La nuit estivale était légèrement fraîche mais loin d'être froide, elle était cependant bien moins chaude que les nuits auxquelles était habitué le jeune Vaast. Pour autant ce n'était pas vraiment la raison pour laquelle il était habillé comme s'il était en plein hiver. C'était plutôt la raison pour laquelle il était aussi dehors alors que la lune s'était levée depuis longtemps. Il avait essayé... enfin essayé était un bien grand mot mais selon lui il avait fait un effort. Il était allé jusqu'à son lit et avait attendu un moment avec un livre en regardant les autres se coucher ou parler entre eux. Et il en était venu à la conclusion qu'il ne pouvait décidément pas partager un lieu de vie avec d'autres personnes. C'était trop dur, il ne s'était encore rien passé mais il savait que cela se passerait.

Alors il avait pretexté devoir aller aux toilettes avant de se faufiler hors de l'étage. S'il avait toujours été considéré comme un inutile par sa famille, il était cependant reconnu qu'il savait se faufiler relativement facilement. Echapper à son père et ses frères était sa spécialité après tout. Et même s'il ne connaissait pas encore très bien l'établissement, il avait aussi eu la chance de ne croiser personne jusqu'à présent. Et dans la nuit il trottait aisément en direction de la zone où se trouvait Istil.

*Istil... t'es où ?* demanda-t-il, une main dans son écharpe pour prendre un peu l'air.

*Qu'est-ce que ça peut te faire ? Va te coucher !* gronda le dragon dans sa tête.

Se stoppant net, Vaast regarda le sol et se mordilla la lèvre infèrieure.

*Je te dérange... ?* demanda-t-il, sa précédente assurance perdue.

*Oui ! Va te coucher dans ton lit !*

Bien sûr qu'il dérangeait... en y repensant cela faisait des semaines qu'il n'avait pas dormi dans un lit, qu'il se faufilait dans le giron de son dragon pour se reposer. Remontant son écharpe, Vaast traîna les pieds sans changer de direction, la tête basse. C'était angoissant de dormir, ça l'était encore plus maintenant qu'il avait goûté à la protection d'Istil.

Mais au fond, il comprenait qu'il devait géner. Encore plus depuis qu'ils avaient terminés l'épreuve, depuis ce jour il était pratiquement resté collé à Istil. Et maintenant qu'il pouvait parler à d'autres dragons, il devait penser qu'il était ennuyeux. Mais il ne pouvait pas non plus dormir avec ces autres personnes, il ne pouvait pas se mettre en pyjama devant eux, il ne savait pas ce qu'il se passerait la nuit s'il dormait.

Tant pis pour Istil, il ferait sans... il avait toujours fait sans avant de le rencontrer après tout. Il irait dormir dans un coin où personne ne le trouverait, il trouverait le moyen de rentrer le lendemain matin sans se faire prendre et de prendre une douche avant que les autres ne se lèvent.

Le lourd battement d'aile se fit entendre de loin et Vaast fut surpris de voir l'immense dragon doré venir se poser devant lui, sa gueule imposante se baissant à sa hauteur alors que ses yeux d'un bleu éléctrique le transperçait de part en part.

"C'est la dernière fois," gromella le dragon qui ouvrit la gueule avant se saisir de l'humain par le col sans que celui-ci ne se débatte. Il ressemblait à un chiot tenu par sa mère.

"Désolé..." répondit Vaast, géné mais quelque part soulagé de pouvoir être avec Istil.

Il était tard. La nuit était tombée depuis déjà plusieurs heures. Liam était assis sur les berges du lac. Brynn enroulée sur elle-même à ses côtés dormait paisiblement, comme elle le faisait toujorus quand Liam était dans les parages. Le Seaman écoutait la respiration lente et profonde de sa dragonne. Cela l'apaisait et lui permettait de faire le vide dans son esprit. Ainsi, il pourrait mieux dormir une fois revenu dans sa chambre. La fin des cours, les vacances agitées, la rentrée imminente, Jan qui souffrait régulièrement de sa ajmbe manquante et Nicola... égal à lui-même et pourtant différent depuis quelques temps. Ses parents qui voulaient absolument lui trouver une épouse et les Wyrms qui envahissaient petit à petit les territoires. Tout cela l'angoissait et la responsabilité de tous ces gamins n'avait rien pour arranger les choses.

La dragonne ouvrit un oeil, et voyant Liam toujours à ses côtés, elle releva la tête et le gratifia de son souffle chaud.

-Tu devrais rentrer, petit homme. La lune est haute dans le ciel. Il est tard.

Liam sourit en observant le reflet de l'astre lunaire sur l'onde calme du lac. Puis il tourna la tête vers Brynn et lui répondit.

-Je ne vais pas tarder. J'avais juste... besoin d'être là.

-Si l'océan te manque tant que cela, tu devrais peut-être...

-Ce n'est pas ça. Et puis, je ne peu pas revenir à la vie civile, dans ma famille... c'est tout simplement impossible... inconcevable.

-D'accord. Répondit simplement la dragonne qui reposa la tête dans un léger cliquetis d'écailles et replongea dans ses rêves.

Liam posa sa main sur les naseaux humides de la bête et se leva pour se diriger vers l'académie. Il entendit alors un bruissement d'ailes au-dessus de sa tête et vit atterrir un dragon de feu. Son dragonnier était avec lui. La rentrée n'était pas commencée que les élèves commençaient déjà à enfreindre le règlement. Poussant un profond soupir, l'homme se dirigea vers le dragon et son allié. Il n'avait pas peur. Il y avait bien longtemps qu'il avait apprit tout ce qu'il pouvait apprendre sur les autres dragons et les autres cultures. De plus, il était le directeur de l'école. Le dragon devait également se plier à son règlement en plus de l'Alliance qui unit les dragons aux hommes depuis des centaines d'années.

-Bonsoir. Commença-t-il. Les élèves n'ont plus le droit de sortir de l'académie après le couvre-feu. Qu'est-ce que vous faites-là ?

Vaast avait peur de beaucoup de choses, surtout des gens en fait, mais s'il y avait une chose qui jamais ne l'effrayait et le rassurait même, c'était Istil. Alors voler dans une position précaire dans la gueule de son dragon ne lui faisait pas peur, car le dragon était bien la seule créature en qui il avait confiance. Depuis ce jour fatidique... alors il ne bougeait pas, observant depuis les airs l'académie, les mains nonchalement rangées dans ses poches, les jambes pendantes comme celles d'un pantin alors qu'il était balloté par le vent, tout juste retenu par le col de sa veste.

Il allait pouvoir dormir avec Istil, il allait pouvoir dormir tout court. Il se sentait rassuré et son visage était détendu... ce jusqu'à ce qu'Istil amorce une descente. Relevant légèrement la tête il observa son dragon avec curiosité.

"Déjà ?" demanda-t-il innocement, s'étonnant de voir un lac. Istil savait nager mais l'eau n'était pas son fort à moins qu'elle ne soint bouillonnante.

*Je vais te lâcher si ça continue, il faut que tu monte* expliqua Istil qui visiblement avait du mal à le tenir de la sorte.

"Pardon..." murmura Vaast en se mordillant la lèvre, sa tête rentrant entre ses épaules.

Ainsi, quelques battements d'ailes plus tard, Istil se posa élégament sur le sol avant de tout simplement lâcher son humain qui, curieusement, attérit sur ses deux pieds avec agilité. On aurait très certainement dû s'attendre à ce que quelqu'un comme Vaast atterrisse sur les fesses, mais - même s'il ne s'en rendait pas compte - il était bien plus agile qu'on aurait pu le croire. D'ailleurs il ne fit aucun cas d'avoir été lâché sans cérémonie sur le sol et déjà il commençait à faire le tour pour grimper sur le dos de son dragon quand une voix retentie, le faisant se stopper net, le statufiant littéralement sur place.

"Gamin ! On t'a posé une question !" gronda la voix d'Istil quand il comprit que son humain n'était pas près à bouger d'un centimètre ni même à se retourner.

Vaast baissa la tête en fronçant les sourcils, pourquoi est-ce qu'Istil ne disait rien ? Il le détestait vraiment pour ça. Mais il savait aussi pourquoi le dragon ne le défendait pas. Comme Istil le lui avait déjà dit, il ne voyait pas l'interêt de parler à un autre humain que lui s'il avait l'occasion de ne pas le faire. Pas qu'Istil meprisât les humains, mais il se considérait bien trop supèrieur à eux pour cela. Et naturellement cela mettait Vaast dans l'embarras car il détestait parler. Encore moins quand il était en faute.

