C'est quoi ce délire ?

- On se pose ici ? ronronna Madenn.

Il ne savait pas du tout depuis combien de temps ils volaient, une minute, une journée entière ? Depuis qu'il était au courant de ce qui se passait dans son pays, en Keven, il ne savait à peu près rien à part qu'il n'était pas là-bas. Il était triste, ce qui se traduisait chez lui par une plus grande difficulté que jamais à s'ancrer dans le présent et une exceptionnelle raréfaction de ses sourires, non par une morosité vraiment marquée du point de vue de la plupart des gens. Faust l'aidait aussi parfaitement qu'il le pouvait, c'est-à-dire qu'il lui rappelait le jour, l'heure, ses obligations quand c'était nécessaire et pendant toutes ses heures de libre, restait à ses côtés... ou l'emmenait voler. Comme aujourd'hui, dimanche, le ciel irrésistiblement bleu et le petit vent doux pour la saison paraissaient s'y prêter à merveille, ils avaient opté pour la dernière option.

Ils n'avaient jamais beaucoup volé ensemble jusqu'à présent. Pourtant, cela faisait... oui, ça faisait bien au moins cinq ans qu'ils se connaissaient. Il est vrai que Faust était un dragon de terre. Leur tempérament à tous deux était contemplatif. Ils s'étaient bien souvent satisfait de rester l'un à côté de l'autre pendant des heures à regarder autour d'eux, sans rien faire ni rien dire. Pourtant, Madenn aimait bien voler quand même. Même si, techniquement, il montait de manière exécrable. Il avait tendance à oublier tout naturellement de se tenir. Il n'était pas bien sûr, mais il devait déjà être tombé plusieurs fois durant cette balade. Plus de cinq fois, non ? Enfin, peu importe. Faust le rattrapait toujours. Sa confiance en lui était absolue, du moment qu'il était là, il se sentait aussi en sécurité que s'il était allongé dans son lit. Puis, c'était rigolo, la sensation de chute libre.

- C'est le refuge des dragons de feu, ici, Madenn.
- On pourrait aller voir ?

En guise de réponse, le dragon vert piqua vers le sol, près d'une source. Des rafales d'air chaud fouettèrent le visage de Madenn. Il se laissa tomber négligemment, abîmé dans ses pensées, avant que sa monture ait eu le temps de se poser. Et, en tombant, il se fit mal. Je vous rassure, cet accident est bien aussi bête qu'il en a l'air. Beaucoup d'autres dragons auraient engueulé ou charrié ou au moins fait une remarque à ce coéquipier aux abonnés absents. Pas Faust. Il se contenta de s'en amuser intérieurement, sans méchanceté, comme il s'amusait d'à peu près tous les humains et les dragons et inclina la tête d'une manière qui invitait Madenn à dire s'il s'était blessé. Entre eux, ils ressentaient rarement la nécessité d'employer des mots. Briac eut un geste vers son pied gauche, qui lui faisait très mal, une entorse peut-être, et sourit pour indiquer que ses jours n'étaient pas en danger. Puis il s'intéressa à la source, prêt à y tremper le bout de ses doigts pour voir jusqu'à quel point l'eau était chaude. Grâce à son pouvoir et à certaines choses sur les herbes médicinales qu'il connaissait, il pourrait toujours commencer à se soigner plus tard. Rien ne pressait. Totalement absorbé par l'eau, dont la nouveauté excitante parvenait à le distraire de son chagrin et qui déjà commençait à lui ramener un sourire aux lèvres, Madenn ne vit pas ce que remarqua Faust : un colossal dragon de feu qui se rapprochait d'eux, apparemment accompagné. Faust le laissa venir en le regardant fixement, tranquille, ne ressentant pas encore le besoin de prévenir son allié.

