La lune se lève.
La Dame appelle ses fidèles.Avant qu’elle laisse son sourire fuser à travers l’obscurité dans un magnifique dernier croissant.
Hine-nui-te-uira…Riheb se tenait en position du lotus sur le rebord du flanc du volcan éteint, la lumière de la lune formant une seconde peau sur son corps frissonnant. Elle était nue. La Chasse était ouverte. Il était temps de rendre hommage à la Dame de la Nuit, celle qui gardait avec elle l’âme des morts méritait un tribut pour lui avoir ramené sa Reine, leur Reine.
Elle intima certaines prières dans sa langue et plongea ses mains dans les cendres mortes de son feu de camp pour marquer son visage de traits. Sur les paupières, perpendiculairement puis sur les bras et les jambes des bandes noires.
Maenoîllabent la regardait faire comme fasciné par les gestes minutieux de la Tammi, la regarder par les sons, ses pensées qui fusaient comme des formes rapides dans la nuit. Le vieux Dragon n’aurait jamais cru sentir les pensées d’une personne si proche de sa façon de voir l’environnement, un fourmillement d’informations et de vie qu’il fallait honorer.
Doucement, reniflant par réflexe, Riheb allongea son corps à quatre pattes, ses muscles roulaient en dessous de sa peau, sa langue impatiente de sentir la chaleur du sang et ses dents de rencontrer la chair du gibier. Les poings sur le sol sans bruit par la souplesse de ses gestes calculés, elle détendit ses doigts, fit gonfler ses jambes finement musclées et s’élança dans le vide.
Maenoîllabent suivit la course en se propulsant contre le flanc et rattrapa vite sa dragonnière pour se placer juste en dessous d’elle afin qu’elle s’accroche à ses cornes et commença à ouvrir doucement ses ailes pour freiner leur chute vers la forêt qui leur tendait les branches. Rencontrant le courant venant du sud, chaud et humide, l'Eternel put planer tranquillement le temps de trouver un gros vieux chêne pour déposer Riheb qui descendit sans peine en s'accrochant au lierre.
D’abord, comme toutes les nuits de pleine lune, la course avec Hine-nui-te-uira était prioritaire, la folle course sous le ciel étrangement dégagé. Le vent ayant pourvu. Ça durait pendant des heures, Riheb courut du mieux qu’elle put à quatre pattes, elle n’était qu’un être d’instinct et rien d’autre, elle filait sans ralentir, la lune lui donnant la force de s’adonner à l’animal en elle. La transe de la Tammi suivait son cours, ses tatouages rougeoyaient sous la couche de cendre noire.
Sur les coups d’onze heures et demi, Hine-nui-te-uira ordonna un sacrifice. Riheb répondit promptement et vira d’un coup vers sa gauche et s’enfonça dans la forêt en remontant la rivière pour rencontrer du gibier facile. Que ce sera pour la Dame de la nuit ce soir ? Quelque chose de beau, raffiné. Une chair tendre. Un sang chaud et délicieux.
Et voici l’être parfait prévu à cet effet. L’image de la noblesse même frôler son nez de ses effluves exquises. Un cerf à robe grise, presque argentée à la lueur de la lune paissant tranquillement avec sa harde principalement composée de femelles et autres jeunes mâles dont deux allaient atteindre l’âge adulte prêts à s’affronter au printemps à venir. Le mâle dominant serait sa proie en l’honneur de sa Protectrice. Tout d’abord, Riheb se fit petite, silencieuse dans les fourrés. Une biche avait tourné la tête vers sa direction mais ne la remarqua pas. Notre Tammi se fixa dans sa position parmi les racines des arbres et les rochers qui abondaient en présence de la rivière. Dès que la biche retourna à son broutage nocturne, Riheb s’élança tellement rapidement qu’elle parvint à mordre le cou épais du cerf et à le faire basculer dans l’eau sous son poids, faisant paniquer la harde qui disparut dans la forêt.
Le combat fut à la hauteur de son attente, Riheb lâcha le cerf pour le laisser fuir un peu et dès qu’il parvint à la rive, elle s’élança de nouveau sur lui en plantant de nouveau ses dents dans la première incision et ouvrit la plaie pour qu’il se vide un peu. Sous la mort lente et pénible de sa proie, elle grogna des prières en Roroa, éleva sa main dont les doigts évoquait des griffes, concentra sur sable autour de ses doigts et trancha net le poitrail du cerf pour en sortir son cœur suintant de sang et mordit pour en manger un morceau. La prêtresse le brandit au ciel et le cœur presqu’entier luisit pour s’évaporer : le sacrifice avait été accepté par Hine-nui-te-uira qui la porta en honneur, reconnaissante et fière d’une fille sans nom qui avait honoré sa promesse, une belle prise.
Riheb fut donc permise de manger le reste et ne s’en priva pas. A quatre pattes, au-dessus de sa proie, elle hurla à la lune et un écho dans le vent se fit entendre.
Les esprits étaient avec elle, la félicitant.
La Chasse était un succès mais n’était pas finie.
La nuit était à eux.