Il allait se faire punir, c'était certain. En y réfléchissant, en théorie les punitions dans une école devaient être plus dures qu'à la maison. Surtout dans une académie militaire. Son dos allaient avoir du mal à s'en remettre, surtout qu'il avait encore des croûtes depuis la dernière fois que son père l'avait attrapé, elles allaient sauter, c'était certain. Mais se justifier était inutile, il le savait parfaitement, ça ne servait jamais à rien. Alors il se retourna doucement, la tête basse et décida que le mieux pour survivre était de subir.

"Je suis désolé..." fit-il de sa voix rauque, son visage impassible malgrés les couleurs draînées et les mains tremblantes cachées dans le fond de ses poches.

*Explique-lui voyons !* grogna Istil dans sa tête, sa queue battant le sol avec agacement.

*Ca sert à rien...* répondit simplement Vaast qui déjà s'attendait à devoir retirer sa veste.

La petite forme derrière un rocher proche, cachée par les roseaux regardait Vaast être reposé par son dragon. Elle se mordit les lèvres. Mince, il allait se faire prendre... Ne vous posez pas ici ! Aurait-elle voulu crier mais elle ne pouvait pas prendre le risque elle-même d'être repérée.

Le directeur était tout près. Que devait-elle faire ? De nouveau, Liatris se mordit les lèvres. Et ce qu'elle craignait ne loupa pas : le garçon aux cheveux rouges s'était fait repérer.

Liatris avait bien vu son manège nocturne. Que croyait-il ? Qu'elle ne le voyait pas toutes les nuits fuir le dortoir... Comme elle. Comme la petite voleuse qu'elle était, habituée à la nuit, à cette furtivité qui avait fait que personne n'en avait jamais rien su. Elle était insignifiante, petite, chétive. Et agile comme un petit singe.

Mais cet idiot faisait beaucoup trop de bruit à chaque fois. Savait-il que c'était elle qui avait, l'autre nuit, laissé légèrement la porte ouverte, celle qui grinçait tellement, pour qu'il puisse passer.

Cette nuit, elle avait décidé de lui parler, même si pour ça il faudrait se rapprocher des dragons - cette simple idée lui hérissait les cheveux. Mais enfin le joli dragon d'or de Vaast ne lui avait pas semblé très méchant : il était tout le contraire de Léthé, gentil avec le mortel.

Et voilà que le directeur rôdait dans le coin... Cela faisait un bon quart d'heure qu'elle était planquée derrière ce fichu rocher, sans pouvoir aller prévenir le garçon aux cheveux rouges.

Le cœur battant, elle vit les deux hommes se faire face et elle frissonna. Le garçon serait-il collé aussi ? Ou frappé ? Ou renvoyé ? Ha non, Aldo avait dit que ça ce n'était pas possible... Mais elle ne pouvait quand même pas le laisser. En plus elle n'aurait même pas pu lui parler. Peut-être qu'après ça, il serait enfermé toutes les nuits et qu'elle n'aurait plus la possibilité de le voir...

Alors, bondissant comme un petit chat sauvage depuis sa cachette, ce gros rocher en surplomb de la scène sur lequel elle avait lentement rampé sans un bruit, elle tomba avec une souplesse étonnante sur ses pieds, entre Vaast et le directeur, comme apparue soudainement de l'ombre. Le cœur battant la chamade, elle prit rapidement la parole, son jean rapiécé et son pull aux mailles tirées pleins de terre et de brindilles. Elle avait quelques petites feuilles dans les cheveux.

"Ne le punissez pas. C'est ma faute."

Liatris méprisait le mensonge. Jamais elle n'avait mentit de toute sa vie. Pourtant ce qui sortit de ses lèvres en était un. Un énorme mensonge, quelque chose de très grave, d'impardonnable, même. Mais il lui semblait, pour la première fois de sa vie, qu'il était très important de mentir : parce qu'elle devait protéger le garçon aux cheveux rouges.

"En fait je lui ai pris quelque chose à lui et je lui ai donné rendez-vous pour qu'il le récupère s'il n'était pas une poule mouillée... Alors c'est moi qu'il faut punir, monsieur le directeur. Pas lui."

Elle tremblait en disant cela, de tous ses membres. Mais elle voulait protéger le garçon auquel elle tournait le dos sans le regarder : elle avait compris qu'il ne dormait qu'avec le beau dragon doré. Il lui semblait injuste qu'il ne le puisse. Et elle aurait tellement voulu lui demander encore, pour ses cheveux... Et... Son nom...

Pour la toute première fois de sa vie, il semblait que Liatris ne se préoccupe pas que d'elle-même...

Vaast s'attendait à beaucoup de choses, surtout physiquement. A recevoir quelque chose sur la tête, à sentir une main aggripper ses cheveux... tendu comme un arc le jeune homme attendait son sort patiemment, prêt à recevoir tout ce qui lui tomberait dessus en guise de punition. Ce n'était pas nouveau pour lui après tout. Mais quelque chose se produisit auquel il ne se serait certainement pas attendu, auquel il n'aurait même jamais pensé qu'il puisse arriver. Une petite voix s'éleva derrière lui et il sursauta légèrement de stupeur en tournant la tête sur le côté.

Qui ? Quoi ? Quand ? Comment ? Les yeux écarquillés, la bouche entre-ouverte dans son écharpe, Vaast se demandait ce qu'il se passait, s'il n'avait pas rater un épisode quelque part. Il n'y avait pourtant paw d'équivoque dans ce que l'adolescent reconnaissait comme étant l'étrange garçon aux allures de clochard qu'il avait déjà rencontré. Mais le jeune homme ne comprenait pas. Il avait la vague impression que celui qui l'avait traité de moule - car oui il s'en souvenait très bien - était en train de le défendre, ce qui semblait absurde car jamais personne ne l'avait défendu auparavant.

Et puis... il disait lui avoir pris quelque chose... mais quoi ? Etant donné que personne n'avait d'interêt à le défendre... cela voulait dire qu'il avait raté un message que ce garçon lui aurait donné... Il lui aurait donc pris quelque chose ?! Mais quoi ? Portant une main à son visage, réfléchissant activement, il se demanda s'il lui manquait quelque chose. Il était vrai qu'il n'était pas aller relever son courrier, donc s'il lui avait laissé un message dans sa boîte cela semblait normal qu'il n'ai pas eu l'annonce du vol ni même de ce rendez-vous. Cette histoire commençait à l'inquieter même s'il se disait que ce ne devait pas être quelque chose d'important vu qu'il l'aurait remarqué.

Mais ses pensées furent coupées court par la voix du directeur de l'académie qui fit se ressaisir le jeune homme. Baissant la tête à nouveau, le visage toujours enfoué dans son écharpe il senti tout ses muscles se tendre à l'entente de son nom. Il connaissait déjà son nom, il était déjà fiché... en même temps quand votre frère aîné termine ses études avec briot... on attend souvent quelque chose du reste de la famille... ils allaient être déçus, il n'avait rien à voir avec ses frères. Lance n'avait jamais dû avoir de retenue lui... toujours brillant, toujours le premier, toujours irréprochable... et lui il se faisait coller dès la première semaine.

*Dis quelque chose nom d'un chien !* gronda Istil dans sa tête avant d'envoyer sa queue rejoindre une nouvelle fois l'arrière du crâne du roux qui couina un instant avant de se tenir la tête entre les mains.

*Pourquoi faire ? Je sais déjà ce qu'il va dire...* soupira mentalement Vaast en regardant le sol.

Et c'était vrai. Il savait déjà que s'il demandait s'il pouvait dormir avec Istil... ça lui serait refusé. Et il ne voulait pas dire qu'il avait peur de dormir avec d'autres gens. Le seul endroit où il se sentait en sécurité c'était avec Istil. Il aurait pourtant voulu le dire, le crier même... mais il avait une boule dans la gorge, incapable de parler, de dire ce qu'il pensait, ce qu'il voulait. Il n'était qu'un lâche et il le savait. Il était déjà content de ne pas recevoir de coup de ceintures... même s'il était à peu près sûr que la prochaine fois il n'y échapperais pas.

"Désolé... " fit-il à nouveau sans relever les yeux prêt à traîner des pieds pour rentrer.

Il ne dormirait pas de la nuit, il en était persuadé...

