Eleanor, après avoir quitté l'Académie en cette matinée, rallia l'île et l'hôpital.
Elle avait une mission en étant ici, certes, peut-être sans espoir mais il fallait qu'elle le fasse.

Après la mort de leur père, ses frères, dégoûtés du protectionnisme étouffant de leur parents, décidèrent de partir au front. Leur père avait été embriguadé et il était mort désormais, lui, ce modèle de précautio et de prudence. Lui qui n'avait jamais rien fait de "dangereux" ou de "fou". Alors à quoi bon passer sa vie dans un cocon si c'est pour mourir dans l'instant? autant se protéger comme il faut pour ce qu'il faut. Et non pas se protéger d'une balade au risque de tomber et de s'érafler les genoux ou d'un arbre aux branches tentatrices pour une belle détente des pensées. alors oui, ils avaient quitté la maison et leur mère en pleurs. Oui, ils étaient face au danger. Mais il étaient heureux.

Mais Eleanor avait dû rester en arrière. Elle s'était formée de son côté. Pas aussi radicalement, en effet, mais à sa façon. Pas du genre bourrine. Mais furtive. Elle avait passé maints et maints après-midi cachée dans des endroits exigus, profonds, hauts… Elle avait presque tout tester. Et toujours à l’affût de nouvelles de ses frères.
Ils étaient, semble-t-il, toujours en vie. Mais elle avait quitté le dernier emplacement du village il y a quelques temps. Alors elle espérait qu’ils ne soient pas morts entre-temps.

Après avoir franchi les portes de l’Académie, elle s’était mise en route pour l’île et son hôpital. Sa mission : observer les allées et venues et guetter un geste ou autre de ses frères. Il fallait qu’elle sache. C’est donc concentrée et déterminée qu’elle marcha dans les rues et rejoignit le grand bâtiment. Dans une ruelle qui semblait adjacente, elle se faufila et se mit en mode furtif. Elle arrêta de faire du bruit en marchant et en respirant. Elle se posta non loin de l’entrée, en plein dans l’ombre. La couleur sombre de ses vêtements aidaient beaucoup et elle se positionna accroupie et plissa les yeux afin qu’elle concentre son regard.

Quelques heures passèrent et le flots des malades et blessés se tarit, les portes se fermèrent. Ce qui est assez bizarre pour un établissement de santé. Peut-être y avait-il un couvre-feu ici aussi. Pas le moins du monde inquiète du couvre-feu de l’académie, Eleanor abandonna sa cachette et alla s’installer dans un petit pré non loin de l’hôpital. Elle avait besoin de digérer ce premier jour sans résultat.

Le visage aussi lisse que de la pierre, le regard vide de toute expression, un homme était adossé à un mur. A moitié caché dans l'ombre mais bien visible. Il n'avait pas l'air de se cacher. Il n'avait pas grand chose de suspicieux à vrai dire. Il grignottait d'un air désinterressé quelques friandises qu'il avait acheté au marché plus tôt dans la journée. En fait, pour tout passant il n'était qu'un inconnu de plus qui avait juste l'air d'attendre quelqu'un et de s'ennuyer. Personne n'aurait eu l'idée de penser que sous ce masque d'ennui et d'apathie l'homme était en fait concentré sur ce qu'il faisait.

Damon Shrewsbury était arrivé à Laragon depuis quelques jours déjà. Il avait pris son temps pour le méler à la foule, pour se trouver un logement ainsi qu'une conquête dans celui-ci. Pour tout le monde il n'était qu'un marin de passage qui attendait le prochain navire prêt à l'embaucher. Il était habillé simplement d'un pantalon de toile épais, de bottes un peu usées et d'un pull de travail. L'odeur de la mer l'entourait et son apparence de seaman ne laissait aucun doute sur ses activités... en apparence en tout cas. Car Damon était loin d'être un marin. Bien loin. Il n'aimait pas trop les bateaux en fait, ça bougeait tout le temps. C'était agréable de temps à autre et pratique mais il n'y passerait pas sa vie. En plus les gens puaient au bout d'un moment sur les longues traversées. Car bien qu'originaire de Waterfield, le jeune homme se sentait finalement bien plus à l'aise en Nordheim. Peut être parce que son dragon était de glace et que le froid du pays des neiges éternelles lui allait beaucoup mieux. Car il n'aimait pas les fortes chaleurs non plus.

