L’académie se tenait désormais devant moi. Son grand portail, et sa devise. Bon, j’avais Tanaris derrière moi, qui baillait à pleine gueule et semblait se sentir extrêmement concerné. Incroyable comment il peut être si détendu…Il faudrait que je pense sérieusement à acheter une souris dans les jours qui viennent, afin de le menacer avec pour quant il voudra faire son gros fainéant.
Dans tous les cas, rajustant mon sac à l’épaule et ma lame à la ceinture, je montrais le document qu’on m’avait donné pour que je fasse officialiser mon statut d’étudiant de Lindorm.
Je sentais une certaine appréhension à étudier ici…Déjà, car je serais probablement parmi les plus vieux de ma promotion. Ensuite, car le nom McCallan n’est pas inconnu et que je devrais lui faire honneur. Quand bien même les gens ignorent mon absence de parenté par le sang, il leur est déjà étrange que je devienne un membre de la maison Fulgere et non Ignis. Alors si, en plus, je me révèle incompétent…Ce serait sérieusement la fin.

Le pas assez lourd, traversant l’allée principale sans me retourner, je sentais mon ami, mon allié, qui me suivait en…chantant. Il chantait une chanson idiote à tue-tête, pas besoin de vous la retranscrire. Une bonne vieille chanson de tavernes, comme il semble les affectionner.
Hein ? Vous voulez vraiment savoir ce qu’il chante dans ma tête, en boucle, depuis deux heures ?!
Bah, écoutez-le alors.

« Juste après m’être apprêté, avant de m’aventurer, je m’apprête à préparer mon beau sac d’aventurier… Quels objets dois-je emmener ? Ai-je assez pour m’équiper ? Au moment de tout lister, j’ai bien envie de pleurer… »

Je vous avez dit que ça ne voler pas très haut. Enfin, le hall était en vu et lui vint à poursuivre, m’énervant petit à petit.

« Caaaaaar…
J’ai une épée molle, des bottes qui rigolent, un bouclier rose et bleu, une armure qui craint le feu. J’ai un casque en tôle, une ceinture qui colle, un caillou défectueux, une arbalète pour les vieux.
Et la suite n’est pas mieux… »

Je dois garder mon calme, c’est juste un « chiot ». Lui reste dehors alors que j’entre et prend la direction du bureau du directeur. Bon, je vois qu’il me « suit » grâce aux multiples fenêtres. Mais par pitié, que quelqu’un bâillonne ma chose !

« J’ai des gants débiles, des sardines à l’huile, une cape qui sent le bouc, un chapeau qui me rend plouc… J’ai un arc en laine, un chandail en chêne, un couteau de 20 kilos, une hache pour fendre l’eau…
Et la suite c’est cadeau… »

Arrivé devant le bureau du directeur, j’ai toqué, me frottant les temps histoire de ne pas péter littéralement un plomb. Car voilà, Monsieur entamé la fin de son récital !

« J’ai une bouillotte, une potion de flotte, un parchemin pour vêler, des godasses qui font danser…
J’ai l’anneau magique qui rend alcoolique… Et cet anneau le voici, grâce à lui, je suis i…
- TU VAS LA FERMER TANARIS ?! »

Par la fenêtre, mon dragon me dévisageait surpris que j’ai fini par devenir complètement barge avec sa chanson complètement conne ! Mes nerfs sérieux, mes nerfs !!!
Le truc ? Je crois que, depuis, la porte s’est ouverte sur le bureau du directeur. Oups…