Le garçon aux cheveux rouges était encore caché derrière son écharpe et elle se demanda s'il avait froid. Elle trouvait qu'il faisait plutôt doux, elle... Mais bon elle était habituée à dormir dehors, aussi... Il devait être frileux. Mais elle aurait quand même bien voulu savoir pourquoi est-ce que ses cheveux étaient rouges... C'est vrai, quoi, on ne lui disait jamais rien, à elle !

Liatris avait à peine écouté Liam Fletcher en vérité, n'entendant que d'une oreille qu'ils seraient collés tous les deux. Bon et alors ? Les colles la laissaient totalement indifférente et pour cause : être à Lindorm était comme une punition de chaque instant. Bon, à part à la bibliothèque. Ca, c'était chouette. Et pour les repas, aussi. Mais elle s'en serait bien passé.

Gonflant les joues comme une gamine, frustrée que son mensonge n'ai servi à rien, Liatris observa le dragon doré frapper de la queue son dragonnier. Elle les observait souvent. Le dragon avait l'air sévère mais finalement il laissait quand même Vaast venir avec lui et le protégeait.
La jeune fille avait un instant baissé les yeux, grattant l'herbe du bout du pied sans répondre à son directeur.
Peut-être que si Vaast disait qu'il allait juste dormir... Non, elle était sûre qu'il serait puni quand même. C'était idiot, aussi, il aurait suffi de ne pas se faire prendre. Elle lui montrerait, la prochaine fois. En échange il lui dirait peut-être, pour ses cheveux.

Liatris ne se rendait pas compte qu'elle avait serré les poings. Comme c'était injuste, qu'il ne puisse être avec son dragon et qu'elle soit obligée du contraire.

Alors, toute droite, malgré sa petite taille, les lunettes de travers, elle se dressa de nouveau contre le directeur.

"C'est injuste ! Il ne fait rien de mal ! Vous, vous allez toujours voir votre dragonne quand vous avez l'air triste ! Et lui il a pas le droit ? Il a pas le droit d'être avec celui avec lequel il est si lié ? C'est comme empêcher un enfant de voir sa maman : c'est complètement DÉBILE ! NON MAIS ZUT, QUOI ! FAUT ARRÊTER DE FAIRE DES RÈGLES NULLES !"

Elle avait crié, sans même s'en rendre compte, disant tout cela d'une traite, très rapidement en un débit de paroles absolument impressionnant venant de quelque qui communiquait si peu, toute droite et toute tremblante de rage, ses joues si pâles se colorant de rouge sous les cernes de ses yeux noirs. Le vent s'était un peu levé, agitant les brins d'herbe autours d'elle sans vraiment faire autre chose.

"FICHEZ LUI LA PAIX ! LAISSEZ LE AVEC SON AMI !" Cria-t-elle encore en frappant du pied. Une forte bourrasque se fit soudain sentir, un courant d'air si puissant qu'il propulsa le directeur les quatre fers en l'air, ce qui eu pour effet de calmer immédiatement Liatris qui posa ses mains sur sa bouche en ouvrant de grands yeux.

"Oh non non non... Ca a recommencé..." Gémit-elle tout bas tout en s'approchant du directeur pour lui tendre une main secourable, sans aucune manière.
"Oh mince, je suis désolée, j'ai pas fait exprès du tout, du tout. Je vous ai fait mal ?"

La petite tête de chouette tournée sur le côté, elle regardait Liam avec un repentir sincère, penaude à présent.

Faire profil bas était ce que Vaast aspirait à faire à Lindorm. Il savait qu'il ne réussirait sans doute pas grand chose ici et il n'avait pas vraiment le choix de sa présence en ces lieux, mais il ne voulait pas en plus se faire remarquer. Il n'avait rien demandé à personne et voulait juste qu'on le laisse tranquille. Mais rien ne se passait comme prévu. Il avait pourtant espéré. Mais la réalité l'avait rattrappé. Il était ici pour se lier d'avantage à son dragon mais il ne pouvait pas être avec lui librement. La vie était injuste, mais ça non plus ce n'était pas nouveau.

Soupirant dans son écharpe, il était prêt à retourner à son dortoir. Il ne voulait pas faire de vague et il se voyait mal raconter qu'il ne pouvait pas dormir sans Istil. Alors il ferait comme il avait toujours fait auparavant, il courberait l'échine et attendrait un moment propice pour dormir, même s'il ne savait pas quand. Il ne pourrait pas sécher les cours, il en était incapable d'une, et de deux c'était contraire à sa volonté de faire profil bas. Tournant la tête légèrement en direction de l'imposant dragon doré, il lui offrit un regard désolé avant de croiser son regard. A nouveau les yeux bleu éléctrique de la créature lui apportèrent une expression qu'il ne sut déchiffrer. Il y avait de la déception - ça il connaissait bien - mais aussi autre chose. De l'ennervement peut-être... mais Vaast ne comprenait pas. Tout comme ce qui semblait transparaître autrement... Il avait toujours eu du mal à déchiffrer les expressions silencieuse du dragon à son égard. Mais pour lui c'était tout vu, il décevait Istil encore une fois.

Baissant la tête, se retournant pour se diriger vers l'académie il se raidit pourtant en voyant la petite et frèle forme que représentait l'élève aux allures de clochard se gonfler et parler avec véhémence. Surpris, Vaast senti ses épaules se tendre et se soulever alors que son corps entier se statufiait sur place. Les yeux écarquillés il observa son camarade parler, écoutant ses paroles qui le surprenaient encore plus que le fait d'entendre sa voix s'élever aussi haut.

Il n'y avait plus de doute, il l'aidait. Il le défendait. Les yeux grand ouvert Vaast regarda la scène sans dire un mot, ne sachant pas quoi dire ni faire. Jamais au grand jamais quelqu'un ne s'était interposé de cette façon pour lui. Car c'était bien de lui qu'il s'agissait. Car Vaast était un associal patenté mais il était loin d'être idiot. Et même si la notion d'être aidé par un inconnu lui était étrangère, il savait reconnaître les fait. Et au fond de lui il senti sa boule se resserrer d'avantage. Il se sentait mal. Mal de traiter l'autre garçon de clochard alors qu'il avait bien plus de courage que lui. Alors qu'il hurlait ce que lui ne pouvait même pas murmurer. C'était comme si il parlait à sa place. Il se sentait géné, honteux... et touché.

"Att..." commença-t-il dans un murmure, levant sa main pour retenir le garçon, pour l'empêcher d'en dire plus. Il ne voulait pas qu'il soit encore plus puni à cause de lui.

Mais à peine eut-il esquissé son geste qu'une rafale de vent souffla, faisant sursauter Vaast qui s'accrocha à son écharpe alors que du coin de l'oeil il voyait le directeur voler plus loin. Le sang quitta le visage du jeune homme qui senti sa dernière heure arrivée. Droit comme un piquet, il ne put qu'observer l'autre élève se précipiter en s'excusant. Il n'avait pas fait exprès, l'Ignis en était persuadé. Mais est-ce que le directeur le verrait ainsi ?

Pour la première fois depuis bien longtemps... Vaast fut inquiet. Inquiet pour quelqu'un d'autre que lui. C'était ridicule selon lui, pourquoi s'inquiéter des autres alors qu'ils n'en ont rien à faire de lui, c'était ce qu'il s'était mis à penser. Mais là, en cet instant, il ne voulait pas causer plus de soucis au Ventus, car il était forcément ventus.

Jettant un coup d'oeil à Istil qui observait la scène tel une gigantesque satue de pierre que rien n'émeut - car tout cela n'était que foutaises et pacotilles à ses yeux - il se décida à quitter sa porche présence réconfortante. Inspirant profondément, le jeune homme se dirigea soudain vers les deux autres humains. Ecoutant d'une oreille attentive ce qu'annonçait le directeur il fit ce qu'il n'aurait jamais pensé faire auparavant. Il attrappa sans aucune brusquerie le bras de l'autre garçon, sa main gantée de cuir saisissant le bras qu'il considéra lui-même comme bien trop maigre. Il élimina la distance entre leur deux corps et regarda en direction du directeur avant que les choses ne s'enveniment.

"On est désolé... on va rentrer..." fit-il de sa voix rauque et abîmée sans jamais croiser le regard de l'homme.

Il ne promis pas qu'il ne le referrait plus. Car il savait qu'il n'arriverait pas à dormir sans Istil. Mais il ferait attention. Il trouverait un moyen. Il ne voulait pas se mettre en avant. Alors, le nez toujours dans son épaisse écharpe qui lui donnait bien trop chaud, il emmena l'autre garçon avec lui, jettant un dernier regard à son dragon qui poussa un soupir en levant les yeux aux ciel avant de s'envoler rejoindre l'endroit qu'il avait choisit pour dormir pour ces prochaines années.

