"Monsieur, nous avons retrouvé sa trace à une quarantaine de kilomètres d'ici, a trois kilomètres à l'est du tertre d'Ivarh. Vos hommes quadrillent la zone mais pour l'instant nulle trace de mademoiselle Wennerström. Nous avons cependant trouvé des traces manifestes de lutte : une calèche incendiée, l'escorte de mademoiselle tuée, ainsi qu'un dragon mort et un homme inconnu également mort."

Niels fronça les sourcils, les doigts croisés sous son menton, fixant le jeune capitaine de sa garde personnelle tripoter nerveusement le pommeau de son épée, déglutissant devant le regard perçant du gouverneur.

"Bien. Faites seller mon cheval pour dans une heure et, si les envoyés de l'académie Lindorm arrivent, intégrez-le aux équipes de recherche sur le terrain : leurs dragons nous seront utile pour une vue d'ensemble. Et dites a leur capitaine de me retrouver près du tertre d'Ivarh."

Le militaire claqua des talons, salua son supérieur et sortit de la pièce en un pas rapide, les talons de ses bottes claquant sur le dallage.

Une heure plus tard, après avoir donné quelques directive à son chambellan, Niels rejoignait la cour du palais où l'attendait un cheval pie noir dûment harnaché. Le voyage jusqu'au tertre prendrait facilement une bonne journée : il était vrai que les dragonniers étaient avantagés par une rapidité de déploiement certaine. A la tête d'une vingtaine d'hommes en arme, le gouverneur s'éloigna rapidement du palais en un trot rapide, sentant à son côté le poids familier de son épée. Porter l'armure et les armes... Cela aurait dû être son lot. La guerre avait déjà bien trop pris a sa cadette : que lui prendrait-elle cette fois-ci ? Sa vie ? Il se refusait à cette éventualité : les Wennerström étaient endurants. Elle avait été taillée pour le combat. Elle devait vivre. Mais a quel prix ?


Le point du jour avait peine a percer les nuages opaques annonciateurs d'une tempête à venir. Niels n'avait cure de la météo défavorable : la carcasse d'un dragon était en soi une chose alarmante : Jan avait-elle abattu la créature ? Et que faisaient des dragonniers ici ? Des pillards ? C'était tout bonnement impossible : ils n'auraient pas été juchés sur des dragons. Des Wyrms ? Cela semblait plus probable.

L'on venait de lui annoncer, après une courte nuit dans un campement de fortune, que les envoyés de Lindorm avaient été vus par les éclaireurs. Les premiers dragons se profilaient à l'horizon alors que Niels et ses hommes étudiaient les marques laissées dans la neige fraiche ayant presque déjà tout recouvert.

"Elle ne doit pas être loin. Continuez à fouiller chaque congère s'il le faut !" Lança-t-il depuis sa monture. En apparence, vêtu de son armure sur sa lourde monture, Niels semblait impassible, lançant ses ordres avec son calme glacé habituel. Rien ne semblait trahir chez lui le moindre désarroi face à la disparition de sa fiancée et demi-sœur. Il regardait à présent l'arrivée des dragonniers, derrière la glace de son visage, il y avait une petite étincelle d’inquiétude et de tendresse pour sa sœur.

Il la retrouverait, peu importe où. Peu importait les épreuves. Il ne pouvait se résoudre a perdre encore une promise.

Bon sang ! Elle avait disparu !

Mais qu'était-il arrivait pour que le Gouverneur de Nordheim n'ait pas vu arriver sa fiancée chez lui pour se préparer à la noce ? Nicola n'était pas très sûr de vouloir le savoir, étant donné comment avait fini sa dernière discussion avec Jan.

Il grinçait encore des dents en se souvenant à chaque détail près, chaque mot prononcé, de ce qu'ils s'étaient avoués dans la serre, Nick serra les poings. Cette petite traîtresse qui n'avait pas hésité une seule seconde à lui tourner le dos avait également posé un lapin à son demi-frère. Elle n'était même pas capable de tenir ses engagements !

Enfin, l'histoire avait l'air plus sérieuse qu'il n'y paraissait, puisque Liam l'avait chargé de ramener une escouade de Lindorm en aide au Gouverneur pour tenter de retrouver le professeur disparu. Les préparatifs allaient bon train.

