L’odeur d’encens lui picota les narines et une envie d’éternuer lui remonta le long de la gorge mais aucun son ne sortit de sa bouche. Ejaz se contenta de poser son regard sur l’immense représentation d’Hal-Hamman qui se trouvait au sein du temple d’Al-Khasir. A genoux sur l’épais tapis aux formes géométriques, il posa ses mains sur ses cuisses et inspira profondément en fermant les yeux. Son esprit divagua légèrement alors que les vapeurs de fumée commençaient à lui faire tourner légèrement le crâne. Un homme à la chevelure blanche et courte passa à ses côtés et lui fit un léger sourire, balançant au bout d’une chaîne un encensoir dans un bruit métallique.
Voila bien une heure qu’il était ici à attendre que son frère Nour termine son office. Le temple se vidait peu à peu et pourtant au dehors le soleil éclairait encore les magnifiques colonnes du temple, renvoyait leurs ombres sur les priants assit au sol.
Un frisson lui remonta le long de l’échine car il faisait vraiment frais à l’intérieur des épaisses pierres du temple. Enfin, plus frais que ce que Ejaz avait l’habitude de supporter. Bras nu, il passa ses mains sur sa peau pour se réchauffer un peu et il fit rouler son dos pour s’étirer légèrement. Les muscles de ses cuisses commençaient à le tirer sérieusement, mais il garda un air aussi neutre que possible.
Hal-Hamman, le dieu éléphant était le dieu le plus célèbre de toute la Khi-Saab. C’était le dieu du commerce et de la prospérité. Ejaz n’avait pas vraiment pour habitude de prier ce dieu là, il ne commerçait jamais et sa famille était suffisamment riche pour qu’il n’ai pas à s’inquiéter. Non il était ici car il avait voulu rendre visite à Nour, qui était le grand Ian-Lirira, le chef de tous les temples de Khi-Saab. Une fois par semaine il se rendait dans celui-ci pour continuer à faire son office, comme il l’avait fait pendant de longues années.

Quand il n’y eu plus que quelques personnes dans le temple, son frère s’accroupit à ses côtés et posa sa main avec douceur sur sa nuque pour lui glisser avec sa douceur habituelle :

« Désolé Eji, je ne peux pas rentrer maintenant. Jinnen Lamjed vient de perdre son fils et je dois me rendre dans leur palais pour purifier le corps… » Un sourire un peu triste sur le visage, son frère remua ses doigts et repoussa une de ses mèches de cheveux bleutés pour dégager le visage d’Ejaz. « Vas-tu réussir à rentrer ou veux-tu que je demande un à apprenti de te raccompagner…Tu n’auras pas besoin de lui parler, Louai à fait vœux de silence.. »

De ses grands yeux dorés Ejaz fixa son frère et baissa un peu la tête. La peur l’envahissait, ses bras se refermèrent sur son corps comme pour se protéger et il secoua la tête.

« Non..je…Je vais y arriver…Altaïr..doit m’attendre…devant le palais.. »

Nour le fixa avec un amour infini et baisa son front avant de se relever avec la grâce dont il faisait preuve au quotidien. Lui tendant la main, il l’aida à se relever et rajusta le voile sur la tête d’Ejaz avant de lui glisser en souriant : « Tu es fort Ejaz, petit miracle, tu es plus fort que tu ne crois... »

Le quatrième fils de l’ancien Sultan retint un sanglot et il acquiesça en silence, tournant les talons dans un tintement de bracelets dorés. Ses pieds nus rencontrèrent le marbre froid du temple quand il quitta l’épais tapis, il se retourna une dernière fois pour saluer son frère d’un signe de la main et prendre son courage à deux mains pour affronter le monde extérieur.
Le silence du temple fit place à la cohue du marché et l’air chaud lui fouetta un peu le visage. Se repliant sous son voile, il retrouva la poussière des sols et ses yeux se perdirent sur les arabesques au henné qui dansait sur sa main. Peut être que le tatoueur était encore là ?
Relevant le menton il chercha des yeux l’étal de l’homme aux cheveux rouge mais ne le vit pas. Faisant quelques pas, il pénétra dans le marché et le traversa en partie, se glissant entre les gens pour ne pas les toucher, se cachant dans l’ombre quand la foule était trop dense, attendant sagement que les allées se désencombrent. Depuis quelques semaines, Ejaz sortait de plus en plus, les lettres de son cousin Nathanael lui donnait de la force et il ne voulait plus errer dans le palais de peur de tomber sur Zaïm. Alors il passait de longues journées dans le jardin en compagnie d’Altaïr ou bien à découvrir la vie à l’extérieur des murs du palais.
Avisant un stand de fruit, il vit de magnifique orange et en commanda un petit sachet en papier. Rougissant quand le vendeur lui rendit la monnaie, il trotta jusqu’à un coin à l’ombre, son paquet contre son corps. Il se lançait des défis, il voulait devenir fort. Il fallait qu’il change. Il avait désespérément besoin de sortir de sa zone de confort. Alors il y allait progressivement, s’imposant des requêtes qui sortaient de l’ordinaire.
Epluchant l’écorce d’une orange, il mordit dedans alors qu’il était agenouillé contre un mur et savoura le liquide sucré et acide. Il gardait les autres pour Altaïr, c’était son fruit préféré et les orangers du palais étaient encore en fleur. Il serait sûrement ravi d’en avoir quelques unes.
Léchant légèrement le bout de ses doigts, Ejaz se releva et prit la direction du palais. Le marché commençait à remballer, les vendeurs criaient leurs dernières offres, certains chargeaient les mulets et les charrettes et la cohue se faisait un peu oppressante.

Pressant le pas, il tourna au coin d’une rue et percuta violement quelqu’un. Sous le choc, il lâcha le sachet de papier, ses oranges se répandirent sur le sol et il tomba sur les fesses. Choqué, il sentit sa tête tournée légèrement et il s’empourpra violement avant de relever les yeux pour découvrir la haute silhouette de celui qu’il avait bousculé. C’était un homme, grand, avec de longs cheveux noirs, des yeux rouges qui le fixaient d’un œil impérieux, une stature impressionnante et un tatouage qui lui mangeait une partie du visage.
Paniquant, Ejaz resta assit sur le sol et sentit les larmes lui monter aux yeux. Sa lèvre trembla légèrement et il bégaya : « Je..je suis désolé…Je ne voulais pas..je n’ai pas fait attention..Je..Pardonnez-moi… »

N’osant pas bouger, il détailla l’étranger et remarqua qu’il ne devait pas être originaire de Khi-Saab, ses yeux étaient un peu différent, sa peau et surtout ses vêtements. Déglutissant, il baissa rapidement la tête et entreprit de ramasser ses oranges et de camoufler son visage et ses longues mèches bleutées dans son voile. Puis soudain, dans son esprit, il y eu comme un petit tilt. Cet homme, c’était celui qui l’avait bousculé la semaine dernière…

Ejaz Flora IV El Yakine.
Un prénom composé et un nom à rallonge qui sentait l'argent à plein nez.
Et pour cause, le jeune homme concerné était le troisième fils du défunt sultan de la nation annexée de Kha-Saabi et donc le frère cadet du nouveau sultan. Autant dire qu'il valait son pesant d'or et c'était bien ainsi que Tensui voyait sa nouvelle proie.

La guerre avait été mise sur pause, il y a de ça quelques mois et ça n'avait pas été pour arranger les affaires du pirate. En effet, l'Armée Territoriale s'était désolidarisée et chaque bastion avait regagné sa nation d'origine retrouvant les siens, mais s'occupant également de ramener l'ordre au-delà des frontières avec les Terres inconnues. Il en était de même avec les Escadrons d'Elite, dragons et dragonniers étaient retournés chez eux et même si quelques missions semblaient encore les occuper, ils étaient à présent capables de se concentrer un peu plus sur la défense ... au sein des nations.
Et cela passait , en partie, par la traque des Déserteurs dont Tensui Sawachi faisait parti.
Alors certes, ses cheveux avaient poussés depuis qu'il avait quitté l'Académie, il avait pris un peu plus de muscles, il avait hérité de nouvelles cicatrices et son tatouage s'était bien étendu ... mais cela ne lui permettait pas d'échapper facilement aux recherches de l'Armée.

Alors d'un côté, il devait être prudent pour que l'Armée ne lui tombe pas sur le coin du nez pour le punir d'être un Déserteur.
Et d'un autre côté, cette foutue trêve entachait ses affaires. Les armées étant plus présentes, leurs clients potentiels, eux, se faisaient plus frileux. Foutus lâches
Aussi, pour survivre et surtout éviter de mourir d'un ennui mortel en se contentant de faire du commerce légal, ils en revenaient donc à leurs premiers amours : le kidnapping avec une juteuse rançon à la clé.

Mais ce genre d'opération ne se montait pas au pied levé et si la patience n'était pas la qualité principale du capitaine de l'Adventure Galley, il savait qu'il ne devait pas griller d'étapes pour que son opération soit un succès.

Alors tout d'abord, il s'était trouvé une cible large. Au fur et à mesure de ses voyages, il avait attendu parler de beaucoup de familles fortunées, mais Tensui n'était pas du genre à se contenter de petit. Quitte à monter un kidnapping autant que la récompense soit en conséquence par la suite. Il avait entendu parler de cette famille, de ce sultan qui avait engendré un certain nombre d'enfants, et dont la mort avait beaucoup fait parlé en Khi-Saab.

Ensuite, il s'était renseigné avec plus d'attentions sur cette famille, afin de pouvoir jeter son dévolu sur une proie. Il n'avait gardé que deux hommes de son équipage avec lui et il avait laissé le reste commercer légalement dans les environs. A eux trois, ils avaient surveillé le palais, ils s'étaient mêlés à la populace pour entendre ce que l'on disait sur la progéniture du sultan. Et c'est ainsi que Tensui l'avait repéré ... lui ce fils de sultan qui semblait complètement perdu. Comme un oisillon tombé du nid.

Chaque membre de cette famille, chaque enfant du défunt sultan semblait avoir une place, un rôle à jouer au sein du palais et de ses environs. Tensui avait entendu parlé d'une histoire, d'un conte ou d'une croyance religieuse - il ne savait plus trop - qui parlait des rôles qui devaient être occupés par les enfants du sultan : sultan, soldat, rat de bibliothèque, religieux, et autres joyeusetés du genre. Quoi qu'il en soit son attention avait rapidement été attirée par un jeune garçon aux cheveux bleus. Le troisième ou quatrième fils, il ne savait plus trop, un jeune adulte qui semblait encore être un gamin et qui ne semblait pas savoir quoi faire de ses journées, visiblement lui n'avait pas une place prédestinée à sa naissance. Il semblait pouvoir ce que bon lui semblait ... et le jeune homme ne semblait pas mettre cette liberté à profit.
Peu importe, Tensui avait trouvé sa poule aux œufs d'or.

Une proie facile et pourtant d'un potentiel inestimable.
Le garçon semblait être d'une timidité maladive et c'était avec beaucoup de précautions qu'il s'aventurait à l'extérieur du palais. Il n'avait jamais d'escorte avec lui, tout juste un dragon semblable à un perroquet - tout du moins, du point de vue de Kuro - qui l'attendait généralement à proximité du palais.
Pour s'en assurer, Tensui s'était mêlé à la foule qui flânait entre les différents étals du marché, il avait laissé ses hommes et Kuro observer de loin. Et il s'était rapproché de sa proie. Assez près pour distinguer les détails du voile qui recouvrait les cheveux bleus du garçon. Assez près pour que leurs épaules se percutent. Il avait vu ses grands yeux dorés se lever vers lui, surpris, avant de se rabaisser bien vite comme s'il cherchait quelque chose par terre. Il avait vu la peau légèrement dorée de son visage rougir furieusement, peut-être sous l'effet de la gêne mais surtout sous l'effet de la timidité. Il avait peiné à entendre sa voix tremblante alors qu'il avait bredouillé quelques excuses avant d'hâter le pas. Tensui l'avait brièvement suivi du regard puis il avait continué son chemin. De cette façon, ses hommes et Kuro avaient pu sonder les personnes aux alentours, pour vérifier que personne ne soit en train de veiller à la sécurité du frère du sultan.

Alors enfin le pirate qu'il était put se mettre en action et passer à cette phase qui allait permettre de faire naître à nouveau un peu d'adrénaline dans ses veines : le kidnapping à proprement parler.
L'Adventure Galley était de retour au port, sous bannière blanche, les cales pleines le navire était prêt à décoller. Pendant quelques jours, ils avaient guetté la nouvelle sortie du fameux Ejaz et le bon moment pour intervenir. Il fallait le bon endroit, pas dans une allée trop passante, à un moment de la journée où l'animation ne battait pas son plein.
Et finalement, l'occasion s'était présentée.