"Allez..." fit simplement Vaast dans un murmure avant de se diriger vers l'académie.

Il était fatigué, il avait envie de dormir, mais il ne pouvait pas... il ferait avec. Tout à ses pensées il ne se rendit compte qu'il tenait encore le bras de l'autre garçon qu'au bout de plusieurs mètres. Le lâchant subitement par surprise, il récupéra ses mains qu'il enfonça dans ses poches en fixant le sol.

"Désolé..." fit-il à nouveau avant de reprendre le chemin du dortoir. Pour qui allait-il le prendre maintenant ? Marchant silencieusement, dans sa tête foisonnaient nombre de choses. Il devait dire quelque chose. Il devait remercier l'autre élève. Mais les mots restaient bloqués dans le fond de sa gorge. Allez, crétin, se fustigea-t-il en fronçant les sourcils. Il pouvait bien le dire ! Luttant quelques instants, se battant contre lui-même, il finit par s'arrêter et fixer le ventus avant de finalement lâcher les mots qui lui brûlaient la gorge.

"Merci... pour tout à l'heure..." fit-il, un poid s'élevant soudainement de ses épaules.

Il était pittoyable.

Sa main tendue fut ignorée par le directeur et cela était habituel pour Liatris, elle avait toujours été ignorée. Elle se contenta de reculer un peu pour lui laisser de la place, passant une main dans ses cheveux désordonnés qui lui tombaient devant les yeux. Elle ne souriait pas, parce qu'elle ne souriait jamais et son expression était une douceur contrite : voilà pourquoi est-ce qu'elle n'aimait pas les dragons. Elle avait hérité de ce don, de cette malédiction plutôt, qui risquait de faire du mal à d'autres êtres vivants sans même qu'elle le veuille...

"Vous devriez vous faire un cataplasme de racines de cornouiller et de baies de sureau, mélangés à de l'argile verte. Je peux vous en faire un si vous voulez, pour les constri... Contusions..."

Liatris la ferma cependant quand son directeur mentionna les retenues sans réviser son jugement. Il lui semblait injuste que tout cela sois si rigide. Elle soupira. La surveillance renforcée ? Quelle importance, elle avait l'habitude de se faufiler dans une ville pleine de patrouilles de gardes. Mais elle n'en dit rien, se contentant d'hausser les épaules avec un fatalisme résigné. Elle avait assez haussé le ton pour la prochaine décennie. Soudain, une main lui attrapa le poignet et elle poussa un petit "irk" aiguë sans pour autant se débattre, tournant vivement la tête pour découvrir... le dénommé Vaast sont elle savait à présent le prénom.

Raide comme un bâton tout à coup, elle le suivit en trébuchant, agitant sa main libre à l'adresse du directeur et lui criant "Bonne nuit, au revoir Monsieur Fletcher" de manière tout à fait naturelle et insouciante, comme si rien ne s'était passé, tout en suivant son camarade avec une docilité surprenante, malgré sa raideur.

Le suivant ainsi, maladroitement, s'emmêlant un peu les pieds tant elle était stressée d'être touchée aussi directement, mais supportant paradoxalement un peu mieux le contact : les gants de cuir n'étaient pas de la peau - enfin si, d'animal mort - mais il lui évitait un contact trop direct.

Finalement il la lâcha et elle s'éloigna d'un petit bond sur le côté, par pur réflexe mais continua quand même à marcher non loin de lui, curieuse de voir où est-ce que l'autre garçon voulait aller. Ils se dirigeait vers l'académie, les bâtiments plongés dans l'ombre nocturne ne lui apparaissant que comme ce qu'ils étaient pour elle : une prison. Elle avait besoin de l'extérieur, besoin de rôder sans contraintes, sans murs pour contenir son âme au fond très libre et indépendante.

Le remerciement de Vaast la surpris : c'était la première fois qu'on lui disait merci et elle regarda longuement son profil tout en marchant, sans rien dire, comme si elle était très étonnée. Puis, doucement, son visage s'éclaira et ses lèvres s'incurvèrent légèrement en un petit sourire timide. Elle qui n'en avait presque jamais souriait à présent avec une douceur surprenante, qui rendait étrangement son visage plus doux et plus avenant, plissant ses yeux très noirs derrière ses lunettes rondes.

"De rien, ça n'a rien changé. Ne dit pas "merci" si ça change pas le problème. J'aurais bien aimé qu'il change d'avis..." Elle buta dans un caillou en mettant ses mains dans ses poches, le faisant rouler le long du chemin. "Mais les adultes sont tellement... Butés..."
Elle soupira doucement dans l'air du soir. Il faisait frais mais elle semblait même pas avoir froid, malgré son simple tee-shirt noir à manches longues et son jean rapiécé.

Son sourire, comme un mirage, avait quitté ses petites lèvres fines. Mais elle semblait plus calme qu'à son habitude, comme si la présence de Vaast la contentait. Elle n'avait pas peur de lui. Elle ne s'expliquait pas trop pourquoi.

"Je suis désolée, qu'on ai une retenue. Mais ne t'inquiète pas, ça fait pas mal. On copie juste des choses. C'est rigolo de copier des choses. Moi j'aime bien, et toi ?"

Elle semblait contente, pour une raison obscure. Elle même n'aurait pas vraiment su pourquoi. Elle continuait de le suivre vers le bâtiment, les mains glissées dans les poches, les doigts serrés discrètement sur quelque chose dans l'une de ses poches...

L'élève Ventus était étrange, cela Vaast l'avait déjà remarqué lors de leur première rencontre. Mais une nouvelle fois ce fait lui sauta aux yeux. Etrange personne chétive aux allures de clochard. Il semblait insouciant et naïf. Et pourtant il avait élevé la voix pour lui. C'était bien la première fois que le jeune homme rencontrait quelqu'un comme lui. Il avait de grandes lunettes qui cachaient une partie de son visage, ses cheveux étaient dans tous les sens et ses vêtements trop grand pour lui avaient des trous. Il devait avoir eu une vie bien plus malheureuse que lui qui avait au moins des vêtements à sa taille en en bon état. Et pourtant il s'appitoyait sans cesse sur son sort alors qu'il prenait conscience qu'il y avait des gens certainement bien moins lotis que lui.

L'air de la nuit n'était pas vraiment frais et Vaast, avec toutes ses émotions, commençait à avoir chaud malgrés le fait que son visage ne reflétait que peu de sentiments. Levant les yeux vers l'académie il redouta l'instant où il devrait retourner au dortoir. Observant à nouveau l'autre élève il le vit sourire, un sourire qui illumina presque le visage émacié et maigre. Il en vint à penser que sourire lui allait bien à cet élève. Il aurait voulu en faire pareil mais seuls ses yeux semblèrent montrer un peu plus d'expressions, s'adoucissant alors que dans son écharpe, ses lèvres ne s'étirèrent que très faiblement.

Pour une étrange raison, il n'avait pas peur du Ventus. Pas parce qu'il l'avait aidé alors qu'il n'avait pas besoin de le faire. Pas parce qu'il était plus petit et malingre que lui. Il n'aurait su dire pourquoi, c'était sans doute l'effet général qu'il avait sur lui. Il n'était pas en confiance, mais il n'était pas autant sur la défensive qu'il était avec les autres. A moins que ce soit une reconnaissance mutuelle de leur cicatrices passées, sans qu'ils n'en soit au courant.

Sa voix était légère. Maintenant qu'il faisait attention à ce qu'il disait il pu entendre le timbre de voix calme et aigu. Bien différent du sien. Il lui disait qu'il n'avait pas besoin de le remercier, que ça n'avait servi à rien. Baissant les yeux un instant, Vaast pris son courage à deux mains avant que sa main ne vienne saisir son écharpe pour la descendre légèrement, dévoilant sa bouche et son menton. Il regarda longuement l'autre garçon et finalement ouvrit la bouche.

"C'est la première fois que quelqu'un... m'aide," avoua-t-il presque à demi-mot, sa voix raclant légèrement sa gorge. "Merci," fit-il à nouveau.

L'autre élève ne devait certainement pas se rendre compte de ce que cette action avait eu comme conséquence pour Vaast. Quand toute votre vie les personne qui auraient dû vous protéger vous tournaient le dos... quand personne jamais n'avait répondu à vos appel au secours. Il avait été touché. Car il ne sentait aucune malice dans le fond des yeux de l'autre élève, car il ne voyait pas cette lueur qui attendait quelque chose d'autre. Le jeune homme ne comprenait pas bien, mais il voulait croire que des gens sans arrières pensées existaient.