Mais aujourd'hui et depuis quelques jours, il était à Laragon, plaque tournante du Territoire, demeure de l'école la plus prestigieuse du monde ainsi que de la Tour Perlée. Il avait reçu deux missions du sage Haalu avant de partir. Il devait tester et essayer de recruter une toute nouvelle dragonnière puis rejoindre deux de ses comparses en Narthan. Les deux missions étaient compatibles. Il s'était renseigné sur la première et le temps dont il avait besoin pour se charger de recruter la demoiselle lui laissait la liberté d'aller à la recherche de leur Maître, ou de sa dépouille.

Croquant dans le petit bâton de sucre entre ses lèvres, il observait d'un air totalement désinterressé sa proie. Eleanor Desper. Jeune dragonnière d'un dragon de feu. Née à Narthan la même année que lui, il y avait beaucoup de dragonniers dans sa famille. Elle avait aussi beaucoup voyagé avec sa famille.... et n'avait rencontré son dragon que récement - comparé à d'autres. Mais tout cela n'étaient que des détails lui permettant de cerner la jeune femme. Le plus interressant était son pouvoir. C'était cela qui interressait la Main du Jugement. Mais est-ce que la nouvelle recrue de Lindorm avait l'instinct et le tempérament pour devenir une assassin ? Pour se couper du monde ? Tuer froidement quiconque lui sera ordonné ? C'était pour cela qu'il devait la tester. A son âge elle était encore maléable. Elle n'avait pas encore beaucoup côtoyée les autres dragonniers et les bons sentiments de Liam Fletcher.

Damon se cura les dents avec sa langue pour déloger un morceau de sucre, son oeil unique observant Eleanor sans en avoir l'air. Elle était restée plantée là toute la journée à attendre il ne savait trop quoi. Cela dit, il devait avouer qu'elle avait l'art du camouflage, ou en tout cas de la furtivité. C'était un bon point. Il y avait encore du travail - son sens de l'observation avait été concentré sur ce qu'elle faisait et non ce qu'il se passait autour d'elle. De ce fait elle n'avait pas remarqué un seul instant l'assassin qui passait et revenait de temps à autre pour l'observer. Car il n'était pas resté planté là toute la journée. Il avait pris son temps, il avait flâné, posé des questions aux gens autour de lui comme un visiteur le ferait. Et surtout, il avait commencé à mettre en place son plan. Qui ne devait plus tarder à débuter.

Elle commença à bouger et Damon jetta un rapide coup d'oeil à l'horloge située au dessus de l'hôpital. Elle n'avait pas l'air inquiète du couvre-feu... l'assassin eut un léger sourire en coin et l'observa bouger tranquillement. Il attendit qu'elle soit hors de sa vue pour bouger à son tour. Comme si de rien était. Les mains dans les poches, nonchalant, la tête un peu basse il fit quelques détours avant de retrouver la future recrue. Il n'était pas pressé. Il avait juste besoin d'en apprendre plus sur elle. Elle avait des frères et soeurs... elle avait beaucoup côtoyé des enfants... ce fait pouvait être une gène. La plupart des assassins n'avaient pas de famille - celle de Damon était tellement éclatée que pour lui ce n'était pas un frein. Regardant sur les côtés il aperçut finalement ce pour quoi il avait travaillé dur toute la journée.

Marchant en traînant les pieds, les lèvres tremblottantes et les poings sérrés pour se retenir de pleurer se trouvait un petit garçon. Damon s'était donné du mal pour le séparer de sa mère. Maintenant cela devait faire deux bonnes heures qu'il s'était perdu. Il devait être assez desespéré pour parler à n'importe qui. Car non, Damon n'avait aucun scrupule à torturer un pauvre garçon d'à peine cinq ans. C'était pour sa mission, ce garçon n'avait d'importance que son utilité. Le dragonnier de glace avait besoin de voir si les enfants pouvaient être un frein à l'enrollement de sa recrue.