Ah.... Dimanche ! Enfin ! C'était une belle journée qui s'annonçait. Le soleil était à peine à mi chemin de son zénith que Kouraï se trouvait déjà auprès d'Amber. La grasse matinée, ce n'était pas pour aujourd'hui. L'Ignis était partie tôt, apportant même le petit déjeuner à son allié, bien maigre pour son appétit vorace, mais c'était le geste qui comptait. Après quelques vannes sur sa manière de nourrir sa monture, les deux amis s'installèrent confortablement près de la source chaude pour profiter de la quiétude de l'endroit. Les compagnons d'Amber étaient partis en balade et il ne restait presque plus qu'eux à se prélasser dans ces lieux. Bien qu'à l'Académie, les jours étaient plutôt calmes, Kouraï n'en demeurait pas inquiète de ce qui se passait en Keven, elle avait de la famille là-bas... Après l'éclatement des O'Dowd après la mort des patriarches et matriarches, ses nombreux oncles et tantes s'en étaient retournés dans leurs terres d'adoption dont Keven. Bien qu'elle ne fusse pas très branchée famille, cela lui faisait bizarre de se dire que pas si loin d'eux, c'était la guerre. Des affrontements, de la souffrance, du sang … Kouraï sentait son sang bouillir à l'idée d'imaginer les Wyrms s'en prendre à des innocents et certainement plus faibles qu'eux.

Silencieuse, le regard dans le vague et les dents serrées, elle avait tapé du poing sur le sol rocailleux et brûlant du refuge des Dragons de Feu. Amber ne fit pas attention à son geste, il savait, tout simplement. Narthan n'était pas très loin de Keven, il s'était déjà fait quelques petites virées là-bas, se faisant quelques connaissances voire amis. Lui aussi espérait que les rebelles n'aient pas fait trop de dégâts sur le territoire des Dragons de Terre. Il soupira, ou plutôt, souffla fort car de la fumée et quelques flammes lui sortirent de la gueule. Kouraï tourna la tête, amusée de sentir sa chaleur si près d'elle. Pas qu'elle n'y était pas habituée mais elle savait que son allié faisait attention à ses humeurs enflammées en sa présence, ne supportant pas les trop hautes températures à cause de son propre corps anormalement « fiévreux ». Pour palier à la chaleur de la journée, la jeune femme portait des bas en résilles, ses éternelles bottes en cuir, un short foncé ainsi qu'un débardeur blanc, sa tête surmontée d'une casquette de type militaire en tissu marron.

Kouraï sourit à Amber tout en secouant la tête de droite à gauche et il se mit à rire. Même s'ils n'employaient pas de mots, tout était dit. Elle le « sermonnait » et lui, se moquait d'elle. De vrais gamins que ces deux là. Et d'un coup, un bruit sourd, comme une chute, non loin d'eux puis un atterrissage semblait-il. Ils avaient l'habitude de voler et la pose au sol avait un son bien particulier. La jeune femme se leva, attirée par la nouvelle présence et Amber sortit de l'eau brûlante pour la suivre à quelques mètres derrière elle. Pour s'amuser en ayant l'air menaçant, l'allié de l'Ignis déploya ses larges ailes dans un grand bruit tout en les faisant battre. Kouraï s'arrêta quelques instant en soupirant. Il n'était vraiment pas sortable celui-là....

- Amber ….
- Quoi ?! Je sèche mes ailes. Petite sotte.
- Grosse brute épaisse ….
- C'est celui qui dit qui est !
- ….

Ils mirent fin à leur chamaillerie en approchant de ce qui semblait être un … Jeune homme ? Il avait l'air frêle et ses traits était si fins, il aurait pu être une fille que cela n'aurait pas été choquant. A ses côtés se tenait un Dragon plutôt imposant tout en étant plus petit qu'Amber mais sa taille étant des plus respectables. Sa couleur verte trahissait le fait qu'il était de l'élément Terre. Du moins, c'était ce que pensait Kouraï, peut être se trompait-elle. Après tout, il y avait de tout chez les Dragons, plus rien ne la surprenait. Le garçon était penché vers l'eau et la jeune femme ne voulu pas le surprendre en se ramenant derrière lui sans dire un mot. Elle resta à quelques mètres de lui et de son Dragon.

- Hey, ça va ? C'est toi qui viens de tomber ?

Toujours le visage impassible, elle observait ce drôle d'adolescent qui avait l'air d'être à côté de ses pompes. Elle espérait juste qu'il ne s'agisse pas d'un intrus indésirable, auquel cas, il verrait de quel bois elle se chauffe.