Kelenn regardait Paulo, impassible. Ce crétin était décidément irrécupérable. Et bien tant pis pour lui, son sort serait sans doute rapidement scellé puisqu'il était incapable de voir à quel point ce qu'il avait fait risquait de lui coûter la vie. Pas que le roux ressente vraiment de la compassion pour l'autre pirate, mais il restait un camarade. Enfin apparemment, il préférait mourir plutôt que reconnaître ses torts.

-Tu sais que tu es un traitre aux yeux du capitaine à présent Paulo? Si j'étais toi, je la ramènerai pas trop.

Les yeux bleu profond du pirate n'exprimait à présent que de la froideur. Paulo avait fait son choix en son âme et conscience, il en subirait donc les conséquences, et si Tensui lui demandait de l'exécuter, il Kelenn le ferait sans broncher. Ils n'avaient pas besoin d'un homme aussi instable dans leur équipage.

De longues minutes passèrent encore jusqu'à ce que la voix du capitaine ne se fasse entendre. Le pirate roux s'approcha donc du prisonnier qu'il ne considérait même plus comme un camarade, et le força à se lever sans ménagement, le poussant rudement devant lui jusqu'aux escaliers menant à la cabine du capitaine.

Restant derrière lui, regarda Tensui refermer la porte derrière eux et surveilla Paulo. Laissant les deux hommes régler leurs comptes, le grand roux s'approcha d'Ejaz et lui sourit, content de le voir réveillé et à peu près en forme. Le fait qu'il soit en petite tenue ne l'émouvait pas plus que cela, mais cela lui donnait une apparence tellement fragile que le pirate l'aurait bien pris contre lui pour le rassurer. C'était instinctif.

Se tournant vers les deux hommes, il s'intéressa cependant à leur discussion, surtout qu'elle concernait justement le jeune prince. En entendant les paroles de Tensui, les poings de Kelenn se serrèrent et il dû faire un effort pour ne pas écraser à nouveau le poing sur le visage du traitre, croisant les bras à la place.

Imperturbable, il regarda le capitaine se saisir de la gorge de Paulo et la serrer tandis qu'il le mettait face à ses responsabilités et aux conséquences de ses actes. Mais il ne s'attendait pas à ce que ce soit à Ejaz de choisir la punition que son agresseur allait subir. Un peu surpris, il comprit cependant rapidement que Tensui lui laisse le choix, à lui, car il était sa victime et il devait apprendre à ne pas avoir de pitié envers ceux qui lui faisaient du mal. Le monde de la piraterie était ainsi, il n'y avait pas de place pour les faibles.

Paulo le savait. Kelenn l'observait et le surveillait également pour être certain qu'il ne tente pas de s'échapper en attendant que le jeune prince fasse son choix, scellant ainsi le sort du traitre.

Tout bouillonnait dans son corps, dans son cœur, il avait envie de rester là, entre les bras immenses du pirate, de goûter sa peau remplie d’eau saline. Il se sentait presque apaisé, protéger, et pourtant, il se méfiait, car il savait le pirate imprévisible.
La main dans son dos le fit sourire et il recula, s’asseyant sur ses talons, le fixant de ses grands yeux dorés.
Le fait de lui rappeler qu’il l’avait enlevé de chez lui, le fit frissonner et il baissa le regard. Oui, il ne devait pas se faire d’idée, Tensui était son geôlier, quand il récupérerait l’argent contre sa liberté, il l’oublierait, en un instant. Il redeviendrait un vague otage parmi tant d’autre et chacun retournerait à sa vie, celle du Capitaine s’annonçait trépidante et Ejaz lui, retournerait dans une prison plus grande, mais au combien serré.

