Tout commence avec une légende et un médaillon transmis par delà les générations.
Des siècles et des siècles de traditions, voilà ce qui caractérise la famille O'Cuinn. C'était une vieille famille, proche des différents gouverneurs, à l'aspect immuable, presque sacrée. L'immense demeure familiale, un imposant manoir mêlé comme de coutume aux étranges arbres de Keven, élevait ses flèches haut dans la ville de sève.
Dans la famille O'Cuinn, il y avait toujours eu des dragonniers, et tous furent choisis par des dragon de Terre, souvent des femmes, parfois des hommes mais jamais plus d'un par génération. La rapière à la garde d'or où était gravée la devise familiale avait servi des siècles de dragonniers. A présent, elle trônait sur la cheminée, inutile. De dragonniers finalement, il n'en avait plus eu depuis déjà deux générations.
L'on ne voyait plus, sur les tignasses des bambins, la caractéristique couleur verte qui avait toujours indiqué les dragonniers de la famille. Certains disaient que c'était depuis que la famille s'était détourné des Anciens Dieux pour l'Unique. D'autres que c'était à cause de certains mariages avec des étrangers à Keven. Il y avait mille spéculations mais aucune certitude, finalement.
Les femmes de la familles devenaient prêtresses et oubliaient de se battre. On priait l'Unique en oubliant les anciennes légendes. Jusqu'au jour où naquit une petite fille de la branche la plus pure des O'Cuinn. Une enfant aux cheveux noirs, qui sembla confirmer la disgrâce des dragons pour la famille. L'enfant grandit ainsi, dans une famille aimante, mais rigide, percluse de traditions séculaires, et pourtant sur le déclin. Le nom O'Cuinn n'avait plus le même poids, dans la capitale Kevii mais chaque membre semblait soucieux de faire comme si de rien n'était et l'on se souvenait de l'âge d'or de la famille avec nostalgie chaque fois que le regard se posait sur l'épée familiale inutile.
Bryne était une enfant sage et discrète, d'un caractère doux et malléable. Elle fut très jeune dirigée vers l'entrée dans les Ordres. Elle servirait l'Unique, comme les autres. De nature obéissante, élevée dans l'amour du dieu sans visage, elle priait souvent de faire la fierté de ses parents et rêvassait parfois à la rapière d'or sur la cheminée.
Ce fut à ses huit ans que son destin se mit en marche. Sa mère venait de lui offrir, pour son anniversaire, un bijou qui avait toujours été dans la famille. Un médaillon de jade, lourd et pesant pour une enfant, mais une étrange affinité lia immédiatement Bryne au collier, comme si elle venait de retrouver quelque chose perdu depuis longtemps. Elle jouait dans le manoir, insouciante, quand ses pas la conduisirent de plus en plus bas dans les sous-sol du manoir, à la poursuite de quelque chimère d'enfant.
Le temps de réaliser qu'elle était perdue, elle tomba alors sur une vaste porte sans serrure ni poignée. Et dans le bois noir, l'empreinte verte du médaillon qu'elle portait.
Poussée par quelque inspiration, elle y appliqua le précieux cadeau, ouvrant un couloir dans des profondeurs obscures aux relents de moisissure.
Bryne ne su jamais ce qui la poussa en avant, avançant dans le noir pendant ce qui lui sembla des heures, avec l'impression de s'enfoncer de plus en plus loin sur des kilomètres jusqu'à ce que sa main touche quelque chose de chaud et de légèrement humide. Quelque chose qui bougeait au rythme d'une lente respiration profonde et dont le souffle emplissait tout l'espace. Curieusement, ce n'était pas la peur qui l'animait alors qu'elle tentait de faire le tour à tâtons de l'immense chose. Soudain, il y eut une secousse, comme un gigantesque tremblement de terre et l'enfant s'accrocha à la première chose qui lui passa sous la main, se sentant brutalement tirée en avant, ballottée comme un fétu de paille alors qu'un lourd grondement retentissait à en fendre la terre.
