Nous sommes deux. Depuis le départ, nous avons toujours été deux. Les premiers jumeaux Garcez et les derniers nés de Mère et Père. Nous avions des grandes sœurs, déjà âgée, disparue pour certaine, mariées pour d'autres. Nous avons vécu l'un avec l'autre, toujours, jusqu'à nos six ans. Puis nous avons été séparé, l'une à rejoint l'aile du palais Garcez à Bianca dédié aux femmes et l'autre, l'autre à rejoint les hommes de la famille. Après tout, nous étions jumeaux, pareils, mais différents.
Nous n'avons pas été traités pareil, jamais. Et pourtant, nous étions identique, mais notre genre à fait que nous devions vivre dans deux mondes différents.
Mais avant de vous parler de mon histoire, je vais vous raconter celle de mon frère, ma moitié Alceo Innocente Virgo della Cruz Y Garcez. Il était aussi blond que je l'étais, de grands yeux verts bordés de cils longs comme les blés. Il riait souvent, je m'en souviens très bien, il me tendait toujours la main. Il était doux et prévenant pour son âge. Car on lui avait inculqué qu'un homme doit toujours être droit et juste, qu'il doit respecter les femmes, même si elles ne servent que la famille par leur filiation future. Les femmes sont importantes, mais moins que les hommes. Un peu moins...
Dès qu'il a eu dix ans, Père l'a fiancé, tout de suite, réservant et pariant sur son avenir alors qu'il commençait tout juste à devenir un homme. Les Garcez n'ont que leur nom et leur fortune. Nous avions déjà un pied dans la famille Quinto, alors pourquoi ne pas choisir une cousine éloignée, ou bien une tante des Gorgos, peu importe tant que son nom était prestigieux. L'affaire fut scellée et le destin de mon frère bouclé, juste contre une signature, deux noms apposés sur un bout de parchemin. Juste comme ça. Parce que cela avait été décidé ainsi.
Un jour, lors d'une grande fête on a convié celle à qui il devait se marier, elle était grande, peu affable, la quarantaine, le regard dur et émacié. Elle lui a pincé la joue très fort et a rit derrière son éventail, avant de le pousser dans la soirée, le présentant à tout ce beau monde qui jacassait et se gavait. Il a tenu son rôle de petit homme, du haut de ses dix, son regard était droit, il saluait la main sur le cœur, comme un petit prince. Pourtant quand il est venu me trouver, se glissant dans l'aile interdite, il pleurait. Il pleurait le tout petit homme. On l'avait assit là sur une chaise, les corps se mélangeant entre eux, le corps maigre de cette femme était venu se presser contre le sien, riant à son oreille avant de le délaisser pour rejoindre la masse grouillante et les volutes de fumées qui embaumait les pièces chargées de tapisseries. Chaque murmure se perdait, chaque souffle, chaque chuchotement, chaque effleurement dans ces endroits feutrés qui se voulait discret. Il a grandit trop vite mon petit frère. J'ai séché ses larmes ce soir là et je lui ai soufflé de s'enfuir. Il n'avait rien à faire là. Si on le surprenait, il risquait de se faire punir.
Nous n'avions pas le droit de nous voir, ou très peu et surveillé. Il n'y avait qu'à notre anniversaire que nous avions le droit de sortir tous les deux, de profiter de l'immense domaine de la famille. Nous faisions des courses de chevaux lors de pique-niques donné entre notre honneur. Il riait toujours mon petit frère brisé. Au fond de ses pupilles il savait ce que l'avenir lui réservait, il savait que dans quelques années il devrait faire face à la réalité et assumer le choix que nos parents avaient décidé pour lui. Il devrait se tenir aux côtés de cette femme, cette Gorgo, la combler, lier son destin au sien, pour que nos noms et générations se mélangent.
Ce jour là, nous avons fait la course à cheval. Dans l'immense jardin qui bordait le ciel bleu des îles célestes d'Aéria. Nous étions loin, pour être tranquille, un peu, tout les deux. Juste un peu, un moment de répi au milieu de tout. Un moment à nous.
