La salle de permanence avait été réaménagée pour que tous les étudiants et le personnel de l'académie puisse y rentrer. Les tables avaient été dégagées pour l'occasion, et les chaises collées les unes à côté des autres en rangs serrés. Seul un espace le long des murs permettait le passage. Devant le tableau noir, une estrade avait été montée et prenait toute la largeur de la pièce. Errant seul dans cette pièce encore vide, un homme de grande taille, amaigri, le visage creusé, les cheveux noirs en bataille, mais le costume parfaitement arrangé, marchait entre les rangs et replaçait quelques chaises de travers. Le directeur leva les yeux vers la pendule accrochée au-dessus du tableau et alla déverrouiller la porte pour permettre aux premiers arrivants de s'installer. Ceci fait, il ôta sa veste et alla la mettre sur le dossier de la première chaise, devant l'estrade. Il n'était pas question qu'il s'assoit, mais il ne tiendrait pas longtemps avec sa veste, et il ne voulait pas paraître si formel. Cette année était celle de tous les changements, il était temps de se détendre, malgré l'ambiance tendue qui régnait à cause de la guerre récemment terminée.

La porte s'ouvrit au moment où Liam posait le pied sur l'estrade. Une fois monté, il se retourna et salua les premiers arrivants d'un simple signe de tête et les invita à prendre place. Les mains dans les poches de son pantalon droit noir, le directeur paraissait calme et plutôt dans de bonnes dispositions.

La salle se remplit petit à petit des étudiants et des professeurs, ainsi que des autres membres du personnel. Il échangea quelques mots avec eux en attendant que tout le monde soit arrivé. On était le premier jour de la rentrée, il était bientôt 9h et Liam avait prévu cette année un discours de bienvenue pour tout le monde. Un discours qui en choquerait peut-être plus d'un, en conforterait d'autres, dans tous les cas, en ces temps de paix relative, il ne pouvait pas ne rien dire.

Avec un gros soupir, Nicola se rendit dans la grande salle de permanence qui allait servir pour le discours de début de Liam, comme d'habitude...

En fait, en quatre années, le fulgere avait l'impression que son ami n'avait pas changé d'un poil, qu'il avait toujours ses vieilles habitudes et qu'il ne comptait pas en changer, ce qui était finalement peut-être une bonne chose et lui permettait à lui de se raccrocher à une époque ancienne où il était encore insouciant, où il ne pensait à rien d'autre qu'à glander et draguer les minettes... Une époque très lointaine. Nico repensa à tout ce qui s'était passé depuis, et se rembrunit subitement.

Ça faisait trop de négatif dans sa tête, et cela lui pesait bien plus que de raison. Et pourtant, il n'arrivait pas à en parler, ne serait-ce qu'un tout petit peu, histoire de soulager son cœur lourd. Nico était très secret, et cela ne s'était pas arrangé depuis son retour à Lindorm. Du temps s'était écoulé depuis la fois où il avait tourné le dos à l'école pour rejoindre le champs de bataille. Mais cela n'avait pas arrangé son caractère, il en avait bien conscience.

Le fulgere avança donc dans la salle, un signe de tête pour le monde déjà présent, une mine lugubre sur le visage. Il passa près de Liam sans un mot, lui fila une tape dans le dos pour l'assurer de son soutien, et continua son chemin vers une fenêtre grande ouverte où il se percha, toujours sans décocher une seule parole. Le regard dans le vague dehors, il se demandait qui serait là aujourd'hui. Liam avait tenu à ne pas lui dévoiler la liste des professeurs présents cette année, sans doute parce que Jan devait y figurer, ou alors justement parce qu'elle n'y était pas... Mais c'était un peu stupide, parce qu'il la verrait de toute façon si elle avait repris son poste, tout comme il verrait si elle était restée dans son pays glacé comme son cœur.

Il ne savait pas du tout ce qu'elle était devenue, n'avait pas demandé un seul instant de ses nouvelles. Aujourd'hui, il vivait avec la rancœur, avec la désillusion, avec la tristesse. Mais il n'irait plus au devant d'elle quand il la verrait, parce qu'il était persuadé qu'elle était de retour. D'humeur sombre, Nicola fronçait les sourcils en perdant son regard dans le ciel bleu, alors qu'il aurait tant aimé qu'un orage se pointe, à la hauteur de ses sentiments du moment...