"Et bien bonhomme... que fait-tu tout seul ?" demanda Damon, un sourire avenant aux lèvres en s'acroupissant devant le petit garçon qui recula d'un pas en se retenant de pleurer.

"M... maman... elle est pas là..." réussit à dire l'enfant qui semblait faire de gros efforts pour avoir l'air d'un grand.

"Elle ne doit pas être bien loin... elle doit être inquiète..." fit le jeune homme, le visage inquiet. Se relevant il regarda autour de lui comme s'il était prêt à aider le garçonnet. "Comment tu t'appelle bonhomme ?" demanda-t-il, cherchant à le mettre en confiance.

"M... Mica..." fit l'enfant en se frottant le visage.

"Ah !" s'exclama l'assassin en mettant les mains sur les hanches. "Il me semble avoir entendu quelqu'un appeller ce nom par là-bas !" lança Damon, en pointant la direction des prés.

"Maman !" cria le petit Mica avant même que le dragonnier ne termine sa phrase.

L'enfant se mit à courir en direction de l'endroit où Damon avait déduit qu'Eleanor se trouvait. Il regarda Mica se dépécher de rejoindre sa mère, ignorant qu'il ne trouverait là bas qu'une inconnue. Damon le suivit de loin, se cachant dans les ombres pour observer la scène. Il allait bien voir comment réagirait la jeune fille.

[ tu veux un petit bonobn mon garçon? lol pauvre gosse]

Eleanor s'installa confortablement dans le pré. Assise, genoux relevés, elle fixait l'horizon d'un air maussade. Elle svaait bien, quand elle était partie tout à l'heure, qu'il n'y aurait sûrement aucun résultats ce jour mais elle enrageait quand même. Elle était dans un mauvais jour et elle était bien heureuse d'être loin de la population.

Elle se rappela un fait qui s'était déroulé peu après son alliance avec Datgar. C'était un jour pluvieux et elle devait reporter sin départ pour l'Académie à cause d'une épidémie qui s'était installée dans le village. Intouchée, par on ne sait quel miracle, elle avait du souffrir les pleurs et les lamentations de tous. Compréhensive jusqu'à un certain point, cependant. Elle s'était, heureusement, tenue à l'écart des malades et du village quand elle laissa exploser sa colère et sa frustration. Un cercle tout autour d'elle avait brûlé. L'herbe qu'elle avait touchée était partie en cendres. Elle réagit rapidement et se contint mais le mal était fait. Le feu se propageait et s'avançait en direction du village. Datgar, sa dragonne, s'envola et partit avertir qu'un incendie couvait. Les habitants, oubliant en cet instant leur maladie, s'unirent et formèrent une ligne du puis jusqu'au foyer pour remplir des seaux d'eau et les verser.

Quand elle rentra ce soir-là, tout le village la dévisageait car oui, cela ne pouvait être que de sa faute. Mise à l'écart, ostracisée depuis ce jour, elle se promit de leur payer leur dédain et leur prouver qu'elle valait quelque chose. De bons sentiments se battaient en duel avec des inflexions plus sauvages: les rayer de la carte, eux, ces geignards accompagnés de leurs mouflets.

Ces sentiments enfouis se mêlèrent avec ceux qu'elle éprouvait en ce moment, après cette journée à attendre vers l'hôpital. La chaleur de son corps, de son sang, atteignit les brins verts en contact avec sa paume. Elle entendait à nouveau les cris, les brimades et revoyait leurs regards acérés et haineux. Elle en avait autant pour eux.

Elle serra les poings, elle ne pouvait pas rentrer ainsi.