La porte du bureau du directeur s’ouvrit soudainement, et honnêtement, je me suis senti un peu stupide de m’être énervé contre ce crétin baveux tout juste sorti des jupons de sa mère. Encore heureux qu’il n’a pas l’idée de fouiller constamment ma cervelle car là, sérieusement, on serait parti pour une énième dispute stupide et sans fondement.
Me tenant droit, j’hochais la tête pour saluer celui qui dirigé cette institution respectée. Je vins à entrer, fermant la porte derrière moi. Prenant place là où il me l’indiqua, je me sentais redevenir un gamin. J’avais quitté les bancs de l’école depuis tant d’années que je ne me sentais pas à ma place. En fait, depuis que Père accepta de me prendre en apprenti, je n’avais plus mis un orteil dans une institution professorale : pour dire.
Les papiers qui jonchaient son bureau disparurent rapidement, et les mots qui suivirent me firent me sentir encore plus mal à l’aise. Passant ma main dans ma nuque, gêné, je ne pût m’empêcher de me justifier. Surtout que, dans ma tête, je pouvais entendre le ricanement de la bestiole qui se demandait ce qu’il devait chanter désormais. S’il rechante, rien à faire, je le passe au four !

« Oui…c’était moi. Je vous prie de m’excuser cela ne se reproduira plus…Mais, je ne supportais plus les chansons de taverne de Tanaris. Honnêtement, je ne suis pas encore habitué au fait d’entendre un autre parler dans ma tête à m’en donner des migraines. »

Non car bon, la bestiole, elle est bavarde et arrogante et adoooore me rendre chèvre ! Mais évitons de nous étendre sur le sujet...Car je ne peux retenir un grognement alors que Tanaris remet ça avec une chanson parlant de…
Bloquant un instant, je me permis de demander à mon tout nouveau directeur :

« Excusez-moi mais, auriez-vous une idée ou astuce pour que mon dragon arrête de faire des vocalises dans ma tête ? Non, car là, il me chante des hymnes guerriers maintenant….j’en regretterais presque les chansons à boire. »

Pitié, qu’on m’aide à le faire taire car j’en suis déjà à la troisième, et il ne semble pas prêt de s’arrêter ! Là, j’aimerai être devant lui avec un bon vieux marteau pour l’assommer et avoir un peu, beaucoup, de paix de l’esprit.
Inspirant et expirant profondément, je me permis de poser une autre question au directeur. Celle qui me tenait réellement à cœur…

« Outre cela, j’aurais une question concernant le règlement intérieur de l’académie. J’aimerai savoir s’il m’était possible de conserver un travail à mi-temps ? Honnêtement…étudier ici est un honneur mais, je crains que le son d’une forge ne me manque avec le temps…et je ne voudrais pas perdre la main non plus. Aussi, je me demandais si je pouvais toujours exercer en dehors des heures de cours, à la Forge de Milos ? »

Avant d’être un étudiant, je restais un homme qui avait déjà commencé sa vie. Une vie de forgeron en l’occurrence. Je ne me voyais pas tout jeter aux orties, quoique là, de suite, j’aurai bien aimé en avoir sous la main car je sens ma tête se faire lourde. Ouf, il a fini le troisième hymne ce crétin !

« Tanaris… » Grognais-je entre mes dents, alors que l’autre sifflotais toujours.

« Je chante bien, avoue Deux Pattes ! » Me répondit-il, me faisant grincer des dents...

Arthur faisait preuve d'un grand calme pour un natif de Narthan et allié d'un dragon de foudre. Liam savait que le garçon pouvait cependant avoir ses éclats, comme un peu plus tôt, mais étant données les circonstances, le directeur appréciait qu'il garde le contrôle de ses émotions. Il savait ce que c'était que d'avoir toujours quelqu'un dans sa tête, même dans les moments intimes. Il ne pouvait pas le blâmer. Et il l'aiderait s'il en exprimait le besoin, comme il l'avait fait avec les autres étudiants qui lui avaient demandé depuis qu'il était professeur et directeur. Il hocha la tête quand Arthur le remercia et attendit la suite qui ne tarda pas à venir. Il écouta le discours mêlant professionnalisme et passion dans la bouche du garçon et ne put retenir un sourire et un sentiment d'admiration. Cependant, c'était à double tranchant. Arthur avait le potentiel pour être un bon étudiant, décrocher de bonnes notes et sortir parmi les premiers de sa promotion au bout de cinq années. Ou bien, il délaisserait les cours pour travailler à la forge.