La main glissa sur son visage et il suivit le mouvement, souplement, étrangement attiré par cette douceur. Il ne chercha pas à le repousser, comme si il attendait, comme si savoir que le pirate l’avait sauvé de la mort avait déclenché chez lui, une irrépressible envie de rester contre lui. La bouche entrouverte, il fixa les yeux rouges, penchant la tête pour le laisser observer plaie et bleu qui apparaissait sur son visage.
Inspirant profondément, il sentit son cœur battre plus fort et se releva, suivant le mouvement de l’homme en face de lui.
Encore un peu dans le flou du sommeil et de ses rêves, il resta là, debout, lissant ses cheveux bleus comme il pouvait. La porte s’ouvrit et le vent frais s’engouffra entre ses jambes, Kelenn arriva, puis Paulo.

Ses yeux dorés se posèrent sur le pirate qui fut mit à genoux devant eux. Son visage se referma, imperturbable, il releva le menton, le fixant durement, comme le prince qu’il se devait être. Il écouta les menaces de Tensui, il l’écouta parler comme son frère. Tu voles, tu perds ta main. Tu me défies, je te mutile. Tout revenait toujours au même. A cette violence intrinsèquement lié à la race humaine. Qu’était-il advenu de ceux qui l’avaient kidnappé ? Tous les corps étendu, ce sang, puis cette famille, déchue, séparée, pendue, tuée, bafouée. Pour quoi ? Pour lui ! Juste parce qu’il était la quatrième, qu’il était né dans là, au milieu de tout cela.
Est-ce là l’amour qu’il devait prodiguer ? Est-ce là l’unique but de son existence ? Devoir être protéger et que d’autres meurt car il était un joyau impérial ?

Serrant les dents, il fixa la boule d’énergie noire, fixant Paulo dans les yeux, sans fuir. Il était temps de prendre ses responsabilités,temps d’assumer, de faire de son rôle quelque chose ! Adieu les rêves éphémères trop grands pour lui.
Il serait l’amour, le pardon, la vengeance douce qui ferait sombré les plus grands dans un cercle vertueux.
Il ferait ployé Tensui, par sa seule tendresse, il pardonnerait à Paulo, par le seul amour à travers son regard. Et même si il devrait parfois se défendre au péril de sa vie, il n’ôterai la vie. Jamais ! Il n’était pas un pirate, il n’avait pas à agir comme tel.

Alors il posa sa main sur le bras de Tensui, le fixant dans les yeux : « Rangez ça Capitaine ! On ne mutilera ni tuera personne aujourd’hui… »

Un fin sourire se dessina sur ses lèvres et même si ses mains tremblaient furieusement, s’il sentait encore les mains de Paulo sur son corps, sa langue dans son cou, il ferma les yeux, inspirant pour se calmer.
Impérieux, il se redressa, fixant Kelenn et Tensui avec une tranquillité déroutante.

« Votre propre justice est barbare, vous êtes peut être le maître de ce navire, mais vous n’êtes pas le maître de son destin. Rien ne vous autorise à tuer un homme, pas même parce qu’il à…a fait quelque chose de regrettable. Punissez-le, car il le mérite, mais la mort ne changera rien… »

Ses yeux dorés fixèrent Paulo qui déglutit péniblement et baissa la tête.

« Enfermez-le dans la cale, et au premier port, débarquez le. Si vous le jugez indigne de votre équipage, alors bannissez-le ! »

Tel était son verdict. Sa main retomba le long de son corps et il s’accroupit face à Paulo, ses doigts frôlèrent sa joue et il lui mit une gifle, violente, avant de sourire doucement : « Apprenez à vous contrôler ! L’amour et l’admiration nous font peut être perdre la tête, mais vous n’arriverez à rien si votre corps prends le pas sur votre esprit… »

Car il savait au fond, il avait comprit, quand Paulo lui avait crié dessus qu’il était éprit du Capitaine. Mais à cet instant, Ejaz ne lui aurait laissé le pirate pour rien au monde.
Alors avec douceur mais fermeté, il l’exila de leur vie.