Se souvenant d'un détail, Nicola se rendit dans les grottes de Lindorm pour y retrouver Nihdögg, le dragon de Jan. Il fallait qu'il en ait le coeur net.

- Bonjour Nihdögg. Je viens te demander un coup de main.

Le dragon serpentiforme redressa la tête à l'approche de l'humain. Inclinant la tête, il donnait à penser qu'il écoutait avec attention. Nicola se lança alors...

- Jan a disparu de la carte du Territoire. Elle devait se rendre en Nordheim pour épouser son demi-frère. Tu penses pouvoir nous donner un peu d'aide ?

Toujours sans répondre, le dragon descendit de son perchoir et sortit de la grotte en l'attendant. Apparemment, il avait décidé de retrouver son alliée. Sortant à son tour, Nicola siffla pour qu'Améthyst descende le récupérer.

- Vous êtes prêts ? Alors allons-y !

La procession comportait six dragons et leurs dragonniers. Ils s'envolèrent vers le point de rendez-vous annoncé par Liam. Nihdögg se trouvait au sol et serpentait avec nervosité. Ils mirent une bonne journée pour atteindre le campement de Niels Wennerström.

Se présentant face à lui et laissant les autres s'occuper des dragons, Nicola se présenta au Gouverneur.

- Je suis Nicola Ferretti, professeur de combat à Lindorm. J'ai été envoyé ainsi que quelques uns de nos meilleurs éléments pour la recherche de votre fiancée.

Rien que ce dernier mot lui écorcha sacrément la gueule. Mais il ne pouvait pas faire autrement sans causer un incident diplomatique. Ce n'était pas son but aujourd'hui...

Cette escouade de six dragonniers arrivant dans le lointain avait quelque chose d'impressionnant. Niels sentait l'agitation de ses hommes, leur nervosité contenue face à cette élite militaire du territoire. Mais ce qui retenait son attention à lui, droit et stoïque sur sa monture, c'était cette forme immense qui ne volait pas mais se frayait un chemin tout droit dans la neige. Nihdögg.
Ce dragon choisi par leur père était une créature effrayante, pour le peu qu'il en ai vu chaque fois. Comme il avait eu du mal, autrefois, à imaginer sa petite sœur sur le dos d'un tel monstre qui semblait si sauvage, et tant haïr les hommes...
Si Jan était en danger, pourtant, c'était effectivement le meilleur des alliés : ne disait-on pas toutes sortes de fantaisies du lien entre le dragon et le dragonnier ? Il était persuadé, cependant, que dans le ramassis d'inventions de commères ignorantes, il y avait une part de vrai : un dragon retrouverait toujours son dragonnier.

Bientôt, les dragons se posèrent près du fragment de sa propre armée et son cheval même renâcla avec un peu de nervosité, son antérieur battant le sol, fouettant la neige fraiche.
Ce qui semblait être le chef de ce groupe se présenta à lui. Cet homme aux cheveux rouges lui était furieusement indifférent et il balaya l'air d'un geste ample, comme pour dissiper ses propos inintéressant dans le vent du Nordheim. Ses yeux jaunes avaient la fixité dérangeante et un peu hautaine des oiseaux de proie.

« Je vous remercie de votre diligence, Monsieur Ferretti. Vous et les vôtres êtes les bienvenus pour ces recherches. Séparons nos hommes, voulez-vous ? Nous couvrirons une plus large zone de recherche. Je vous prie cordialement de bien vouloir m'accompagner personnellement. Mais avant, permettez que je m'adresse au Grand Ver des Glaces... »

Distribuant quelques ordres à ses hommes, il les envoya chacun continuer les recherches par petits groupes, comptant sur les dragonniers pour se séparer.
Donnant un léger coup de talon à sa monture, Niels s'approcha de l'ombrageux dragon de glace, sans plus se soucier de cet homme, dans une rigidité indifférente presque souveraine.
Nihdögg était très nerveux mais il l'approcha sans sourciller. Un dragon... N'était-ce pas autrefois son rêve ? Ce rêve étouffé avant même de naître...

