectoire pour aller déposer son plateau.
Il disparut souplement dans la foule, un large sourire aux lèvres.