Ejaz était rentré seul du temple, il avait flâné un peu parmi les étals que les commerçants fermaient progressivement et Tensui l'avait suivi. De loin. Il avait attendu son heure ... et l'oisillon lui était tombé dans les bras. Ou presque. Au détour d'une ruelle, il avait percuté son torse et était tombé sur les fesses bredouillant déjà quelques excuses alors que les oranges qu'il venait d'acheter s'éparpillaient autour de lui.
Encore une fois, il le vit rougir après que son regard se soit brièvement égaré sur les traits de son visage, puis ses yeux se baissèrent et il commença à ramasser ses oranges. Avant de s'arrêter soudainement. Il l'avait reconnu et un fin sourire étira les lèvres du pirate.
La partie pouvait commencer.

Il se pencha se rapprochant ainsi du jeune homme et referma ses doigts sur une orange, comme s'il était en train de l'aider à les ramasser. Et discrètement, il put lui parler sans élever la voix.

« A croire que c'est une habitude chez toi de bousculer les gens »

Plié en avant, il releva son visage et il put planter ses pupilles dans le regard doré du jeune garçon toujours à terre.

« Malheureusement je ne vais pas pouvoir te laisser repartir si facilement ... Ejaz Flora El Yakine »

Et un sourire carnassier étira ses lèvres.
Il le fixa quelques instants avant de se redresser, bougeant de manière à pouvoir se placer entre lui et la ruelle par laquelle il était arrivé. Il écarta légèrement un pan de sa tunique pour dévoiler la lame qu'il portait à la taille, puis lui indiqua l'autre extrémité de la ruelle à l'opposé de la rue principale.

« Maintenant sois un bon garçon, ne fait pas d'histoire ... et tout se passera bien. Et n'envisage même pas d'appeler à l'aide ... si tu tiens à ta langue »

Maintenant la suite des opérations allaient dépendre de la réaction du garçon.

Du plus loin que remontait sa mémoire, Ejaz avait toujours été un grand timide. Pourtant, Nour lui contait qu’avant, il était un petit garçon souriant, sûr de lui, qui courait toujours partout, intrigué et curieux du monde.
Il se demandait sans cesse d’où venait cette peur de l’inconnu, cette peur et cette méfiance qui bouillonnait au creux de son ventre, lui serrait les tripes et faisait battre son cœur à tout rompre. Mais à force, il avait apprit à vivre avec, s’enfermer dans les murs du palais avait bien fonctionné, mais maintenant que son frère était devenu une gêne, il n’était plus en paix.
Alors, comme à son habitude, il fuyait. Inexorablement il se tendait dans la direction qui lui permettait d’éviter toute situation de conflit. Faire celui qui ne voyait rien, il y arrivait à la perfection. Il préférait oublier et laisser son esprit libre de toute contrainte. Ses rêves étaient sans limite.

Alors quand il percuta l’homme et qu’il tomba au sol, son premier reflexe fut de se recroqueviller légèrement, de s’empourprer et de s’excuser de sa voix claire mais entrecoupée.
Puis il le reconnu, cet homme qui l’avait déjà bousculé une fois. C’était lui qu’il évoquait dans ses lettres et qu’il avait cru apercevoir régulièrement, lui qui l’avait fait s’enfermer dans le palais en se disant qu’il devait sans doute lui en vouloir de ne pas avoir eu le temps de s’excuser.

Les yeux écarquillés, le souffle court, il ramassa ses oranges en tremblant, son esprit vagabondant à mille à l’heure, cherchant comment se faire pardonner. Puis il le vit s’accroupir à son tour et l’aider à remettre de l’ordre dans ses affaires. Un léger soupire de soulagement passa les lèvres du petit-prince avant qu’il ne baisse encore plus la tête et se mette à rougir furieusement sous le commentaire un peu sec de l’inconnu.

« Non..je..je suis..vraiment désolé..Je..ce n’est pas… »

Puis, ses yeux dorés rencontrèrent ceux rouge et terrifiant de l’homme et Ejaz déglutit péniblement. Un frisson de peur lui remonta l’échine et ses mains tremblèrent légèrement. Son nom résonna dans la bouche de l’homme et le prince baissa les yeux. Il savait qui il était, tout le monde le savait, la couleur de ses cheveux ne le faisait pas passer inaperçu, mais les Saabis avaient un respect de la famille royale, jamais ils n’auraient osé lui parler de la sorte. Mais l’homme n’était pas Saabi.
Continuant de fixer le sol avec obstination, il tendit tout son esprit vers Altaïr mais ne rencontra que du vide. Bien sûr, ils n’étaient pas liés, comment le dragon aurait-il pu sentir son malaise ?

Se mordant la lèvre, il rentra la tête dans les épaules et se releva lentement, serrant contre lui le petit paquet d’orange.
Que devait-il faire ? Retourner au temple en courant au risque de se faire embrocher ? Suivre bien gentiment cet inconnu au risque qu’il lui fasse il ne savait trop quoi ? Essayer de fuir et de rejoindre le palais…

Fixant l’homme en gardant la tête penchée, il acquiesça légèrement et fit quelques petits pas pour le dépasser et avancer dans la ruelle désespérément vide. Les anneaux d’or de ses chevilles tintèrent et quand il passa à côtés de l’inconnu, il dut reconnaître qu’il ne ferait jamais le poids face à lui. Il était grand, fort, sa cicatrice sur son nez lui faisait peur, ainsi que ses tatouages qui ne semblaient pas être fait de henné, ainsi que ses manières et sa voix rauque.
Ejaz avait peur, il ne voulait pas avoir mal, il ne voulait pas qu’on lui tape dessus, il voulait juste rentrer au palais et pleurer.
Puis, il repensa aux conseils que Zaim avait tant bien que mal essayé de lui inculquer pendant les cours de défense. Projeter l’adversaire et fuir. Courir le plus loin possible.

Paniquant, Ejaz sentit sa respiration se faire rauque et les larmes lui montèrent aux yeux. Il ne voulait pas faire ça, mais il ne voulait pas obéir. Il voulait qu’on le laisse tranquille. Alors, quand il passa à côté de l’homme, il le bouscula et lâcha son paquet avant de détaler comme un lapin dans la ruelle.
Ses pieds soulevèrent de la poussière, ces bracelets brinquebalèrent et tapèrent fortement contre ses chevilles. La peur lui tordait le ventre, la frayeur dévorait ses pupilles. Il n’avait qu’un but, atteindre le bout de la ruelle et se jeter sur la première personne qu’il verrait. Il n’eu même pas la présence d’esprit de crier, l’homme lui avait interdit. Alors il se contenta de forcer sur ses jambes mais Ejaz n’était pas un grand sportif. Il fit quelques foulées et se tordit la cheville. Il tomba au sol dans un petit cri de surprise et de peur. Se retournant pour voir si l’homme le suivait, il se releva précipitamment, s’empêtrant dans sa ceinture et son voile, son sarouel blanc tâché du sable ocre. Sa cheville le vrilla de douleur et il claudiqua pour atteindre le bout de la ruelle.

Il devait l’atteindre, s‘il l’atteignait, il était libre. Il ne restait que deux trois pas, il tendit les bras et tomba de nouveau pour rouler dans le sable. La douleur le fit pleurer et la peur lui fit trembler les lèvres.

Désespérément, il vit l’homme s’approcher…

Son regard plongé dans celui du garçon, il vit la peur s'installer dans ses yeux et il se délecta de la sensation de puissance que ce sentiment faisait naître en lui.
Il se redressa surplombant sa proie et il le regarda se redresser à son tour la tête rentrée dans les épaules. Tout dans ce corps fin trahissait la nervosité, le manque d'assurance et surtout en cet instant, la crainte qui transpirait par tous les pores de la peau du garçon.
Il le suivit des yeux alors qu'il acquiesçait docilement et se mettait en marche. Un instant, il craignit d'avoir choisi la proie parfaite et qu'il n'ait pratiquement rien à faire, ce fils de sultan lui rendait presque la tâche trop facile. Et Tensui n'aimait pas la facilité.
Il aimait que sa proie se débatte entre ses griffes, il aimait la laisser espérer avant de réduire tout ses espoirs à néant. Un travail aussi bien physique que mental dont il s'acquittait avec plaisir.

Mais Ejaz ne le déçut pas.
Il l'entendit prendre une inspiration plus profonde, trop profonde pour qu'il ne percoive pas le changement. Le garçon se trahissait, mais Tensui avait trop envie de jouer pour faire mourir dans l'œuf l'idée qui venait de traverser l'esprit du garçon. Il le bouscula le faisant à peine vaciller sur ses pieds ... parce qu'il ne faisait clairement pas le poids, et il le laissa prendre un peu d'avance.
Il le regarda détaler se mettant tranquillement en marche prenant même la peine de se pencher pour ramasser le petit sachet d'oranges, ça aurait été du gâchis que de les laisser traîner. La symphonie des bracelets du jeune garçon excitait ses sens et le sourire du pirate s'agrandit alors qu'il accélérait le pas. Il allait s'élancer à son tour lorsque les cliquetis s'interrompirent brusquement et que le petit lapin s'effondra dans la poussière manquant de faire mourir l'excitation du capitaine.

Heureusement le garçon avait un peu de ressources et il repartit tant bien que mal peinant à courir avec une cheville apparemment douloureuse. Pas cassée fort heureusement sinon il ne pourrait plus du tout s'appuyer dessus et ça aurait été ... fâcheux. Tensui n'aimait pas que sa marchandise soit abimée.
Il sentit presque l'espoir et le désespoir du garçon se mêler en lui alors que le bout de la ruelle approchait. Pourtant il ne parvint pas à atteindre sa destination puisque sa cheville céda une nouvelle fois sous son maigre poids laissant l'occasion à Tensui de se rapprocher. Au final, il n'avait même pas eu à courir pour rattraper le garçon, accélérer le pas lui avait suffi. Sa respiration s'était légèrement accélérée, non pas sous l'effet d'un quelconque effort il n'en avait pas fait, mais bel et bien sous l'effet de l'excitation que lui procurait cette chasse un peu ridicule tellement le garçon lui rendait la tâche facile.

« Tu pensais vraiment pouvoir m'échapper ? »

Le ton de sa voix était grave et même s'il était amusé, ça ne s'entendait pas. Son regard rouge s'était légèrement assombri, comme s'il était en colère et il se retint de poser son pied sur la cheville douloureuse du garçon même s'il était tenté de l'entendre crier.
Il vit les larmes remplir ses yeux et dévaler sur ses joues, ce qui l'agaça un peu, il n'aimait pas ça, sa proie perdait ses moyens beaucoup trop rapidement faisant perdre de l'intérêt à leur jeu. En soupirant, Tensui franchit rapidement la distance qui les séparait encore et il se pencha pour attraper le garçon par le haut de sa tunique. Comme il l'imaginait le garçon ne pesait pas bien lourd et se fut sans trop de mal qu'il se redressa relevant le garçon par la même occasion en le tenant toujours par son vêtement sous le cou.

« Pourquoi est-ce que tu pleures ? Je ne t'ai pas encore frappé à ce que je sache »

Oh pour sûr, il n'était pas rassurant, mais c'était de cette façon qu'il allait ancrer à l'intérieur du garçon ce sentiment de peur et de crainte qu'il lui inspirait. Cela lui plaisait de modeler à sa façon les esprits un peu faibles.
Ses doigts toujours refermés autour de l'étoffe précieuse, il souleva un peu trop haut le garçon et le plaquant contre le mur derrière lui, laissant juste le bout de ses doigts de pied effleurer le sol poussiéreux.

« Alors comment on procède Ejaz maintenant que tu es incapable de marcher tout seul ? Il va falloir que je te porte ... c'est la seule solution. Par compte, tu as le choix tu peux être conscient ou ... inconscient »

Il tendit un peu moins son bras laissant le garçon glisser légèrement contre le mur lui permettant ainsi de reposer son pied valide à terre.