« Seigneur Nihdögg, Grand Ver des Glaces, Celui qui Rampe parmi les Morts, me guiderez-vous jusqu'à Jan ? »

La créature serpentiforme et son énorme gueule s'était tournée vers lui l'espace d'un instant, ses crocs apparents dans sa gueule entrouverte, exhalant une haleine plus glaciale encore que le vent. Nihdögg, à l'instar de Niels envers le commun, semblait hermétique à ce petit homme insignifiant. Mais Jan était la priorité du grand dragon. Il ne se donna pas même la peine de répondre, se contentant, dédaigneux, de souffler un peu de glace près du cheval qui se cabra en hennissant sans pour autant désarçonner son cavalier. Puis, sans plus attendre, il rampa de nouveau à travers la glace, Niels éperonnant sa monture affolée pour galoper dans son sillage, laissant tacitement le professeur de combat le suivre.

Le trajet ne fut pas très long, en vérité, ils couvrirent moins d'un kilomètre, jusqu'à ce que Nidhögg s'arrête devant une anfractuosité de rochers masquant l'entrée d'une petite grotte dont l'entrée en boyau était tout juste assez large et haute pour laisser passer un homme debout. Mettant pieds à terre, Niels n'attendit personne pour s'engouffrer dans le passage, l'épée tirée de son fourreau, comptant sur l'instinct du dragon pour lavoir mené à la bonne piste. Là encore le chemin ne fut pas long dans ce boyau qui s'élargit finalement à peine pour s'ouvrir sur le triste spectacle de cette petite forme roulée en boule dans un manteau puant la charogne.
A grandes enjambées, sans rien dire, le gouverneur s'accroupit bientôt près de cette forme qui tressaillait légèrement. Vivante. Vivante ? Il retira doucement les pans du manteau pour dévoiler le corps tuméfié de sa promise, respirant faiblement, tremblant de fièvre et de froid et dont la jambe amputée autrefois accentuait la faiblesse. Extérieurement, rien ne s'inscrivit sur ce visage figé. Et pourtant, Niels dégrafa sa cape doublée de fourrure aux armoiries de son pays, ses yeux de vipère se posant sur les traces trop caractéristiques. Les lèvres pincées, en proie soudain à une sorte de colère gelée, avortée avant même de franchir ses lèvres, il enveloppa sa cadette dans sa propre cape, la soulevant sans efforts, la tenant contre le plastron de son armure. Il fallait se hâter, à présent. Mais avant, un autre homme que lui avait entraperçu la souillure faite à sa future femme, cet affront politique et familial. Ces tâches de sang qui ne maculeraient pas les draps blancs de leurs noces.
Avec une aisance et une vivacité surprenante pour un bureaucrate, Niels s'était retourné, sa soeur serrée d'un bras contre lui, la pointe de son épée sous le menton de Nicola et ses yeux étranges fixés sur ce dernier avec une détermination glaciale.

« J'ose penser que vous aurez la sagesse de rien n'en dire. Pour ne pas vainement... Entacher... La vertu de ma sœur. »

Le ton glacial de Niels, aussi bas qu'un murmure, semblait plus effrayant qu'un cri. Il ne baissa pas son arme.

L'inquiétude n'aurait pas dû prendre le pas sur les réflexes...

Nicola, quoiqu'il en ait dit à Liam ou quoiqu'il ait pu montrer, depuis la nuit dans la serre, n'était plus le même. Sa déclaration d'amour était tombée dans l'oreille d'une sourde, laquelle eut l'affront de lui déclarer qu'elle l'aimait aussi, mais que son devoir était plus important...

Depuis ce moment, même s'il avait fait une promesse dans le vide, il n'avait pu s'empêcher de la détester, de la haïr à cause de cet amour qui lui restait sur les bras, de son amour à elle qui lui pesait encore plus. Cette idiote de Jan n'avait même pas pu se rendre dans son propre pays pour accomplir le devoir qu'elle favorisait tant !

Mais ce n'était pas normal. Une fois la colère retombée et la tristesse bien établie dans son coeur, le Lostreg avait récupéré un peu de bon sens. La jeune femme était réputée pour sa ponctualité, pour son sens de l'organisation et des horaires qu'elle prenait même parfois un peu trop à coeur...

Alors l'inquiétude avait pris place.

Avec une petite escouade des meilleurs dragonniers de Lindorm, Nicola s'était rendu au point de rendez-vous du Gouverneur de Nordheim. Lui et sa garde les attendaient avec impatience pour commencer les recherches. Nihdögg était venu aussi, malgré le fait qu'il n'ait pas encore communiqué avec aucun d'entre eux. Il était parti de son propre chef de la grotte une fois que le professeur l'eut mis au courant.