Et la terre, ce jour là, se fendit réellement, pour laisser la place à un titanesque dragon, sur la patte duquel une toute petite fille s'accrochait désespérément. Le soleil les aveugla tous les deux et la bête s'immobilisa dans la forêt. Elle pouvait voir, de toute sa hauteur, les constructions Kevii, mais pas l'enfant. Les kilomètres parcourus existaient bel et bien et le soir avait fait place à un matin ensoleillé. En ville on cherchait l'enfant, la mère pleurait, le père contactait la garde, tous étaient en effervescence. L'on avait perdu l'héritière de la famille. Et, quelque part loin de tout ça, une petite fille découvrait ce que tous avaient oublié. La légende depuis longtemps perdue. Un dragon endormi qui vit en cette chose chétive l'âme qu'il avait attendu tellement de siècles que lui-même en avait perdu le compte. Et les cheveux de la fillette, alors que l'âme du dragon touchait la sienne, devinrent soudain verts.
Dès lors qu'Hagen fut éveillé, la vie de l'enfant changea du tout au tout. Il n'était plus question d'être prêtresse, tout fut mis en oeuvre pour faire d'elle la nouvelle dragonnière, la fierté de la famille, celle qui redorerait le blason terni et brandirait de nouveau la rapière à garde d'or. Bryne, comme elle l'avait toujours fait, se plia à ces changements, aux cours d'escrime, à ceux de survie. Car elle avait trouvé en Hagen quelque chose qu'elle avait souhaité dans ses prières à l'Unique : un ami, un confident et un soutient. Car le dragon était, en dépit de son apparence effrayante, plein de bonté pour la fillette.
Elle grandit donc avec lui, avec son don précoce, éveillé dés l'instant de sa rencontre avec son ami et qu'elle dû apprendre à apprivoiser jusqu'à considérer son pouvoir comme une extension de son propre corps.
Finalement, après bien des années, elle fut prête pour l'Alliance. Le fait de ne pas la passer était impensable. On l'avait préparée aussi convenablement que possible, mieux que la plupart de ceux qui allaient tenter l'épreuve.
Hagen et Bryne furent envoyés à Narthan, près des Cracheurs, dans un désert de cendre et de lave. Les deux alliés furent mis à rude épreuve, leur nature sylvestre les handicapait considérablement et il n'y avait là que peu de nourriture, peu de ressources et bien peu d'eau. Pourtant, ils triomphèrent, Bryne conservant cependant une peur du feu particulièrement vive, alors qu'un torrent de lave avait menacé de tuer son dragon qui ne s'en était sorti que grâce aux pouvoirs de la jeune fille. Et un peu par miracle, ils survécurent malgré tout. Parce qu'ils avaient l'un en l'autre une confiance et un amour sincère. Bryne n'aimerait plus jamais vraiment les dragons de feu, trop prompts à lui rappeler l'image terrifiante de Hagen coupé d'elle par la lave.
Ainsi le duo entrèrent à Lindorm et Bryne porta sur ses épaules frêles et pourtant si solides le poids des espoirs de la famille O'Cuinn. C'était elle, à présent, qui brandissait la lame familiale.
L'adolescente de la jeune Kevii se fit sans heurts. Elle était d'un tempérament profondément solitaire, malgré sa curiosité pour les autres, qu'elle n'avait jamais côtoyé. Si elle souriait, riait, consolait, elle n'en était pas moins séparée d'eux par un lien trop présent avec Hagen. Elle ne s'en plaint jamais. Elle ne regardait pas les garçons - pas plus que les filles - devant porter le poids trop lourd des exigences de O'Cuinn et sentant à chaque instant l'oeil intérieur de son dragon en elle. Une fois, une seule, elle fut seule avec un garçon, lors du bal de noël. Ce dernier avait dansé avec elle et l'avait invité ensuite à marcher un peu. Elle ne s'était pas méfiée lorsqu'il s'était approché pour l'embrasser, elle était tellement docile mais aussi un peu grisée par la danse. Mais alors qu'il était à un doigt de poser ses lèvres sur les siennes, Hagen avait fondu sur lui, énorme masse de centaines de tonnes et il s'en était fallu d'un souffle pour qu'il écrase le jeune homme d'un seul coup. Sans doute le prétendant aventureux serait-il mort si Bryne ne l'avait poussé et ne s'était interposée. Etait-il triste de cette tentative ratée ? Nul n'aurait su le dire car elle n'en dit jamais rien, se contentant de rejoindre Hagen et de le calmer de ses baisers et de sa présence.