*Il est un homme fait, Liam. Laisse-le faire ses choix. Tu ne peux pas tous les contrôler.*

Entendant la voix de Brynn dans sa tête, sage et posée, Liam poussa un profond soupire, alors qu'il réfléchissait à une solution. Celle proposée par le garçon n'était pas mauvaise. Mais tiendrait-il cinq années avec le rythme effréné des cours ?

Il laissa encore le jeune homme répondre à sa dernière question, concernant ses origines. Et la réponse pour le moins énigmatique était loin de le satisfaire. Mais qu'importe. Pour le moment, ce n'était pas le propos. Il hocha donc la tête, montrant qu'il comprenait, et qu'il n’insisterait pas. Puis reprit sur le thème du travail.

-Tu es majeur, et je ne peux pas t'interdire de faire ce que tu veux le weekend. J'écrirais à Sir Milos pour qu'il t'autorise à travailler pour lui en-dehors des cours. Cependant, les cours restent prioritaires, et si je constate que cela se ressent sur tes résultats scolaires, je t’interdirais toute sortie de l'académie. Milos est passé par Lindorm également, et crois-moi, il est intransigeant. Ne le déçois pas.

Cette légère menace sous-jacente était la spécialité de Liam. Il était sympa. Conciliant. Et tous les étudiants pouvaient venir pour lui parler, lui demander conseil. Mais il ne fallait pas en oublier qu'il était le directeur, qu'il avait élu à ce poste et qu'il devait former des soldats d'élites. Remettre les pendules à l'heure était souvent nécessaire en ce lieu.

J’appréhendais. Je sentais mon sang bouillir dans mes veines, j’avais du mal avec l’attente oppressante de sa décision. C’était une part de mon avenir qui se jouait dans cette conversation, mais aussi, une partie de ma dextérité dans le métier. Je savais le danger que nous encourions avec l’approche toujours plus grande des Wyrms. Lui, ce « Frère », ne me permettait pas d’oublier. Mais j’ignorais si je pourrais être à la hauteur comme soldat.
J’ai le sang chaud, et je ne suis pas très en vu des systèmes à hiérarchie. J’aurais du mal à m’y faire…mais surtout, j’aurais du mal à tout plaquer pour ça. Mon exécutoire me tiens à cœur mine de rien.

Il parla, et je sentis un poids en moins se retirer de ma poitrine. Je me sentais rassuré, calmer. Je fermais les yeux, laissant échapper un soupire de soulagement. Je ne m’étais pas rendu compte, mais j’avais presque arrêté de respirer en attendant son verdict.
Rouvrant les yeux, je ne pus cacher le sourire qui illumina mon visage.

« Merci Monsieur ! Je vous promets de ne pas délaisser les cours pour la forge. Je n’oublie pas où se trouve le principal. »

Le passage sur Milos me mettait à l’aise. Qui mieux que cet homme, d’une certaine façon, pour savoir comment gérer devoir et « métier ».
Dans tous les cas, je me sentais enfin serein. Le directeur n’avait pas, non plus, insisté concernant ma famille. L’attention me touchait, surtout que j’étais certain d’une chose : il voulait savoir. Et il ne serait pas le seul à se questionner, au vu du passif des McCallan. Le premier McCallan fulgere…je me demande si je dois en rire, ou en pleurer, tant c’est devenu dérisoire ?
Enfin, j’ignorais si tout avait été dit dans cet entretien. Aussi, me permis-je de demander :

« Y aurait-il autre chose que je me dois de savoir ? »

Je pense que surtout, j’avais besoin de savoir ce qu’il en était pour moi, de rejoindre l’académie, alors même que j’avais un peu plus de la vingtaine. Je dois avoir l’âge d’une majorité d’étudiants en dernière année, pour dire ! Je me sens assez mal d’être une année en dessous…de ma « jeune sœur » d’une certaine façon.
En tout cas, le directeur me mettait en confiance dans son calme et sa réflexion. Et j’avoue que le fait que Tanaris commence à somnoler, et chante moins, aide aussi pas mal !