Jan était fatiguée, et ses cernes creusées sous les yeux ne lui faisait pas honneur. Empruntant l'ascenseur, sa tête dodelinait un peu tandis qu'elle attendait de pouvoir en sortir, le regard vide; ses yeux d'un bleu glacier ne reflétait rien du tout. Avec les précédents évènements,s a santé n'avait fait que décliner et elle se demandait bien par quelle diablerie elle se maintenait en vie. La détermination peut-être, à moins que ce ne soit la lâcheté. Elle avait déliré un mois entier après son agression par des Wyrms, ne s'en étant jamais réellement remise. Enceinte, elle avait souffert et manquer de perdre à la fois son enfant et sa vie durant l'accouchement qui l'avait laissé alitée durant quelques mois et une fois qu'elle avait donné la vie, Nidhögg avait cherché à la convaincre de se donner la mort pour qu'il puisse être libéré de l'Alliance. Ce fut Niels qui finalement s'opposa au dragon, menaçant de lui percer l'autre œil. L'année n'avait été qu'un vaste remontage de pente mais son corps restait maigre et continuellement tremblant; à présent elle ne pouvait plus marcher du tout et ne pouvait plus quitter son maudit fauteuil roulant.

On lui avait apprit que Nicol avait survécu, et elle avait été à la fois soulagée et terriblement heureuse. Pourtant extérieurement, elle n'avait rien montré; Niels savait, mais il savait aussi qu'elle avait fait son choix: le devoir avant les intérêts personnels. Elle était une bonne épouse, droite et vertueuse, qui s’accrochait à ce qui lui restait et tandis qu'elle entra doucement dans la salle d'étude en poussant son fauteuil, les jambes couvertes par un plaid, une vague prémonition lui dit qu'elle aurait envie d'en ressortir aussi sec. Elle ne s'était pas trompé.

La présence des étudiants l'agaçait sans qu’elle sache pourquoi et devant tant de monde, la Nordenheimir plissa désagréablement les yeux, dépassant Nicola en lui donnant un petit signe de tête; rien de plus. Lui parler aurait été trop éprouvant pour elle, prise entre dépit et et détermination. Il ne lui avait jamais écrit, n'était jamais venu la voir avant qu'on ne le croit mort. Tant qu'il était en vie, la sienne avait encore un sens, mais à présent il y avait un ressentiment indicible entre eux, que rien ne saurait raisonner. Jan avait fait son choix, parce que c'était un choix honnête et droit pour elle, respectable. C'était un sacrifice, et tous les sacrifices sont honorables. Nicola ne pensait surement pas de cette manière, mais elle n'en avait cure. Elle était bien trop contente qu'il soit encore parmi les vivants que cela lui convenait: peu importe qu'il la haïssait, s'il était sain et sauf.

Se trouvant une place loin de cet énergumène Lostreg, Jan se retrouva proche du directeur qu'elle salua d'un sec hochement de tête; dans la forme, elle tait toujours la même: une vieille chouette Nordenheimir que les étudiants détestaient et qui passait son temps à dire que la moitié de sa classe aurait du être noyée à la naissance. Et peu importe si c'était à présent l’épouse d'un Gouverneur, Jan ne changeait pas: elle méprisait la bêtise et la paresse et cette année serait comme les précédente: un vrai chemin de croix pour eux comme pour elle.

Et pourtant, ses mains tremblaient sans qu'elle puisse les contrôler, comme deux araignées d'albâtre éternellement transie d'un froid imaginaire, aux doigts longs et très maigres. Sur son fauteuil, la blonde semblait filiforme et prête à ses casser, ses yeux d'un bleu banquise plus absents que réellement durs.

C'est une petite voix cristalline dans sa tête qui réveilla Sloan ce matin-là. Depuis la veille, le Terra était de nouveau installé dans sa chambre à l'académie, ayant ramené ses affaires après deux mois à squatter une chambre dans une auberge de Laragon. Il y avait longtemps qu'il ne revenait plus en Keven, et encore moins dans sa famille où il n'était pas le bienvenu. C'était tant mieux, car il ne voulait pas avoir affaire avec ses parents.