Wennerström lui demanda en personne de venir. Nicola ne répondit pas, alors que la réponse à cet ordre lui paraissait évidente. Il dispersa les autres dragonniers avec les autres groupes pour couvrir plus de terrain. Après un kilomètre, Nihdögg avait fini par retrouver sa dragonnière...

Qui était dans un très mauvais état...

En la voyant, la première réaction du Lostreg fut de se précipiter vers elle et de la couvrir aux yeux du monde. Première réaction qu'il jugea inadaptée à la situation, vu que le Gouverneur était déjà près d'elle.

La seconde : une immense envie de meurtre. Les salauds qui avaient osé lui faire ça ne méritaient pas de vivre, mais plus encore, ils méritaient de souffrir milles fois plus que ce qu'apparemment ils lui avaient fait endurer ! Jan était dans un tel état indescriptible que le Lostreg en crispa méchamment les poings et la mâchoire, au point que ça en était douloureux. Il n'avait plus qu'une envie, poursuivre les enfoirés qui avaient perpétré cet outrage monstrueux.

Puis Niels, qui avait pris sa soeur dans ses bras, le menaça de son épée. Relevant la tête sous la pointe de l'arme, Nicola portait sur son visage une expression glacée, qui n'exprimait rien d'autre que du vide. Jan était maintenant en sécurité, c'était tout ce qu'il avait besoin de savoir. L'énergie du désespoir s'était évaporée.

- Baissez votre arme, Wennerström. Ce n'est pas moi qui irait détailler ce genre d'évènement. Maintenant qu'elle est en sécurité dans vos bras, si vous avez besoin de quoique ce soit, faites le moi savoir avant que je ne retourne à Lindorm.

Il n'y avait plus aucune émotion dans sa voix. Le sort de la Nordenheimir ne le concernait plus...

L'épée pointée vers la gorge de Nicola, Niels fixait l'autre homme de ses yeux étranges, sans ciller, sentant contre son bras libre le poids à présent dérisoire de sa sœur. Si fragile, à cet instant... Tellement vulnérable, son corps amaigri devenu presque celui d'un cadavre déjà bleuit... Il devait la ramener au palais de toute urgence, chaque minute comptait peut-être.

Ce Ferretti... Qui était-il pour lui répondre avec une telle désinvolture ? Le regard de Niels se durçit encore, ses yeux jaunes plissés en deux fentes horizontales et il claqua de la langue sur son palais.

"Monsieur le Gouverneur, pour vous... De plus, je ne pense pas être doué de capacités de guérisons telles que porter ma sœur suffise à redonner la santé à une mourante."

Il n'éleva pas la voix, son timbre de voix polaire, presque sirupeux, traînant sur le dernier mot comme un avertissement silencieux à ce freluquet, se contentant de dépasser l'autre homme aux cheveux rouges en rengainant son épée sans même lui jeter un regard, portant contre lui un fardeau par trop précieux, sortant de l’anfractuosité pour se retrouver face à Nihdögg. Le dragon ne se fit que l'écho de ses propres craintes. Et il y avait quelque chose dans cette voix gutturale comme un glas funêbre qu'il aurait aimé exprimer avec autant de rage.

Il se contenta de soutenir l’œil unique de l'énorme créature, répondant simplement de sa voix toujours aussi basse mais si étrange audible dans l'affreux silence.

"Tu as pris la vie de bien des natifs de cette terre glacée, Grand Ver des Glaces. Ce jour, ouvre-moi la voie vers le palais, afin qu'elle y sois guérie si nous le pouvons encore. Et je t'offrirais ceux qui ont souillé ma fiancée. Ne perdons pas plus de temps."

Sans rien ajouter, tout ayant été dit pour lui et le dragon empli de haine, Niels se hissa sur sa monture, calant Jan devant lui, l'enroulant soigneusement dans sa cape. Un instant, le cheval piaffa alors qu'il se tournait une dernière fois vers Nicola du haut de sa monture.

"Rentrez chez vous, dragonnier. Je ne vous remercie pas de votre aide. Adieu."

