Estefania n'aimait pas devoir expliquer ou justifier ses actes; se justifier, c'était s'excuser. C'était devoir expliquer ce qu'on a pas envie d'expliquer, ce qu'on a pas la force d'admettre et ce soir, elle se sentait plus faible que jamais. Pourtant, la Lucem avait tourné les talons et renoncé pour ce soir à son funeste projet pour n'impliquer personne d'autre qu'elle-même dans ses choix. Elle ne voulait faire de mal à personne, dans le fond. Hedwige avait simplement sourit alors qu'elle l'avait tiré et presque jeté sur le toit, agacée de voir quelqu'un d'autre se mettre bêtement en danger; elle avait des principes, Estefania. peut-être un peu trop. Pour l'instant, la brune se claquemura dans un mutisme pudique, masquant ses sentiments comme à son habitude sous son air digne et distant tandis qu'elle se dirigeait vers la sortie en croisant le regard du nouvel arrivant. Elle savait qui il était, Raphael; elle s’en moquait juste profondément pour le moment.

Hedwige la saisit par le bras pour la retenir et Estefania fit volte-face avec un air bilieux, les yeux grand ouvert et prêtte à lui offrir une gifle retentissante mais s'arrêta nette dans son mouvement en voyant l'expression indéchiffrable dans les yeux de la jeune Glacies, sincèrement troublée au point de perdre en un instant tout sentiment de colère. Que voulait-elle lui dire avec un air pareil? C'était dangereux. Vraiment. Si elle restait ici et écoutait, quelque soit ce quelle entendrait, ce serait dangereux: elle fondrait surement en larmes, sentant déjà les pleurs essayer de percer son regard pour déborder de ses grands yeux bleus déjà humides. Non, elle ne voulait pas pleurer; elle refusait de montrer sa faiblesse aux autres. Elle ne devait pas écouter ce qu'Hedwige avait à dire.... et pourtant... que voulait dure Hedwige, avec un air si grave?

Une aile de feu couvrit le noir du ciel, soudain, empêchant la Glacies de continuer plus loin son aveu. Il rougeoyait dans l'air, semblable à un hybride de créatures improbables; museaux et ailes membraneuses, braises et pelage flamboyant. Estefania n'avait jamais vu ce dragon bipède mais elle reconnu sans mal le garçon qui lui avait déjà sauvé la mise une fois, face à Maelen à la bibliothèque. Comment s’appelait-il déjà? Asa Sunland. Le voir ici, celui qui était finalement bel et bien un véritable chevalier servant pour elle, plongea la Lucem dans un élan d'anxiété et de relâchement tel qu'elle ne put plus contenir ses larmes qui débordèrent de ses grands yeux tandis qu'elle se précipita dans les bras du dragon sans réfléchir, se cachant comme elle le pouvait contre le corps sauveteur. Elle aurait aimé s'imaginer être une princesse sauvée par un prince. Mais malgré le fait que tout le monde l’appelait ainsi, elle n'avait rien d'une princesse. Elle ne fut en cet instant qu'un tout petit corps traversé de spasmes ramassé sur lui-même pour se cacher afin que personne ne puisse voir ses larmes, le visage dans les mains.

Peu importe où ils irait, ce serait bien. Peu importe si cela vexe ceux qui voulaient l'aider. C'était bien aussi. Pourvu qu'elle file loin d'ici. Loin de son dragon qui acceptait ses sacrifices en les glorifiant, loin de ce fiancé qui rompait leur lien, loin de son amie Anthéa. Loin des gens qu'elle pourrait regretter. Loin de ceux qui voulaient la sauver d'elle-même. Loin de tout, loin d'elle-même. Elle aurait voulu rêver cette nuit qu'elle devenait un météore et qu'elle atteindrait le ciel ou qu'elle retomberait lourdement au sol pour causer un maximum de dégâts. Ce qu'elle se sentit égoïste, tout d'un coup. Et vaine, surtout.

Excusez-moi, avait-elle pensé à l'adresse d'Hedwige et Raphael; quelque chose qu'elle ne leur dirait jamais en face.

Il faisait froid ce soir, mais Estefania tremblait pour bon nombre de raisons. Pourtant dès que le sol de la forêt fut en vue, la jeune fille ne put s'empêcher de sauter au bas du bras du dragon d'Asa pour chercher un autre refuge; elle ne voulait pas que le jeune homme la voit en train de pleurer et courut trouver refuge derrière un arbre, dos au tronc en position fœtale pour cacher son visage tout contre ses jambes repliées. Maintenant qu'elle avait fuit, elle pouvait sangloter; c'était devenu trop dur de se retenir et de faire bonne figure quand elle se rendit compte qu'elle allait se donner la mort quelques secondes auparavant. La Lucem se sentit à la fois très lâche et très courageuse; elle ne savait lequel de ces deux état était le plus vrai. Alors elle préféra se cacher pour pleurer, comme elle le fit toujours car elle fut incapable de dire merci ou quoi que ce soit d'autres.

Juste pleurer en attendant qu'elle se sente complètement vide.