La petite voix se fit de nouveau entendre pour le sermonner et lui rappeler que c'était le premier jour de la rentrée, qu'il devait se lever pour assister au discours du directeur dans la salle de permanence, comme chaque année. Vhaxas lui rappela également qu'il avait été désigné d'office comme délégué des Terra et qu'il ne pouvait pas faillir à ses obligations. Sloan soupira en s'étirant et se retourna dans son lit, s'enroulant dans sa couette, pour tenter de se rendormir. Soudain, une ombre apparu à sa fenêtre et un puissant rugissement retentit, faisant vibrer le verre, et le faisant sursauter dans son lit. Grognant sans conviction contre son dragon, Sloan se leva et alla se laver puis s'habiller. La salle était déjà presque pleine quand il débarqua en permanence pour se trouver une place debout près d'une fenêtre. Son regard croisa rapidement celui d'un homme aux cheveux rouges qu'il fini par reconnaître comme Nicola Ferretti, que la rumeur disait mort. Il lui adressa un signe de tête, ravie de le voir en fin de compte. Il tourna la tête pour voir qui étaient les professeurs cette année, et se rendit compte que la guerre et le traité de paix avaient changé bien des choses. En effet, en plus de Ferretti, Wennerström était également de retour. Fini les cours à se la couler douce, à dormir sur un coin de table. Il devrait de nouveau porter toute son attention au professeur, sans quoi il terminerait encore en retenue pour le restant de l'année... et il avait autre chose à faire. Justement, en parlant d'autre chose, Sloan tourna encore la tête et aperçu un reflet vert vif qu'il n'avait plus vu depuis cinq ans et son coeur se gonfla. Pendant quelques secondes, il eut du mal à respirer et se demanda ce qui lui arrivait. Il avait envie d'aller vers elle et de la prendre dans ses bras, rien que de savoir qu'elle était en vie et qu'elle était ici. Bryne O'Cuinn, sa cousine. La dernière fois qu'ils s'étaient parlés, pratiquement la seule fois où ils s'étaient parlés d'ailleurs, Sloan s'était comporté comme le dernier des crétins, mais il n'avait que seize ans et les choses n'étaient plus pareilles désormais. Il détourna le regard et préféra se concentrer sur les reflets dorés de son dragon dans la cour qui tentait de lier contact avec les autres dragons, sans vraiment y parvenir. Vhaxas leva la tête vers lui et lui adressa un signe de la patte. Sloan lui sourit et lui adressa un signe de la main. Le dragon était bien le seul au monde à avoir droit à un minimum de gentillesse de sa part, et c'était déjà pas mal. Mais le dragon savait que Sloan n'était pas si mauvais au fond, et que quelque part se cachait celui qu'il aimait plus que tout, et que le monde saurait un jour qui était réellement le jeune homme.

Mais pour l'heure, l'attente se faisait interminable, et Sloan s'impatientait. Peut-être qu'il finirait par s'endormir, calé ainsi contre la fenêtre qui lui apportait l'air frais d'une matinée de septembre.

L’ambiance était mortelle et tendue, comme s’y était attendu Liam. Il était heureux de savoir son meilleur ami à ses côtés et répondit à son signe de tête quand il le croisa pour aller s’installer sur un rebord de fenêtre. Il salua de la même manière Jan Wennerström qui reprenait également du service parmi eux. Il accueilli d’un sourire timide les autres professeurs, la plupart d’anciens élèves, certains d’anciens de sa promotion comme Jan et Nicola, puis attendit que tout le monde soit installé pour demander le silence. Debout au milieu de l’estrade il sentit son estomac se nouait par le stress, bien que rien ne se voyait de l’extérieur. Il avait pourtant l’habitude de ce genre d’exercice mais parler seul devant toute l’école le mettait toujours autant mal à l’aise. De plus, cette année son discours serait légèrement différent, car il avait de nouvelles recommandations à faire, et toutes ne seraient pas accueillis avec le sourire…

Liam sortit les mains de ses poches et les frotta l’une contre l’autre une ou deux fois, comme pour se donner du courage, puis les croisa dans son dos, histoire de ne pas se triturer les ongles et montrer sa nervosité. Après un rapide coup d’œil général à la salle, il prit une profonde inspiration et se lança.

-Bonjour à tous et bienvenue aux nouveaux étudiants, aux nouveaux professeurs, et bon retour aux autres, pour cette rentrée 1568 APA.

Jusque là, le discours était semblable à celui des autres années, mot pour mot. Liam dégluttit nerveusement. Il avait la bouche sèche et regretta de ne pas avoir emporté une bouteille d’eau avec lui… ou une bouteille de rhum. Il chassa cette idée en croisant le regard de Nicola et continua.

-Je tenais tout d’abord à acceuillir le retour de Nicola Ferretti dont les rumeurs de morts n’étaient pas fondés et qui reprend ses anciennes fonctions au sein de l’Académie. C’est avec un immence honneur que nous acceuillons également le retour de Jan Wennerström, épouse du gouverneur de Nordheim, dans ses fonctions de professeur d’histoire-géographie. Toute l’équipe se joint à moi pour vous féliciter encore une fois pour la naissance de votre fille.