"Je préfère les lignes aux coups de ceintures," avoua Vaast en toute innocence.

Car le jeune homme n'avait à ce jour pas encore vraiment compris que ce qu'il se passait chez lui n'était pas normal. Alors il était heureux d'échapper à une ceinture ou un fouet. Peut-être était-ce parce que c'était la première fois et qu'ils lui laissait une chance.

Il aurait pu rentrer le dos voûté comme si la misère du monde était sur ses épaules. Mais Vaast avait appris à ne jamais le faire. Sous la lune claire, il était droit, son pas était nochalant mais avait l'air assuré, pas bien rapide mais pas trop lent non plus. Les mains dans les poches, le regard droit, il jettait de temps à autre des regards à l'autre élève. Il n'aurait pas cru pouvoir parler autant à quelqu'un. Pour une étrange raison, il n'était pas aussi tendu qu'il l'aurait pensé.

S'arrêtant devant la grande porte, il soupira légèrement et posa sa main gantée sur la poignée, l'air ennuyé. Il ne voulait pas rentrer. Sa main tremblait légèrement sur la poignée alors qu'il pondérait l'idée d'appeller Istil pour qu'il vienne le chercher, qu'ils s'en aille loin, juste tous les deux. Mais il n'avait pas envie que son père ai raison, il n'avait pas envie d'être aussi incapable qu'on disait de lui. Alors il tourna la poignée et maintint la porte pour laisser entrer l'autre élève dont il n'avait pas vraiment saisit le nom.

Il aurait voulu lui demander d'où il venait et ça l'étonnait lui-même. Jamais Vaast ne s'était interressé à quelqu'un d'autre auparavant. Pour la première fois de sa vie il avait envie d'en connaître un peu plus sur cette étrange personne qui avait, en toute honnêtée, décidée de le défendre. Il avait à présent une dette envers lui...

"........." il hésita quelques instant et finalement décida de délier la boule qui se trouvait dans le fond de sa gorge. "Vaast O'Shanahan," se présenta-t-il sommairement, les mains dans le fond de ses poches, l'air intouchable presque ennuyé malgrés l'interêt qui pouvait se lire dans le fond de ses yeux bruns. La politesse voulait qu'il se présente d'abord avant de demander à l'autre. Ce qu'il ne fit pas, car il n'aimait pas parler pour rien, car il détestait sa voix et qu'il pensait que l'autre comprendait qu'il souhaitait faire les présentations.

Mais faire le premier pas était nouveau pour le jeune homme. Jamais n'avait-il osé auparavant faire quelque chose comme ça. Il recommençait à être nerveux, se demandant s'il n'ennuyait pas l'autre... Pourtant il attendit, droit dans ses bottes, stoïque malgrés le malaise qui s'installait en lui.

La jeune fille avait de nombreuses fois observé ce garçon si intriguant pour elle et avait fini par prendre l'habitude de cette drôle de manière de faire. Elle se posait plein de questions sur Vaast, à commencer sur la couleur de ses cheveux. Mais aussi sur le fait de son écharpe : n'avait-il en fait pas de bouche ? Non, il parlait, donc cela devait être autre chose. Au contraire de Vaast, Liatris était curieuse de bien des choses, même si particulièrement craintive.

Pourtant, elle ne comprenait pas elle-même pourquoi est-ce qu'elle avait crié, menti et fait voler le directeur pour cet autre élève. Cela lui avait semblé logique, important. Elle avait peur de l'avoir finalement mis dans plus d'ennuis. Elle même se moquait des sanctions pour elle. C'était Vaast qui lui importait, étrangement.
Elle le vit baisser son écharpe, la surprenant un peu. Finalement, il avait une bouche, comme tout le monde et une voix très éraillée. Mais qu'elle trouva agréable à écouter, dans le calme de ce milieu de nuit. Ils étaient seuls, à présent, rentrant tout naturellement vers l'académie, vers ce qui semblait autant emprisonner Vaast qu'elle-même. Et si elle avait du mal à comprendre les sentiments des autres, elle comprenait ce que lui disait le jeune homme. Elle non plus n'avait jamais été aidée. Et elle préférait aussi les lignes aux coups de tout et n'importe quoi.

"Je n'ai jamais été aidée, mais je crois que je comprends. Je serais aussi très contente que ça arrive." Dit-elle avec une grande simplicité, sans sembler jamais se plaindre, elle qui vivait depuis toujours dans la misère et la rue. Elle ne pleurait pas sur ses douleurs passées parce qu'elle n'étaient pas celles du présent, ni celles de l'avenir. Et que Lindorm offrait de quoi manger et un toit à une orpheline qui n'avait jamais connu d'amour ou de douceur. Il n'y avait aucun souvenir heureux pour réchauffer son cœur. Et pourtant, elle donnait à Vaast ce sourire innocent, avec une candeur désarmante. Elle était incapable de haine, de rancœur.

"Je préfère les lignes aux coups, aussi, c'est amusant de recopier même si c'est difficile d'écrire. Mais les ceintures, ça va encore. Ca dépend si c'est la boucle ou la sangle." De nouveau, elle avait répondu au garçon sans la moindre arrière pensée, dans son propre monde. Elle pensa pour elle-même qu'elle aimait encore moins les tisonniers. Mais ce n'était pas utile à dire. Elle regardait Vaast avec un certain intérêt, à présent. Elle n'avait jamais connu qui que ce soit qui connaisse la douleur des coups portés. Les autres garçons de sa bande de voleurs ne subissaient pas ce qu'elle recevait et elle pensait très naïvement qu'elle devait endurer cela parce qu'elle était une fille. Est-ce que Vaast était une fille, s'il se faisait taper ? Non, il dormait dans le dortoir des garçons, donc cela devait être un garçon - une logique imparable.

Il ouvrit finalement la grande et lourde porte et elle entra en trottinant sur le dallage, aussi discrète qu'une souris. Mais Vaast se stoppa à peine la porte franchie et elle se tourna vers lui, l'observant de derrière ses lunettes, ses yeux cernés exprimant une curiosité tranquille. Et cette fois il lui dit son nom... Elle se contenta de dire gentiment :
"Je sais."

Il lui fallu quelques secondes pour comprendre qu'elle devait aussi donner son nom - les présentations n'étaient pas son truc et on se fichait généralement de savoir son nom. Alors, dans le doute, les mains au fond des poches, ressemblant un peu à Vaast dans l'attitude, en plus petite et plus maigrichonne, elle reprit finalement de sa voix neutre - aussi androgyne qu'elle.

"Liatris Osgard."

Même son prénom était ambiguë. Mais elle s'en moquait pas mal. Elle ne se doutait pas que Vaast pensait qu'elle était un garçon, une erreur souvent faite.

Ils restèrent un moment planté comme deux poireaux, les mains dans les poches, Liatris se contentant de regarder Vaast par en dessous, sans rien dire. Puis, finalement, voyant que le garçon allait s'en aller, elle s'écria à voix basse :
"Attend !"

Puis, s'approchant rapidement de lui, elle tendit la main dans sa direction, dévoilant, au creux de sa paume un petit caillou noir parcouru de veines de quartz blanc. C'était un caillou comme l'on pouvait en trouver n'importe où, juste un caillou tout simple avec une jolie forme et de jolies couleurs, qu'elle avait sans doute ramassé près du lac.

Mais elle lui tendait à présent, timidement, mais résolument.
"C'est pour toi." Dit-elle encore, nerveuse. Elle n'avait jamais rien donné à personne car elle ne possédait rien. Mais c'était un cadeau. Un cadeau qu'elle lui faisait avec tout son cœur, le visage teinté d'une rougeur prononcée qui tranchait sur son teint livide.

La nuit dans le hall d'entrée de l'académie. C'était comme un endroit secret. Cet endroit qui la journée grouillait de monde était cette nuit là l'endroit où se retrouvait deux âmes dans le silence le plus total. Vaast ne connaissait pas vraiment le garçon en face de lui, ne lui avait parlé qu'une fois et l'avait juste aperçus de temps à autre sans qu'il y fasse vraiment cas. Mais ce garçon ne lui faisait pas peur, ne l'intimidait pas autant que les autres personnes qu'il avait pu rencontrer. Et quand il avait avoué que lui aussi avait reçu des coups de ceinture, ça l'avait quelque part soulagé. Soulagé d'apprendre qu'il n'était pas le seul être si pittoyable qu'on devait lui rabâcher comment se tenir.