Nidhögg s'était déjà élancé avec puissance, en une reptation plus rapide qu'un cheval au galop, traçant un sillon dans la neige fraîche qui lui permettrait de gagner du temps. Puis, sans un regard en arrière, Niels lança son cheval au galop, poussant l'étalon à donner toutes ces forces dans cette course pour la vie de sa future femme. De sa sœur.
Ce fut en trombe qu'il passa devant l'une des équipes de recherche de ses soldats, leur ordonnant la retraite avant de repartir à toute allure, sur la trace du Grand Ver qui ouvrait la route vers le palais. En poussant son cheval à bout et si aucune tempête ne se levait, il ne mettrait que quelques heures. Serais-ce trop pour ce corps à bouts de forces qu'il maintenait devant lui, presque couché sur sa monture pour gagner de la vitesse alors que les lourds sabots martelaient le sol en un bruit
de tonnerre.

Le désert glacé qu'était le Nordheim défilait indistinctement et il se contentait de suivre le dragon, éperonnant sa monture en sueur au moindre signe de ralentissement. Cette pauvre bête dusse-t-elle en mourir, il ramènerait sa soeur.

Il pouvait paraître désinvolte, mais Nicola ne s'en fichait pas autant qu'il avait l'air de le montrer.

Il continuait de s'inquiéter pour elle, malgré le fait qu'elle soit à présent en sécurité, malgré le fait qu'elle soit dans un très mauvais état, malgré d'autres détails qui ne manquaient pas d'empoisonner son esprit. Mais le Lostreg gardait un oeil vide et une expression dénuée de tout sentiment à cet instant.

Même la remarque du Gouverneur ne l'atteignait pas. Il n'avait apparemment pas apprécié le manque de titre dans la façon de s'exprimer de Nicola, parce que ce dernier n'en avait suprêmement rien à foutre. Il n'avait jamais été partisan de la politique et ne s'était jamais aplati devant qui que ce fut, pas même une personne aussi puissante que lui.

Mais il se résigna pour cette fois. Il pensait à Liam à qui il avait promis de ne pas laisser son naturel insolent reprendre le dessus. Alors que l'homme aux yeux jaunes lui signifiait clairement son congé, le Lostreg souriait en coin. Il avait pris sa décision.

- Cinnia, rassemble les autres et rentrez à Lindorm. Je vais escorter le couple de Gouverneurs jusqu'à leur demeure.

Améthyst se posa près de lui et Nicola lui grimpa sur le dos dans un mouvement souple. Il était absolument hors de question qu'il quitte des yeux le Gouverneur et son précieux fardeau des yeux jusqu'à ce qu'il soit sûr de leur sécurité, la région étant imprévisible sur le temps. Et surtout, c'était son devoir.

Prenant son envol dans un grand battement d'aile, Améthyst poussa un long rugissement et se mit à suivre la procession qui avait pris une allure rapide. Elle sentait cependant que son allié était plus que troublé. Il était encore déstabilisé par cette scène grotesque, encore plus par le fait que Jan soit encore en danger de mort, et surtout par son incapacité à la soigner.

L'autre blanc-bec lui en voulait de ne rien pouvoir faire de plus ? Grand bien lui fasse. Les dragonniers n'étaient pas des êtres parfaits, ils ne pouvaient faire plus que ce qu'ils pouvaient avec les moyens qu'on leur avait donné. Nicola n'avait pas la science pour soigner correctement Jan et cela le rongeait déjà assez sans que l'autre en ajoute encore un peu plus.

En volant cependant, le couple homme-dragon put observer ce que les cavaliers au sol n'avaient pas seulement pu apercevoir. Alors qu'un coup au coeur le frappait de terreur, le Lostreg et sa dragonne se précipitaient vers les cavaliers.

- Attention ! Ne restez pas là ! Partez vers la gauche !!

Un gros dragon blanc comme toute cette neige qui les entourait se dirigeait vers les hommes de la marche. Et il n'avait pas l'air très content d'être dérangé.

Descendant en piqué dans un autre rugissement, Améthyst et Nicola atterrirent au sol dans une grande gerbe de neige, lui ayant sorti sa lance de Miragent d'un seul claquement de doigt. La dragonne se dressa sur ses pattes de manière agressive, s'apprêtant à attaquer le dragon sauvage qui n'allait certainement pas laisser passer cette confrontation.