Liam hocha la tête pour saluer sa collègue, sans un sourire, et par respect pour la pudeur de Wennerström arrêta là les éloges, car il savait qu’elle détestait cela. Mais en tant que directeur, il avait des devoirs diplomatiques à remplir lui aussi, et était obligé d’en passer par certaines formules de politesse. Ceci fait, il enchaina de nouveau.

-Comme vous le savez tous, un traité de paix a été signé avec les Wyrms qui sont interdits de séjour sur les territoires. Vous savez sans doute également que nous ne pouvons plus circuler librement entre les nations, et que vous devez acheter des laisser-passer pour pouvoir rendre visite à vos familles, ceci dans l’optique de vous protéger. Dans cette même optique, il a été décidé que tout étudiant souhaitant quitter l’académie lors des permissions pour retourner chez lui, doit être accompagné d’un soldat d’élite afin d’assurer sa sécurité.

Le directeur leva simplement une main pour demander de nouveau le silence, alors qu’un brouhaha de protestations indignées s’était élevé dans la salle parmi les étudiants mécontents. Une fois le silence revenu, Liam continua.

-Hormis ces mesures de sécurité en-dehors de l’académie, cette année ne sera pas différente des autres. Les cours seront assurés par des professeurs compétents et hautement qualifiés. Les horaires de cours, des repas et du couvre-feu sont les mêmes. Les points du règlement concernant le comportement des étudiants et de leurs dragons dans l’enceinte de l’académie sont inchangés ainsi que les sanctions possibles.

Un silence pensant s’instaura quelques secondes pendant lesquelles Liam croisa ses mains devant lui plutôt que dans son dos et sembla se détendre légèrement. Il fit un nouveau rapide coup d’œil circulaire à l’assemblée des étudiants et des professeurs, et reprit son discours.

-Les choses sont en train de changer sur les territoires, et il vous arrivera peut-être de croiser des Wyrms. Malgré toute l’inimitié que la plupart m’inspirent, j’aimerai que chacun d’entre vous réfléchisse à une chose. Rappelez-vous qu’au-delà d’être nos ennemis, les Wyrms sont des hommes et des femmes comme n’importe qui d’entre nous. Ils ont des familles et des amis, certains même sur les territoires, sur les nations que nous connaissons. Certains sont capables de commettre des actes horribles et impardonnables certes, mais tous ne sont pas comme ça. Si une paix à pu être instaurée, c’est qu’elle peut durer, et il ne tient qu’à nous, Wyrms et habitants des territoires, de faire en sorte que cette paix perdure. La solution n’est pas toujours le combat, et ce n’est pas parce que vous êtes formés à la guerre que vous devez à tout prix la rechercher.

En disant cela, son regard croisa celui de Jan qui avait tant souffert de l’erreur de quelques Wyrms. Que devait-elle penser d’un tel discours ? N’était-elle pas la plus à même de chercher la destruction de tous les rebelles ? Y’avait-il une once d’espoir de pardon dans ce regard de glace ?

Liam reporta son attention sur le reste de la salle et releva la tête.

-Si vous avez des questions, ou des choses à dire, c’est le moment.

Puis il laissa la parole aux professeurs et aux étudiants qui souhaitaient réagir à ces propos, il savait qu’il y en aurait.

Medea s'était assise au premier rang des tables, en sa qualité de présidente du conseil des étudiants, et écoutait scrupuleusement le discours du directeur de l'académie tout en détaillant les professeurs. La nouvelle professeur de Maîtrise du Don, Brynne O'Cuin, lui semblait douce mais elle préféra ne pas juger hâtivement: on lui avait dit qu'elle revenait du front et que son dragon tout comme elle était terrible. Il y eut ensuite monsieur Ferretti avec lequel elle ne s'était jamais entendu, revenu de la mort; même si ce dernier ne cessait de la prendre pour sa tête de turc car elle avait peur de combattre, la rousse était soulagée de le voir ici, en vie. Il avait certes des séquelles psychologiques, à n'en point douter, mais au moins était-il toujours de ce monde. madame Wennerström quant elle ne ressemblait plus qu'à l'ombre d'elle-même, maigre chose pâle et tremblotante; son regard était pourtant toujours aussi dur. L'année allait être difficile, elle en avait le sentiment.

Tournant la tête un instant, Medea aperçut Sleepy et sa tête coloré dans un coin de la pièce. l'attente immobile devait être difficile pour lui et elle se demanda en souriant de bonne guerre quand il finirait par s'endormir sur sa chaise. Non loin, Asa semblait s'ennuyer en faisant reposer sa joue sur sa main; la jeune fille capta son regard et lui sourit gentiment, lui faisant un signe de la main. Il vira au rouge et lui rendit maladroitement le geste, les deux restant un instant à se regarder sans rien dire, sans rien faire. Ils le cachaient comme ils le pouvait mais pour un regard avisé, certaines choses ne trompaient pas.