De cette mésaventure la jeune fille avait simplement retenu qu'elle ne devait pas laisser quelqu'un s'approcher trop près. Elle sembla le prendre comme elle prenait tout le reste : avec philosophie et un calme surnaturel. Excellente élève, elle suivait sa scolarité avec un sérieux exemplaire et ses prières mentales à l'Unique, qui étaient sans doute la seule chose qu'elle n'ai jamais protégé de l'intrusion mentale de Hagen, toujours trop inquisiteur. Qui pouvait savoir ce qu'elle demandait au Dieu sans visage au plus profond de son cœur ?
Sa dernière année vit l'arrivée d'un élément que la famille n'avait pas prévu. Il s'appelait Sloan. Son cousin aux cheveux verts - en partie verts seulement diraient les O'Cuinn juste pour être mesquins - était aussi un dragonnier. Un dragonnier insupportable et ignorant de son lignage autrefois prestigieux. Ce fut elle qui le lui apprit mais il sembla parfaitement indifférent de cet état de fait. Sloan semblait curieusement son contraire : là où elle était docile, sérieuse, pondérée et obéissante, il était bruyant, turbulent, agressif et ne maîtrisait absolument pas son don. Elle qui savait depuis toute jeune canaliser ses ronces, qui, à l'image de ses émotions si lisses, ne débordaient jamais, lui passait son temps à faire trembler l'académie, au sens propre comme au figuré.
Sa famille lui commanda, par lettre, de rester loin du fauteur de troubles, ce qu'elle fit, elle qui faisait toujours ce que l'on attendait d'elle. Elle ne fréquenta guère ce cousin éloigné et quitta Lindorm, appelée par la guerre.
La guerre, Bryne aima cela, profondément. C'était comme si l'ordre naturel des choses s'était configuré pour qu'elle soit à sa place, à cet endroit précis. Sur le champ de bataille, il n'y avait plus de famille, plus de raisons de porter le poids de son nom. Il n'y avait qu'Hagen et elle, et en face le monde à affronter. Tuer, combattre, était pour elle comme une seconde nature. L'épée d'or n'était qu'une extension de son bras, au même titre que ses ronces. Elle était elle-même, juste elle-même. Elle pouvait rire, pleurer, s'emporter, sans autre témoins que les cadavres de ses ennemis. Cette fille que tous pensaient frêle et douce fleurissait dans le sang et élevait la guerre au rang d'art.
Elle passa rapidement Capitaine, ses études sérieuses et son entraînement depuis ses jeunes années portaient leurs fruits. Elle était bien souvent la dernière à revenir du champ de bataille. Elle tua de nombreux Wyrms. Pas qu'elle ai une quelconque opinion politique à leur sujet. Elle était un soldat, elle tuait qui on lui désignait. C'était aussi simple que ça.
Mais toute guerre a une fin. Les gagnants ou vainqueurs ne l'intéressaient pas. Elle rengaina son épée et, désœuvrée, dû retrouver un sens à sa vie. Elle ne voulait pas rester si elle ne pouvait plus être l'arme humaine qu'elle s'était faite. Elle ne voulait pas rester s'il fallait simplement attendre la prochaine.
Mais où aller en dehors de l'armée ? Pas question de retourner tout bêtement à la maison, raccrocher l'épée, laisser Hagen vagabonder et se faire marier à quelque prétendant riche. Il y avait bien une solution : Lindorm. Cet endroit où elle s'était forgée, elle demanda à y forger les futures lames. Elle était jeune. La prochaine guerre viendrait. Alors elle pourrait repartir. Alors elle pourrait de nouveau rire, pleurer, jouir simplement d'être en vie.
La voilà donc à la rentrée de cette année de 1568 APA, toute fraîchement agrégée en temps que professeur de maîtrise du Don, après cinq ans parmi les Lianes Terrestres. Voilà l'arme de nouveau au fourreau.
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Mer 20 Aoû - 13:57