Alors qu'elle commençait à respirer calmement afin de reprendre le contrôle, elle entendit, horreur!, des pleurs et des cris d'un mioche.
Elle tourna la tête en direction de ce bruit insupportable et se leva derechef quand elle vit un enfant très jeune se diriger en courant et en braillant "Mamannnn" à tout bout de champ.
En position de défense elle le vit accourir vers elle.
"Mamannnnn, elle est où ma maman? Ouiiiiinnnn"

Elle passa en position d'attaque.
" J'lai pas vu ta mère. Dégage de là vite fait! T'approche pas de moi"
Inconscient du danger qu'il pouvait courir, et faisant confiance à une présence féminine, le petit fonça droit sur elle et s’accrocha à ses jambes avant qu’elle n’ait pu faire un geste.
Eleanor l’empoigna vivement et le repoussa violemment. Le peu de temps que le contact se fit suffit à insuffler une chaleur sanguine affolante. Le gamin, éberlué par le geste de Eleanor, ne prit pas tout de suite conscience de la chaleur qui se propageait dans tout son corps et qui le ferait bien plus transpirer que la course qu’il avait faite.
"Je t’ai dit de dégager. Laisse-moi tranquille !"
Elle s’avança et le prit par le bras.
" Dégage ! "
Le chaud envahit sa main, parcourut le bras du petit qui prit une teinte incandescente. L’odeur caractéristique de la chair brûlée frotta dans l’air et ce n’est que là que le gamin pleura réellement. Le bras, petit à petit, devint violet puis noir puis se réduisit en cendres qui s’éparpillèrent lorsque la bise souffla.
L’enfant perdit connaissance et tomba dans l’herbe, le feu continuant de se propager, membre par membre, organe par organe.

Eleanor se mit en mouvement pour retourner en ville. Des larmes à la fois de rage et de peine prenaient le chemin de ses joues. Elle prit à droite dans la première rue sachant qu’elle retrouverait la foule. Elle se dit alors que ce n’était peut-être pas le meilleur choix, alors elle prit par des ruelles sombres.

Le feu éclairait la nuit noire, faisait danser les ombres sur les arbres telles des âmes perdues hurlant leur angoisse de ne plus exister. Les cris de l'enfant faisaient écho à la danse macabre des silhouettes se mouvant contre les vieux arbres. Eleanor s'enfuit et Damon la suivit tranquillement, restant dans les espaces les plus noirs possible pour ne pas se faire repérer. Bientôt les témoins allaient affluer. Bientôt... ce crime allait faire parler de lui dans toute l'île. Le visage impassible et fermé, personne n'aurait pu dire ce que pensait Damon de cette situation. Il s'était attendu à beaucoup de chose, dont celle-ci, mais de le voir était étrange. Il n'avait aucune pitié pour l'enfant, ce n'était pas le sien, il ne le connaissait pas et ne savait rien de lui, tout juste son nom. Mais il savait que la nouvelle allait se répendre comme une traînée de poudre.

Il allait sans doute devoir agir plus vite que prévu. Il allait devoir faire un rapport au sage Haaluu aussi. Le pouvoir de la dragonnière était puissant. Mais elle le maîtrisait encore mal. Ils allaient avoir du travail. Marchant dans les rues avec un pas calme et chaloupé il entendit déjà les exclamations des badauds. Regardant autour de lui, il aperçut finalement Eleanor dans une ruelle sombre, reprenant son souffle et ses esprits. Elle était impulsive. Elle avait réagit rapidement.

Sur le visage de Damon, aucune émotion ne transparut. Il continua son chemin comme si de rien était, laissant la criminelle prendre conscience de l'étendue de ses actes. De ses reflexions dépendraient son sort. Soit elle finirait en prison, soit elle serait pendue haut et court.... soit elle deviendrait une ombre parmis les ombres, une soeur de la Main du Jugement. Pour lui, peu lui importait ce qui adviendrait d'elle. Elle n'était pas indispensable. Utile, mais ils se passeraient d'elle si elle ne faisait pas l'affaire.

Jouant les marins émméchés, Damon retourna chez sa logeuse, prêt à passer une nouvelle nuit en sa compagnie. Puis il enverrait un rapport à Haalu et ensuite pourrait dormir de tout son saoul. Les jours suivants, il verrait la façon dont il s'activerait. Bientôt la milice et l'armée se mélerait de cette affaire. Il ne fallait pas être intelligent pour comprendre qu'un dragon ou un dragonnier était à l'oeuvre. Les forces d'Elite allaient se pencher sur ce cas. Et Damon devait être prudent.


[Clos pour moi, je te tiens au courant pour la suite <3]