Le directeur, et son professeur principal, termina son discours et Medea ne trouva rien à en redire. Repsiscus comme elle attendait ce message de paix et d'espoir, laissant l'illusion que la guerre pourrait un jour avoir une fin. Mais était-ce le bon moment? Ce n'était pas à elle, simple élève de l'académie, d'en décider. Elle choisi de faire confiance aux professeurs, à l'armée et se replongeant dans la conversation, elle retourna son attention sur le personnel.

Les félicitations que lui adressait Liam avait un goût bien amer mais elle savait bien que ce dernier le faisait pour être aimable et encourageant; le directeur était un homme un peu naïf, parfois. Mais il était toujours de bonne volonté et cela avait tendance à facilement donner la nausée à la Nordenheimir. Un instant, elle fixa le miraculé Nicola mais ne dit rien, détournant rapidement la tête pour fixer l'assistance. Comme tout cela lui semblait vain. Elle écouta le discours de Liam en fermant les yeux, se reposant un instant en pensée; tout cela n'avait aucun sens mais elle n'avait pas envie d'en discuter. Présentement, elle n'avait envie de rien d'autre que de reprendre l'ascenseur et d'aller cuver sa haine dans un coin, seule. Interdire les Wyrms sur le Territoire... cela ne changeait pas grand chose, quand on y réfléchissait. Un traité de paix.... cela n'avait aucun sens. Renforcer la sécurité par contre était toujours souhaitable mais dépêcher des soldats d'élite pour de simples déplacements d'élèves lui semblait superflu. Cependant elle ne dit rien: elle aurait bien le temps d'en discuter avec Liam si cela devenait réellement handicapant pour l'armée.

Elle ne se sentait pas à l'aise sur l'estrade, et pour cause, Nicola se trouvait non loin d'elle. Même si elle refusait de le regarder, elle pouvait sentir sa présence et cela l'horripilait; la blonde gageait que ce devait être la même chose pour lui. Pourtant, lorsque le directeur parla de "professeurs compétents et hautement qualifiés", la Nordenheimir ne put s'empêcher de jeter un coup d’œil au Lostreg et de soupirer; elle ignorait comment cela se passerait maintenant mais jadis Nicola ne lui avait pas semblé être quelqu'un d’efficace. L'année s'annonçait rude encore une fois mais la jeune femme n'afficha rien sur son visage neutre mais sérieux, du fond de sa chaise roulante, les mains posées sur son plaid, délicatement croisées. Ses yeux bleus balayait la foule des étudiants à la recherche de quelque chose, sans savoir quoi. Elle ne les regardait pas vraiment mais plutôt regarder au travers d'eux, par transparence, comme un point qui n'existait que dans son esprit, au delà des étudiants.

Liam continuait son discours, et elle l'écouta sans broncher bien que se sentant directement sollicitée dans sa dernière partie. Elle poussa un long soupir d’agacement lorsqu'il fit son numéro de bon samaritain et une tension monta en elle à mesure qu'il parlait: il faudrait qu'elle prenne la parole. L'envie de couper la parole à cet idéaliste mal peigné était forte mais son éducation le lui interdisait, aussi attendit-elle le bon moment comme un dragon attend au fond de sa grotte. Elle n'allait pas le louper, comme elle ne louperait pas tous ceux qui se ramollissent, qui ne comprennent pas l'importante primordiale de la guerre, de l'antagonisme, du sacrifice.

"J'aimerai ajouter quelque chose, si vous me le permettez monsieur Fletcher", dit-elle très simplement en s'avançant à ses côtés pour prendre la parole, fixant les étudiants mais jetant également quelques coups d’œil au personnel.

"La guerre est juste quand elle est nécessaire. Et à vous qui êtes encore ici, à l'académie, j'aimerai vous dire que la guerre n'est pas une aventure, pas un amusement. La guerre est une maladie, comme le cancer. Une chose naturelle. Si elle vous fais peur, retournez dans les jupes de vos mères et laissez ceux qui ont le vrai sens du sacrifices devenir des soldats qui défendront les vraies valeurs. Nous n'avons pas besoin de faibles ici, ni d'enfants. Nous avons besoin de personnes qui savent ce qu'est le sens du sacrifice. C'est une académie militaire, je vous le rappelle, et nous formons des soldats."

Elle tourna un instant la tête vers Liam, consciente que son discours se faisait à l'inverse du sien; pourtant elle n'y pouvait rien: Jan avait toujours été un modèle de franchise, parfois au point du blessant mais elle se figurait qu'il fallait dans le corps enseignant une personne qui se ferait le grand méchant loup. C’était une académie militaire, après tout.