« Ah et pour ton information, mes hommes sont postés dans la prochaine ruelle » Il lui désigna d'un mouvement du menton un homme adossé quelques dizaines de mètres plus loin « Alors qu'est-ce que tu décides ? »

La panique envahissait son corps peu à peu, comme un sentiment bien connu, comme quelque chose qu’il vivait quotidiennement. Une peur qui lui rongeait les entrailles. La peur de l’inconnu, la peur qu’on lui fasse mal, qu’on le bouscule et qu’on le fusille du regard, la peur qu’on le rejette et qu’on l’agresse. Ejaz était la douceur incarnée, il ne supportait pas la violence, détestait ouvertement les armes, la guerre et sentait les larmes lui monter aux yeux dés qu’une situation l’angoissait et le mettait mal à l’aise. Il ne savait pas pourquoi, il en ignorait la raison et rien que d’y penser cela le faisait encore plus paniquer. C’était un cercle vicieux dans lequel s’enfermait le jeune homme et à moins de prendre le taureau par les cornes, il risquait fort bien d’y rester prisonnier.
Alors, il avait prit la décision de changer, doucement, petit à petit. Car tout au fond, son cœur rêvait d’espace immense, de lieu improbable et de longue chevauché sur le dos d’Altaïr. Tous les matins il se réveillait avec cet espoir dans son âme, cette envie de découverte, mais dés qu’il posait un pied hors du lit, tout s’évanouissait, son esprit se bridait et il tremblait de peur. Il ne voulait pas croiser Zaïm, il ne voulait pas sortir…

Alors quand il tomba pour la deuxième fois, il sentit qu’il n’était devenu qu’une proie et que le prédateur était bien trop fort pour lui. Hoquetant, il essaya vainement de ramper sur le sol pour atteindre le coin de la ruelle et appeler à l’aide, mais la voix puissante de l’homme le fit se clouer sur place. Oui, il répondait bien à l’autorité, il n’était pas du genre à se rebeller, car il crevait de peur.
Couinant quand l’inconnu lui attrapa le col, ses yeux s’agrandirent de peur et il voulut le repousser, ses mains se posèrent sur le torse de l’homme et il se débattit légèrement. La douleur dans sa cheville le fit se tordre et il hoqueta sentant les larmes dévaler ses joues dans un flot discontinu. Il voulait rentrer chez lui, il voulait retrouver Altaïr, il voulait désespérément se jeter dans les bras de Nour et tout oublier.

Ouvrant grand les yeux quand l’homme lui avoua ne pas l’avoir encore frapper, il se débattit plus fort, pleurant de peur. Il sentit les doigts prés de sa gorge se refermer plus fort sur le tissu et le plaquer brutalement contre le mur de la ruelle. Poussant un léger cri de douleur, il battit des jambes pour toucher le sol et plongea sans le vouloir ses yeux dorés dans ceux rouges de son tortionnaire. Quand il vit que l’homme le regardait aussi, il détourna les yeux, les baissant rapidement, ses doigts se refermant sur la poigne forte qui le maintenait en l’air.

« Que..qu’est ce que..vous me voulez..je…Laissez moi partir.. » Osa t-il souffler alors que son visage virait au cramoisie. Il préféra ne pas répondre à la question, il ne savait pas, il ne comprenait pas ce que l’homme voulait faire de lui. Est-ce qu’il voulait simplement lui faire les poches ? Détachant une de ses mains, il fouilla sa poche et en sortie la menu monnaie qui se trouvait dedans et la donna à l’homme.

« C’est..c’est tout ce que j’ai…Je..je suis désolé… »

Dans un souffle ses pieds touchèrent le sol et il poussa un très léger soupir de soulagement. Mais il n’était pas tiré d’affaire pour autant. Son châle glissa sur ses épaules, dévoilant son visage et ses longs cheveux bleus, ses yeux dorés significatif de la famille du sultan captèrent la silhouette de l’homme plus loin et la peur ressurgit de plus belle. Sa tête tourna légèrement, ses yeux se brouillèrent et il n’osa pas regarder l’homme. Il voulut lui foncer dedans mais pour aller où ? Puis il n’était pas assez fort pour le faire bouger vu la masse de muscle que devait être l’homme.

« Je..je veux juste rentrer chez moi..s’il vous plaît…laissez moi partir.. »

Hoquetant de nouveau, il renifla légèrement, penaud et tremblant de peur.

« Ne..ne me faites..pas de mal…je vous en prie… »

Coincé entre le mur et l’homme, Ejaz sentit le piège se refermer inéluctablement et sentit la panique lui vriller le crâne, gonfler son cœur, une impression de déjà-vu remonta le long de sa gorge, ses joues s’empourprèrent alors qu’il se débattait faiblement. Il aurait voulu hurler mais il n’en eu pas le courage…

Cette fuite, courte et qu'Ejaz sabota lui-même en se tordant la cheville, suffit à Tensui pour réveiller ses instincts de chasseur. Il s'ennuyait lorsque ses cibles étaient trop faciles à menacer, qu'elles se laissaient faire ou qu'elles s'évanouissaient de peur. Au premier abord, il avait pensé que le garçon serait dans l'un de ces cas, mais Ejaz l'avait agréablement surpris en cherchant à fuir, d'une manière un peu ridicule il fallait bien l'avouer, mais l'effort était là.
Aussi fit-il en sorte de ne pas trop le malmener en lui remettant la main dessus allant même jusqu'à lui laisser le choix pour la suite des évènements. Il pouvait rester conscient ou Tensui pouvait l'aider à sombrer dans l'inconscience.
Mais le jeune prince ne semblait pas comprendre le choix, pourtant simple, qui s'offrait à lui. A la place, il continua à pleurer, se débattit encore un peu et lui posa une question des plus stupides que Tensui entendait pourtant à chaque fois "Qu'est-ce que vous me voulez ?". Ne lui avait-il pas déjà donné les éléments suffisants pour deviner ses intentions ? Visiblement pas et le jeune homme aggrava son cas en se faisant les poches pour lui tendre les quelques pièces qu'il avait en sa possession.
Cela aurait pu gravement offenser Tensui, d'ailleurs l'homme qui attendait plus loin se décolla du mur connaissant un peu le caractère de son capitaine. Les doigts toujours refermés autour du vêtement du garçon, il le laissa reposer les pieds au sol et il se mit à rire alors qu'il terminait par lui demander de ne pas lui faire de mal. Il retira l'une de ses mains et obligea le garçon à refermer ses doigts sur sa monnaie. Il se pencha légèrement pour pouvoir planter son regard dans le sien, un sourire amusé aux lèvres.

« Allons Ejaz, fils d'Hakim III, même toi tu sais que tu vaux bien plus que ça »

Il avait presque susurré ses quelques mots se faisant alors bien plus clair sur ses intentions. Il se redressa ensuite, tournant brièvement son regard vers son homme pour lui faire un signe de tête. Ce dernier se décolla alors de son mur, s'éloigna et le capitaine baissa de nouveau les yeux sur son captif.

« Tu comprends maintenant pourquoi je ne peux pas te laisser rentrer chez toi ... tout du moins pas tant que ton frère sultan ne m'aura pas donné satisfaction »

Il le jaugea encore quelques instants, comme pour profiter de sa réaction, puis il releva les yeux comme s'il attendait quelque chose. Et une explosion se fit soudainement entendre une cinquantaine de mètres plus loin tirant un sourire à Tensui et faisait brièvement pétiller son regard. Cela lui rappelait le bruit des canons et pourtant là il ne s'agissait que d'un baril de poudre.

« Allez, c'est à nous »

Sans plus attendre, il relâcha le col d'Ejaz et il se pencha pour se relever deux secondes plus tard avec le jeune homme entre les bras. Il jeta un coup d'œil dans la ruelle et constata que l'explosion avait fait une bonne diversion en attirant les curieux.
Tensui put donc remonter la ruelle dans la direction opposée de l'explosion sans attirer l'attention avant de continuer dans une autre ruelle en avançant d'un pas rapide. Son objectif était simple : s'éloigner du centre-ville et des passants trop nombreux pour se rapprocher de leur destination, l'Adventure Galley qui devait les attendre à l'extrémité du port sous pavillon blanc. L'un de ses hommes les suivait quelques mètres en arrière, un autre après avoir fait sauter le baril de poudre pour faire diversion avant déjà du laisser sa missive à un gamin pour qu'il court la donner au palais. La machine était en route et bientôt Tensui se mit à courir avec son colis dans les bras.

« Vois le bon côté des choses prince Ejaz ... j'en suis sûr que tu n'as jamais eu l'occasion de naviguer sur un bateau pirate »

Il détourna brièvement les yeux de la ruelle dans laquelle ils étaient pour pouvoir lui faire un rapide clin d'œil. L'aventure ne faisait que commencer.

Ses pensées tourbillonnaient dans son esprit, il crevait de trouille et chaque mot que prononçait l’inconnu, le faisait trembler. Il ne comprenait pas, il ne voulait pas comprendre ce qu’il voulait de lui. Que pouvait-il bien avoir à faire de sa pauvre personne, et si peu intéressante ? Encore qu’on s’en prenne à Nour pour sa beauté, à Safa pour son élégance, mais lui, il était le vilain petit canard de la famille, personne ne cherchait jamais à s’approcher de lui.
Sentant les doigts se refermer sur son poing pour enfermer les quelques pièces dans sa paume, il hoqueta comprenant à peu prés où voulait en venir l’homme. Il le kidnappait, pour le vendre ?

Ouvrant la bouche, il se débattit légèrement, mais la douleur dans sa cheville fut trop vive et il couina, tournant la tête vers l’homme plus loin qui s’éloignait.

« Mon..mon frère il..il me déteste..il..il ne fera rien.. » Avoua t-il en pleurant, les regards rivés sur le sol.

L’explosion le fit sursauter et ses pupilles s’écarquillèrent quand il vit de la fumée s’élever en direction du marché. Qui était ces gens ? Que lui voulait-il ?
Ejaz regretta presque la proposition de l’homme quand à être inconscient et il se sentit soulever sans la moindre difficulté. S’agrippant à l’homme, il vit la rue s’éloigner, puis le marché, il ne savait pas où ils allaient, mais il s’éloignait de plus en plus du palais.
Son cœur battit à tout rompre, l’angoisse lui serra la gorge et le fait de ne croiser personne dans les rues pour lancer un appel au secours le fit sombrer dans le désespoir.
Il ne voulait pas partir, il ne voulait pas mourir, il ne savait pas ce qu’il allait faire de lui ? Ses ongles enfoncés dans les épaules du brun, il couina et quelque chose traversa son esprit. Un flash qui tendit son corps entier, ses pupilles se révulsèrent et la peur le fit submerger.
Poussant un cri, il se tortilla et réussit à quitter l’étreinte de l’homme et à tomber sur le sol lourdement. Quelque chose faisait battre son cœur, quelque chose le poussait à s’enfuir, une impression, un souvenir que son esprit avait oublié mais dont son corps se souvenait. Il devait fuir, il ne voulait pas aller sur ce bateau, rejoindre ces pirates. Oh il en avait entendu des histoires sur eux, des pillards, des bourrins sans vergognes, qui buvaient et braillaient, il enlevait les gens pour les vendre, attaquait les honnêtes commerçants, réclamait des rançons.

Ses yeux se firent flous et dans son esprit il n’y eu plus qu’une seule pensé, comme si un automatisme c’était mit en marche, il n’eu qu’une envie. Fuir. Fuir le plus loin possible, sauver sa peau, trouver quelqu’un, courir encore et encore.
Il voyait défiler devant ses yeux un couloir sombre et crasseux, il tombait mais il se relevait, il tournait, il tendit les bras, la rue disparue tout à coup et la douleur dans sa cheville ne fut plus un problème. Il devait s’enfuir. Dans sa vision, il se retournait, il sentait que quelqu’un lui courait après, il criait, il pleurait, il sentait une poigne dans ses cheveux le tirer en arrière. Il ne voulait pas, il ne voulait pas retourner là bas, il ne voulait pas disparaître. Il voulait juste rentrer chez lui.

Ejaz se sentit tirer en arrière, et alors que ses yeux croisaient une nouvelle fois les pupilles rouges de l’inconnu, s’ancrant dans la réalité, il tressauta, il sentit sa conscience le quitter petit à petit, il tendit les bras vers le pirate et tomba à genoux essoufflé l’esprit au bord du gouffre :

« Pardon..Pardonnez moi…. »

Et il s’évanouit contre le pirate.

Il n’écouta même pas les jérémiades de son petit colis qui disait quelque chose sur son frère. Peu lui importait, il les avait observé, il se doutait que le sultan allait payer … sinon il trouverait bien un autre moyen de tirer profit du garçon. Il avait l’habitude.

Il se hâtait en direction du port où les attendait l’Adventure Galley, lorsque son petit paquet décida soudainement qu’il n’allait pas se laisser faire. Peut-être aurait-il du l’assommer pour avoir la paix. A grands renforts de tortillements, il parvint à lui faire lâcher son étreinte et le jeune homme tomba peu élégamment au sol sous le regard un peu contrarié de Tensui.
Visiblement l’instinct de fuite du garçon était rudement développé, puisque malgré la douleur à sa cheville, il parvint à se remettre debout et à filer aussi rapidement que son pied le permettait. Le pirate pesta légèrement, signe que l’agacement commençait à monter en lui, la chasse était terminée, le jeune homme savait qu’il n’avait aucune chance de s’en sortir alors à quoi bon lutter.

Cette fois, le pirate se mit donc à courir, ils avaient assez perdu de temps. En quelques foulées, il l’avait rattrapé et ses doigts se refermèrent sur son vêtement. Il le força à cesser sa course, le jeune homme se retourna et son regard rencontra celui de son poursuivant. Ses grands yeux dorés semblaient presque fous et le jeune homme tomba à genoux s’excusant juste avant de s’évanouir.