Mais il avait raison, quand la boucle s'accroche ça fait mal, surtout quand elle arrache des croûtes. Mais c'était encore supportable, beaucoup plus que le fouet ou n'importe quel autre objet long et dur. Lui non plus n'aimait pas le tisonnier, mais pas pour les mêmes raisons. Mais une chose était sûre, il se sentait un peu moins seul. Peut-être se ressemblaient-ils un peu finalement. Bien sûr il n'était pas aussi chétif, il était bien nourri et en bonne santé. Non, ils étaient différents, même Vaast le voyait bien. Mais, pour la première fois de sa vie, il n'avait pas le droit à un regard confus quand il parlait de ceinture.

Plantés comme des piquets, se regardant mutuellement, silencieux, les deux garçons laissaient le temps passer. Reculant l'échéance de retourner dans le dortoir. Vaast était patient alors que l'autre garçon prenait son temps pour répondre, il savait ce que c'était que de réfléchir avant de parler et puis, il n'était pas pressé. Il avait été cependant un peu étonné qu'il connaisse son nom même cela ne se traduisit que par un léger tressautement de ses sourcils. Et finalement il eut droit à sa réponse, à entendre sa petite voix de souris. Liatris Osgard. Liatris. Il répéta son prénom plusieurs fois dans sa tête, essayant de le retenir. Pas très masculin mais il n'avait pas non plus l'air d'une armoire à glace viril. Quelque part, il trouva que ce nom lui allait bien et il hocha de la tête pour montrer qu'il avait bien entendu.

Le silence se réinstalla et le jeune homme garda la position, les mains dans les poches. Il se demandait s'il avait le droit de poser des questions où s'il le dérangerait. Mais l'autre non plus ne bougeait pas. Peut-être qu'il attendait qu'il ouvre la marche. Mais en même temps, il n'avait pas envie de bouger. Lui qui d'habitude fuyait presque la compagnie des autres, il ne trouvait pas la présence de Liatris génante. C'était nouveau, étrange même.

Au final il ne savait pas quoi dire, honteux de dévoiler sa voix une fois de plus. Alors il se dit qu'ils pourraient retourner au dortoir avant de se faire attrapper une nouvelle fois à traîner. Peut-être pourraient-ils rester un peu devant leurs portes avant de retourner dans leur chambre, le jeune homme totalement ignorant du fait que Liatris était une fille. Alors Vaast décida de faire le premier pas, c'était rare qu'il doive bouger avant quelqu'un d'autre, prenant la direction du dortoir des garçons.

Il avait à peine fait trois pas qu'il fut interrompu par la petite voix de son camarade. Se retournant il l'observa avec une curiosité qui ne le caractérisait pas habituellement. Les autres ne l'interrssait pas en général, mais Liatris était vraiment différent des autres garçons qu'il avait pu rencontrer - et pas parce que c'était une fille en réalité. Et quelle ne fut pas sa surprise lorsque le chétif garçon trotinna vers lui avant de lui tendre sa main. Le regard inexpressif de Vaast se mua alors en surprise lorsqu'il découvrit à la lumière de la lune un petit objet dans le creux de la fine main.

La lune au travers des grandes fenêtre les éclairaient doucement alors que, pour la première fois depuis bien longtemps, Vaast recevait quelque chose. Sans arrières pensées. Le regard de Liatris était clair malgrés la noirceur de ses pupilles. Il ne semblait rien attendre en retour, déstabilisant une fois de plus le jeune homme qui tendis une main tremblante vers le petit objet. Le cuir de ses gants l'empêcha de vraiment sentir la texture de la pierre, mais il l'imagina douce alors qu'il le saisissait délicatement entre deux doigts comme si c'était un diamant.

Sans un mot, il leva son bras, éclairant le caillou à la lumière de la lune, détaillant comme il le pouvait la bande blanche qui traversait le petit galet. Il ne comprenait pas la nature du cadeau, ni même son sens... mais pour la deuxième fois de la nuit, il fut étrangement touché. C'était un objet sans aucune valeur marchande, qu'on pouvait trouver le long de la plage si l'on cherchait bien. Mais Vaast le trouva joli, même si un peu incongru. Il comprenait à présent ce que signifiait : c'est l'intention qui compte.

Rebaissant son bras et posant ses yeux sur Liatris il découvrit malgrés le manque de luminosité des rougeurs sur ses joues trop pâles. Sa main se referma autour du caillou et pour la première fois depuis bien longtemps, il sourit, un sourire doux et reconnaissant.

"Merci," fit-il avant de reprendre quelques instants plus tard, hésitant sur la façon de le dire. "J'en prendrais soin,"

A nouveau ils furent silencieux et le sourire de Vaast s'enfuit rapidement alors qu'il reprenait une expression neutre. C'était étrange, depuis quand n'avait-il pas sourit de la sorte ? Il se sentait géné. Il aurait voulu pouvoir offrir quelque chose à Liatris en retour mais il n'avait rien sur lui, même pas un caillou. La main tenant fermement l'anodine pierre, il leva sa main libre et la tendit.

"Est-ce que..." sa gorge se nouait à nouveau mais il voulait croire que c'était possible, il voulait croire qu'il le pouvait lui aussi. "Tu voudrais bien..." il pouvait le dire, il lui fallait juste un peu de courage, "être mon ami ?"

Sa voix rauque se cassa alors qu'il saisissait toute l'empleur de la bêtise qu'il venait de faire. Qui voudrait devenir son ami après tout ? C'était ridicule. Jamais Liatris n'accepterais. Et pourtant il l'avait dit, ses mots avaient résonnés dans la pièce et il serra le point autour du caillou, priant pour que tout cela n'ai pas été une mauvaise blague. Détournant les yeux, il n'osa pas regarder Liatris, tendu comme un piquet, aussi nerveux que s'il l'avait demandé en mariage... Il avait l'air nonchalant, mais en réalité il était mort de peur.

Liatris attendait, la main tendue, rendue très nerveuse par les possibles moqueries qu'il pourrait en résulter. Elle n'avait jamais rien donné à personne, parce qu'elle n'avait rien à offrir. Mais, alors qu'elle rôdait près du lac, un peu plus tôt, elle avait vu ce petit galet noir qu'elle avait trouvé joli, sous la lumière falote de la lune. Elle avait décidé de le donner à Vaast, pour la première fois, comme elle avait voulu lui parler. Mais le directeur avait fait capoter une partie de la scène, bien qu'elle ne lui en voulait pas. C'était comme ça.
Finalement, les doigts gantés frôlèrent sa main tremblante, aussi maladroits que les siens, récupérant le cadeau incongru, presque décalé. Elle craignait qu'il le jette au loin, et la frappe pour l'audace dont elle faisait preuve. Une chose que l'on aurait fait dans son ancienne bande.
Mais il n'en fut rien et au contraire, le garçon lui répondit par un sourire. Un très joli sourire qui la fit rougir un peu plus comme une tomate trop mûre. Ramenant son bras près de son corps, elle fit des ronds sur le sol du bout de ses chaussures usées et dont la semelle était trouée par endroits.

Vaast souriait, la remerciait et l'assurait qu'il prendrait soin du caillou. Ses yeux s'illuminèrent malgré elle et elle releva le museau, avec sur le visage une expression entre l'étonnement et une joie mal connue.

"Merci ! Personne prends soin des cailloux et tout le monde marche dessus, c'est très méchant, alors c'est vraiment vraiment gentil d'adopter celui-là !"
Du Liatris tout craché. Complètement dans son monde, la petite autiste souriait de nouveau, semblant réellement contente... Pour une petite pierre.
Parce que Vaast prendrait soin de ce qu'elle lui avait donné, sans prétention.

La main de Vaast, après quelques instants, se tendit vers elle, vide et elle le regarda sans comprendre où il voulait en venir. Lui offrait-il de l'air en remerciement ? C'est très précieux l'air, ça permet de respirer, alors ce serait un beau cadeau.
Mais la suite la surpris un peu plus. Un... ami...
Son rougissement ne s'était pas atténué, bien au contraire et elle fixait Vaast sans bien comprendre les raisons de cette demande... Un ami, elle n'en avait jamais eu, pas même Léthé. Personne ne s'était jamais soucié d'elle, nulle part.
Pour la première fois de sa vie, quelqu'un voulait bien rester en contact avec elle.