"Le jour où les Territoires n'auront plus besoin de Lindorm n'existe pas. Nous avons en face de nous des hommes et des femmes certes, mais au cœur du combat, on ne peut pas réfléchir à l'histoire des autres. C'est tuer ou être tué. Faites votre choix. Il n'y a aucun ennemi à la guerre, juste des soldats de l’autre côté."

La blonde regarda Liam comme pour lui faire passer un message: les Wyrms n'étaient pas ses ennemis, car elle n'en avait aucun. Mais ils l'avait diminué et souillé et la haine qui larvait en elle trouvait des coupables désignés, comme un soldat tue un autre soldat pour survivre. Ce n'était que de la survivance, de l'honneur: elle ne laisserait pas ceux qui avait volé sa dignité s'en sortir avec pour couvert le discours humaniste du directeur.

"Je conseille à ceux qui ont peur de la guerre de sortir de cette pièce et d'abandonner les études ici. On naît avec la guerre en soi. Comment donc vouloir même essayer d'en délivrer le monde... la guerre... c'est la respiration des hommes. La guerre n'en finira jamais, parce qu'elle est dans notre sang: nous nous défendons, nous défendons nos foyers et nos proches, nos idéaux. Si vous n'êtes pas prêts à accepter que la guerre a toujours existé et qu'elle existera toujours, alors partez."

Jan eut un geste de la tête signifiant qu'elle avait finit et d'un mouvement un peu sec, elle s'en retourna à sa place dans le fond de l'estrade, prête à répondre de son discours belliciste et contraire à celui du directeur; cela ne lui faisait pas peur parce qu'elle était le genre de femme à assumer ce qu'elle disait, tant que cela ne parlait pas de ses sentiments personnels, comme le cas de Nicola, par exemple.

En voyant Jan entrer dans la pièce, Nick tenta sincèrement de se blinder contre la douleur que sa vue occasionnait. Elle n'avait pas encore ouvert la bouche mais pourtant, chaque tour de roue de son fauteuil la rapprochait dangereusement, comme un nuage hautement toxique menaçant d'envahir la pièce. Il se sentait étouffer petit à petit, de la voir aussi diminuée physiquement.

Les remords le rongèrent, comme la rouille courait sur l'acier. Si elle était dans cet état, c'était uniquement à cause de lui. Oh il n'était pas un de ces wyrms qui l'avaient violée et laissée pour morte dans la neige, mais il s'estimait responsable. Elle aurait pu se défendre s'il n'avait pas fait la stupide erreur de se laisser aller à lui dévoiler ses sentiments et a exigé qu'elle lui réponde. Son entêtement avait causé la perte des facultés de concentration de Jan, et par ricochet, avait creusé un abîme impossible à combler entre les deux. Nicola ne l'avait pas revue depuis qu'elle avait quitté Lindorm pour épouser Niels Wennerström, n'avait plus cherché à la contacter après ce désastre.

Curieusement, il la trouvait encore plus belle qu'avant. Son apparente fragilité n'avait d'égale que la beauté de ses yeux de glace. Mais il n'avait pas le droit de la dévorer du regard, alors il se contenta de détourner la tête en lui rendant un léger mouvement de tête avec autant de froideur qu'elle venait de lui témoigner. S'efforçant de faire abstraction de sa présence, le lostreg restait de marbre et ne bougeait pas d'un cil quand son ami Liam commença son discours.

À plusieurs passages de son monologue, Nico s'efforçait vivement de ravaler les commentaires acides et autres ricanements sonores qui auraient indiqué qu'il était loin d'accorder même ne serait-ce qu'un seul crédit à ce laïus. Liam lui-même ne croyait pas du tout à ce qu'il disait, il ne faisait que raconter ce qu'il était forcé de dire à tout le monde. Il n'avait même pas daigné adresser un regard à qui que ce soit quand son ami le citait en premier, faisant les éloges du valeureux guerrier encore en vie malgré les rumeurs. Il fronçait les sourcils en un rictus dur quand il apprit que Jan avait mis au monde une fille. Il s'assombrit encore quand le directeur arriva au terme de son discours.