Pestant légèrement, il attrapa le garçon sous les bras se retournant brièvement en entendant des pas derrière eux, mais il s’agissait de son dernier homme qui les rejoignait. Alors sans plus attendre, il souleva à nouveau Ejaz, résistant à l’envie de le balancer sur son épaule comme un vulgaire sac de patates, et il le reprit dans ses bras pouvant le faire passer pour un blessé de l’explosion le cas échéant. Ils purent alors reprendre leur course.
Ils ne mirent que cinq minutes pour rejoindre le port, visiblement la nouvelle ne s’était pas encore répandue et lorsque Tensui arriva sur le pont de son navire, son équipage était déjà prêt au départ. Ils ne perdirent donc pas de temps … et un quart d’heure plus tard, ils quittaient le port de Al-Khasir leur précieux colis à bord.

En montant à bord, il avait confié le jeune homme évanoui à l’un de ses hommes lui indiquant où l’installer et lui avait pu donner ses ordres pour qu’ils quittent le port le plus rapidement possible … sans faire de vagues.
Il resta une bonne heure sur le pont, à faire le tour de ses hommes, de son navire s’assurant ainsi que rien n’avait été dérangé au cours de son absence. Et lorsque la côte ne devint plus qu’une ligne à l’horizon, il confia la conduite de l’Adventure Galley à son second. Jusqu’à présent, tout s’était déroulé comme prévu, il n’avait plus qu’à vérifier si leur invité de marque avait repris ses esprits.

Quittant le soleil qui brillait sur le pont, il s’enfonça dans les entrailles de son navire. Comme il l’avait ordonné, Ejaz non pas été placé dans l’une des rares cabines du navire, il était placé dans l’une des cellules situées non loin de la cuisine et de la grande salle où les marins se réunissaient lorsque sonnait l’heure du repas. Il s’agissait d’un lieu de passage, ce qui permettait qu’il y ait pratiquement toujours du monde pour jeter un coup d’œil aux cellules.

L’adrénaline quittait progressivement les veines du capitaine alors qu’il rejoignait les cellules, leur mission avait été un succès et ils n’avaient plus qu’à s’éloigner des cotes à présent. Son travail à lui était fait, même s’il devait encore informé un peu plus précisément son otage de la situation.
Il n’avait pas placé le jeune homme dans une cabine, pour le punir un peu de son excès de rébellion et permettre ainsi à l’équipage d’admirer leur nouvel invité. Pour sûr, le confort était plus que sommaire puisque la cellule était composée de deux murs pleins et deux murs composés de barreaux en métal, et l’intérieur n’était meublé que par une couchette en bois avec deux couvertures. S’il posait des soucis, un seau serait rajouté en guise de latrines.
En arrivant à proximité des cellules, il retrouva Kuro, son dragon qui volait au-dessus du corps encore endormi du jeune prince. Il aurait du s’en douter, le soleil cognait bien trop fort à l’extérieur pour que le petit dragon quitte la fraicheur des cales, et visiblement il était curieux de rencontrer leur « invité ».

« Belle prise n’est-ce pas ? Enfin tu vas voir, on ne va pas trop être dérangé, c’est une vraie poule mouillée »

Et sans plus attendre, Tensui frappa avec une barre laissé à proximité contre les barreaux de la cellule pour réveiller la belle aux bois dormants.

Pourquoi est-ce que courir, fuir de cette façon lui semblait familier ? Pourquoi est-ce que la main sur son épaule le terrifia ? Il y avait ce long couloir sombre et poisseux, il sentait sous ses doigts la crasse collante du mur, il sentait sous ses pieds les grains de poussières se soulever, il sentait les défauts du sol meurtrir la plante de ses pieds, il devait courir, vite, le plus loin possible. Il sentit une main s’abattre sur son épaule et comme dans un écho, il se retourna, il fut incapable de discerner les traits de celui qui courrait après lui mais il ne pu que tomber à genoux essoufflé, il s’excusa et il s’évanouit.

Il n’y eu ni temps, ni conscience, il resta là, à flotter dans le vide de son esprit, saisissant par moment des brides de souvenirs, de rêves et d’espoir. Il vit Altaïr, puis Nour glisser sa main sur sa tête pour le rassurer. Dans son dos Zaïm le fixait avec fureur avant de s’avancer vers lui, Nour s’effaçait et des mains glissaient sur son cou, il se débattait mais les doigts pressaient plus fort sa nuque. Nour continuait de lui caresser les cheveux, puis il y eu un grand bruit quelque chose qui le fit sursauter, qui réveilla sa conscience et lui fit ouvrir les yeux.
Peinant à reprendre ses esprits, il vit une forme noire voleter au dessus de lui, puis il se sentit tanguer. Sa tête se fit lourde et il chercha quelque chose de connu où accrocher son regard mais il ne vit rien d’autre que des planches, des barreaux, des tonneaux amoncelés dans un coin. Poussant un léger gémissement de douleur, il se fixa finalement sur la silhouette rouge de l’homme de l’autre côté des barreaux et reconnu celui qui l’avait abordé et bousculé dans la rue. Puis peu à peu, il comprit là où il se trouvait. Il hoqueta alors que ses yeux se révulsaient, fouillant chaque espace pour trouver un moyen de fuir. Mais il ne vit qu’une couchette en bois, des barreaux et des lanternes qui se balançaient doucement dans un mouvement vas et vient continu.

Se recroquevillant sur la couchette, il colla son dos contre le mur et dévisagea l’homme, ainsi que la forme noire qui voletait. A bien y regarder on aurait du une grosse libellule, ou bien un petit lézard volant. Se mordant la lèvre, Ejaz tira ses longues mèches bleues et se mit à pleurer alors qu’il comprenait là où il était. Il n’osa rien dire, il avait peur, il voulait rentrer chez lui. Mais il sentait bien qu’il n’était pas prés de rentrer avant un moment. Hoquetant, il essuya le coin de ses yeux et demanda timidement mais avec tristesse :

« Laissez moi rentrer chez moi…Je..je vous en prie…Je..je suis inutile je… »

N’osant pas s’approcher, il passa ses bras autour de ses genoux et resta prostré dans cette position alors qu’il ne cessait de fixer la petite créature qui volait autour de l’homme. Il préférait devoir affronter Zaïm plutôt que d’être enfermé ici, plutôt que de subir le regard de cet homme qui lui faisait peur.
Il ne savait pas combien de temps s’était écoulé, il perdait un peu la notion des heures et son ventre gronda légèrement. Se recroquevillant encore plus, il essuya ses larmes sur son visage de porcelaine et cachant sa tête entre ses bras. Il tremblait de frayeur, il avait entendu tellement d’histoire sur les pirates, tellement de chose sordides.

Alors timidement, il releva la tête et demanda avec une petite voix :

« Vous…vous allez me faire du mal ? »

Les yeux remplit de peur et d’espoir, il n’osa pas fixer l’homme et regarda avec obstination le sol à ses pieds.

Accompagné de son drôle de petit dragon, Tensui hâta un peu le réveil de son prisonnier.
Il n’était pas du genre patient, sauf durant les quelques jours ou semaines qui précédaient un enlèvement et durant lesquels il se devait d’observer de loin pour noter les us et coutumes de sa cible. Maintenant qu’il était de retour sur son navire avec son prisonnier, cette patience n’avait plus lieu d’être. Il avait donc fait le tour de son navire, il s’était assuré que tout était en ordre alors qu’ils s’éloignaient de l’ancienne Khi-saab sans encombre, puis il était parti réveiller la belle aux bois dormants.

Il l’observa se réveiller, détailla les traits de son visage, lisant les émotions qui se succédaient à l’intérieur de ce prince qu’il avait si soudainement arraché à son refuge. Il se délecta des émotions qui put lire en lui : crainte, détresse … et cette peur si puissante qui le fit pleurer puis hoqueter.
Ce n’était pas la première fois que Tensui assistait à un tel spectacle et une fois de plus, il n’éprouva pas la moindre compassion. Pas même lorsqu’Ejaz lui demanda de le laisser partir en levant sur lui ses yeux tout humides.

* Fais gaffe à ne pas le laisser seul en dehors de sa cage … tes hommes vont en faire qu’une bouchée *

Kuro continua à voler à proximité de son dragonnier nullement touché par ce regard humide braqué sur lui, alors que Tensui ne daignait pas répondre à la demande de son « invité » de marque. Il réfléchissait déjà à ce qu’il allait faire de lui le temps des négociations avec sa famille.
La plupart du temps, il ne s’embêtait pas, il laissait ses proies enfermées. Ainsi il évitait les tentatives de fuite qui se résumaient généralement à un geste désespéré comme se jeter par-dessus bord, il évitait aussi que l’un de ses hommes se fasse attaquer … mais c’était souvent l’inverse qui pouvait se produire. Après tout, il était bien connu que les pirates n’étaient pas des enfants de cœur et son équipage ne faisait pas exception à la règle.
Il entendit le ventre du garçon grogner, écouta sa question mais ne daigna pas lui répondre tout de suite levant plutôt les yeux sur Kuro.

« Préviens Shefu que nous arrivons quand j’aurais fait le tour avec lui »

La réaction du petit dragon ne se fit pas attendre et une boule d’obscurité apparut soudainement avalant le lézard avant de disparaître. Tensui ne prêta pas attention au spectacle, la cuisine n’était pas bien loin mais il savait que Kuro venait déjà de faire en sorte de se faire mousser devant le petit nouveau au lieu de simplement utiliser ses petites ailes. Attrapant la clé que son second lui avait remise un peu plus tôt, il déverrouilla l’épais cadenas qui entravait l’ouverture de la porte de la cellule puis il ouvrit cette dernière.

« Ça dépendra de ton comportement, après tout c’est parce que tu as essayé de t’enfuir tout à l’heure que tu as le droit à une telle cellule. Allez debout, je vais te montrer un peu les alentours »

Oh bien entendu, il n’allait pas lui dire qu’il avait trop de valeur pour qu’il puisse se permettre de le molester plus ou moins sérieusement. Après tout, il n’était pas dans son intérêt de le blesser, certes ça pouvait mettre un peu la pression sur la famille mais ça pouvait aussi leur attirer plus d’ennuis qu’autre chose. Et puis s’il n’y avait vraiment rien à tirer de la famille, un homme avec ses deux mains était toujours plus utile d’un manchot.

La porte de la cellule était à présent ouverte et Tensui se tenait à l’extérieur attendant que le jeune homme se décide à sortir et à l’accompagner.
Les cellules se trouvaient au milieu du bateau dans les cales non loin de l’escalier central qui permettait de gagner le pont, derrière les cellules se trouvant tout les stocks : tonneaux de poudre, aliments plus ou moins variés, armes, bouteilles et autres joyeusetés, ainsi qu’un coin latrines. A côté se trouvaient quelques rangements qui gorgeaient d’effets personnels en tout genre à proximité des hamacs pour le moment non occupés, tous les hommes se trouvaient sur le pont ou dans la cuisine. C’est d’ailleurs en faisant le tour de l’escalier, qu’on trouvait cet endroit où le prénommé Shefu, leur chef cuisinier auquel il manquait la moitié de la jambe droite, régnait en maître absolu. Et l’avant du bateau se terminait par la cabine du second. La cabine de Tensui se trouvait au niveau du pont à proximité d’une autre qu’il réservait à de potentiels invités de marque.

« Tu auras le droit à cette cellule tant que je le jugerais nécessaire. Si tu te comportes correctement, je reviendrais peut-être sur ma décision »

Il attendit que le jeune homme sorte enfin de sa cellule pour le pousser dans le dos pour le faire avancer parmi les quartiers de ses hommes. Pour sûr, il se serait pas seul puisqu’il allait avoir tout l’équipage comme compagnon de chambre … ça risquait de sacrément changer les habitudes du petit prince.
Il lui fit donc traverser cet amas d’hamacs et d’effets personnels, puis lui intima de monter les grands escaliers qui menaient sur une double porte dont un battant était ouvert donnant directement sur le pont. Là-haut ses hommes s’affairaient à tendre les voiles pour profiter au maximum du vent qui les entrainait loin des côtes de Narthan, d’autres ciraient le pont et si chacun allait certainement dévisager le petit prince lorsqu’il ferait son apparition, la présence de leur capitaine allait les pousser à ne pas s’interrompre dans ce qu’ils faisaient.

Derrière le jeune homme, il le suivit jusque sur le pont poussant ce dernier d’une main dans le dos pour l’exposer aux vents marins. Il était curieux de connaître la réaction de son « invité » face à cet univers totalement nouveau pour lui.