Alors, doucement, elle s'avança pour prendre la main de Vaast entre les siennes, dont l'une avait deux doigts tordus dont les brisures ne s'étaient jamais ressoudées convenablement. Serrant doucement la main entre les siennes, elle répondit simplement avec une voix bien plus douce, timide mais où tremblait une joie simpliste.

"D'accord... Soyons amis."

Un peu gênée du geste spontanée de la main qu'elle avait prise, elle lâcha Vaast, se reculant de nouveau comme un petit animal habitué à la peur. Elle était contente. Et cela se voyait sur son visage émacié, où s'étirait pourtant ce joli sourire très simple et sans prétention.

Il y eut un instant de flottement pendant lequel la jeune fille sembla se perdre dans sa joie enfantine. Puis, très simplement, elle demanda :

"Mais... heu... comment on fait ?"

Fallait-il signer un contrat ou quelque chose du genre ? Elle s'imaginait toutes sortes de choses et toutes sortes de pacte. L'amitié se décide-t-elle comme l'on signe pour Lindorm ?
Elle aurait bien des choses à apprendre. Mais elle souhaitait bien faire. Et elle était, pour la première fois de sa vie, heureuse de connaître quelqu'un de gentil, qui ne la frappait pas, qui prenait soin des cailloux et qui voulait être son ami.
Et ça, c'était rudement chouette.

Nerveux, la gorge sèche, Vaast déglutissait péniblement en attendant la réponse de Liatris. Il était persuadé qu'il allait se faire envoyer bouler, qu'il lui rirait au nez en lui expliquant que tout cela n'était qu'une blague. Et pourtant il voulait y croire, croire à ses joues qui ne cessaient de rougir comme celles d'une fille. Oui, en cet instant Liatris avait l'air féminin, c'était un peu étrange mais, pendant un instant, le jeune homme le trouva mignon.

Jamais il ne pourrait rougir de la sorte, car il était un garçon et que les garçons ne rougissait pas comme ça, son père le lui avait rentré dans le crâne à coup de poings. Il avait appris à ne pas montrer ses sentiments, à rester stoïque et insensible à tout ce qui l'entourait, car c'était la meilleure façon de survivre. Et pourtant Liatris rougissait et souriait innocement. Il l'enviait un peu... même beaucoup. Il aurait aimé être capable de tant d'insouciance. Et il se dit que c'était peut-être pour ça que lui il se faisait beaucoup battre aussi...

Il resta longtemps dans sa position, beaucoup patient que n'importe qui d'autre qui aurait détourné la main et aurait tourné les talons en ne voyant pas de réponses. Mais Vaast savait attendre, car il était du genre à pondérer chaque action. Pas celle-ci... et cela le mettait mal à l'aise. Il ne savait pas comment il serait perçu, il entendait déjà les rires, il ne respirait déjà plus alors qu'il guettait la réaction de Liatris du coin de l'oeil.

Alors quand la petite main se tendit à son tour, quand il la senti rejoindre le creux de la sienne, Vaast senti le monde s'arrêter de tourner. Le temps se figea et il fixa la main dans la sienne entre incrédulité et incompréhension. Il l'avait réellement prise. Il acceptait. Le coeur du jeune homme se mit à battre la chamade alors que dans ses yeux bruns purent se lire une joie indescriptible, sa bouche s'ouvrant légèrement de stupeur. Il ne savait pas quoi ressentir, c'était trop. Il aurait pu en pleurer s'il avait été encore capable de ça. Mais il n'avait plus pleuré depuis bien des années... il ne savait même pas si c'était encore possible pour lui.

Le contact se brisa rapidement mais il avait duré aussi longtemps qu'une éternité pour le jeune homme qui récupéra sa main lentement avant de la glisser dans sa poche, l'autre tenant fermement le caillou. Oui, il prendrait soin du caillou qu'il venait d'adopter, même si les idées de Liatris étaient étranges, même si ce qu'il disait semblait décalé. Il aimait ce cadeau sans prétention.

Mais alors qu'il se sentait flotter sur un nuage... une nouvelle question lui vint et Vaast senti la joie sur son visage être remplacé par de la perplexité. Comment on fait ? Bonne question. Cela faisait très longtemps que le jeune homme n'avait pas eu d'ami, il n'était pas sûr de la marche à suivre.

"Hmm..."

Croisant les bras, fronçant les sourcils en pleine reflexion il essaya de se rappeller comment il avait pu faire quand il était encore enfant. Il savait qu'en finir avec une amitié était simple... il suffisait de ne plus se parler et de se moquer de l'autre par la suite. Mais comment est-ce que tout avait commencé ? Il n'était pas sûr. Reportant son regard sur Liatris il vit la joie sur son visage et se senti à nouveau géné d'être aussi nul. Il ne savait même pas comment faire - occultant le fait que l'autre étudiant ne le savait pas non plus. Un ami. Un ami. Quelqu'un qui ne se moquerait pas de ses capacités, qui ne mettrait pas de rat mort dans son lit la nuit, qui ne viendrait pas lui faire mal quand il dormirait... est-ce que c'était seulement possible ? Il avait du mal à y croire. Mais le fantôme de la sensation de la main de Liatris dans la sienne était vrai.

"Ah !" fit-il soudain en sortant de sa poche la main avec laquelle il avait serré celle de l'autre étudiant. Il l'observa un moment avant de la montrer à Liatris, presque fier de sa découverte. "Je crois que c'était ça..." fit-il sérieusement en mimant rapidement le geste qu'ils avaient eu plus tôt.

Détournant un peu le regard, géné, il remit ses mains dans ses poches et étira à nouveau ses lèvres doucement, le geste étranger à son visage lui faisant bizarre.

Il ne savait pas quoi faire de ses sentiments, ils allaient et venaient dans tous les sens. L'insécurité de devoir faire confiance à quelqu'un d'autre qu'Istil, le bonheur de pouvoir peut-être faire confiance à un autre être humain. Mais une chose était certaine... il se sentait bien auprès de Liatris. 9

Thème


Un ami... Elle n'en avait jamais eu. Jamais personne ne l'avait traité en égale. Jamais. Alors, à cet instant, elle souriait, malgré le geste peu habituel pour ses lèvres. Un très doux sourire timide. Etait-ce cela, cette sensation de chaleur dans la poitrine, que le bonheur ? Elle ne savait pas. Elle découvrait. Elle se sentait... Bien. Pas inquiète. Pas effrayée. Craintive, toujours. Mais elle avait l'impression de flotter, agréablement. Un ami... C'était tellement précieux. Il faudrait qu'elle en prenne bien soin, même si elle ne savait pas comment faire.

Et alors que Vaast lui mimait leur geste des mains, son visage s'illumina de compréhension et elle poussa un petit "ho" content, rassurée que cela soit si simple. Elle n'était pas douée pour les formalités ou pour écrire alors elle était contente de ne rien avoir à faire d'autre.
Maintenant qu'ils étaient amis, peut-être que Vaast lui dirait pourquoi est-ce qu'il avait les cheveux rouges ? Mais elle était fatiguée, aussi bailla-t-elle à s'en décrocher la mâchoire - sans mettre de main devant la bouche.

"Le concierge va crier si on reste là trop longtemps."
Ce fut tout naturellement qu'elle prit le chemin du dortoir des garçons pour raccompagner Vaast. Elle voulait rester avec lui, encore un peu. Parce que c'était agréable d'être avec un "ami". Cela voulait-il dire qu'il ne la frapperait pas ? Elle était contente. Et trottinait, insouciante, vers le dortoir où elle n'avait normalement pas le droit d'aller - mais elle le connaissait déjà, elle y avait suivi une fois Aldo, discrètement, pour voir ce qu'il faisait vu qu'il avait l'air de se disputer avec un garçon tout en noir. Elle avait eu peur qu'ils se frappent et avait voulu protéger l'autre Ventus, mais visiblement ils ne s'étaient pas tapés. Tant mieux. Puis elle avait filé avant de se faire prendre dans un endroit interdit, bien qu'elle ne comprenait pas très bien pourquoi les filles et les garçons étaient séparés : c'était pareil, non ? Il n'y avait rien de spécial qui différait entre eux, si ? Ha si, les hommes n'avaient pas de seins. Elle non plus n'en avait presque pas et les filles de sa classe se moquait d'elle. Mais elle ne comprenait pas ce qu'il y avait de mal à ne pas en avoir - ou presque.
Elle avait fini par penser qu'elle était ni une fille, ni un garçon, à force d'années, même si elle avait tendance à rectifier quand on se trompait, par politesse. Elle ignorait le fait que Vaast pense, comme la plupart des gens - sauf Aldo, mais lui, il était rudement malin, à part sur le "plus tard."