Se relevant un peu trop vite, il sentit sa tête lui tourner, et il s’évanouit de nouveau…

A nouveau, Tensui testait celui qui n’était plus seulement un otage au bord de l’Adventure Galley.
Dernièrement le caractère d’Ejaz avait un peu évolué, il avait pris un peu plus confiance en lui … jusqu’à l’incident à Bianca. Ce changement plaisait à Tensui, il continua à l’aider à s’émanciper un peu en l’obligeant à prendre des responsabilités. Pour cela, il mit tout bonnement la vie de son agresseur entre ses mains.

Pourquoi agissait-il de la sorte avec un simple otage ?
Au début, il avait fait preuve de curiosité, le petit prince si timide l’avait diverti.
Puis il avait commencé à se prendre un peu d’affection pour lui, exprimant cette « affection » à sa manière alors lui permettant d’effectuer quelques tâches sur le navire, en répondant à certaines de ses questions et en l’autorisant à sortir en sa compagnie par exemple.
Ejaz était devenu un peu plus qu’une simple monnaie d’échange pour le capitaine, alors ce soir il continuait sa formation.

Au début de son séjour à leur bord, le jeune prince aurait certainement tremblé en voyant son assaillant pénétrer dans la pièce où il se trouvait. Mais cette fois, il appliqua les conseils du capitaine il se tint droit sur ses jambes, le menton relevé pour regarder presque de haut le pirate déchu.
Tout en menaçant son homme, le capitaine observa Ejaz qui visiblement réfléchissait à la réponse qu’il devait donner. Cette soudaine flamme de courage allait-elle être soudainement soufflée face au poids de la responsabilité que Tensui faisait peser sur ses épaules ?
Le capitaine avait encore un peu de mal à croire au réel changement de comportement du petit prince. Surtout lorsqu’il remarqua que son regard resta doux … tout le contraire de Tensui qui aurait crié vengeance s’il avait subi une telle attaque, il n’aurait pas hésité une seconde à mettre son adversaire en pièce. Parce qu’il s’agissait là de la façon de faire de la plupart des pirates, un peu de la façon dont il avait été éduqué et surtout de sa façon d’être.

Ejaz le surprit en posant la main sur son avant-bras pour écarter la boule d’obscurité qui crépitait non loin du visage de son ancien matelot.
Un brin impérieux, il jugea sa façon de faire en déclarant qu’il n’avait pas le droit de vie et de mort même sur ses propres hommes, même lorsque ce dernier désobéissait délibérément à plusieurs reprises à ses ordres. Et finalement il lui conseilla, lui ordonnant presque, de l’enfermer pour se débarrasser de lui au premier port où ils s’arrêteraient.
Il termina en se faisant justice lui-même se contentant d’une bonne gifle et de quelques paroles qui laissèrent Tensui insensible, bien incapable d’imaginer les sentiments potentiels que le matelot pouvait ressentir à son égard.

Si Tensui l’avait laissé faire baissant sa main et faisant disparaître la menace au creux de sa main, il réagit rapidement en le voyant se relever, vaciller et finalement perdre connaissance. Tout proche de lui, il parvint à le rattraper avant que son corps ne touche durement le sol.
Et il pesta.

« C’était trop beau pour durer »

Se redressant, il porta sans trop de mal le jeune homme entre ses bras et son regard carmin, encore un brin féroce, se posa sur Paulo toujours à genou sur le sol de sa cabine.

« Tu as de la chance que je lui ai laissé prendre cette décision, parce que je n’aurais pas été aussi clément que lui. Je me fiche de connaître tes motivations, Je décide du sort des otages sur Mon navire. Tu as manqué de ruiner tous les efforts que l’équipage a fait depuis le début de cette mission, de ternir la réputation de l’Adventure Galley … Nous avons une image à entretenir pour continuer à naviguer de la sorte et pour que l’on nous confie certaines missions »

Malgré sa colère, atténuée certes, il prit ainsi le temps d’expliquer sa façon de penser avant de détourner le regard vers Kelenn.