« Bienvenu sur l’Adventure Galley, prince Ejaz »

Sa mâchoire s’ouvrit quand il vit le petit dragon disparaître dans un trou noir et il dû cligner plusieurs fois des yeux pour bien comprendre qu’il venait de s’évaporer. Mince alors ! C’était bien la première fois qu’il voyait un si petit dragon et qui en plus pouvait disparaître de cette façon. Eberlué, il resta un moment immobile avant de reporter son attention sur son geôlier. Il resta recroquevillé sur sa couchette, se demandant ce qu’on allait faire de lui.
Le pirate ne semblait pas disposer à lui dire ses plans, ni même à se montrer légèrement aimable avec lui. Une moue triste sur le visage, il renifla pour ravaler ses dernières larmes, sentant bien que l’homme en face de lui en avait vu d’autres. La lèvre légèrement tremblante, il se mit debout avec difficulté quand la porte s’ouvrit et n’osa pas la franchir.
Il voyait bien que sa cellule se trouvait au beau milieu du quartier des membres de l’équipage, il avait peur, peur de ce qu’il se passerait s’il en sortait ou si au contraire il y restait.

Déglutissant, il posa sa main sur les barreaux et emboîta timidement le pas au pirate, restant dans son sillage et le plus prés possible de lui. Il était le capitaine, il savait que ses hommes ne défierait jamais son autorité, alors il valait mieux faire profil bas. Acquiesçant en silence, il regarda du coin de l’œil toute la soute, détaillant les hamacs, les amoncellements de tonneaux, de cordages, les canons solidement harnaché.
Trébuchant, il faillit tomber en se prenant les pieds dans des cordes qui traînaient, mais il se rattrapa aux grands escaliers et les grimpa rapidement. La main dans le dos le poussa et la lumière lui brûla un peu les yeux.

L’air iodé lui fouetta le visage et l’océan s’étendit à perte de vue. L’immense mat central montait à une cinquantaine de mètre et Ejaz leva les yeux pour le regarder avec admiration. Son visage se détendit légèrement et pendant un instant il se cru dans un roman d’aventure. Il fit quelques pas sur le pont, le bois craquant sous ses pieds nus, ses bracelets tintèrent doucement et il fixa les pirates qui s’affairaient dans leur tâche. Un sourire rêveur sur les lèvres, il s’avança vers la balustrade et fixa l’océan. Au loin l’on discernait encore un peu les côtes de la Khi-Saab, mais elle semblait être à des milliers de kilomètres. Le ciel était bleu, et les dernières mouettes poussaient des cris sous le chant de certains matelots. Se tournant vers Tensui, il le dévisagea légèrement avant de rougir et de fixer le sol en demandant timidement :

« C’est..votre navire ? »

Ses cheveux bleus claquèrent contre son visage, avant qu’il ne lève ses yeux dorés vers un matelot qui grimpait le mat à la seule force de ses bras et de ses jambes pour transformer le pavillon blanc en drapeau noir. Alors ils étaient vraiment sur un bateau pirate ! Admiratif, ses yeux remplient d’étoile, il revit des millions de contes et de gravure lui enflammer l’esprit, il se tourna pour monter avec une rapidité effarante sur le pont supérieur, et comme si il avait toujours connu le bateau, il s’avança vers la barre et la fixa avec intérêt. Comment est-ce qu’on pouvait faire naviguer un aussi grand navire juste avec ce morceau de bois sculpté ? Curieux, il ne fit pas attention et recula pour mieux observer avant de percuter le Capitaine qui arrivait dans son dos. Il bascula sur lui et se vautra littéralement dans ses bras.

S’empourprant comme jamais, il couina, se débattit légèrement sous les rires des autres matelots et voulut mourir foudroyé sur place. A cheval sur l’homme, il rougit et voulut se retirer mais une douleur à la base de sa nuque le fit crier. Ses cheveux étaient empêtrés dans les colliers de Tensui. Sentant les larmes lui remonter aux yeux, il glissa ses mains sur les colliers, essayant le plus rapidement possible de se défaire de lui.

« Je..je suis désolé..je ne..je ne voulais pas je…Ne me frappez pas, je vous en prie.. » Couina t-il en baissant les yeux alors que sa peau frôlait celle de l’homme qui l’avait kidnappé.

Tensui testait son otage apprenant ainsi à le connaître afin de pouvoir anticiper ses réactions futures et surtout planifier sa « détention » au sein de son navire.
Bien entendu, la période d’observation sur le terrain qui précédait le kidnapping lui permettait déjà de récolter certaines informations, puis lors du kidnapping en lui-même le pirate avait l’occasion de se faire une idée sur le caractère de son otage. Etait-il combatif ? Baissait-il rapidement les bras ? Etait-il totalement soumis ou ne ployait-il l’échine que sous une très forte contrainte ?
Son navire avait beau ne pas être ridicule, ça restait tout de même un espace limité et clos en plein milieu de la mer. Il n’y avait pas d’échappatoire, alors Tensui devait être capable de cibler le comportement de son otage pour que tout se déroule sans accros.

Le plus simple, bien entendu, aurait été de laisser le jeune homme croupir dans sa cellule, de le laisser sortir pour qu’il fasse ses besoins et de lui apporter une gamelle pleine une à deux fois par jour. Un peu comme à un chien.
Mais selon la météo et leur destination, les séjours pouvaient être longs, alors Tensui aimait se distraire avec ses otages. Si Ejaz était assez sage, il le lancerait se promener un peu en dehors de sa cellule … s’il était vraiment sage et qu’il le « méritait », peut-être même qu’il le laisserait prendre la cabine à côté de la sienne. Ou bien partager la sienne. Mais avant, le petit prince devait faire ses preuves, même si pour le moment, malgré une maigre tentative de fuite, il n’avait pas absolument pas fait preuve d’un esprit combatif ce qui allait dans le sens de ce que Tensui prévoyait pour lui.

Aussi ne quitta-t-il pas des yeux le jeune homme lorsqu’ils arrivèrent sur le pont. Il l’observa alors qu’il osait s’écarter de lui pour s’approcher de la balustrade. Visiblement il s’agissait de la première fois que le garçon montait sur un navire et ça semblait lui plaire. Cela tira un léger sourire au capitaine qui prit une inspiration un peu plus forte remplissant ses poumons de cet air iodé qui lui avait tant manqué durant ces semaines d’observation.

« Tu vois un autre chef à bord ? »

Il aurait pu répondre d’une manière plus douce, mais ce n’était pas dans ses habitudes. Il est le maître à bord de son navire, l’Adventure Galley lui appartenait. C’était les gains de son premier kidnapping en solo qui lui avait permis de gagner complètement la confiance de son père et ainsi de devenir propriétaire de ce magnifique oiseau des mers.
Il suivit également du regard son homme qui grimpait le long du matelas pour faire battre au vent le pavillon noir et le sourire du capitaine se fit plus carnassier. Il était enfin pleinement dans son élément.

Rabaissant son regard sur le visage de son otage, il vit qu’il n’était pas effrayé contrairement ce à quoi il s’était attendu. Au contraire, le regard du jeune homme semblait pétiller et qui fit remonter la très maigre estime que le pirate portait à son otage.
Avec curiosité, il le regarda filer à toute vitesse. S’il avait lu la peur dans son regard ou sur les traits de son visage, il aurait très certainement fait en sorte de l’arrêter, il n’y avait rien de plus dangereux qu’un animal piégé … aussi chétif soit-il. Alors ce fut tranquillement sans se précipiter qu’il le suivit sur le pont. C’était son second qui se trouvait à la barre et dont le regard se détourna un bref instant de l’horizon pour se porter sur leur drôle de nouveau compagnon.

Il vit Ejaz reculer dans sa direction mais il ne bougea pas n’ayant pas pour habitude de s’écarter devant les autres, c’était plutôt le contraire. Néanmoins le garçon mit un peu plus de force qu’il s’y était attendu et il dut faire un pas en arrière pour retrouver son équilibre. Il n’y aurait pas eu d’incident si quelques cordages n’avaient pas trainés derrière eux, faisant perdre l’équilibre au capitaine qui tomba sur son derrière en pestant brièvement avant que son petit otage ne tombe à son tour, se retrouvant ainsi sur lui.
En temps normal, s’il était tombé tout seul, il aurait grogné et celui qui avait laissé traîner ces cordages aurait eu à faire à lui. Mais Ejaz fit passer la colère du capitaine en se retrouvant maladroitement assis sur lui, les cheveux pris dans l’épais collier de cuir qu’il portait autour du cou. Le garçon bégaya, s’affola en tirant un peu sur ses cheveux avant d’essayer de les démêler frôlant la peau de son torse avec le bout froid de ses doigts. Il alla même jusqu’à lui demander de ne pas le frapper ce qui tira un sourire, pas forcément rassurant, au pirate. Redressé sur les coudes, il ne fit rien pour aider le garçon semblant profiter de l’instant, se délectant visiblement de sa gêne.

« Je ne t’aurais pas cru aussi entreprenant petit prince »

Sa réplique fit rire à nouveau ses matelots et Tensui fit glisser ses grandes mains sur les hanches de l’animal effrayé qu’était Ejaz. Il s’amusa de sa gêne, de son affolement et ses doigts se refermèrent avec force sur sa taille un peu fine lorsque le garçon parvint enfin à libérer ses cheveux et amorçait un mouvement pour se relever.
Les yeux rouges du pirate semblaient pétiller sous l’effet de l’amusement qu’il lui procurait et une petite flamme s’anima en lui. Il se redressa en position assise pour rapprocher son visage du sien le maintenant toujours fermement contre lui.

« Tu penses pouvoir quitter plus facilement ta cellule en me caressant dans le sens du poil » Il rapprocha ses lèvres de son oreille prenant le temps d’inspirer l’odeur du jeune homme « Il se pourrait que ça marche »

Et sans plus attendre, il se redressa. Son bras s’enroula autour de la taille du garçon qu’il plaqua contre lui en se relevant d’un mouvement souple. Ejaz était assez léger pour qu’il effectue la manœuvre sans problèmes. Il profita brièvement du contact chaud de ce corps tout contre le sien et Tensui continua à braquer son regard sombre sur le visage du garçon tout au long de la manœuvre.
Puis soudainement, il le relâcha ne cherchant pas à le retenir s’il perdait son équilibre, son fin sourire séducteur s’évapora et il fixa durement l’équipage.

« Au travail, bandes de fainéants ! On aperçoit encore la côte au loin, allez on s’active ! Et qu’on me range ces putains de cordage ! »

Là, le jeune capitaine Sawachi était de retour.
Il aimait qu’il y ait une bonne ambiance sur son navire, il respectait ses hommes, mais il ne supportait pas les laisser-aller. La côte était encore visible à l’horizon, ils n’étaient donc toujours pas en sureté.
Il observa tout son petit monde s’activer avant de baisser le regard en direction d’Ejaz s’intéressant de nouveau à son otage.

« Alors qu’est-ce que tu penses de tout ça ? »

Et il balaya l’ensemble de son navire d’un geste de la main pour lui spécifier l’objet de sa question avant de lui indiquer de redescendre d'un signe du menton afin qu'il reprenne la direction des cales et de la cuisine.

Le vent dans ses cheveux le détendit un peu. Son corps fut moins raide, et même si il resta sur ses gardes, il se prit à admirer le magnifique trois-mâts sur lequel il se trouvait. Oh des histoires de pirates il en avait entendu, Nour lui avait toujours conté quand il était petit de nombreux contes et légendes d’aventuriers qui naviguait sur les flots à la découverte de nouveaux mondes, de nouveaux dragons, affrontant des génies, des géants, des créatures mystérieuses. Au fond de lui, il avait toujours voulut vivre ça, de son propre chef, partir loin de tout et tout oublier. Vivre sa vie comme il l’entendait, sans peur et sans pudeur. Mais hélas, dés qu’il posait le pied hors du palais, il se mettait à trembler, des qu’il était face à des inconnus, il se raidissait et n’avait qu’une envie, s’enfuir le plus loin possible, creuser un trou et s’y cacher.

Alors, même si il resta sur le qui-vive, prêt à pendre ses jambes à son cou si le capitaine décidait sur un coup de tête de le frapper, ou de le balancer à la mer, il se doutait bien qu’il ne serait pas trop mal traiter, il était le fils du sultan et s’il revenait en pièce détachée, jamais les pirates n’auraient leur dû. Mais il préférait arrondir les angles pour éviter de se prendre une raclée. Lui qui ne supportait pas la violence était prêt à tout pour ne pas être blessé.

Reculant pour fixer la barre dans les mains d’un autre que le Capitaine, il percuta quelque chose et s’écroula sur le brun, ses cheveux s’empêtrant dans son collier. Virant au cramoisie, il gesticula pour s’enfuir avant d’être clouer par la douleur sur sa nuque. Gardant les yeux obstinément baissé, il renifla et ses doigts volèrent sur la boucle pour y détacher ses mèches bleutées. Mais trop tard, des mains se posaient sur lui, la voix du capitaine résonna à ses oreilles et Ejaz se crispa. Il serra les poings, les joues en feu.