Nicola se retourna vers la procession.

- Allez vous en ! On s'en occupe ! Sauvez Mlle Wennerström !

Puis sans plus se préoccuper d'eux, il utilisa son don pour aider Améthyst à maîtriser l'énorme mastodonte qui faisait au moins deux fois sa taille. Ce n'était pas la première fois qu'ils affrontaient un dragon de ce genre et, bien que cela ne soit pas une partie de plaisir, ils allaient devoir l'envoyer au tapis pour éviter une poursuite dont Jan n'avait certainement pas besoin...

Le gouverneur chevauchait à bride abattue, sa monture avalant les kilomètres au rythme d'un galope effréné alors qu'il la poussait jusqu'à la harasser vers leur palais. Là où Jan serait soignée et en sécurité.
Il se refusait de perdre encore qui que ce soit de proche de lui. Il espérait que sa sœur n'avait pas brûlé toutes ces pauvres forces et ce qu'il serrait entre ses bras n'était pas déjà un cadavre.

Soudain, une voix lui parvint depuis le ciel et il leva brusquement la tête pour voir le dragonnier d'un peu plus tôt. Néanmoins il vira aussitôt de direction en un mouvement habile de cavalier émérite, déviant sa trajectoire pour voir finalement le grand dragon blanc que leur vitesse de course lui avait empêcher de distinguer. Un instant, il se retourna sans stopper la course de son étalon, regardant par dessus son épaule pour voir ce curieux homme affronter la bête aidé de sa lance et de sa dragonne.

Ce n'était pas un combat pour lui et il y avait plus urgent : Jan. Nihdögg lui-même ne se détourna pas et il ne ralentit pas, repartant de plus belle, laissant ce Ferretti se débrouiller. Il n'avait pas grande inquiétude pour ce dernier : s'il n'était pas un incompétent, il saurait battre son adversaire.

Bientôt, le palais se profila au milieu de ce paysage de neiges inhospitalières; ses hautes tours recouvertes de neige, fait dans une pierre grise et terne, l'endroit semblait plus une forteresse gothique qu'un fastueux palais. Il n'y avait jamais eu pour Niels la moindre notion de réconfort en observant les tours de sa cage dorée et pourtant, ce jour là, il fut soulagé de les voir.

Bientôt, il fut dans la cours principale, sautant à bas de son cheval épuisé. L'animal avait du sang qui lui coulait des naseaux et sa robe était trempée de sueur. serrant sa sœur contre lui, il pénétra dans l'aile ouest, lançant à son chambellan qui venait à sa rencontre de réunir les meilleurs médecins immédiatement.

Finalement, sa sœur fut prise en charge par les médecins, et il se retrouva sur le pallier de sa chambre, sans rien à faire d'autre qu'attendre, en espérant qu'elle guérisse et survive.

Dans sa noble armure, il traversa de nouveau le palais, rejoignant la cours principale, s'appuyant dans un coin, curieux de voir si le dragonnier allait le rejoindre ici.

Ce qu'il fit, puisque, au bout d'une longue attente, immobile, Niels vit bientôt arriver Ferretti et son dragon. Tous deux semblaient las, mais loin de l'état de santé de Jan.
Il les laissa entrer dans l'enceinte du palais, retenant d'un geste de la main un groupe de gardes qui reconnurent leur gouverneur dans l'homme en armure appuyé contre le mur de l'écurie.
Puis, se détachant du mur, Niels s'approcha de Nicola, sans dire un mot pour le moment, toisant le dragonnier de ses yeux de serpent.
Puis, une fois à sa hauteur, il garda quelques instants le silence. Puis sa voix basse et inquiétante s'éleva une nouvelle fois.

"Je n'ai pas pour habitude de récompenser... L'insubordination... Néanmoins, je fermerais les yeux puisque vous avez aidé à préserver la vie de ma fiancée. Vous êtes le bienvenu à nos noces, je suppose qu'elle voudra vous remercier en personne, puisque vous êtes collègues."

Il se tut, ses yeux étranges toujours fixés sur Nicola, comme pour le jauger sans un mot. Il semblait se moquer éperdument que sa propre vie ai été défendue en même temps que celle de Jan. Ce n'était pas une chose dont il se préoccupait. Sa propre mort lui était indifférente.