Ce moment à deux à été le dernier. Car ce jour là, je suis morte. Mon cheval s'est cabré, je suis tombée, j'ai sentis ma nuque se tordre dans un angle douloureux. Mon souffle s'est fait court, j'ai entendu le pas du cheval d'Alceo revenir vers moi, j'ai vu son visage au dessus du mien alors que mon cœur battait à tout rompre. Il pleurait, il pleurait puis j'ai vu ses mains prendre mon visage, baiser mes joues, puis presser mon cou, appuyant là où j'avais déjà mal. Il à appuyer si fort que mon cœur s'est arrêté pour de bon. Le silence m'a envahit mais je n'étais pas triste...
Il m'a déshabillé, retirant ma robe de froufrous en dentelle blanche, puis il a aussi retiré ses vêtements. Il a prit ma robe et l'a enfilé. Elle lui allait comme un gant, il était comme moi, juste moi. Il a serré le corset, comme si il l'avait toujours fait, puis ses doigts ont glissé sur mes paupières pour récupérer un peu de maquillage et il s'est fardé comme il a pu. Il m'a enfilé son costume de soie blanche avec soin, il a mit à chacun de mes doigts ses bagues, sa dague à ma ceinture, puis tout doucement il a tiré mon corps, marchant sur sa robe. Le vent à secouer ses longs cheveux blonds et pendant un instant j'ai cru me voir dans un miroir. Il était beau mon frère, vêtu de mes vêtements, tentant d'échapper à son destin par tous les moyens. Il a gardé dans sa main le foulard rouge qu'il portait autour du cou, puis il a jeté mon corps dans le vide. Les vêtements ont claqué dans le vent, résonnant à mes oreilles et j'ai chuté, chuté, indéfiniment. J'ai rejoins l'océan, mon corps se perdant à tout jamais. Plus aucune trace de notre existence, juste la sienne, sa survie, celle de sa sœur, la sœur qu'il avait décidé d'être. Il est revenu en pleurant après avoir fixé le vide pendant un long moment. Alceo avait disparu, emporté dans le vide, avec pour seul souvenir, ce foulard rouge…
Cela à été dur au début, il a beaucoup pleuré, il fixait ses mains sans comprendre. Il avait perdu ses repères, projeté dans un monde féminin qu'il ne connaissait pas. Il a essayé, il a apprit à agir comme moi, à devenir plus féminine, à moduler les accents de sa voix pour ne pas se trahir. Pendant des mois il a refusé de sortir, de parler, seul quelques esclaves avaient le droit de rentrer pour lui apporter à manger.
Pour mes funérailles j'ai eu droit à un cercueil vide, enfin on enterrait mon frère, pas moi. Moi je suis toujours vivante, tant qu'il me donne vie. Les fiançailles ont été rompue et on lui à pardonner ses excès de rage, ses manières grossières. Les médecins parlent d'un transfert, cela arrive quand on perd un proche, surtout un jumeau. Alors personne ne s'est vraiment posé de question. Il vivait enfermé, étudiant beaucoup. Il voulait quitter cette famille, quitter cet endroit à tout jamais. N'appartenir à personne. On ne parla pas de fiançailles, ma mère et mes soeurs furent tristes de cette perte, mais la roue du destin continuait de tourner. Tout doucement.
Cette paix qu'il avait gagné ne pouvait pas durer, il le savait qu’inexorablement on le fiancerait de nouveau, enfin, qu'on me fiancerait. Alors il se débattit dans ce petit univers clos, il voulait devenir un soldat, pour honorer ma mémoire, enfin, sa mémoire, mais vous avez comprit. Il eut peur d'être découvert, alors il se plia au protocole. Même lorsqu'il rendit visite à la lointaine famille Jung qui visiblement faisait partie de la belle famille de notre sœur Isadora, il fut impeccable. On le força à passer une belle robe et malgré le sourire forcé sur ses lèvres, il se plia aux coutumes, se faisant la plus charmante possible. Mais dés que Père ou Mère avait le dos tourné, il s'enfuyait, courant à travers les champs qui bordait ce pays qu'il ne connaissait qu'à travers les livres et dont il avait apprit la langue de façon mécanique.