« Non..je..je ne veux pas..je… »

Ne sachant pas quoi répondre sous les rires des pirates, il rentra la tête dans les épaules et fit en sorte de se dépêcher, bougeant le moins possible. Se tendant sous le souffle prés de sa nuque, il couina et se fit tout petit, n’appréciant pas de se faire renifler et toucher la sorte. Se recroquevillant, il tira sur ses cheveux qui se cassèrent mais qui au moins le rendirent libre. Le capitaine agissait comme Zaïm et cela le rendait peureux, il voulut s’enfuir mais dés qu’il amorça un mouvement pour se lever, les mains sur ses hanches le soulevèrent, il se retrouva plaquer contre le torse bronzé de l’homme. Relevant les yeux pour le fixer, il s’empourpra de plus belle et se débattit, tendant les bras pour lui faire lâcher prise. Il fut lâcher alors que ses pieds ne touchaient pas le sol et il faillit perdre de nouveau l’équilibre. Le bois heurta sa plante de pied et il se rattrapa comme il put.
Quand il fut enfin debout, à peu prés stable, il lissa son haut et tira sur sa mèche de cheveux bleu, détournant son regard et mettant une certaine distance entre lui et le pirate. Il ne voulait pas qu’on le touche, il détestait ça.
Jetant un regard en coin à l’homme, il se mordit la lèvre et croisa les bras sur sa poitrine comme pour se protéger. Instinctivement, il avait eu envie de lui mettre une gifle, de le mordre, de le griffer pour lui faire lâcher prise, mais Ejaz c’était contenu. Il n’y avait que le dialogue qui pouvait mettre fin à toute situation. La violence ne résolvait rien.

Hoquetant, se sentant un peu sale suite à ce contact, il frotta ses bras avec ses mains, et se crispa quand la voix forte du pirate résonna pour crier sur ses hommes. Courbant le dos, il s’attendit à s’en prendre une, mais au final ce ne fut qu’une simple question qui lui fut posé.

« Je… » Baissant la tête, il ne sut pas vraiment quoi réponde. Il inspira profondément, respirant l’air marin, avant de relever les yeux pour oser le fixer pendant quelques secondes. « C’est un fameux trois mât, fin comme un oiseau… »

Il ouvrit la bouche pour en dire plus, mais il se ravisa, le Capitaine n’en avait sûrement rien à faire de son avis. Alors il suivit les indications et descendit sur le pont inférieur pour quitter à regret le soleil chaud de Narthan. Un frisson lui remonta l’échine et il s’ébroua légèrement quand la fraîcheur des cales l’engloutit. Il resta en bas de l’escalier attendant que le pirate le dépasse et de lui emboîter le pas. Déglutissant, il dansa d’un pied sur l’autre et tendit les doigts pour les refermer sur la tunique rouges de l’homme.

« Capitaine, je…. »

Rougissant encore plus, il fixa le sol et couina doucement : « Je…Je ferais tout ce que vous voulez, je laverais le sol, je ferais la cuisine, je ferais de la couture, si vous avez besoin de quelqu’un pour grimper quelque part, je le ferais…mais…s’il vous plaît, pouvez-vous…ne pas..me toucher..je..je déteste ça… »

Ses mains se tordirent, ses doigts de pieds se contractèrent et il n’osa pas regarder en face. Après tout, ça ne serait pas bien compliqué que l’homme ne le touche pas, ils étaient deux hommes, et même si son frère avait déjà essayé de l’embrasser, il ne comprenait pas qu’on puisse vouloir de lui dans ce sens là. Alors il resta là, à attendre la promesse, essayant de calmer les battements de son cœur et ce frisson qui ne le quittait plus.

Visiblement le petit prince n’aimait pas être touché, ou alors se contentait-il de jouer la vierge effarouchée à cause des moqueries de ses matelots.
Quoi qu’il en soit, Tensui sentit perceptiblement la tension de ses muscles alors qu’il posait ses mains sur lui, rapprochant son visage du sien et qu’il humait son odeur presque trop propre. Lorsqu’il l’eut remis sur ses pieds, il le vit clairement s’éloigner de lui mais pas trop non loin … parce qu’il était cerné de toute part. Cette attitude titilla sa curiosité et l’heure n’était pas encore aux questions, puisqu’il prit d’abord le temps de remettre ses hommes dans le droit chemin. Ils pourraient se lâcher lorsqu’ils ne distingueraient plus la cote à l’horizon.
Lorsqu’il fut sûr que tout le monde retournait au travail, il reporta son attention sur son petit camarade lui faisait signe de rejoindre les cales où Shefu devait les attendre. En chemin, il interrogea le jeune homme sur son navire, sa fierté et la réponse d’Ejaz fut des plus hésitantes pour se révéler finalement sans intérêt. Visiblement il n’arrivait pas à dire ce qu’il pensait ce qui ne correspond pas avec la réaction qu’il avait eut un peu plus tôt en sortant des cales. Il avait bien noté l’empressement avec lequel il avait gagné la balustrade puis le poste de navigation, et ça ne correspondait pas avec la réponse bredouillée à laquelle il venait d’avoir le droit.

Peu importe, il poussa un peu le garçon dans le grand escalier qui redescendait dans les cales quittant l’air iodé pour retrouver l’odeur de renfermé, de cuisson et d’humidité qui régnait en bas. Il passa devant lui en bas des escaliers et il prenait la direction des cuisines, cette partie des cales que le jeune homme n’avait pas encore découverte lorsqu’il sentit une pression sur sa tunique qui le fit se stopper.
Tensui se stoppa et se tourna vers Ejaz qui bredouilla encore, la lumière provenant du haut des escaliers lui permit de remarquer la rougeur qui s’installa sur ses joues ce qui attisa un peu plus la curiosité du pirate. Et l’étonnement du capitaine grimpa d’un cran lorsqu’il osa enfin lui avouer ce qu’il pensait.
Il lui proposa de jouer le serviteur … à condition qu’il ne le touche plus. Une demande plutôt singulière qui étira les lèvres de Tensui en un sourire mauvais.

« Le soucis, Ejaz, c’est que sur l’Adventure Galley … c’est moi qui donne les ordres »

Il n’avait pas haussé le ton, mais sa voix n’était pas douce, il n’arrondissait pas les angles, il disait directement ce qu’il avait à dire. Et encore Ejaz pouvait s’estimer heureux, Tensui ne s’énervait pas.
Pour appuyer ses dires, il l’attrapa par le menton puis lui faire relever les yeux sur lui, l’obligeant ainsi à ancrer ses grands yeux dorés dans les siens, lui qui baissait ou détournait les yeux à tout bout de champ.

« Alors je veux que tu laves le pont, tu le feras. Si je veux que tu récures les latrines, tu acquiesceras et tu iras bien gentiment le faire sans rechigner. JE suis le prince de ce navire … » Il rapprocha son visage du sien, les yeux toujours plantés dans les siens, jusqu’à sentir son souffle sur sa peau mais il s’arrêta avant de le toucher. Le tout en resserrant sa prise sur sa mâchoire pour qu’il ne puisse pas lui échapper « Alors s’il me prend l’envie, au cours de la traversée, de faire de toi mon compagnon de chambre, je le ferais »

Il resta ainsi encore quelques brèves secondes, pour s’assurer que le message était bien passé et pour lui laisser le doute quant à ce qu’il pourrait lui faire. Puis il le relâcha brusquement et se redressa reprenant la direction de l’arrière du grand escalier où se trouvait la cuisine.
Un petit bar séparait quelques fourneaux et un homme d’une quarantaine d’années, les bras marqués par les cicatrices, la moitié de la jambe droite remplacée par une jambe de bois, d’un espace occupé par quelques tables et des bancs.

« Shefu, je te présente notre nouveau trésor. J’espère que tu lui as préparé quelque chose de bon pour son premier repas à bord »

L’homme jeta un coup d’œil au garçon avant de se retourner en grognant vers ses fourneaux et bientôt deux assiettes fumantes de ragout furent déposées sur le bar avec des couverts.
Tensui les saisit en remerciant son homme avant de se rapprocher d’une table.

« Profite, au fur et à mesure de la traversée, il y aura de moins en moins de bonnes choses »

Pourquoi n’aimait-il pas être touché ?
Il ne savait pas vraiment, son corps entier réfutait tout contact. Il n’y avait vraiment que dans les bras de Nour ou Safa, qu’il arrivait à se laisser aller, à savourer le contact d’une peau contre la sienne. Depuis que Zaïm avait frôlé son bras, son torse, baiser ses lèvres, il se trouvait sale. Il avait beau laver sa peau, se parfumer, mettre des onguents, il sentait encore la brûlure. Elle s’insinuait dans chaque pore, se diffusant pour gagner son torse et l’empêcher de respirer. Nathanael lui avait pourtant dit que ce n’était en rien sa faute, qu’il n’était pas sale, mais Ejaz n’avait jamais été très à l’aise avec les choses « corporelles ». Zaïm était déjà marié, et avait été plutôt du genre précoce, dans le Harem il en avait aperçu des choses, mais il avait toujours fuit, le rouge aux joues, essayant de calmer les battements de son cœur.
Cela ne l’avait jamais vraiment attiré, il n’avait jamais vraiment comprit cette obsession, ce désir que certains pouvait avoir à conquérir une femme, ou même un homme. Non, il ne comprenait pas ce qu’il y avait d’agréable à devoir se coller contre quelqu’un, à devoir poser ses lèvres dans des endroits sale, à toucher des endroits gênants.
Zaïm et Haris avait bien essayé de lui présenter des futures épouses potentielles, mais il ne trouvait jamais rien à leur dire, finissait toujours par s’embrouiller dans ce qu’il disait avant de s’enfuir en courant. A celle des femmes, il préférait la compagnie de ses livres, d’Altaïr ou encore du ciel bleu qui le faisait rêver. Pourtant, s’il reconnaissait ouvertement le besoin de procréation d’un homme envers une femme, l’attirance entre deux hommes lui était totalement floue et superflue. A quoi cela pouvait-il bien servir ?

Cette question lui traversa l’esprit quand le Capitaine lui saisit violement la mâchoire, pressant ses joues avec ses doigts, lui annonçant qu’il ferait de lui ce qu’il voulait. Ses yeux dorés fixèrent les pupilles rouges avec curiosité puis étonnement et ensuite avec crainte. Il voulut reculer, mais la poigne était bien trop forte. Sur la pointe des pieds, il baissa les yeux, rouge de honte avant de reculer précipitamment quand il le relâcha.

Ejaz trembla légèrement et l’idée de devoir être le compagnon du pirate le terrifia. Il se fit tout petit et chercha des yeux une quelconques issues, un trou où il pourrait se cacher pour toujours, qu’on l’oubli et où il serait tranquille. Loin de tout ce qui lui faisait peur, car la peur lui crevait le ventre. Il ne connaissait personne, il voulait rentrer chez lui et se fourrer dans les draps de soie et de cachemire du palais, manger des fruits à outrance et rêver à longueur de journée.

« Je… » voulut-il dire, mais il se ravisa et emboîta le pas au brun, pénétrant dans la petite cuisine. Ses pas se stoppèrent net quand il vit l’apparence assez hors norme du cuisinier et se demanda si il finirait en hachis s’il essayait de s’enfuir. Restant prés de la porte, le dos droit, il préféra ne pas trop attirer l’attention. Au final, ses yeux se perdirent un peu sur le Capitaine, et il remarqua enfin que ses cheveux masquaient un tatouage sur sa tempe. C’était bien des pirates, cela devait être terriblement douloureux. Fixant ses dessins au henné sur ses avants bras, il poussa un léger soupir et se glissa en longeant les murs à la table du pirate, l’odeur du ragoût lui titillant les papilles.

« Mer..merci.. » dit-il en s’asseyant du bout des fesses sur un tabouret. Ejaz regarda la propreté de la cuillère en bois avec un air circonspect et la trempa dans l’assiette pour avaler sa première bouchée.

C’était…surprenant. Ni bon, ni vraiment mauvais, c’était un peu gras, loin des plats sucré-salé du palais. C’était épais, quelques morceaux de viandes se battaient en duel avec des pommes de terre pas assez cuite et des carottes molles. Pourtant, Ejaz continua de manger, avalant rapidement les cuillères dans un silence religieux. Quand il sentit son ventre se gonfler un peu, il mit sa main devant sa bouche et lâcha un rot sonore comme il était de coutume dans son pays à chaque fin de repas pour signifier qu’on avait bien manger.
Son visage clair se tourna vers Tensui et il le dévisagea légèrement, captant la couleur de ses yeux, la longueur de ces cils, les plis de ses moues. Il remarqua un tatouage qui se dessinait sur son torse, des arabesques comme pour son œil. Grignotant une tranche de pain, il demanda timidement :

« Ca…vous à fait mal…vos tatouages ? Enfin..ils sont très gros…Je.. » Se triturant les mains, il baissa les yeux, se trouvant un peu idiot d’essayer de faire la conversation avec son geôlier.

Il avait bien remarqué les différents sentiments qui avaient traversé les yeux dorés de son petit compagnon lorsqu'il avait mis les choses au clair avec lui ... en l'intimidant un peu, certes. Curiosité, étonnement puis crainte. Visiblement, il ne semblait pas familier avec le fait qu'un homme pouvait en désirer un autre.
Cela promettait une traversée riche en émotions pour le jeune prince.