En silence, elle marchait à côté de Vaast dans les nombreux couloirs dans lesquels elle ne se perdait plus, ayant un bon sens de l'orientation.

"Tu peux pas dormir si ton dragon n'est pas là, n'est-ce pas ?" Demanda-t-elle finalement, près des dortoirs, en une question innocente. "Tu veux que je dorme là, pour que tu dormes ? Je monterais la garde. On n'a pas le droit de faire un feu dedans, mais tant pis, je ferais semblant, pour me tenir réveillée. Comme ça si jamais y'a une personne méchante qui rentre, je te réveillerais pour qu'on s'enfuit ?"

La jeune fille était très sérieuse, bombant légèrement le torse, comme pour se donner l'air plus grande. Elle n'en avait pas l'air, mais elle savait très bien monter la garde, surtout dans les bois, quand il ne fallait pas dormir par terre pour ne pas être mangée par des animaux sauvages. Liatris pouvait dormir à peu près n'importe où, ayant le sommeil très léger. Il lui semblait très bien de dormir par terre chez Vaast, pour protéger la porte. Elle espérait qu'il pourrait dormir. C'était ça, avoir un ami.
Le protéger, toujours. Et veiller sur lui.

Un ami. C'était un mot qu'il avait toujours pensé ne pas être pour lui. Mais là, cette nuit, avec la lune comme témoin, Vaast s'était fait un ami. Il ne savait s'il devait vraiment y croire où si le lendemain il verrait que ce n'est qu'un rêve. Mais là, maintenant, il voulait y croire. Son coeur battait vite dans sa poitrine, il était à la fois géné et ému. Fixant Liatris il ne bougeait pas plus que lui, chacun dans leur pensées. Vaast ne parlait pas beaucoup et il espérait que ça ne dérangerait pas l'autre garçon.

Il était sur un nuage. Il flottait, oubliant presque tout ce qui faisait sa vie auparavant. Il put même sourire, lui qui pensait en être incapable. Ce n'était pas le plus grand sourire du monde, mais il était sincère. Et il le garda même quand Liatris se mit à bailler la bouche grande ouverte, sans aucune manière. Il ne se tendit même pas en regardant autour de lui pour être sûr que personne ne l'avait vu faire, il n'aurait pas voulu qu'il ait des problèmes à cause de lui. Mais il n'était pas chez lui, ils étaient seuls dans le hall. Alors personne n'irait punir Liatris parce qu'il baillait la bouche grande ouverte.

Vaast repris cependant un air nonchalant par la suite, la sensation du sourire sur ses lèvres bien trop étrangère pour qu'il ne le garde longtemps, c'était étrange, il avait l'impression que ça lui était interdit. Alors son visage redevint aussi expressif qu'une huître, hochant simplement de la tête à ce que lui disait l'autre garçon. Oui, ils allaient encore se faire disputer s'ils restaient à traîner dans les couloirs.

Liatris le dépassa et prit la direction du dortoir, ce qui conforta Vaast dans l'idée que c'était un garçon. Après tout, une fille n'aurait pas osé aller là-bas, si ? Mais Liatris était un garçon, un peu effeminé, mais un garçon quand même. Alors il prit sa suite, sans se poser plus de question. Ils marchaient côte à côte. Le regard de Vaast se posaient régulièrement sur celui qu'il appellait le clochard auparavant, qu'à partir d'aujourd'hui il devrait appeler son ami. Rien que d'y penser il se sentait géné. Mais il ne montra rien, apprivoisant ce sentiment d'égalité. Car les amis étaient censés être égaux. C'était étrange, il devrait s'y habituer.

Mais alors qu'ils allaient arriver, Vaast se senti presque piégé quand Liatris lui parla d'Istil. Se tendant il détourna le regard, honteux. Il ne voulait pas que l'on sache qu'il avait peur de dormir avec d'autres personnes. Il fallut attendre la suite de son discours pour qu'il se détende un peu, la honte remplacé par la surprise de la proposition que Liatris lui faisait. Il avait compris mais ne se moquait pas de lui. Observant le garçon chétif avec curiosité, le jeune homme senti son interêt pour lui grandir un peu plus au même rythme que la gène de devoir être protégé par quelqu'un aussi petit et malingre. Non, il ne pouvait pas dépendre de lui... et puis, que quelqu'un garde la porte ne suffirait pas. Il avait besoin de la présence réconfortante d'Istil. Alors il secoua lentement la tête, offrant un faible sourire.

"Ca ira," fit-il avec sérieux. "Merci quand même," rajouta-t-il malgrés l'effort que lui demandait la volonté de parler.

Le silence s'installa à nouveau entre les deux et Vaast se mit à réfléchir à ce qu'il pourrait dire à Liatris, car il ne voulait pas qu'il pense qu'il le rejettait. Il savait que lui n'aimerait pas que l'on refuse comme ça une proposition. Mais il ne voulait pas non plus s'imposer. C'était dur de faire un choix. Et il compris qu'avoir un ami ce n'était pas facile, surtout s'il voulait le garder. Alors il avança en silence, pondérant la question dans tous les sens avant de finalement s'arrêter près de la porte de sa chambre où devaient dormir ses compagnons de chambre.

"Si jamais un jour tu as besoin d'aide," commença-t-il, le regard sur le côté, osant à peine prononcer ces mots qui lui brûlaient la gorge. "Je serais là," conclut-il, géné.

Mais peut-être que Liatris ne voulait pas de son offre. Peut-être qu'il trouverait ça ridicule, après tout Vaast n'était doué en rien. Pourtant il voulait essayer de faire comme il pensait qu'un ami ferait. Comme il aurait aimé que l'on agisse avec lui par le passé. Alors, planté devant la porte de sa chambre il se passa une main dans les cheveux, se trouvant ridicule. Mais il était sincère, il voulait aider Liatris comme il l'avait aidé. Il fallait aussi qu'il lui trouve un cadeau, mais ça il y penserait plus tard..

Elle se sentait bien, en compagnie de Vaast, comme si sa présence était étrangement naturelle. Elle avait souvent suivi le garçon sans qu'il le sache, ou l'avait observé de loin, curieuse de lui.? Curieuse de ce garçon à écharpe qui ne parlait que très peu. Elle-même n'avait pas parlé pendant longtemps, dans l'ancienne bande de gosses des rues. Mais, à Lindorm, elle se révélait plus bavarde qu'elle même ne l'aurait cru. Elle commençait, paradoxalement, à être contente d'être là : parce qu'elle avait rencontré Vaast et Aldo, qui étaient vraiment gentils.

Elle ne se formalisa pas du refus de Vaast, se contentant d'opiner du chef avec insouciance, simplement contente d'être là, traversant les couloirs endormis du dortoir des garçons, sans se soucier du point de règlement qui interdisait sa présence en ces lieux. Elle n'avait jamais été élevée, de toute façon. Alors respecter les règles ? C'était obscur pour elle.

Ils s'arrêtèrent devant une porte dont elle mémorisa sans même y penser l'emplacement exact, avec cette incroyable faculté mnémotechnique. Cela pouvait toujours servir.
Et la phrase qu'il lui dit était si gentille qu'elle se figea légèrement, les larmes aux yeux mais sans en pleurer.

"Merci beaucoup." Souffla-t-elle finalement avec gêne en se dandinant d'un pied sur l'autre.
Elle rougit de nouveau, un peu, puis se hissa sur la pointe des pieds pour tapoter la tête du garçon, comme elle l'avait fait avec Aldo, quelques nuits plus tôt.

"Ne t'en fais pas. Ca ira."

Elle était forte, bien plus forte que l'on pourrait jamais l'imaginer en la voyant, si misérable. Et son sourire était empli d'une chaleur tranquille. Elle qui haissait le mensonge disait la vérité : cela irait. Elle veillerait sur lui, parce qu'il était son tout premier ami. Et il veillerait sur elle ? Elle voulait le croire, très fort.

"Bonne nuit." Dit-elle encore en se détournant en agitant la main avant de continuer dans le couloir, se tournant un instant à l'angle pour voir s'il était toujours là, puis disparaissant dans l'académie silencieuse pour rejoindre pour une fois sa propre chambre et profiter du confort du lit pour dormir un peu.

Elle s'endormit d'un sommeil paisible, se sentant pour la première fois pressée d'être au lendemain et aux jours suivants.

Avoir un ami rendait les choses plus belles et le monde moins dur.


[Clos, merci Vaast-cute, je t'aime d'amuuuuuuuuuuur]