Cette réunion lui semblait telle une vaste blague dont il était dans l'obligation de participer. Encore plus quand Jan prit la parole à son tour. Jamais elle ne lui avait semblé si prolixe, bien que le fait de vouloir donner un sens réel à la situation ne lui donna réellement de l'importance. Nicola eut envie de rire en l'entendant déblatérer sur la guerre. Il savait qu'elle avait été sur le front, qu'elle y avait perdu sa jambe, et ne s'en était jamais remise. Mais ce qu'elle avait également perdu, c'était son envie de se battre. Elle se serait défendue bec et ongle contre les wyrms si elle l'avait vraiment voulu. Et là, tout se mélangeait dans sa tête. Il se mit à lui en vouloir d'être aussi faible malgré sa prétendue force morale, il se mit à la haïr par ce qu'elle disait et ce qu'elle taisait.

Et alors qu'elle regagnait le fond de l'estrade, Nicola avait envie de fuir. Le grand ciel bleu lui inspira une tristesse sans nom quand il se rappelait qu'Amethyst ne pouvait plus voler, qu'elle était aussi blessé qu'il pouvait l'être. La guerre... Une grosse supercherie. Il décolla de la fenêtre pour marcher au milieu de la pièce afin de rejoindre la sortie, les mains dans les poches, le regard vide.

- La guerre, c'est pour les gens faibles et stupides. Il faut croire que le monde est faible et stupide.

Il ne prit même pas la peine de regarder les réactions des autres, continuant de marcher vers la sortie, afin d'aller voir son alliée encore mal en point. Stupide, il l'avait été, et à de nombreuses reprises. Il n'avait personne à protéger, pas de famille, pas de nation-mère, juste un ami et encore. Nick était un solitaire qui n'avait même pas de cause à défendre. Alors il avait pris la décision de rester à Lindorm cette fois, de voir guérir Amethyst dans un premier temps, puis peut-être partir s'établir quelque part, dans un endroit inhabité, afin de vivre en reclus...

C'était pas une idée si bête après tout...

Alexandra retint un long bâillement... Très franchement, elle se retenait de se lever et de ne pas attendre la fin de ces discours futiles pour se barrer d'ici et faire quelque chose de plus intéressant. C'était d'un ennui mortel... Et apparemment, elle n'était pas la seule à le penser.

Les autres étudiants, ainsi que certains professeurs, se faisaient suer comme des rats morts. Ils n'attendaient qu'une seule chose : être délivré de cet enfer que Fletcher leur imposait à chaque rentrée scolaire. Sauf que cette année, c'était encore plus chiant que les autres années. En entendant parler des visas, la glacies haussa les épaules d'un air fataliste. Elle n'en avait plus besoin, vu qu'elle n'avait pas revu ses parents depuis des années, et que cela ne lui faisait ni chaud ni froid.

Et elle n'avait personne d'autre à qui rendre visite. Du coup, ce n'était pas intéressant. Alex posa son regard sur Medea dans un premier temps, souriant à peine. Elle appréciait l'aqua mais ne s'était jamais résolue à l'aborder seule à seule pour voir si un lien pouvait naître entre eux. Mais elle était gentille, bien qu'un peu nunuche sur les bords, à vouloir être aux petits soins de tout le monde. Puis son regard dévia sur Asa. C'était un drôle de gars, un peu coincé et qui ne parlait pas facilement, pas qu'Alex engage la conversation comme on irait acheter une baguette, mais bon.

Ses yeux tombèrent ensuite sur Ludwig. Il était mignon, celui-là. Blagueur à ses heures, sérieux quand il le fallait, c'était un peu la coqueluche des filles de Lindorm... Un peu trop à son goût d'ailleurs. Mais bon, chacun chacun hein ? Cela lui était égal à dire vrai. Tout comme le discours qui se déroulait devant eux.

Madame Wennerström, sa prof principale, venait de se lancer dans un monologue aussi pompeux que celui du directeur. C'était vraiment d'un ennui... La glacies n'attendait que le feu vert pour se lever et sortir. Quelle idée de rester cloîtré dans une salle alors qu'il faisait si beau dehors ? Depuis quelques années, la jeune femme avait beaucoup de mal à supporter la proximité des murs et préférait largement les cours en extérieur. Encore un peu de patience...

Elle posa son regard à présent sur le gars appelé Sleepy. Lui aussi s'ennuyait à mourir. Il donnait une telle image de "je m'emmerde profondément" communicative qu'elle se retint de bailler une nouvelle fois. Le prof de combat, quant à lui, profita que la mère glaciaire (nouveau petit surnom qu'elle venait de lui trouver) ait terminé son discours pour faire ce que tout le monde rêvait de faire en cet instant : il se leva et se dirigea vers la porte.

Ses mots sonnaient un peu comme une petite pique à l'intention des mots de Jan Wennerström. Une féroce impression de ressentiment entre ces deux-là était vraiment étrange, Alex ne connaissant pas du tout leur passif commun. Enfin, cela ne la regardait pas.