Enfin les choses avaient été mises au point, alors Tensui termina la visite de son navire en présentant Ejaz à un personnage : Shefu, leur cuisinier qui leur servit un repas digne de ce nom. Tensui s'assit à une table avec le jeune prince. Observant toujours les réactions de son jeune "ami" dans le but de mieux le cerner, mais surtout pour s'amuser de ses réactions si décalées par rapport au lieu dans lequel ils se trouvaient, il entendit sa réaction à la suite de sa première bouchée avant d'entamer sa propre assiette.
Il ne savait pas trop à quoi s’attendre de la part de celui qui lui faisait face : il pouvait très bien refusé de manger parce que c’était trop mauvais par rapport à ce qu’on servait à son altesse au palais, ou il pouvait manger silencieusement en se faisant aussi petit que possible. Un peu ce qu’il avait fait depuis qu’il était arrivé.

Mais en tout cas, il ne s’était clairement pas attendu à ce que le petit prince lâche un rot sonore lorsqu’il eut fini son assiette. Tensui interrompit son geste alors qu’il s’apprêtait à porter une dernière cuillère à ses lèvres et ces dernières tressautèrent.
C’était plus qu’étonnant qu’une personne aussi « précieuse » puisse sortir si naturellement un tel son et en reposant sa cuillère pour éviter d’en mettre partout, le capitaine de l’Adventure Galley se mit à rire incapable de se retenir. Ce ne fut pas un rire bruyant à en déranger les rats cachés un peu plus loin dans les cales, mais un rire franc que Tensui retint presque. Il aurait très certainement fait une remarque si le jeune homme ne lui avait pas coupé l’herbe sous le pied en lui posant une question sur ses tatouages.

Oublié le jeune homme « sans gêne » que Tensui venait d’entrapercevoir, le petit timide qui se tordait les mains était de retour, visiblement gêné par son propre culot pour avoir posé une telle question.
Tensui n’avait pas pour habitude de se regarder dans un miroir tous les matins, mais il savait que ses tatouages étaient voyants. S’il n’avait pas laissé pousser ses cheveux, celui sur son visage serait visible de tous en tout instant … mais ce n’était rien par rapport à ceux qui recouvraient pratiquement intégralement son torse et son dos.

« C’était ... supportable. Mais c’est bien celui-ci qui m’a donné le plus de mal »

Il glissa son doigt sur sa tempe écartant un peu sa mèche de cheveux pour dévoiler l’arabesque. Oh oui pour sûr ses séances de tatouage n’avaient pas été une partie de plaisir, surtout lorsque Ren s’était attaqué à l’intérieur de ses bras et à ses côtes, mais ils avaient une telle signification pour le pirate qu’il avait serré les dents. Ils étaient une partie intégrante de ce qu’il était, il les avait souhaité et prolongé le long de son corps au fur et à mesure de sa montée en grade.

« Et encore tu n’as pas tout vu … je peux te montrer si tu le veux »

Il fit un rapide mouvement en direction de sa tunique légèrement ouverte sur son torse, de haut en bas, tout en lui faisant un clin d’œil en se penchant légèrement au-dessus de la table pour rapprocher son visage posant son coude sur la table pour y déposer son menton. Il est vrai que son vêtement laissait deviner le commencement de ceux sur son torse et l’extrémité sur ses avant-bras, mais son torse, son dos et ses cuisses n’étaient pas visibles.
Puis il fit un bref mouvement du poignet en direction ses mains colorées par le henné.

« Mais c’est sûr c’est plus douloureux et ça dure plus longtemps que tes mignonnes petites décorations »

Alors oui, clairement là il se foutait de lui.

Le rire clair du Capitaine fit sursauter Ejaz et il le fixa en clignant des yeux. Avait-il fait quelque chose de drôle ? Le regardant d’un air circonspect, le Saabi finit son assiette sans trop oser lui demander pourquoi il riait.
Il se sentit terriblement idiot sous le regard du pirate et au final cela le rassura presque. Le prince avait l’habitude qu’on le regarde comme si il était un parfait imbécile, ou qu’on ne le regarde pas d’ailleurs. Comme il ne parlait pas beaucoup et rougissait aux moindres remarques, les gens avaient tendance à penser qu’il était un peu simplet. Ejaz n’avait jamais rien fait pour prouver le contraire. Il préférait que les gens le délaisse et le laisse vivre sa vie dans son coin que de devoir supporté leurs conversations trop compliquées, leurs protocoles, leurs avis sur la politique de Narthan, chose dont il n’avait vraiment rien à faire.
Au fond de lui, il se dit que peut être le Capitaine le trouverait idiot et le laisserait tranquille dans un coin le temps que son frère paie la rançon. Si toutefois Zaïm acceptait de la payer, peut être qu’il le laisserait ici, le pays porterait le deuil du Quatrième disparu bien trop tôt, il deviendrait un martyr et l’on se souviendrait de lui. Pas qu’Ejaz veuille qu’on se souvienne de lui, il souhaitait même plutôt qu’on l’oublie, mais connaissant son frère, il devait déjà retourner la situation pour que cela tourne à son avantage. Le sultan lui avait toujours dit qu’un jour il trouverait une utilité à l’existence d’Ejaz, peut être que la finalité était là, servir d’exemple et pouvoir lutter plus férocement contre la piraterie. Peut être…Il serait de toute façon fixé dans quelques semaines !

Relevant les yeux, il demanda si les tatouages du Capitaine lui avait fait mal. C’était sans doute une question idiote, car oui, vu leur taille, il avait dû falloir endurer beaucoup de souffrance pour y parvenir.
Dévisageant le dessin sur la tempe à l’encre noir, ses yeux s’ouvrirent en grand, comme émerveillé. Oui cela devait être très douloureux. Pendant un instant il salua le courage du pirate, l’admira et se pencha en avant pour essayer de voir les autres alors que le Capitaine lui indiquait en avoir d’autres sous ses vêtements.

Il ouvrit la bouche pour dire que oui, il voulait les voir puis se ravisa. Il reposa ses fesses sur la chaise et rougit un peu. Il ne savait pas vraiment si c’était une bonne idée de donner son accord quand au fait que le pirate pouvait retirer ses vêtements devant lui. Il plissa toutefois ses yeux essayant d’apercevoir à quoi il ressemblait à travers les mouvements du brun.

Rougissant violement quand il lui parla de ses décorations, il s’empourpra et se froissa un petit peu. Le pirate n’imaginait pas combien de courage il lui avait fallu pour oser arborer de telles marques. Alors oui ça faisait un peu pâlichon à côté des tatouages du Capitaine, mais Ejaz s’était bousculé pour réussir à les faire faire.
Rougissant, il replia ses bras et les frottas doucement, il baissa la tête penaud.

Le dos un peu vouté, il resta prostré sur sa chaise, fixant le mot « courage » sculpté sur le bras. Il repensa à Rento, il repensa à Altaïr, il repensa au palais, aux bras de Nour, il sentit les larmes lui monter de nouveau aux yeux et il se sentit terriblement seul. Reniflant, il essuya le coin de ses yeux avec le dos de sa main et il se leva un peu brutalement, prés à dire quelque au Capitaine, il leva le doigt vers lui pour laisser exploser la colère qui montait en lui, mais quand il croisa le regard rouge, il sentit sa conviction tressaillir, il déglutit péniblement arrivant finalement à peine à bafouiller :

« Ils..ils sont peut être indolores..mais ils sont..important..pour moi. Ils..ils signifient..beaucoup..de chose…Ne vous …moquez pas…»

Se rasseyant d’un coup, ses jambes se mirent à trembler, ces bracelets tintèrent légèrement et il n’osa pas croiser le regard du pirate. Après ça, c’était sûr, il allait le pendre par les pieds au mat du navire.

Ejaz l'amusait, à son détriment certes, alors même s'il n'était pas capable de s'en rendre compte le jeune prince parvenait à marquer quelques points ... qui pouvaient se révéler cruciaux par la suite en ce qui concernait son confort et peut-être même la finalité de ce kidnapping.
Mais ils n'en étaient pas là pour le moment, il s'agissait tout juste du premier jour de captivité d'Ejaz et Tensui n'en avait pas encore tout à fait fini avec lui.

Il s'amusa une fois de plus avec lui en jouant sur sa timidité et sa curiosité à la fois en lui proposant plus ou moins indirectement un streap-tease ... sachant que le capitaine de l'Adventure Galley faisait rarement quelque chose gratuitement, Ejaz aurait du s'attendre à en payer le prix. Alors même s'il vit l'intérêt briller un bref instant dans le regard du garçon, Ejaz sembla finalement ravaler son approbation et il se rassit en rougissant.
Cela ne fit qu'accentuer le sentiment de supériorité qui animait le pirate en compagnie de son "invité" et un sourire moqueur étira ses lèvres alors qu'il se mettait à taquiner le jeune homme sur les mignonnes peintures qui ornaient ses mains.

Et Ejaz montra, inconsciemment une fois de plus, au capitaine qu'il n'était pas totalement une cause perdue et que sa compagnie pouvait se révéler un minimum intéressante. Il bondit presque sur ses pieds, leva le doigt d'une manière qui accentua le sourire moqueur de Tensui et qui fit briller une lueur de défi dans son regard.
Mais la tentative de rébellion échoua à nouveau misérablement puisque le garçon se dégonfla bien vite baissant les yeux et bredouillant de maigres remontrances à son regard. Et il ponctua cette brève intervention d'un rire tout aussi bref.

« Parce que tu crois vraiment que je vais te prendre au sérieux avec une telle attitude Ejaz fils de sultan »

Déjà debout, Tensui fit rapidement le tour de la table de manière à se retrouver aux côtés du garçon avant qu'il n'ait eu le temps de bondir sur ses pieds. Il l'attrapa par la tunique le forçant sans mal à se mettre debout.

« Reste camper bien droit sur tes pieds lorsque tu affrontes quelqu'un » De sa seconde main, il le tapa pas très fort sur le bas de la gorge « Garde une voix forte et ne bredouille pas, si tu veux que l'on écoute ce que tu as à dire » Puis il lui attrapa la mâchoire pour relever son visage vers lui et ancrer une nouvelle fois son regard dans le sien « Et ne quitte jamais ton adversaire du regard lorsque tu le menaces si tu veux qu'il te prenne au sérieux »

Leçon exprès pour le jeune prince.
Le capitaine de l'Adventure Galley était vraiment trop bon.
Il le fixa quelques secondes avant de soudainement relâcher sa prise sur sa mâchoire et sa tunique, il laissa retomber ses mains et osa les épaules.

« Enfin je ne sais pas vraiment pourquoi je te dis ça, tu sembles vraiment être une cause perdue » Il ne le lâchait pas des yeux pour ne pas perdre une miette de ses réactions avant de désigner la table d'un vague geste de la main « Allez débarrasse-moi ça, il est temps que je te ramène à ta nouvelle chambre »

Etait-il naïf au point de ne pas voir où l’emmenait le chef de ce navire de pirate ? Certainement oui, Ejaz restait quelqu’un de méfiant par nature et pourtant dés qu’on montrait un tant soi peu d’attention pour ce qu’il était vraiment, et non pour son statut de prince, il accordait sa confiance et son optimisme avec un peu trop de précipitation. A vivre à l’abri de tout, il était devenu peureux et terriblement à côté de certaines réalités. Il savait qu’il était prisonnier sur ce navire, qu’aucun cadeau ne lui serait fait, le capitaine le terrifiait, mais il le terrifiait presque autant qu’il l’hypnotisait. C’était un peu comme avec Zaïm, il tremblait de peur en sa présence, quand il lui criait dessus, mais il ne pouvait qu’admirer de loin sa force de caractère, son pouvoir de décision, ce charisme impressionnant qui faisait de lui un être redoutablement captivant. Oh, bien sûr, il lui en voulait encore pour le comportement plus que déplacé qu’il avait eu à son égard, mais comme un papillon agité devant une flamme, Ejaz éprouvait parfois l’envie de le fixer, prisonnier de cette lumière réconfortante, quitte à s’y brûler les ailes.
Le pirate était de ces hommes-là, à dominer par la crainte mais aussi à rassembler avec leur aura presque palpable et d’une force insoutenable. Ejaz était presque fier d’allumer dans le regard de cet homme imposant une flamme de curiosité, de défi.