Il pleura encore, au milieu des rizières, sa robe trempée, lourde, ses épaules tremblaient. L'orage approchait. Il avait peur, chaque jour, dans ce palais. Il devait tout contrôler, chaque geste, chaque mot et même si cela devenait plus facile avec le temps, l'angoisse pesait dans son ventre. Alors il ouvrit grand les bras à ces éclairs qui fendaient le ciel et il hurla qu'il l'emporte avec lui, qu'il l'emmène loin de là, qu'il le laisse me rejoindre. Mais l'Orage lui répondit et lui rit au nez. Il était bien présomptueux pour un humain de croire qu'un orage pouvait lui obéir. Alors l'Orage pointa le bout de sa griffe et de son immense corps il dansa autour de lui, le trempant jusqu'à la moelle. Inazuma était là. Immense et fier dardant sur lui ses yeux foudroyants.
Depuis ce jour là, où qu'il aille l'Orage n'était jamais loin. Il s'habitua à la pluie, à la foudre, il découvrit le véritable pouvoir de voler, de la liberté, pure et insaisissable. Il était toujours cloîtré dans l'Aile réservé aux femmes, mais il tenait tête. A l'aube de ses seize ans, il décida de passer l'Alliance sans en parler à personne. Juste Inazuma et lui. Si il réussissait, ils pourraient rejoindre Lindorm et être libre, pendant encore quelques années. Il était persuadé que s’il devenait Capitaine d'un Escadron il ferait la fierté de sa famille. Peu importe qu'il soit une fille ou non.
L'épreuve se passa sans trop d'anicroche, sur une des îles de Waterfield. Ayant l'avantage de la météo avec lui, il se blessa tout de même et mélangea son sang avec celui de son compagnon, se dotant d'un don, unique. Il fut reçu à Lindorm et il mit notre père au pied du mur. Il se prit une gifle monumentale, il fut punit, battu pour avoir osé s'inscrire à l'école sans en parler. Mais il tint bon, il prôna faire ça en ma mémoire, que c'était ce qu'Alceo aurait voulut. Il serait un grand Capitaine, respecté de tous. Il serait le major de sa promotion, il rendrait la famille Garcez fière, inscrivant ainsi leur nom aux Panthéons des plus grands dragonniers, pour rivaliser avec les Quintos et les Gorgos. Pour retrouver leur sœur Venecia.
Inazuma n'était pas un dragon millénaire mais il promit de veiller sur la famille jusqu'à sa mort. L'idée était fort plaisante dans l'esprit de notre Père et il céda. Il ne parla plus de fiançailles, plus jamais, pas pendant quatre ans. Et mon frère rejoignit Lindorm. Il était brillant, fort et il excella dans tout ce qu'il entreprit. Chaque année il obtint les meilleurs résultats, jamais il ne faiblit, jamais il ne ploya les épaules. Il laissa tomber les robes, préférant les pantalons, il devint rapidement un garçon manqué, devint la coqueluche des filles de son dortoir et le délégué des élèves Fulgure. La mascarade tenait bon. Et ceux malgré les premiers mois qui furent difficiles. Les douches communes en particuliers, les vestiaires du gymnase, les garçons qui venaient le trouver pour lui déclarer leur amour ou bien juste leur respect. Il marcha dans les couloirs avec fierté, accueillit notre nièce Estefenia avec un regard droit et un léger sourire. Lui qui pourtant n'était pas réputé pour sa chaleur. Mais s’il la trompait elle, alors il aurait tout gagné.
Il tint bon, jusqu'au mois dernier, jusqu'à ce qu'il apprenne que Père lui avait trouvé un bon parti. Un Capitaine lui aussi, le premier né de la famille Quinto, un Quinto avec un jumeau, un Quinto dont personne ne voulait, un Quinto au physique étrange à ce qu’il paraissait, un cousin par alliance. Ce jour là il eut la nausée, il manqua les cours, pour la première fois depuis quatre ans. Il écrivit à notre père, il ne voulait pas se marier, il ne le voulait absolument pas. Mais il n'eut pas le choix...Il allait devoir épouser un homme, alors qu'il en était un, il allait devoir être fort, il allait devoir vivre avec son secret, trouver un moyen, trouver une solution. Mon pauvre petit frère...
Non, il n'était pas un homme, il était Primerosa, il était moi, celle qu'il chérissait dans son cœur, celle qu'il avait achevé pour échapper à un destin qui lui collait à la peau.
Il serait moi, jusqu'à la fin de ses jours, car depuis toujours, nous n'avions été que deux. Lui et moi. Deux genres, mais une seule destinée. Nous étions ce que nous avions décidé d’être....