Aller Fletcher ! Prononce la fin de séance et qu'on s'en aille !

Sitôt son discours terminé, Jan s'avança sur l'estrade, faisant grincer les roues de son fauteuil dans un crissement sinistre, accentuant l'atmosphère lourde qui régnait déjà dans la pièce. Elle lui demanda la permission d'ajouter quelque chose à ses paroles et Liam s'effaça pour lui laisser le champ libre. Lindorm avait toujours été un champ de bataille où chacun pouvait combattre avec ses propres armes, les mots étant parfois, souvent, plus acérés que les lames des épées. Jan illustrait parfaitement cette image. Les mains dans les poches, le directeur sentait son paquet de cigarettes sous ses doigts d'un côté, son briquet de l'autre, et les manipulait nerveusement. Il ne les mettait jamais dans la même poche, d'une part, car cela prenait trop de place au même endroit, d'autre part pour éviter de perdre le tout en une fois, s'il en perdait un.

Ses mâchoires se crispaient en écoutant les paroles de la femme de glace et il eut soudain l'impression qu'une chape d'une tonne et demi lui retomber dessus, pesant sur ses épaules un peu plus, et étreignant un peu plus son coeur déjà éclaté depuis toutes ces années. Wennerström n'avait jamais été connue pour son humour et sa bonne humeur, mais là, elle dépassait presque les bornes. Liam était partagé en voyant les visages de ses élèves se décomposer. Devait-il intervenir pour stopper cette avalanche de mauvaises ondes, ou laisser se dévider le flot de paroles pessimistes mais pas si loin de la vérité finalement que Jan lâchait littéralement sur l'assemblée ? Même les professeurs semblaient un peu plus maussade tout à coup et le directeur en occulta les absences et les retards.

Avant qu'il ai pu réagir cependant, Nicola quitta la fenêtre qu'il squattait depuis le début, traversa la pièce d'un pas lent mais certain en direction de la sortie et sans même un regard pour son meilleur ami, il envoya une réplique bien placée à Jan, qui semblait s'adressait aussi à d'autres, et quitta la salle de permanence.

Le suivant un instant des yeux, Liam soupira finalement et s'avança de nouveau.

-Ce n'est ni l'endroit ni le moment de débattre de la nature humaine, ou de remettre en cause les actes de chacun. Nous ne sommes pas en cours de philosophie et vous aurez tout le temps de faire la morale à vos élèves, Madame Wennerström. Cependant, je vous remercie de remettre les points sur les i.

Sa voix s'était faite plus autoritaire, plus assurée que d'habitude, ce qui dénotait avec la vision qu'on pouvait avoir du Directeur Fletcher habituel. Peut-être commençait-il à en avoir assez des gens qui se plaignaient, et se trouvaient des excuses. Peut-être en avait-il assez lui-même de sa condition, et de ses agissements. Levant les yeux sur la foule des étudiants, il reprit.

-Si plus personne ne veut prendre la parole, vous pouvez disposer. Je rappelle encore que chacun de vos agissements au sein de l'académie peut vous faire gagner ou perdre des points à votre classe, et qu'est en jeu un trophée à la fin de l'année. La paix ou la guerre ne change rien à ce challenge et la meilleure classe sera récompensée, comme chaque année. Merci de votre attention. Toute l'équipe enseignante se joint à moi pour vous souhaiter une bonne année à Lindorm.

La séance terminée, quelques élèves quittèrent la salle en premier. Certains professeurs partirent également, suivis d'autres étudiants. Finalement, Liam resta seul à observer une classe vide, ou qu'il pensait vide jusqu'à ce qu'il soit tiré de ses pensées par la voix de Brynn, sa dragonne d'eau. Liam sourit tristement et commença à ranger les chaises en attendant que le concierge arrive pour l'aider. L'ambiance était plus lourde que les autres années, mais dans l'ensemble ça ne s'était pas trop mal passé. Jan faisait ce coup chaque année, et c'était pire à chaque fois cependant. Peut-être devrait-il se résoudre à la congédier une bonne fois pour toute ? Mais était-il prêt à se séparer d'un des meilleurs éléments pour préparer de futurs soldats ? Et surtout, pouvait-il se résoudre à perdre des visages si familiers qu'il avait toujours l'impression d'être chez lui, à Lindorm ?

Dès que possible, il espérait pouvoir se retrouver avec Nicola et discuter de ce qui s'était passé. Mais son ami semblait le fuir malgré son retour et lui semblait de plus en plus inaccessible. Les choses lui échappaient et il détestait cette sensation.