« On te débarquera en un seul morceau au prochain port. Kelenn, je te laisse t’en occuper, installe-le dans les cales. Tu confieras la clé à Kuro. Si certains te posent des questions, tu leur dira simplement que Paulo ne fait plus parti de cet équipage parce qu’il a enfreint mes ordres. Je parlerais à l’équipage plus tard »

Il n’avait ni la force ni le courage de s’en occuper maintenant.
Après un dernier signe de tête en guise de remerciement à l’égard de Kelenn, il les regarda quitter sa cabine et la tension de ses épaules se relâcha un peu. Baissant son regard sur le colis qu’il avait entre les bras, il observa un bref instant les traits du visage du garçon se remémorant leur rencontre, la timidité et les bégaiements des premiers jours … le jeune homme avait commencé à changer.
Vaincu par la fatigue, il n’eut pas le courage de quitter sa cabine pour rejoindre celle du petit prince. A la place, il l’installa dans son lit ne se laissant pas émouvoir par les longues jambes nues dévoilées par la chemise trop large, de toute manière il était bien trop fatigué pour chercher à en profiter. Il se débarrassa de ses vêtements, ne gardant qu’un sous-vêtement avant de s’installer à ses côtés.

Il n’eut pas même l’occasion de détailler Ejaz étendu à ses côtés, il s’endormit presque aussitôt vaincu pour la fatigue. Les derniers évènements avaient eu raison de ses réserves énergétiques.
Et inconsciemment, la chaleur à ses côtés lui permit de sombrer dans un sommeil sans rêves.

Kelenn restait silencieux, bien campé sur ses jambes, se tenant entre Paulo et la porte au cas où il serait venu à l'idée du traitre de se carapater pour ne pas subir la sentence de leur capitaine. Oh il ne serait pas allé bien loin mais le grand roux n'avait aucune envie de devoir lui courir après.

Il resta donc là, attentif à ce qui se passait et surtout à la décision d'Ejaz qui semblait avoir repris du poil de la bête. Souriant intérieurement, il le regarda avancer vers Paulo mais se mordit l'intérieur de la joue lorsque le prince jugea leur manière de faire. Heureusement, Tensui ne dit rien et laissa Ejaz aller au bout de son idée.

La gifle qu'il asséna à Paulo fit sourire Kelenn malgré lui, il l'avait bien mérité, même si cela restait un geste encore trop doux par rapport au crime qu'il avait commis à ses yeux et à celui du capitaine. Mais c'était le droit d'Ejaz de décider de le laisser en vie. En tout cas, Paulo aurait intérêt à ne plus croiser le chemin de Tensui après ce qu'il venait de faire, car il ne serait certainement pas aussi clément avec lui qu'il l'était à présent en laissant son sort entre les mains de leur "captif".

Mais celui-ci était encore fragilisé par les évènements de la nuit et il perdit connaissance, heureusement rapidement rattrapé par Tensui qui avait vraiment de bons réflexes lorsqu'il s'agissait d'Ejaz. Cette constatation fit sourire le pirate qui reprit cependant rapidement son sérieux lorsque son supérieur se tourna vers lui pour lui donner ses ordres:

-Bien.

Redressant Paulo sans ménagement, il le poussa devant lui et se retourna juste avant d'atteindre la porte:

-Repose-toi bien capitaine.

Il avait l'air exténué. Le regard bleu de Kelenn se posa ensuite sur le corps inconscient d'Ejaz, puis il détourna les yeux et poussa rudement Paulo avant de refermer la porte de la cabine.

Kelenn exécuta tranquillement les ordres de Tensui mais ne put s'empêcher d'offrir un regard noir au traitre:

-J'espère que tu te rends compte de la chance que tu as. Ne la gâche pas.

Refermant la porte à clé, le pirate confia ensuite celle-ci au dragon de Tensui et partit remplir d'autres tâches avant de rejoindre son hamac en soupirant. Il avait bien besoin de sommeil lui aussi, la nuit et la journée avaient été longues.