Ses jambes tressautèrent quand il s’avança vers lui pour le soulever et le mettre debout. Il faillit tomber, mais il resta sur ses pieds, essayant de se camper sur ses jambes avec force. Rentrant la tête dans les épaules sous la voix forte, il baissa les yeux avant de sentir un léger coup sur sa gorge. Relevant le regard, il fut brutalement attrapé. Debout sur la pointe des pieds, il fut obligé de regarder le capitaine dans les yeux, essayant de suivre ses consignes à la lettre. Fronçant les sourcils déterminés il inspira et ne détourna pas son regard. Ses bras se mirent à tressauter, mais il se contint et ses pupilles dorées ne quittèrent pas les orbes rouges du pirate.
Le prince poussa néanmoins un soupir de soulagement quand il le reposa au sol et il posa sa main sur son cœur qui tambourinait un peu trop fortement dans sa poitrine. Cela avait été dur, mais un léger sourire naquit sur ses lèvres. Il avait réussit à darder son regard sur quelqu’un, sans ciller. Bon à peine quelques secondes, mais c’était déjà mieux que rien. Ses mains pressèrent le tissu de sa tunique sur son cœur et il fixa le sol, fier de lui.

Finalement, les mots qui tintèrent à ses oreilles, le firent rougir et il s’écrasa comme à son habitude. Pourtant, après quelques secondes, ses poings se serrèrent et il releva la tête, encouragé par l’adrénaline qui courrait dans ses veines. Ecartant un peu les pieds, il releva le menton, fixant le capitaine du regard. D’une voix presque sans tressautement, il lança :

« Je ne suis pas une cause perdue ! Vous ne savez rien de moi… »

Emporté, il prit les écuelles et traversa rapidement la petite cuisine, il se dirigea vers le bar où se trouvait le cuisinier et voulut les poser. Mais en essayant d’avoir l’air digne et fort, son orteil tapa contre le coin d’une table. Un cri sortit de sa bouche, il lâcha les assiettes et s’étala en avant. Heureusement, les assiettes étaient en fer, mais les restes se répandirent sur le sol. Les larmes aux yeux sous la douleur, il resta assit à se tenir le pied. Il avait horreur de ça, ça faisait tellement mal, couinant et chouinant de douleur, il vit qu’il s’était légèrement ouvert l’orteil et du sang perlait un peu.

Relevant les yeux vers le Capitaine, Ejaz rougit de plus belle, jusqu’aux oreilles et s’empressa de ramasser les morceaux de gras et de légumes qui avaient roulé sur le sol. Se retenant d’exploser en sanglot, il resta à quatre pattes pour se glisser sous les tables et tout remettre dans les assiettes. Essayant de se mettre debout, il s’appuya sur une chaise et claudiqua jusqu’au cuisinier pour lui tendre les assiettes. Celui-ci le regardait avec un sourire aux lèvres et Ejaz détourna les yeux, honteux. Retournant voir le Capitaine, il se posta devant lui, du sang coulant encore de son pied, la couleur contrastant étrangement avec sa peau si claire.

« Je..je suis désolé.. » Bredouilla t-il nerveux. La douleur dans son orteil était telle qu’il avait l’impression que son cœur battait dans sa blessure. Ne pouvant pas poser le pied par terre, il resta dans un équilibre précaire, sa fine silhouette cachée dans la carrure imposante de son geôlier.

Pourquoi avait-il prit la peine "d'enseigner" la leçon de base de la confrontation à ce jeune prince fraîchement kidnappé ?
Peut-être parce qu'il avait pris en pitié la frêle créature qu'il était ? Cet être trop fragile qui pleurait lorsqu'il avait peur et qui suppliait dès que la situation lui échappait.
Peut-être parce qu'il était attiré par son mignon petit derrière et qu'il souhaitait gagner un peu sa confiance pour le faire passer plus facilement à la casserole ? Ce jeune homme si séduisant et pourtant tellement réfractaire aux contacts physiques.
Peut-être parce qu'il avait vu quelque chose qui lui avait plu dans son regard doré ? Une lueur qui lui avait fait espérer que le jeune prince n'était pas un cas désespéré.

Après tout même s'il faisait sa chochotte en refusant tout contact physique, en rougissant et en bégayant pour un rien, Tensui dut tout de même se rendre compte que le garçon n'était pas un cas désespéré. Après tout, il ne le repoussa pas suivant, au contraire, ses instructions alors qu'il lui apprenait à tenir tête à un vis-à-vis.
Mais Tensui, fidèle à lui-même, ne put s'empêcher de souffler sur cette lueur d'espoir en rabaissant bien rapidement Ejaz en déclarant qu'il était un cas désespéré. N'était-ce pas vrai ? Pourquoi devait-il perdre son temps avec lui ? Alors s'il se la jouait défaitiste, c'était une nouvelle fois pour mettre Ejaz à l'épreuve et pouvoir analyser ses réactions.

Et une nouvelle fois, Ejaz parvint à la fois à impressionner un tout petit peu le capitaine de l'Adventure Galley tout en le dépitant par la même occasion. Sans bégayer, il se tint solidement sur ses deux pieds, le menton relevé pour s'opposer à ce que Tensui venait de dire. Une prestation qui aurait pu être parfaite si le garçon n'avait pas trouvé le moyen de se renverser leurs assiettes et le reste de leur repas après s'être cogné l’ortiel contre le pied d'une table.

« Quel empoté »

Paroles soupirées dans lesquelles on pouvait tout de même percevoir une pointe d'amusement. Le cul posé sur le coin d'une table, il le regarda ramassé tout ce qu’il avait mis par terre, ne détournant pas les yeux lorsque Ejaz releva brièvement les yeux sur lui. Il n’esquissa pas le moindre geste pour lui venir en aide le quittant des yeux uniquement pour échanger un regard amusé avec son cuisinier. Et il resta un instant silencieux lorsque le jeune prince vint finalement se positionner devant bredouillant quelques excuses en luttant pour garder son équilibre alors qu’il gardait son pied souffrant en l’air.

« Et bien, y a encore du travail pour faire de toi un homme. Enfin tu n’es pas ici pour devenir matelot alors bon … »

Faisant un signe de tête en direction de Shefu, le capitaine et le cuisinier n’eurent pas besoin de parler pour se comprendre et Tensui n’eut qu’à tendre les mains pour attraper la bouteille d’alcool et les deux petits linges que l’homme lui envoya.
Sans plus de cérémonies, il fourra le tout dans les mains du garçon et il ne lui laissa pas le temps de réagir, il se pencha légèrement et il le souleva comme une mariée. Comme dans les rues d’Al-Khasir.

« Fais pas ta chochote, tu vas mettre trois plombes à regagner ta cellule à cause de ton petit bobo. Pour ton info, Shefu a plusieurs cordes à son arc, il est notre cuisinier et l’infirmier de ce navire … j’ai l’impression que ça ne va pas être ta seule blessure durant cette traversée »

A Ejaz d’interpréter les paroles de Tensui comme il le souhaitait.
Le capitaine pouvait aussi bien sous-entendre qu’il risquait à nouveau de se blesser au vue de la maladresse dont il faisait preuve … ou il pouvait tout doucement être en train de le menacer.
Tout en parlant, il avait déjà pris la direction des cellules son colis entre les bras et il le relâcha sans faire d’histoire lorsqu’ils se retrouvèrent devant la porte ouverte. Il lui reprit un linge et la bouteille d’alcool des mains, il ouvrit cette dernière pour imbiber le tissu qu’il lui tendit ensuite gardant la bouteille avec lui.

« Tu vas être capable de soigner ce petit bobo tout seul, non ? »

Il ne comptait pas lui laisser la bouteille.
Il ne savait pas quelle idée pouvait passer par la tête du garçon, il préférait être prudent.
Il attendit donc que le jeune homme acquiesce et aille s’installer dans sa cellule pour qu’il puisse l’enfermer de nouveau.
La balade était terminée.

Dire qu’il avait presque réussit à faire briller une étincelle de fierté dans le regard du pirate. Mais tout ce qu’il vit s’allumer, s’éteignit presque aussitôt à l’instant où il se vautra misérablement sur le sol. La douleur le fit pleurer, mais il se surprit à sentir toute la frustration et l’impuissance dont il faisait preuve. Il baissa la tête déçu de lui même quand le pirate le traita d’empoté et lui avoua que toute façon il n’était pas là pour devenir un homme, ni même un matelot. Retenant du mieux qu’il pouvait ses larmes, il serra les poings, étouffant la douleur en se mordant la lèvre.

Il était sur un navire de pirate et il allait devoir passer tous son temps enfermé dans une cellule, lui qui aurait rêver de monter sur le mat, d’enrouler des cordages, de tenir la barre pour naviguer, d’hisser la pavillons noirs et de rire autour d’un bon verre de rhum...Quoique, peut être pas la dernière idée. Les épaules lâches, il resta prostré, le coeur un peu serré.

Avec Zaïm s’était la même chose, il n’arrivait jamais à intéresser, n’arrivait jamais à le rendre fier. La seule fois avait été quand il avait danser, il l’avait complimenter, avant de venir le rejoindre dans sa chambre. Pourquoi cherchait-il autant à plaire à des hommes qui ne faisait que le dédaigner ?

Son corps entier se crispa quand le Capitaine le souleva et il se recroquevilla sur lui même, ne supportant pas de sentir la peau du pirate contre la sienne. Il frotta ses yeux pour essuyer ses larmes et vit la cellule ré-apparaître. Jetant un regard triste au Capitaine, il se dit qu’au final, il préférait devoir être transporté comme cela partout sur le bateau que de devoir retourner là bas.

Il lui tendit la bouteille d’alcool et les cotons avant d’en récupérer un. Il ne releva même pas le fait qu’il serait sans doute blesser. Sûrement, de toute façon, il était très maladroit.

Tournant le dos au pirate, il pénétra dans la cellule et s’assit sur la petite couchette en bois. Il posa le coton sur sa blessure et couina de douleur quand l’alcool pénétra dans sa plaie. Il se força à maintenir le pansement sur sa blessure. Nour lui disait toujours qu’il fallait bien désinfecter si on ne voulait pas tomber malade. Il compta jusqu’à cinq, et retira le coton. Le sang ne coulait plus et il redressa la tête pour fixer l’homme qui fermait sa cellule à double tour. A quoi cela servait-il, de toute façon il ne pourrait pas aller bien loin ?

Déçu de devoir rester ici, il baissa la tête et passa ses bras autour de ses genoux. Il avait de nouveau envie de pleurer mais il se retint. Ses yeux suivirent la silhouette du pirate qui s’éloignait et avant qu’il ne disparaisse, il se leva précipitamment et cria à son encontre sans honte ni même bégaiement, s’accrochant au barreau :

« Capitaine ! Comment est-ce que vous vous appelez ? »

Le fixant avec ses grands yeux bleus, il ouvrit légèrement la bouche, suspendue dans le temps en attendant la réponse qui comptait beaucoup à ses yeux.

Docilement le jeune prince regagna sa cellule.
Oh oui Tensui avait bien remarqué sa déception lorsqu'il lui avait fait une réflexion sur le fait qu'il ne serait pas matelot. Visiblement le garçon avait beau être d'une timidité à en mourir, ça ne semblait pas vraiment le terrifier d'être sur un bateau pirate. Bien au contraire, il avait vu cette petite étincelle bien caractéristique s'allumer dans son regard à deux trois reprises lorsque cette balade sur son navire.
Pourtant il n'allait pas se laisser attendrir par ses yeux humides, son regard de chiot battu ou ses tremblements. Tensui en avait vu d'autres ... beaucoup d'autres. Il n'était pas un tendre, sinon il pouvait dire adieu au respect de ses hommes. Mais il n'était pas une brute sanguinaire pour autant.

Un peu dépité, il ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel - ou plutôt sur le plafond de la cale - lorsqu'il entendit Ejaz couiner de douleur lorsque le linge imbibé d'alcool entra en contact avec sa blessure. Puis il tourna la clé dans la serrure enfermant le jeune homme à double tour avant de glisser l'ouvrage de fer dans une petite bourse accrochée à sa ceinture. Ainsi il devenait le gardien de la liberté du petit prince.
Cette idée lui tira un sourire puis après un dernier regard en direction du garçon en cage, il tourna les talons prêt à regagner le pont. Il était temps qu'il mette la main à la pâte.
Il n'était pas loin de disparaître à la vue de son prisonnier que ce dernier l'interpela d'une voix forte et non tremblotante en lui demandant son nom.

« Tu le sauras lorsque tu l'auras mérité ! »

Il ne se retourna même pas, il ne ralentit pas le pas non plus et quelques secondes plus tard il disparut de la vue du garçon. Oh bien sûr ça ne lui aurait rien coûté de lui donner son nom voir même son prénom, mais ça l'amusait toujours de le torturer gentiment.
Et puis, même s'il ne savait pas pourquoi le garçon tenait à connaître son nom, en agissant de la sorte il agitait sous son nom une carotte avec laquelle il pourrait éventuellement faire pression sur le garçon. Tout le monde sur le navire l'appelait capitaine, alors Ejaz pouvait toujours attendre avant d'avoir sa réponse.

Un fin sourire amusé sur les lèvres, Tensui regagna le pont de son navire.
Cette traversée s'annonçait prometteuse.

[Clos pour moi, merci ]